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Date : 20110331

Dossier : A-263-10

Référence : 2011 CAF 120

 

CORAM:       LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

 

LEHIGH CEMENT LIMITED

 

intimée

 

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 3 mars 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 mars 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE EVANS

                                                                                                 LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

 


Date : 20110331

Dossier : A-263-10

Référence : 2011 CAF 120

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

 

LEHIGH CEMENT LIMITED

 

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]        Il s’agit d’un appel interjeté à l’égard d’une ordonnance interlocutoire rendue par la Cour canadienne de l’impôt (Cour de l’impôt) au sujet d’une requête présentée par Lehigh Cement Limited (Lehigh). Lehigh avait demandé une ordonnance enjoignant à Sa Majesté la Reine (la Couronne) de répondre à une question qui avait été contestée lors de l’interrogatoire préalable et de produire certains documents. La question soulevée dans le présent appel est de savoir si la juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en ordonnant à la Couronne de faire ce qui suit :

  1. Répondre à la question suivante : Si les actions de CBR Cement Corp. avaient appartenu à l’appelante plutôt qu’à une société non résidente liée à celle-ci, la Couronne aurait-elle contesté l’entente (la question contestée).

2.   Produire les notes internes de l’Agence de revenu du Canada (ARC) qui concernent la période allant de 2000 à juillet 2007 et qui portent explicitement sur l’élaboration d’une politique générale au sujet de l’alinéa 95(6)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (Loi), à l’exclusion des documents relatifs à un contribuable donné (les documents contestés).

 

Une question accessoire est soulevée au sujet des dépens à adjuger dans le présent appel.

 

[2]        Les motifs à l’appui de l’ordonnance visée par le présent appel sont répertoriés sous la référence 2010 CCI 366 et publiés dans 2010 DTC 1239.

 

Les faits

[3]        Les faits pertinents et le contexte procédural sont décrits succinctement dans les paragraphes suivants du mémoire de Lehigh :

[traduction]

1.         En 1995, l’intimée, Lehigh Cement Limited (Lehigh), a emprunté une somme de 100 000 000 $ US au Canada et investi le même montant dans sa filiale américaine détenue en propriété exclusive, CBR Development NAM LLC (CBR-LLC). Lehigh a déduit l’intérêt payé sur le prêt en question conformément à l’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi).

 

2.         À son tour, CBR-LLC a prêté la somme de 100 000 000 $ US à CBR Cement Corp. (CBR-US), société d’exploitation des États-Unis dont les actions appartenaient à CBR Investment Corporation of America (CBR‑ICA), également une société des États-Unis.

 

3.         En 1996 et 1997, CBR-US exploitait une entreprise active et a payé à CBR-LLC des intérêts s’élevant respectivement à 11 303 500 $ CAN et 11 305 800 $ CAN.

 

4.                  Lehigh, CBR-LLC et CBR-US ont toutes été considérées comme des sociétés « liées » au sens donné à ce mot dans la Loi. Selon le sous‑alinéa 95(2)a)(ii) de la Loi qui était alors en vigueur, tant et aussi longtemps que les sociétés étaient liées, l’intérêt ainsi payé demeurerait un revenu provenant d’une entreprise exploitée activement pour CBR-LLC et deviendrait à ce titre un surplus exonéré pour celle-ci.

 

5.                  En 1996 et 1997, CBR-LLC a versé à Lehigh des dividendes s’élevant respectivement à 8 294 940 $ CAN et 14 968 784 $ CAN. Selon l’alinéa 113(1)a) de la Loi, dans la mesure où ces dividendes ont été versés à même le surplus exonéré de CBR-LLC, Lehigh avait le droit de les déduire dans le calcul de son revenu imposable, ce qu’elle a fait.

 

[…]

 

7.         De nouvelles cotisations ont été établies les 30 novembre 2004 et 3 mai 2005 pour chacune des années 1996 et 1997. Les nouvelles cotisations reposaient principalement sur l’alinéa 95(6)b), selon lequel, de l’avis du ministre, les actions de CBR-LLC étaient réputées ne pas avoir été émises, de sorte que la déduction effectuée en application de l’alinéa 113(1)a) de la Loi devrait être refusée. Le ministre a également invoqué comme fondement subsidiaire l’article 245 de la Loi, qui énonce la règle générale anti-évitement (la RGAE).

 

8.         Lehigh s’est opposée aux nouvelles cotisations. Le 27 février 2009, le ministre a confirmé celles-ci et Lehigh a interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

La décision de la juge de la Cour de l’impôt

[4]        Après avoir exposé les faits à l’origine du litige, la juge de la Cour de l’impôt a décrit comme suit le différend dont elle était saisie :

[traduction]

9.         L’appelante a présenté la requête examinée en l’espèce afin de mieux comprendre la position de l’intimée sur la portée, l’objet et l’esprit de l’alinéa 95(6)b). L’intimée s’oppose à la requête, principalement au motif que les renseignements sollicités ne sont pas pertinents.

