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Date : 20110628

Dossier : A‑301‑10

Référence : 2011 CAF 214

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

SÉNAT DU CANADA

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 14 juin 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 juin 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                         LA JUGE SHARLOW

 


Date : 20110628

Dossier : A‑301‑10

Référence : 2011 CAF 214

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

SÉNAT DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MAINVILLE

[1]               L’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC) conteste, par voie de contrôle judiciaire, la décision arbitrale rendue en vertu de la Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. 1985, ch. 33 (2e suppl.) (la Loi), par laquelle la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) a rejeté sa proposition d’inclure dans la convention collective une disposition exigeant que le Sénat du Canada annonce les postes vacants au sein de l’unité de négociation. La Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour examiner cette proposition, compte tenu du paragraphe 55(2) de la Loi, qui prévoit que sont exclues du champ des décisions arbitrales les procédures ou méthodes régissant la nomination, l’avancement ou la mutation d’employés.

 

Contexte

[2]               La Chambre des communes et le Sénat du Canada sont les deux institutions responsables du processus législatif au Canada. Elles occupent une position particulière dans le cadre constitutionnel canadien. Compte tenu de leur situation exceptionnelle, la Loi prévoit un régime particulier pour régir les relations de travail des employés qui travaillent au sein de ces institutions. La partie I de la Loi concerne l’accréditation d’une organisation syndicale à titre d’agent négociateur, la négociation des conventions collectives et le règlement des griefs présentés par les employés, alors que les parties II et III (qui ne sont pas en vigueur) régissent respectivement certaines normes minimales de travail et la sécurité et santé au travail. Seules les dispositions de la partie I de la Loi concernant la négociation des conventions collectives présentent un intérêt pour le présent contrôle judiciaire.

 

[3]               L’article 73 de la Loi interdit aux employés de participer à une grève. Le processus de négociation collective est donc fondé sur un système de négociations et de conciliation de bonne foi, et en cas d’impasse dans les négociations, sur un arbitrage exécutoire par la Commission. La Loi établit toutefois certaines limites quant aux dispositions pouvant être incluses dans une convention collective par voie d’arbitrage.

 

[4]               Le paragraphe 5(3) de la Loi protège le droit de la Chambre des communes et du Sénat « quant à l’organisation de [leurs] services, à l’attribution des fonctions aux postes et à la classification de ces derniers » alors que le paragraphe 55(2) interdit à la Commission d’inclure dans le champ des décisions arbitrales les normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l’avancement ou la mutation d’employés. Le paragraphe 55(2) de la Loi prévoit ce qui suit :

55. (2) Sont exclues du champ des décisions arbitrales les normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l’évaluation, l’avancement, la rétrogradation, la mutation, la mise en disponibilité ou le renvoi d’employés, ainsi que toute condition d’emploi n’ayant pas fait l’objet de négociations entre les parties avant que ne soit demandé l’arbitrage à son sujet.

 

55. (2) No arbitral award shall deal with the standards, procedures or processes governing the appointment, appraisal, promotion, demotion, transfer, lay‑off or release of employees, or with any term or condition of employment of employees that was not a subject of negotiation between the parties during the period before arbitration was requested in respect thereof.

 

 

[5]               La dotation et l’embauche à la Chambre des communes et au Sénat sont régies par les politiques de l’employeur plutôt que par les conventions collectives. Le greffier du Sénat a approuvé la « Politique de dotation et de recrutement de l’administration du Sénat » ainsi qu’une annexe énonçant certains principes directeurs, dont l’application du principe du mérite. La politique prévoit deux méthodes de nomination, soit un [traduction] « processus de nomination interne » visant exclusivement les employés du Sénat, et un « processus de nomination externe » visant tant les employés du Sénat que le grand public. Le choix du processus de nomination « interne » ou « externe » appartient à la direction, qui décide en fonction de certains facteurs.

