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Date : 20110414

Dossier : A-439-10

Référence : 2011 CAF 134

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

APOTEX INC., et

APOTEX PHARMACHEM INC.

 

appelantes

(défenderesses)

et

 

ALLERGAN, INC.,

ALLERGAN SALES, LLC.,

ALLERGAN USA, INC. et

KYORIN PHARMACEUTICAL CO., LTD

 

intimées

(demanderesses)

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 avril 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 avril 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE EVANS

                                                                                                                         LE JUGE STRATAS

 

 


Date : 20110414

Dossier : A-439-10

Référence : 2011 CAF 134

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

APOTEX INC., et

APOTEX PHARMACHEM INC.

 

appelantes

(défenderesses)

et

 

ALLERGAN, INC.,

ALLERGAN SALES, LLC.,

ALLERGAN USA, INC. et

KYORIN PHARMACEUTICAL CO., LTD

 

intimées

(demanderesses)

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]        Les appelantes (colllectivement appelées Apotex) interjettent appel d’une ordonnance interlocutoire rendue par un juge de la Cour fédérale qui a rejeté une requête présentée par Apotex dans laquelle cette dernière a demandé à la Cour de rendre une ordonnance radiant la déclaration déposée par les intimées dans le cadre du présent appel. Dans le présent pourvoi, Apotex fait valoir que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en refusant de radier l’acte de procédure pour absence de cause d’action parce que la déclaration constituait une simple ou hypothétique accusation de contrefaçon de brevet et parce que l’acte de procédure concernant les actions futures qu’elle prévoit intenter ne respecte pas la norme requise relative à l’action quia timet.

 

[2]        Comme le juge l’a reconnu dans son ordonnance, le critère devant être appliqué lorsqu’il s’agit de déterminer si un acte de procédure doit être radié est rigoureux. Le défendeur doit démontrer qu’il est évident et manifeste, et hors de tout doute, que l’action ne saurait être accueillie (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, page 980). Cet acte de procédure doit être interprété de manière aussi libérale que possible (Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, paragraphe 14). Dans le cadre d’une requête en radiation, on doit présumer que les faits allégués dans un acte de procédure sont exacts (Hunt, page 980). Lorsque, comme en l’espèce, la requête en radiation est présentée au motif que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action, aucune preuve n’est admissible (paragraphe 221(2) des Règles des Cours fédérales).

 

[3]        Dans le cadre de l’appel d’une ordonnance rejetant une requête en radiation d’un acte de procédure, la Cour doit faire preuve de retenue envers la décision sous-jacente. Dans Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CAF 374, 370 N.R. 336, au paragraphe 15, la Cour décrit le critère devant être appliqué dans les termes suivants :

            Les intimés soulignent avec raison que la décision d’accueillir ou de rejeter une requête en radiation est une décision de nature discrétionnaire. Une décision discrétionnaire en première instance appelle habituellement une certaine retenue de la part de la cour d’appel. Toutefois, la cour d’appel sera libre de substituer l’exercice de son propre pouvoir discrétionnaire à celui exercé par le juge de première instance si elle conclut clairement que le juge de première instance n’a pas accordé suffisamment d’importance à des facteurs pertinents ou s’est fondé sur un mauvais principe de droit : Elders Grain Co. c. Ralph Misener (The), [2005] A.C.F. no 612, 2005 CAF 139, au paragraphe 13. Notre Cour peut aussi annuler la décision discrétionnaire de l’instance inférieure lorsqu’elle est convaincue que le juge a mal apprécié les faits, ou encore qu’une injustice évidente serait autrement causée : Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., [2005] A.C.F. no 215, 2005 CAF 50, 38 C.P.R. (4th) 1, au paragraphe 9. [Non souligné dans l’original.]

 

[4]        S’agissant de l’argument soulevé par Apotex, je conviens que le simple fait qu’une compagnie pharmaceutique défenderesse ait demandé l’approbation réglementaire pour commercialiser un médicament ne peut, en soi, servir de fondement à une action en contrefaçon de brevet. Je suis également d’avis qu’une allégation de contrefaçon antérieure qui n’est pas étayée par une preuve constitue un abus de procédure. Il y a lieu de se reporter à l’arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2010 CAF 112, 402 N.R. 95, au paragraphe 5. Dans chaque cas, il convient de porter une attention particulière à l’acte de procédure qui est en cause devant la Cour.