 

[5]        La juge de la Cour de l’impôt a ensuite souligné que la CCI avait récemment commenté les principes applicables aux questions en litige dans HSBC Bank Canada c. Canada, 2010 CCI 228, 2010 DTC 1159, aux paragraphes 13 à 16, et précisé que la communication préalable visait à assurer une divulgation telle que les parties pourront [traduction] « procéder de façon rapide, efficace et économique à une audience juste, où chacune saura exactement ce qu’elle doit prouver ». La juge de la Cour de l’impôt a ajouté que, même s’il y avait lieu de décourager les recherches à l’aveuglette, [traduction] « il suffit qu’une question soit quelque peu pertinente pour qu’on doive y répondre ». Aucun argument précis n’est invoqué à l’encontre de l’exposé des principes généraux de la juge de la Cour de l’impôt.

 

[6]        En ce qui concerne la question contestée, la juge de la Cour de l’impôt a formulé les remarques suivantes :

[traduction]

12.       […] L’intimée n’a pas intérêt, par souci d’équité ou d’efficacité, à refuser de répondre à la question pour des raisons de principe. La réponse aidera l’appelante à savoir ce qu’elle doit prouver et relève des objectifs généraux de l’interrogatoire préalable.

13.       Les objectifs de l’interrogatoire préalable ont été résumés dans Motaharian c. Reid, [1989] OJ No. 1947 :

a)  permettre à la partie qui interroge de connaître la thèse à laquelle elle doit répondre;

b)  permettre à la partie qui interroge d’obtenir des aveux qui la dispenseront de faire une preuve formelle;

c)  obtenir des aveux susceptibles de réfuter la thèse de la partie adverse;

d)  faciliter les règlements, le déroulement de la procédure préalable à l’instruction et la tenue de l’instruction elle-même;

e)  éliminer ou circonscrire les questions en litige;

f)  éviter les surprises à l’instruction.

 

[7]        La juge de la Cour de l’impôt en est arrivée à la conclusion suivante au sujet des documents contestés :

[traduction]

15.       En ce qui concerne la production des notes internes de l’ARC, ces documents pourraient être pertinents, parce qu’il semble qu’ils ont mené directement à la position de l’intimée dans le présent appel. Effectivement, ces documents ont servi à étayer les cotisations, même si la politique de l’ARC en était peut-être à l’état embryonnaire lorsqu’elles ont été établies. Ce type de communication est légitime : HSBC Bank, paragraphe 15.

16.       Il importe également de souligner que la demande de l’appelante n’a pas une portée très large. M. Mitchell a précisé au cours de sa plaidoirie qu’il n’y a probablement que quelques documents en cause.

17.       En conséquence, la communication sera ordonnée, mais il sera précisé dans l’ordonnance formelle que la production s’appliquera uniquement aux notes qui concernent explicitement l’élaboration d’une politique générale. L’ordonnance ne s’appliquera pas aux documents qui concernent un contribuable donné.

 

Les erreurs reprochées

[8]        La Couronne fait valoir que la juge de la Cour de l’impôt a commis les erreurs suivantes lorsqu’elle a rendu l’ordonnance visée par l’appel :

 

a.                   elle n’a pas respecté les principes de justice naturelle en acceptant les observations exposées par l’avocat de Lehigh sans donner à la Couronne la possibilité de les contester;

b.                  elle a tiré des conclusions de fait non appuyées par la preuve et s’est fondée sur ces faits pour étayer sa décision;

c.                   elle a ordonné la production de notes internes de l’ARC;

d.                  elle a ordonné à la Couronne de répondre à une question hypothétique visant à mettre en lumière la position juridique de celle-ci.

 

Examen des erreurs reprochées

a.         La juge de la Cour de l’impôt a-t-elle commis un manquement aux principes de justice naturelle?

 

[9]        La Couronne relève trois observations que l’avocat de Lehigh a formulées et qui, selon elle, n’étaient pas appuyées par la preuve par affidavit. Elle explique qu’elle s’est opposée à ces « simples affirmations », parce qu’elles n’étaient pas appuyées par la preuve, de sorte qu’elle n’a pas eu la possibilité de les contester en contre-interrogeant un témoin. Les trois observations attaquées sont les suivantes :

[traduction]

1.                  Au cours de l’interrogatoire préalable, l’avocat de Lehigh a ciblé de façon particulière deux agents de l’ARC, Wayne Adams et Sharon Gulliver, lorsqu’il a posé des questions au sujet de l’existence de notes internes.

2.                  L’avocat de Lehigh a déclaré à l’audience que la modification alléguée à la politique de l’ARC [traduction] « a été élaborée entre 2000 et juillet 2007, lorsque l’ARC a annoncé la nouvelle politique ».

3.                  L’avocat de Lehigh a déclaré à l’audience qu’il ne croyait pas qu’il y aurait de nombreuses notes au sujet de la nouvelle politique. Il s’attendait à ce qu’il n’y en ait que trois ou quatre.