 

[6]               La politique du Sénat prévoit également que la direction peut choisir un processus de nomination « annoncé » ou « non annoncé ». Dans le cadre d’un processus « annoncé », les personnes qui font partie de la zone de sélection sont informées de l’existence d’un poste vacant et ont la possibilité de postuler et faire la preuve de leurs qualités, selon les critères du mérite. Le processus de nomination peut être alors annoncé par avis écrit, par affichage ou par courriel, ou il peut être annoncé verbalement. Dans le cadre d’un processus de nomination « non annoncé », la direction n’a pas à solliciter des demandes d’emploi; elle envisage plutôt une ou plusieurs personnes pour le poste à pourvoir. La politique en matière de dotation énonce comme exemples de situations où on peut recourir à un processus de nomination non annoncé les nominations intérimaires, le reclassement d’un employé dans un poste particulier et la modification de la durée des fonctions.

 

[7]               Bien qu’elle ne soit pas tenue d’agir ainsi selon la politique, l’administration du Sénat a toutefois suivi la pratique consistant à informer les membres de l’unité de négociation concernée de son intention de faire des nominations par processus non annoncé. Toutefois, selon cette pratique, aucun avis de poste vacant n’est donné, sauf si le Sénat a l’intention de pourvoir ce poste et qu’un processus de nomination est conséquemment enclenché.

 

[8]               L’AFPC a été accréditée comme agent négociateur pour le « groupe de l’Exploitation » du Sénat, qui comprenait environ 101 employés travaillant principalement dans les domaines du soutien aux comités et des services postaux, des installations et du transport, de l’entretien, des services d’impression et des métiers. La dernière convention collective pour ce groupe a expiré le 30 septembre 2007 et les parties ont commencé à négocier son renouvellement. De nombreuses questions restant en suspens, l’AFPC a, le 22 mai 2009, présenté une demande d’arbitrage exécutoire en vertu de la Loi afin que ces questions soient tranchées par la Commission.

 

[9]               Après avoir reçu les observations des parties et tenu des audiences, la Commission a rendu sa décision arbitrale le 16 août 2010, sous le numéro de référence 2010 CRTFP 87, se prononçant sur une longue série de questions non réglées visant la convention collective. L’AFPC ne conteste que la conclusion portant sur l’affichage des postes vacants au sein de l’unité de négociation, d’où le présent contrôle judiciaire.

 

[10]           Le litige concerne la proposition de l’AFPC visant à inclure une nouvelle disposition dans la convention collective qui obligerait le Sénat à annoncer « les postes vacants au sein l’unité de négociation au fur et à mesure que les postes deviennent vacants ». L’AFPC justifie sa proposition comme suit, dans ses observations présentées à la Commission (dossier de la demande du demandeur, à la p. 34) :

[traduction] Pendant la durée de la convention actuelle, il y a eu des cas où des postes sont devenus vacants au Sénat et les employés n’en ont pas eu connaissance, manquant donc l’occasion de déposer leur candidature. Récemment, la pratique de l’employeur consistait à annoncer les postes vacants via le réseau intranet, un système interne mis à la disposition des employés du Sénat. Le syndicat souhaite consacrer cette pratique dans la convention collective des parties, de sorte que tous les employés faisant partie de l’unité de négociation prennent connaissance des postes qui deviennent vacants au sein de l’unité de négociation. Manifestement, l’employeur reconnaît les avantages de cette pratique, vu qu’il l’applique depuis plus de deux ans. Le syndicat demande simplement que cette disposition soit incluse dans la convention collective pour assurer la continuité de la pratique visée pendant la durée de la convention.

 

 

[11]           Devant la Commission, le Sénat s’est opposé à cette proposition au motif que le paragraphe 55(2) de la Loi, reproduit ci‑dessus, interdit l’examen d’une telle proposition, et subsidiairement, au motif que sa pratique ne consistait pas à annoncer tous les postes vacants, mais seulement ceux qui faisaient l’objet d’un concours de dotation.

 

La décision de la Commission

[12]           Voici la décision de la Commission sur l’annonce des postes vacants :

A. Article 11 : Information (annonce à l’unité de négociation concernant les postes vacants)

14     L’agent négociateur propose la nouvelle disposition suivante :

11.08 L’employeur annoncera les postes vacants au sein l’unité de négociation au fur et à mesure que les postes deviennent vacants.

15     L’agent négociateur a fait valoir que la pratique actuelle de l’employeur consiste à faire parvenir un courriel à tous les membres de l’unité de négociation lorsqu’un poste devient vacant. La proposition a pour objet de consacrer cette pratique dans la convention collective.