 

[5]        Dans la présente affaire, la déclaration, combinée aux précisions additionnelles données par les défenderesses de leur plein gré, indique qu’Apotex a contrefait, contrefait et continuera de contrefaire le brevet canadien no 1 340 316 (un brevet qui vise le composé gatifloxacin). On soutient que depuis 2007, l’une ou l’autre des appelantes a contrefait le brevet en cause en commettant certains actes, notamment :

 

·        l’achat et l’importation de gatifloxacine en vrac à des fins commerciales et réglementaires;

·        le stockage de gatifloxacine en vrac à des fins commerciales et réglementaires;

·        la formulation de gatifloxacine en vrac en solution ophtalmique de gatifloxacine à 0,3 % à des fins commerciales et réglementaires.

 

[6]        De plus, on prétend que les appelantes ont contrefait le brevet en cause en commettant les actes suivants :

 

·        la formulation, la transformation, la fabrication et la stérilisation de gatifloxacine sous forme de solution ophtalmique à 0,3 % en lots de 100 litres et de 1 000 litres;

·        la fabrication, l’utilisation, l’entreposage et le conditionnement de gatifloxacine sous forme de solution ophtalmique à 0,3 % dans des flacons compte-gouttes de 5 mL avec capuchon pour la vente dans le commerce;

·        le stockage au Canada à des fins commerciales de gatifloxacine sous forme de solution ophtalmique à 0,3 % dans des flacons de 5 mL pour la vente dans le commerce aux États-Unis;

·        la préparation et l’apposition d’étiquettes sur des flacons de 5mL de solution ophtalmique de gatifloxacine à 0,3 % pour la vente dans le commerce aux États‑Unis;

·        la vente et l’intention de vendre à Apotex Corp. de la gatifloxacine sous forme de solution ophtalmique à 0,3 % à des fins commerciales;

·        l’offre, avec Apotex Corp., de vendre de la gatifloxacine sous forme de solution ophtalmique à 0,3 % à des clients aux États-Unis en octobre ou en novembre 2010.

 

[7]        Dans la déclaration, on fait également valoir qu’une demande abrégée de nouvelle drogue présentée par Apotex auprès de la United States Food and Drug Administration indique qu’Apotex a fabriqué et utilisé des solutions ophtalmiques de gatifloxacine à son usine de fabrication, et qu’elle a fabriqué du gatifloxacin en Inde par l’entremise d’Apotex Pharmachem India Pvt. Ltd. et elle prévoit en fabriquer encore.

 

[8]        Le juge a conclu que l’acte de procédure contient suffisamment de faits importants permettant de présumer qu’Apotex aurait contrefait le brevet en cause. À mon avis, il était raisonnablement loisible au juge de tirer cette conclusion à l’égard de cet acte de procédure. La déclaration a été, selon moi, sauvegardée par les précisions additionnelles qui vont au-delà des généralités et des conclusions relatives à la contrefaçon. Apotex n’a pas démontré que le juge s’est fondé sur un mauvais principe de droit ou qu’il a autrement commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

 

[9]        De plus, selon Apotex, même si les allégations sont vraies, sa conduite est protégée par l’exception à la contrefaçon relative à l’usage expérimental tirée de la common law et par les paragraphes 55.2(1) et (6) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4. Cependant, même l’existence d’une solide défense à l’égard d’une déclaration ne justifie pas la radiation de la déclaration (Hunt, précité, page 980).

 

[10]      En tirant cette conclusion, j’ai examiné l’argument d’Apotex portant que le juge a omis de tenir compte du fait que les seuls paragraphes de la déclaration portant sur les faits relatifs à la contrefaçon sont les paragraphes qui traitent de faits qui [traduction] « relèvent clairement de l’exception à la contrefaçon relative à l’usage expérimentale qui est bien reconnue ». J’ai également pris en compte la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Nu-Pharm, 2011 CF 255 sur laquelle Apotex s’est appuyée.