 

De l’avis de la Couronne, ces affirmations auraient eu une très grande influence sur la décision de la juge de la Cour de l’impôt.

 

[10]      Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que la juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur, contrairement à ce que la Couronne soutient.

 

[11]      D’abord, la première observation attaquée n’était pas adressée à la juge de la Cour de l’impôt. Il s’agit plutôt d’une question que l’avocat de Lehigh a posée lorsqu’il a interrogé au préalable un témoin de la Couronne afin d’obtenir la production des documents contestés. L’avocat a souligné que sa demande portait [traduction] « explicitement, mais non exclusivement » sur des documents qui émanaient des deux employés nommés ou qui leur étaient destinés. Une question de cette nature qui est posée lors d’un interrogatoire préalable ne va pas à l’encontre des principes de justice naturelle.

 

[12]      Les deux autres observations attaquées ont été formulées par l’avocat de Lehigh devant la juge de la Cour de l’impôt. Cependant, l’avocat a déclaré explicitement à la Cour que [traduction] « d’abord, nous ne savons pas s’il y a des documents. Nous disons, s’il y a des documents qui expliquent le contexte de la présente cotisation, nous aimerions les voir » (transcription des plaidoiries, dossier d’appel, page 81, lignes 14 à 19). Cette remarque montre clairement que l’avocat n’a pas donné de renseignements de manière inappropriée au sujet de questions relevant de sa connaissance. Il a plutôt formulé des hypothèses quant à la date à laquelle des notes auraient été produites et au nombre de ces notes. La mention du nombre de documents par la juge de la Cour de l’impôt faisait suite aux observations de l’avocat.

 

[13]      De plus, les observations de l’avocat étaient fondées sur une note préparée par Sharon Gulliver et datée du 2 mai 2002 (note de Gulliver). La Couronne a produit la note de Gulliver après l’interrogatoire préalable, mais avant l’audience tenue devant la juge de la Cour de l’impôt, et a été jointe à l’affidavit produit au soutien de la requête de Lehigh. Elle sera décrite de façon plus détaillée plus loin dans les présents motifs.

 

[14]      La Couronne n’a établi aucun manquement aux principes de justice naturelle.

 

b.         La juge de la Cour de l’impôt s’est-elle fondée sur des conclusions de fait qui n’étaient pas appuyées par la preuve?

 

[15]      La Couronne reproche à la juge de la Cour de l’impôt d’avoir décidé d’ordonner la production des documents contestés sur la foi de deux allégations qui n’étaient pas appuyées par la preuve. Les allégations étaient les suivantes :

 

1.                  Les documents contestés ont mené directement à la position de la Couronne dans l’appel sous-jacent.

2.                  Les documents contestés ont servi à étayer les cotisations portées en appel, malgré le fait que la politique de l’ARC en était peut-être à l’état embryonnaire lorsque les cotisations en question ont été établies.

 

La Couronne invoque le paragraphe 15 des motifs de l’ordonnance de la juge de la Cour de l’impôt, cité plus haut, pour affirmer que la juge a formulé ces hypothèses et s’est fondée sur celles-ci.

 

[16]      À mon avis, une lecture objective des motifs de l’ordonnance de la juge de la Cour de l’impôt ne permet pas de conclure que les documents contestés ont mené directement à la position de la Couronne dans l’appel ou qu’ils ont servi à étayer les cotisations. J’en arrive à cette conclusion pour les motifs suivants.

 

[17]      D’abord, comme je le souligne plus haut, Lehigh a déclaré explicitement qu’elle ne savait pas si les documents contestés existaient. Au paragraphe 6 de ses motifs, la juge de la Cour de l’impôt a mentionné à juste titre que l’affirmation selon laquelle la politique de l’ARC concernant l’application de l’alinéa 95(6)b) a été élaborée entre 2000 et juillet 2007, lorsque l’ARC a annoncé la nouvelle politique, était une affirmation de Lehigh et non un fait établi.

 

[18]      En deuxième lieu, la juge de la Cour de l’impôt a souligné, au paragraphe 15 des motifs de son ordonnance, que les documents contestés étaient [traduction] « peut-être pertinents, parce qu’il semble qu’ils ont mené directement [...] ». Elle n’a nullement conclu que les documents existaient, qu’ils avaient mené à la position de la Couronne dans l’appel ou qu’ils avaient servi à étayer les cotisations.

 

[19]      En troisième lieu, la note de Gulliver faisait partie de la preuve présentée à la juge de la Cour de l’impôt et permettait à celle-ci de déduire que les notes subséquentes, le cas échéant, étaient peut-être pertinentes. D’après le contenu de la note de Gulliver, il était possible, à tout le moins, de soutenir que le fondement des cotisations en cause était exprimé dans des notes subséquentes. Tel qu’il est expliqué plus loin, la divulgation de la note de Gulliver par la Couronne a mis en lumière la position de celle-ci selon laquelle ce document était pertinent quant à l’appel de Lehigh.