16     L’employeur a affirmé que la proposition excédait la compétence de la Commission parce qu’elle portait sur la dotation. Le paragraphe 55(2) de la LRTP prévoit ce qui suit :

Sont exclues du champ des décisions arbitrales les normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l’évaluation, l’avancement, la rétrogradation, la mutation, la mise en disponibilité ou le renvoi d’employés, [...]

17     L’employeur a invoqué Alliance de la Fonction publique du Canada c. Chambre des communes, dossier de la Commission 485‑H‑12 (19910213), dans laquelle la Commission a décidé qu’une exigence d’affichage similaire ne relevait pas de sa compétence.

18     La Commission a statué qu’elle n’a pas compétence pour examiner cette proposition.

 

 

 

La position des parties

[13]           Selon l’AFPC, la question faisant l’objet du contrôle est de savoir si la Commission a conclu avec raison qu’elle n’avait pas compétence pour inclure dans sa décision arbitrale la disposition proposée sur l’affichage des postes vacants. L’AFPC fait valoir qu’il s’agit d’une « véritable question » de compétence, au sens de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), et donc susceptible de contrôle par notre Cour selon la norme de la décision correcte.

 

[14]           L’AFPC ajoute que le simple affichage des postes vacants ne peut être considéré comme relevant des normes, procédures et méthodes régissant la nomination d’employés qui sont visés par l’interdiction prévue au paragraphe 55(2) de la Loi. L’affichage d’un poste n’a pas d’incidence sur la prérogative de l’employeur d’embaucher la personne de son choix, ni sur le pouvoir discrétionnaire de l’employeur d’établir des méthodes ou des procédures concernant la dotation de postes. Cette exigence d’affichage vise simplement à faire en sorte que les employés soient informés des postes vacants au sein de l’unité de négociation.

 

[15]           L’AFPC a ajouté lors de l’audience devant notre Cour que la décision de la Commission était également inintelligible puisque celle‑ci n’a pas expliqué le raisonnement qu’elle a utilisé pour arriver à sa conclusion sur l’affichage des postes vacants.

 

[16]           Le Sénat soutient que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la raisonnabilité, et non celle de la décision correcte. Se fondant principalement sur les arrêts Dunsmuir, Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, [2009] 2 R.C.S. 678 (Nolan), et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Association des pilotes fédéraux du Canada, 2009 CAF 223, [2010] 3 R.C.F. 219 (Association des pilotes), le Sénat affirme que les véritables questions de compétence examinées selon la norme de la décision correcte doivent s’interpréter de manière restrictive.

 

[17]           Le Sénat fait valoir qu’une disposition prévoyant l’affichage des postes vacants relève des procédures ou des méthodes régissant la nomination, l’avancement ou la mutation d’employés et qu’elle est donc interdite par le paragraphe 55(2) de la Loi. Il invoque à l’appui de son interprétation la décision Alliance de la Fonction publique du Canada c. Chambre des communes, [1991] C.R.T.F.P.C. no 36 (QL). Le Sénat soutient également que l’inclusion dans la convention collective d’une disposition concernant l’affichage ouvrirait la voie aux procédures de griefs et d’arbitrage pour établir la portée des droits garantis par cette disposition. Bien que l’AFPC affirme que sa proposition est uniquement de nature informative, le Sénat craint qu’un arbitre conclue autrement. Le Sénat invoque à l’appui diverses décisions arbitrales en matière de grief qui interprètent des dispositions similaires dans d’autres conventions collectives comme restreignant le droit de l’employeur de garder un poste vacant ou de répartir les fonctions d’un poste vacant à temps plein entre deux ou plusieurs postes à temps partiel.

 

La norme de contrôle

[18]           Il s’agit d’une première demande de contrôle judiciaire d’une décision arbitrale portant sur l’interprétation et l’application du paragraphe 52(2) de la Loi. Par conséquent, notre Cour n’a pas encore établi le degré de déférence qu’il convient d’accorder relativement à cette question, et elle doit le déterminer en l’espèce.

 

[19]            L’analyse relative à la norme de contrôle doit être contextuelle et son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont 1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, 2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, 3) la nature de la question en cause et 4) l’expertise du tribunal administratif : Dunsmuir, au par. 64.