 

[11]      En ce qui concerne l’exception relative à l’usage expérimental et l’article 55.2 de la Loi sur les brevets, si on l’examine à la lumière des précisions additionnelles, la déclaration porte sur des faits qui vont bien au-delà de la portée des activités expérimentales ou réglementaires. Selon ces allégations, Apotex aurait, entre autres, stocké de la gatifloxacine en vrac à des fins commerciales et réglementaires, stocké de la gatifloxacine sous forme de solution ophtalmique à 0,3 % à des fins commerciales et vendu et, de concert avec Apotex Corp., offert de vendre à des clients de la gatifloxacine sous forme de solution ophtalmique à 0,3 % en octobre ou en novembre 2010.

 

[12]      Dans la décision Eli Lilly, la Cour fédérale a radié la déclaration. Apotex soutient qu’il est impossible de faire une distinction entre les allégations examinées par la Cour fédérale dans Eli Lilly et celles de la déclaration en cause. S’agissant des faits portés à son attention, la Cour fédérale n’a pas jugé nécessaire d’obliger Nu-Pharm à [traduction] « invoquer le paragraphe 55.2(1) comme moyen de défense dans une défense dûment déposée » (se reporter au paragraphe 29 des motifs). Or, dans Eli Lilly, la Cour fédérale a également conclu, au paragraphe 28, que :

[traduction]       

            Dans la déclaration qui m’est soumise, il n’y a absolument rien qui n’est pas conforme aux exigences réglementaires relatives à la préparation et au dépôt d’une PADN. En l’absence de tout élément outrepassant les exigences réglementaires, le paragraphe 52.2(1) [sic] de la Loi sur les brevets s’applique. De plus, M. Benyak a déclaré clairement sous serment que Nu-Pharm n’a rien fait d’autre que respecter les exigences du régime réglementaire applicable. Les tentatives des demanderesses de qualifier les actes de Nu-Pharm (ou un tiers non identifié) comme étant des actes allant au-delà des exigences règlementaires sont de nature spéculative, dans l’hypothèse la plus optimiste. [Je souligne.]

 

[13]      La décision Eli Lilly est différente de la présente affaire parce que la déclaration soumise à la Cour en l’espèce contient des allégations de fait, que l’on doit présumer exacts aux fins de la présente requête, qui vont au-delà de la portée de l’activité réglementaire. La décision Eli Lilly est également différente parce qu’il n’y aucune preuve présentée à la Cour qui est similaire au témoignage de M. Benyak dans la décision Eli Lilly.

 

[14]      Enfin, Apotex prétend que les allégations concernant ses intentions futures ne respectent pas la norme requise pour présenter une action quia timet. Encore une fois, je suis d’accord pour dire qu’une action quia timet doit être fondée sur autre chose que de simples possibilités (AstraZeneca, précité aux paragraphes 6 et 7). Toutefois, je rejette, en toute déférence, le fait que l’acte de procédure en cause puisse être qualifié d’action quia timet. Comme l’a souligné le juge Hughes au paragraphe 19 de ses motifs dans AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2009 CF 1209, 359 F.T.R. 279, confirmé par 2010 CAF 112, [traduction] « une action intentée pour cause d’anticipation a été appelée une action quia timet (parce qu’il craint) ». En l’espèce, l’acte de procédure contesté n’est pas fondé simplement sur la crainte de contrefaçon future. Les allégations de contrefaçon passées et actuelles soutiennent l’allégation de contrefaçon future.

 

[15]      Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            John M. Evans j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            David Stratas j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B.

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                       A-439-10

 

 

INTITULÉ :                                                       APOTEX INC., et APOTEX PHARMACHEM INC. c. ALLERGAN, INC. et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              Le 12 avril 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                           LA JUGE DAWSON

 

 

Y ONT SOUSCRIT :                                        LE JUGE EVANS

                                                                           LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                     Le 14 avril 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew R. Brodkin

 

POUR LES APPELANTES

 

John Norman

POUR LES INTIMÉES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

Gowling Lafleur Henderson s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

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