 

[20]      La Couronne ne m’a pas convaincue que la juge de la Cour de l’impôt a effectivement tiré l’une ou l’autre des conclusions de fait contestées.

 

[21]      La Couronne fait également valoir que Lehigh avait une connaissance précise des documents concernant une modification de politique, [traduction] « mais qu’elle a choisi de ne pas présenter d’éléments de preuve qui auraient pu faire la lumière sur la nature, le volume et la pertinence de ces documents ». Je souscris à la réponse de Lehigh selon laquelle seule la Couronne savait si les documents contestés existaient ou non ou si un document existant était pertinent. Dans ces circonstances, il est difficile de voir comment Lehigh aurait pu fournir une preuve par affidavit plus forte qui aurait permis de mieux comprendre ces aspects.

 

c.         La juge de la Cour de l’impôt a-t-elle commis une erreur en ordonnant la production de notes internes de l’ARC?

 

[22]      Je souligne d’abord que, bien que la juge de la Cour de l’impôt ait ordonné la production des notes internes de l’ARC qui avaient été préparées de 2000 à juillet 2007, l’avocat de Lehigh a, au cours de sa plaidoirie, restreint la période pertinente à la période débutant à la date de la note de Gulliver (2 mai 2002) et se terminant à la date des cotisations (30 novembre 2004 et 3 mai 2005).

 

[23]      La Couronne reproche à la juge de la Cour de l’impôt d’avoir commis une erreur lorsqu’elle a ordonné la production des notes internes, pour les raisons suivantes :

1.                  Les avis exprimés par des agents de l’ARC en dehors du contexte propre à un contribuable donné ne sont pas pertinents.

2.                  Les publications officielles émanant de l’ARC sont pertinentes uniquement lorsqu’un contribuable cherche à prouver que l’interprétation de la Loi par l’ARC, exprimée dans une publication officielle, est correcte et va à l’encontre de celle sur laquelle repose la cotisation en litige.

 

[24]      Pour déterminer la portée de l’interrogatoire préalable autorisé, il convient d’examiner le contexte factuel et procédural de l’affaire, en tenant compte des principes juridiques applicables. Voir Bristol-Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., 2007 CAF 379, 162 A.C.W.S. (3d) 911, au paragraphe 35. Comme la Cour d’appel fédérale l’a souligné dans Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Ltd., 2010 CAF 142, 407 N.R. 180, au paragraphe 13, « bien que les principes généraux établis par la jurisprudence soient utiles, ils n’énoncent pas de formule magique applicable à tous les cas. En la matière, la règle du cas par cas demeure de mise ».

 

[25]      En conséquence, la décision quant à savoir si une question donnée est autorisée repose essentiellement sur les faits. En appel, la décision du juge sera révisée à titre de décision sur une question mixte de fait et de droit. En conséquence, la Cour n’interviendra que lorsqu’une erreur manifeste et dominante ou une erreur de droit isolable est établie. Voir l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, et l’arrêt Bristol-Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., précité, au paragraphe 35.

 

[26]      Dans la présente affaire, pour savoir si une question donnée est autorisée, il convient d’abord d’examiner l’article 95 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a, qui régit la portée de l’interrogatoire préalable. Voici le libellé du paragraphe 95(1) de ces Règles :

95. (1) La personne interrogée au préalable répond, soit au mieux de sa connaissance directe, soit des renseignements qu’elle tient pour véridiques, aux questions pertinentes à une question en litige ou aux questions qui peuvent, aux termes du paragraphe (3), faire l’objet de l’interrogatoire préalable. Elle ne peut refuser de répondre pour les motifs suivants :

a) le renseignement demandé est un élément de preuve ou du ouï-dire;

b) la question constitue un contre-interrogatoire, à moins qu’elle ne vise uniquement la crédibilité du témoin;

 

c) la question constitue un contre-interrogatoire sur la déclaration sous serment de documents déposée par la partie interrogée. [Non souligné dans l’original.]

95. (1) A person examined for discovery shall answer, to the best of that person’s knowledge, information and belief, any proper question relevant to any matter in issue in the proceeding or to any matter made discoverable by subsection (3) and no question may be objected to on the ground that

 

 

(a) the information sought is evidence or hearsay,

(b) the question constitutes cross-examination, unless the question is directed solely to the credibility of the witness, or

(c) the question constitutes cross-examination on the affidavit of documents of the party being examined. [emphasis added]

 

[27]      La Couronne fait remarquer à juste titre qu’avant d’être modifié en 2008, le paragraphe 95(1) des Règles exigeait qu’une personne interrogée au préalable réponde à toute question pertinente « qui se rapportait à » (« relating to ») une question en litige. Une question se rapportait à une question en litige lorsque la partie qui la posait démontrait que « les renseignements contenus dans le document [pouvaient] favoriser sa propre cause ou nuire à celle de son adversaire ». Voir SmithKline Beecham Animal Health Inc. c. Canada, 2002 CAF 229, 291 N.R. 113, aux paragraphes 24 à 30. Au paragraphe 31 de ses motifs, la Cour d’appel fédérale a précisé que cet énoncé du critère était essentiellement le même que celui du « lancement d’une enquête ».