 

Clause privative

[20]           L’article 72 de la Loi prévoit ce qui suit :

72. (1) Sauf exception dans la présente partie, toute ordonnance, décision arbitrale ou autre, instruction ou déclaration de la Commission, d’un arbitre nommé en vertu de l’article 49 ou d’un arbitre de griefs est définitive et non susceptible de recours judiciaire.

 

(2) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action de la Commission, d’un arbitre nommé en vertu de l’article 49 ou d’un arbitre des griefs.

72. (1) Except as provided in this Part, every order, award, direction, decision, declaration or ruling of the Board, an arbitrator appointed under section 49 or an adjudicator is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

 

 

(2) No order shall be made or process entered, or proceedings taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain the Board, an arbitrator appointed under section 49 or an adjudicator in any of the proceedings of the Board, arbitrator or adjudicator.

 

 

 

Mission de la Commission sous le régime de la Loi

[21]           L’article 10 de la Loi confère à la Commission le pouvoir étendu de gérer les relations de travail concernant la Chambre des communes et le Sénat, et les articles 50 à 61 lui confèrent le pouvoir extraordinaire de déterminer, par voie d’arbitrage, les conditions d’emploi obligatoires que les parties doivent mettre en œuvre. L’objet de la Loi ainsi que la mission de la Commission sous le régime de la Loi sont clairement de faciliter le règlement des litiges en matière d’emploi concernant le Sénat et la Chambre des communes de manière rapide, simple et peu coûteuse.

 

Nature de la question

[22]           Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat, la déférence est habituellement de mise, et l’arbitrage en droit du travail demeure un domaine où cette approche se révèle particulièrement indiquée : Dunsmuir, au par. 54. À moins que la question en litige n’excède la compétence ou l’expertise du tribunal, ou qu’elle ne revête une importance capitale pour le système juridique, l’interprétation que le tribunal donne de sa « loi constitutive » appelle normalement l’application de la norme de la raisonnabilité.

 

[23]           Les parties conviennent que l’interprétation et l’application du paragraphe 55(2) ne soulèvent pas une question d’importance capitale pour le système juridique ni ne délimitent les pouvoirs de la Commission par rapport à ceux d’un autre tribunal. Selon les critères établis dans l’arrêt Association des pilotes, au par. 50, la question de la norme de contrôle applicable serait donc réglée. De plus, le paragraphe 55(2) de la Loi vise manifestement des questions étroitement liées aux relations de travail qui relèvent du domaine d’expertise propre de la Commission. L’AFPC affirme néanmoins que, puisque cette disposition limite la compétence de la Commission, son interprétation et son application soulèvent donc une « véritable » question de compétence. L’AFPC s’appuie sur le paragraphe 59 de l’arrêt Dunsmuir, où les juges Bastarache et LeBel font observer qu’une « véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question », ajoutant que « [l]’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence ».

 

[24]           Toutefois, les juges Bastarache et LeBel soulignent également, au paragraphe 59 de l’arrêt Dunsmuir, que ces véritables questions de compétence ont une portée restreinte, et ils rappellent aux juges de révision qu’ils doivent se garder de qualifier un point de question de compétence lorsqu’il existe un doute à cet égard. Le juge Rothstein a précisé ce qu’il faut entendre par « véritable » question de compétence dans l’arrêt Nolan, aux paragraphes 33 et 34 :

[33] Les tribunaux administratifs sont constitués par la loi et les questions portant sur leurs pouvoirs qui nécessitent l’interprétation de la loi constitutive pourraient en un sens être qualifiées de questions de compétence. Dans Dunsmuir, par. 59, la Cour recommande toutefois aux tribunaux de faire preuve de prudence lorsqu’ils décident s’il s’agit de questions de compétence, par crainte de revenir « à la théorie de la compétence ou de la condition préalable qui, dans ce domaine, a pesé sur la jurisprudence pendant de nombreuses années ».

 

[34] Selon ce qui ressort des par. 54 et 59 de Dunsmuir, la déférence est habituellement de mise lorsque le tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive et il convient d’appliquer la norme de la décision correcte uniquement dans des cas exceptionnels, c’est‑à‑dire lorsque l’interprétation de cette loi soulève la question générale de la compétence du tribunal.