 

[28]      Cependant, la Couronne fait valoir qu’ [traduction] « il est douteux que le critère du lancement d’une enquête, sous sa forme actuelle, survivra à la modification » du paragraphe 95(1) des Règles en 2008. De l’avis de la Couronne, les décisions invoquées par Lehigh ne portent pas sur les répercussions de la formulation plus restrictive du paragraphe 95(1) des Règles.

 

[29]      À mon avis, la modification apportée en 2008 au paragraphe 95(1) des Règles n’a pas touché de façon significative la portée de l’interrogatoire préalable autorisé. J’en arrive à cette conclusion pour les raisons qui suivent.

 

[30]      D’abord, je crois que l’objectif général de l’interrogatoire préalable n’a pas changé. Dans l’arrêt Bande de Montana c. Canada, [2000] 1 C.F. 267 (Section de 1re inst.), au paragraphe 5, le juge Hugessen a décrit cet objectif comme suit :

L’interrogatoire préalable a pour objectif général de favoriser l’équité et l’efficacité de l’instruction en permettant à chacune des parties de se renseigner pleinement, avant l’instruction, sur la nature exacte des positions de toutes les autres parties, de façon à pouvoir définir avec précision les questions qui se posent. Il est dans l’intérêt de la justice que chaque partie soit le mieux informée au sujet des positions des autres parties afin de ne pas être défavorisée en étant surprise à l’instruction. Il est tout à fait approprié pour la Cour d’adopter une démarche libérale face à l’étendue des questions pouvant être posées au cours de l’interrogatoire préalable puisqu’une erreur qui serait commise en autorisant des questions non appropriées peut toujours être corrigée par le juge présidant l’instruction qui décide ultimement de toutes les questions ayant trait à l’admissibilité de la preuve; par ailleurs, toute erreur qui restreindrait indûment l’étendue de l’interrogatoire préalable peut mener à de graves problèmes ou même à des injustices au cours de l’instruction.

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]      Une lecture du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) joint aux Règles modifiant les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/2008-303, Gazette du Canada, partie II, vol. 142, no 25, aux pages 2330 à 2332, permet de dire que la modification apportée au paragraphe 95(1) des Règles ne visait pas à changer la portée des questions autorisées. En effet, dans le REIR, la modification en question est décrite comme une « modification d’ordre technique ». Les tribunaux sont autorisés à examiner un REIR afin de confirmer l’intention de l’organisme de réglementation. Voir Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, aux paragraphes 45 à 47 et 155 à 157.

 

[32]      En deuxième lieu, dans Owen Holdings Ltd. c. Canada (1997), 216 N.R. 381 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a examiné et rejeté l’argument selon lequel les mots « qui portent sur » (lesquels figuraient alors au paragraphe 82(1) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) englobaient le concept d’une « apparence de pertinence ». La Cour d’appel fédérale a souligné que les expressions « qui portent sur » et « qui sont pertinents à l’égard de » avaient un sens similaire. Aux paragraphes 5 et 6 de ses motifs, elle s’est exprimée comme suit :

5.         En ce qui concerne l’appel, l’avocat de l’appelante prétend que le juge a commis une erreur en déterminant que seuls les documents pertinents, c’est-à-dire les documents susceptibles d’être favorables à l’appelante ou défavorables à l’intimée, devraient être communiqués. L’avocat fait remarquer que la Règle 82(1)1 comprend l’expression « qui portent sur » et non [traduction] « qui sont pertinents à l’égard de », une distinction fondamentale que la Cour a clairement confirmée et appliquée dans Canada (Procureur général) c. Bassermann2. L’avocat soutient qu’à ce stade-ci, il n’est pas nécessaire de se soucier de la pertinence; une [traduction] « apparence de pertinence », si nécessaire, devrait suffire, l’abus de procédure étant la seule chose à éviter.

6.         Nous avons exprimé, à l’audition, notre désaccord avec la prétention de l’avocat. Bien qu’elles ne soient pas synonymes, les expressions « qui portent sur » et [traduction] « qui sont pertinents à l’égard de » n’ont pas des sens complètement distincts. L’expression « qui portent sur », utilisée dans la Règle 82(1), exprime nécessairement un élément de pertinence, sinon les parties pourraient s’adonner à de longues et vaines « parties de pêche » qui n’atteindraient aucun objectif productif et ne feraient que gaspiller des ressources judiciaires. Les principes bien établis qui prévoient un degré de pertinence relativement peu élevé à l’étape de l’interrogatoire préalable, par opposition au degré plus élevé en matière d’admission de preuve lors du procès, sont bien connus. Nous n’estimons tout simplement pas que la Cour de l’impôt ait jamais eu l’intention d’abandonner ces principes, à l’instar de la Cour fédérale qui, en 1990, a remplacé l’expression « qui ont trait » par le mot « pertinents » en révisant ses dispositions correspondantes, soit les alinéas (1) et (2)a) de la Règle 4483.

[Non souligné dans l’original et notes de bas de page omises.]

[33]      En dernier lieu, il existe une panoplie de jugements dans lesquels la Cour d’appel fédérale a interprété la portée de l’interrogatoire autorisé selon l’article 240 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. À l’instar du paragraphe 95(1) précité, l’article 240 des Règles des Cours fédérales englobe le critère de la question de savoir si une question « se rapporte » à un point en litige. Voici le texte de l’article 240 :

La personne soumise à un interrogatoire préalable répond, au mieux de sa connaissance et de sa croyance, à toute question qui :

a) soit se rapporte à un fait allégué et non admis dans un acte de procédure déposé par la partie soumise à l’interrogatoire préalable ou par la partie qui interroge;

b) soit concerne le nom ou l’adresse d’une personne, autre qu’un témoin expert, dont il est raisonnable de croire qu’elle a une connaissance d’une question en litige dans l’action. [Non souligné dans l’original.]

A person being examined for discovery shall answer, to the best of the person’s knowledge, information and belief, any question that

(a) is relevant to any unadmitted allegation of fact in a pleading filed by the party being examined or by the examining party; or

 

(b) concerns the name or address of any person, other than an expert witness, who might reasonably be expected to have knowledge relating to a matter in question in the action. [emphasis added]

 

[34]      Il appert de la jurisprudence qu’une question est pertinente lorsqu’il est raisonnablement possible qu’elle mène à l’obtention de renseignements pouvant directement ou indirectement permettre à la partie qui sollicite la réponse de faire valoir ses arguments ou de réfuter ceux de son adversaire ou de la lancer dans une enquête qui pourra produire l’un ou l’autre de ces effets. Pour déterminer s’il est satisfait à ce critère, il convient d’examiner les allégations que la partie qui procède à l’interrogatoire tente d’établir ou de réfuter. Voir Eurocopter, au paragraphe 10, Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2008 CAF 287, 381 N.R. 93, aux paragraphes 61 à 64; Bristol-Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., aux paragraphes 30 à 33.

 

[35]      Lorsque la pertinence est établie, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser de permettre une question. Pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, il convient de soupeser la valeur possible de la réponse au regard du risque qu’une partie abuse du processus de communication préalable. Voir Bristol-Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., au paragraphe 34. La Cour peut refuser d’autoriser une question pertinente lorsque la réponse exigerait trop d’efforts et de dépenses de la part de la partie à laquelle elle est posée, lorsqu’il y a d’autres moyens d’obtenir les renseignements sollicités ou lorsque la question fait partie d’une « recherche à l’aveuglette » de portée vague et étendue : Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 438, 312 N.R. 273, au paragraphe 10; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2008 CAF 131, 166 A.C.W.S. (3d) 850, au paragraphe 3.

 

[36]      Les commentaires que la Cour d’appel fédérale a formulés au paragraphe 64 de l’arrêt Eli Lilly et qui sont reproduits ci-dessous sont particulièrement pertinents quant à l’argument de la Couronne selon lequel la modification de 2008 a donné lieu à un changement important :

64.       De plus, la recherche à l’aveuglette mentionnée par la protonotaire au paragraphe 19 de ses motifs visait le cas où une partie était tenue de communiquer un document qui pourrait mener à un autre document qui pourrait ensuite mener à des renseignements utiles susceptibles d’être préjudiciables à sa cause ou d’appuyer la cause de l’autre partie. À mon avis, limiter le critère du « lancement d’une enquête » de cette manière est compatible avec le critère énoncé dans l’arrêt Peruvian Guano, précité, et appliqué par la Cour dans SmithKline Beecham Animal Health Inc. c. Canada, [2002] 4 C.T.C. 93 (C.A.F.), où, au paragraphe 24 de ses motifs, la juge Sharlow, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit :

[24] La portée et l’application des règles précitées dépendent du sens de ces mots : « qui portent sur toute question en litige entre les parties à l’appel » et « aux questions légitimes qui se rapportent à une question en litige ». Dans Compagnie Financière et Commerciale du Pacifique c. Peruvian Guano Company (1882), 11 Q.B.D. 55 (C.A.), à propos du sens des mots [traduction] « un document qui a trait à tout point litigieux de l’action », à la page 63, le lord juge Brett dit ceci :

[traduction] À mon avis, un document a trait aux points litigieux de l’action non seulement lorsqu’il constitue une preuve à l’égard de ces points litigieux mais également lorsqu’on peut raisonnablement supposer qu’il contient des renseignements pouvant – et non devant – soit directement soit indirectement, permettre à la partie qui exige l’affidavit ou bien de plaider sa propre cause ou bien de nuire à celle de son adversaire. J’ai dit « soit directement soit indirectement » parce que, à mon avis, un document peut, à proprement parler, contenir des renseignements pouvant permettre à la partie qui exige l’affidavit soit de plaider sa propre cause soit de nuire à celle de son adversaire s’il s’agit d’un document susceptible de la lancer dans une enquête et d’entraîner l’une ou l’autre de ces conséquences. [Souligné dans l’original.]