 

 

[25]           Le paragraphe 55(2) de la Loi ne soulève pas « la question générale de la compétence du tribunal ». Cette disposition exige que la Commission exclue du champ des décisions arbitrales les normes, procédures ou méthodes régissant la « nomination, l’évaluation, l’avancement, la rétrogradation, la mutation, la mise en disponibilité ou le renvoi d’employés » et, à cet égard, elle porte sur la compétence de la Commission. Toutefois, dans le cadre d’une analyse relative à la norme de contrôle, ce qu’il importe de retenir c’est que cette disposition exige de la Commission qu’elle analyse la proposition à inclure dans la décision arbitrale pour déterminer si celle‑ci tombe dans le champ de l’exclusion prévue. Le travail d’interprétation de la Commission sous le régime du paragraphe 55(2) porte donc principalement sur le libellé des propositions que lui présente une partie pour déterminer si celles‑ci pourraient avoir une incidence sur une norme, une procédure ou une méthode visée par cette disposition. La décision à cet égard est tributaire des faits et repose nécessairement sur l’expertise particulière de la Commission par rapport au contenu, à l’application et à l’exécution des décisions arbitrales, ainsi que sur son interprétation des actes ou activités visés par la phrase « normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l’évaluation, l’avancement, la rétrogradation, la mutation, la mise en disponibilité ou le renvoi d’employés ».

 

[26]           Un tel examen est loin de soulever une question générale de compétence. Par conséquent, peu importe l’opportunité ou non d’appliquer en l’espèce les critères établis dans l’arrêt Association des pilotes, point sur lequel je n’ai pas à me prononcer, la question en litige dans le présent contrôle judiciaire n’est pas une « véritable » question de compétence.

 

Expertise de la Commission

[27]           Il est évident que la Commission est un tribunal spécialisé dans le domaine des relations de travail dans le secteur public. Sa composition est toutefois différente s’agissant d’une décision arbitrale sous le régime de la Loi. Les articles 47 et 48 de la Loi prévoient en effet que la Commission se compose d’un commissaire et de deux autres personnes choisies, aux fins de l’arbitrage, au sein des groupes représentant les intérêts de l’employeur et des employés respectivement. Ces deux personnes sont réputées être des commissaires pour la durée des procédures d’arbitrage ayant occasionné leur choix.

 

[28]           L’AFPC soutient que la présence de ces membres temporaires limite l’expertise de la Commission lorsqu’elle siège aux fins d’un arbitrage exécutoire sous le régime de la Loi, et que la Cour devrait donc appliquer une norme de retenue moins élevée aux décisions résultant de ce processus. Je ne suis pas d’accord.

 

[29]           Le paragraphe 47(3) de la Loi prévoit que les deux personnes choisies aux fins de l’arbitrage doivent remplir les conditions requises pour être membres de la Commission, avec l’exigence consécutive d’avoir de l’expérience ou des connaissances en matière de relations de travail, suivant l’alinéa 18(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Par conséquent, toute personne choisie aux fins d’un arbitrage exécutoire sous le régime de la Loi doit avoir de l’expérience ou des connaissances en matière de relations de travail.

 

[30]           Il est pratique courante dans les procédures de griefs d’inviter des assesseurs représentant l’employeur et le syndicat pour aider un arbitre à arriver à une décision, et je ne connais aucune décision où il a été jugé que cette pratique limite l’expertise de l’arbitre ou autrement nuit à la procédure. J’estime au contraire que l’ajout de personnes représentant les intérêts de l’employeur et des employés peut fort bien améliorer la procédure ainsi qu’ajouter l’expertise. Je ne vois aucune raison de conclure autrement dans le cas d’une décision arbitrale exécutoire sous le régime de la Loi.

Conclusion sur la norme de contrôle

[31]           Compte tenu des facteurs susmentionnés, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. Cette norme a été décrite comme suit dans l’arrêt Dunsmuir, au par. 47 :

[47]                  La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

La décision de la Commission est‑elle raisonnable?