 

[37]      Ainsi, lorsqu’elle a interprété la pertinence selon les Règles des Cours fédérales, la Cour d’appel fédérale a cité avec approbation le critère du lancement d’une enquête qu’elle avait précédemment articulé dans l’arrêt SmithKline Beecham. Ce jugement concernait l’interprétation à donner de la version antérieure à 2008 du paragraphe 95(1) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale). Le critère du lancement de l’enquête avait donc été jugé approprié tant selon les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) antérieures à 2008 que selon les Règles des Cours fédérales actuellement en vigueur, aux termes desquelles le critère est la pertinence.

 

[38]      En ce qui concerne l’application de ces principes, dans la présente affaire, la Couronne avait communiqué la note de Gulliver à Lehigh. La note avait été produite en réponse à une demande adressée à la Couronne afin qu’elle fournisse [traduction] « toute la correspondance et toutes les notes qui ont été échangées au siège social, au bureau de district et entre le siège social et le bureau de district et qui comportent des directives ou des conseils sur la question de la RGAE ».

 

[39]      Les points suivants sont soulignés dans la note de Gulliver :

 

1.                  L’ARC recherchait [traduction] « les cas étiquetés ″prêts indirects″, où une société canadienne investit de l’argent dans une société nouvellement créée dans un paradis fiscal, lesquels fonds sont ensuite prêtés à une société non résidente liée, mais non affiliée ».

 

2.                  Remarques concernant le paragraphe 95(6) de la Loi :

[traduction]

Bien que le paragraphe 95(6) ait été modifié pour les années d’imposition postérieures à 1995, dans presque tous les cas de « prêt indirect » examinés, la structure était en place avant les modifications. Nous nous sommes demandé si l’alinéa 95(6)b) alors en vigueur pouvait s’appliquer à la question des prêts indirects en ce qui concerne la constitution de la société refuge et l’émission par celle-ci d’actions à CANCO. Cependant, il a été conclu à la lumière du libellé de cette disposition que ce qui avait été envisagé, c’est que la société affiliée étrangère ou la société non résidente qui avait émis les actions existait déjà avant la série d’opérations. De plus, sans l’utilisation de la société refuge, il n’était pas certain que CANCO aurait transféré des fonds à l’emprunteur non résident de telle sorte qu’il y aurait eu « un impôt payable par ailleurs ». En conséquence, l’application du paragraphe 95(6) n’a pas été proposée, mais cette disposition montre à notre avis qu’il n’est pas acceptable d’insérer des étapes pour utiliser à mauvais escient les règles relatives aux sociétés affiliées étrangères11. [Non souligné dans l’original.]

 

 

3.         Texte de la note 11 mentionnée dans le passage précité :

11 Nous n’avons aucun avis juridique écrit sur la question à l’heure actuelle. Il se peut que les Appels ou les Litiges estiment qu’il y a lieu d’invoquer le paragraphe 95(6).

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[40]      À mon avis, une lecture de la note de Gulliver et des nouvelles cotisations subséquemment établies à l’encontre de Lehigh sur le fondement du paragraphe 95(6) permet de déduire que l’ARC pourrait fort bien avoir préparé des notes ultérieures au sujet de la possibilité d’invoquer le paragraphe 95(6) de la Loi à titre de disposition générale anti-évitement. Si des documents de cette nature existent, ils seraient raisonnablement susceptibles de permettre à Lehigh, directement ou indirectement, de prouver ses arguments ou de réfuter ceux de la Couronne. À mon sens, la juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle en a ordonné la production. C’est le juge de première instance qui déterminera leur pertinence en dernier ressort.

 

[41]      Pour en arriver à cette conclusion, j’ai examiné les arguments de la Couronne selon lesquels les avis exprimés par des agents de l’ARC en dehors du contexte propre à un contribuable donné ne sont pas pertinents et selon lesquels les publications officielles de l’ARC ont une pertinence restreinte. Ces arguments pourraient être valablement invoqués dans une autre affaire. Cependant, dans le contexte factuel et procédural de la présente affaire, la Couronne a déjà communiqué la note de Gulliver à titre de document pertinent. Afin de pouvoir procéder de façon rapide à une audience juste où elle saura exactement ce qu’elle doit prouver, Lehigh devrait recevoir toutes notes subséquentes concernant l’élaboration d’une politique générale au sujet de l’alinéa 95(6)b) de la Loi.

 

d.         La juge de la Cour de l’impôt a-t-elle commis une erreur en ordonnant à la Couronne de répondre à une question hypothétique visant à connaître la position juridique de celle-ci?

 

 

[42]      De l’avis de la Couronne, la juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur lorsqu’elle lui a ordonné de répondre à la question contestée, pour les raisons suivantes :

1.                  La question est hypothétique.

2.                  La question vise à obtenir de la Couronne des détails concernant sa position juridique.

3.                  La question est une question de droit pure.

 

 

[43]      Lehigh répond que la question vise à savoir si l’alinéa 95(6)b) de la Loi a été appliqué lors de l’établissement des nouvelles cotisations à son endroit au motif que les actions de CBR‑US appartenaient à CBR-ICA, société non résidente, et non à Lehigh, société résidant au Canada.

 

[44]      La juge de la Cour de l’impôt a ordonné à la Couronne de répondre à la question afin d’aider Lehigh à connaître la thèse qu’elle doit réfuter. Dans le contexte de la présente affaire, la question n’est pas une question de droit pure et ne vise pas non plus à obtenir des détails au sujet de la position juridique de la Couronne. Lehigh a le droit de connaître le fondement des nouvelles cotisations et les raisons qui ont incité l’ARC à conclure qu’elle avait acquis ses actions de CBR‑LLC dans le but principal d’éviter le paiement d’impôts qui auraient été payables par ailleurs. Eu égard au contexte factuel et procédural de la présente affaire, la Couronne n’a pas démontré que la juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant qu’une réponse devrait être donnée à la question contestée.

 

[45]      Pour tous les motifs exposés ci-dessus, je rejetterais l’appel.

 

Dépens et conclusion

[46]      En cas de rejet du présent appel, Lehigh sollicite des dépens afin de la dédommager pleinement des frais qu’elle a engagés pour présenter la requête devant la Cour de l’impôt et pour contester le présent appel. Ces frais sont évalués à un montant de plus de 125 000 $.

 

[47]      Lehigh admet que l’octroi d’une indemnité de cette nature est courant lorsqu’il est jugé qu’une partie a agi de manière répréhensible, scandaleuse ou outrageante. Lehigh reconnaît qu’aucun comportement de cette nature n’a été observé en l’espèce. Elle soutient toutefois que cette indemnité est justifiée dans la présente affaire, parce que les interrogatoires ont eu lieu le 11 novembre 2009 et que Lehigh a dû subir de longs délais et engagé des frais très élevés, [traduction] « le tout sans raison valable ».

 

[48]      L’article 400 des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour dispose d’un pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’adjudication des dépens. Selon l’article 407 des mêmes Règles, sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens partie-partie sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B. Cette règle traduit une décision de politique selon laquelle l’octroi de dépens partie-partie vise à contribuer au paiement des dépens procureur‑client et non à indemniser la partie concernée des frais qu’elle a engagés.

 

[49]      Lehigh n’a pas établi de circonstances exceptionnelles qui justifieraient une dérogation au principe selon lequel les dépens procureur-client sont généralement accordés uniquement lorsqu’il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties. Voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 77. La volonté d’une partie d’engager des frais élevés pour débattre une question en litige ne peut en soi avoir pour effet de transférer la responsabilité s’y rapportant à la partie adverse. La question devient donc celle de savoir quel est le montant approprié à accorder à titre de contribution aux frais de Lehigh en cas de rejet de l’appel.

 

[50]      Quant à la Couronne, elle sollicite, si elle a gain de cause, les dépens engagés devant la Cour d’appel fédérale et la Cour canadienne de l’impôt selon un montant de 5 000 $ plutôt que les dépens taxés. Après avoir accordé une attention particulière à la complexité des questions en litige, je ne vois aucun élément du dossier permettant de dire qu’il s’agit là d’une estimation déraisonnable des dépens partie-partie. Étant donné que Lehigh a obtenu ses dépens devant la Cour de l’impôt, je rejetterais l’appel et j’ordonnerais à l’appelante de payer à Lehigh les dépens

engagés devant la Cour de l’impôt et devant la Cour d’appel fédérale selon un montant global fixé à 5 000 $, quelle que soit l’issue de la cause.

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            John M. Evans j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Carolyn Layden-Stevenson j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                       A-263-10

 

INTITULÉ :                                                      SA MAJESTÉ LA REINE c.

                                                                           LEHIGH CEMENT LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              Le 3 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                           LA JUGE DAWSON

 

AUXQUELS ONT SOUSCRIT :                     LE JUGE EVANS

                                                                           LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                     Le 31 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Bourgeois

Geneviève Léveillée

 

POUR L’APPELANTE

 

Warren J.A. Mitchell, c.r.

Mathew G. Williams

Natasha Reid

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

Thorsteinssons LLP

Avocats-fiscalistes

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’INTIMÉE

 

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