[32]           L’exigence d’annoncer les postes vacants au sein de l’unité de négociation au fur et à mesure qu’ils deviennent vacants semble, à première vue, porter sur des procédures ou méthodes régissant la nomination, l’avancement ou la mutation d’employés. L’AFPC soutient toutefois qu’une telle exigence aurait une portée purement informative et qu’elle n’aurait pas d’incidence sur les prérogatives de la direction; par conséquent, elle ne devrait pas être visée par les exclusions prévues au paragraphe 55(2) de la Loi. Compte tenu des politiques actuelles du Sénat, cet argument ne résiste pas à un examen approfondi.

 

[33]           Les politiques du Sénat prévoient la dotation d’un poste par un processus de nomination annoncé ou non annoncé. Par conséquent, l’annonce ou non d’une vacance dépendra du processus de nomination que la direction du Sénat choisit. L’exigence d’annoncer les postes vacants au sein de l’unité de négociation au fur et à mesure qu’ils deviennent vacants aurait pour effet d’abolir la politique actuelle d’embauche du Sénat, qui permet, dans les circonstances appropriées, de procéder à des nominations sans annonce des postes vacants.

 

[34]           Bien que le Sénat puisse effectivement aviser actuellement ses employés des postes vacants dans le cadre d’un processus de nomination non annoncé, il s’agit d’une pratique qui relève du pouvoir discrétionnaire de l’employeur et de sa courtoisie et qui peut être tout simplement suspendue ou abandonnée. L’inclusion dans une décision arbitrale de l’exigence d’annoncer les postes vacants au sein de l’unité de négociation au fur et à mesure qu’ils deviennent vacants rendrait cette pratique discrétionnaire obligatoire. Il existe une différence majeure entre une pratique discrétionnaire de l’employeur et une obligation légale contraignante énoncée dans une convention collective ou dans une décision arbitrale.

 

[35]           J’estime donc que la Commission a agi raisonnablement en concluant qu’elle n’avait pas compétence en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi pour examiner la proposition d’annoncer les postes vacants au sein de l’unité de négociation au fur et à mesure qu’ils deviennent vacants. Cette décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[36]           L’AFPC ajoute toutefois que, même si l’issue est jugée raisonnable, la décision de la Commission devrait néanmoins être annulée puisqu’elle manque d’intelligibilité du fait qu’aucun motif n’a été fourni pour expliquer comment la Commission est arrivée à sa conclusion. Là encore, je ne peux accepter l’argument de l’AFPC. L’absence de motifs détaillés découle de la Loi et des caractéristiques d’une décision arbitrale exécutoire. Le paragraphe 56(1) de la Loi prévoit expressément que les deux commissaires choisis au sein de chacun des groupes représentant les intérêts de l’employeur et des employés ne peuvent faire, ni communiquer, de rapport ou d’observation au sujet de la décision arbitrale, alors que le paragraphe 56(4) ajoute que la décision arbitrale en soi doit être rédigée de façon à pouvoir être lue et interprétée par rapport à une convention collective statuant sur d’autres conditions d’emploi, ou être jointe à une telle convention et publiée en même temps. Ces dispositions limitent de toute évidence la teneur des motifs requis pour rédiger une décision arbitrale.

 

[37]           Les paragraphes 56(1) et (4) de la loi prévoient ce qui suit :

56. (1) La décision arbitrale est signée par le commissaire attitré visé à l’article 47; des exemplaires en sont transmis aux parties au différend et les deux commissaires choisis au sein de chacun des groupes constitués en vertu de l’article 47 ne peuvent faire, ni communiquer, de rapport ou d’observation à son sujet.

 

 

(4) La décision arbitrale est rédigée, dans la mesure possible, de façon à :

 

a) pouvoir être lue et interprétée par rapport à une convention collective statuant sur d’autres conditions d’emploi des employés de l’unité de négociation à laquelle elle s’applique, ou être jointe à une telle convention et publiée en même temps;

 

 

b) permettre son incorporation dans les règlements d’application, les règlements administratifs, les instructions ou autres actes que l’employeur ou l’agent négociateur compétent peuvent être tenus de prendre en l’espèce, ainsi que sa mise en œuvre au moyen de tous ces documents officiels.

 

56. (1) An arbitral award shall be signed by the member of the Board who is not a member selected from a panel appointed under section 47 and copies thereof shall be transmitted to the parties to the dispute and no report or observations thereon shall be made or given by either of the members selected from a panel appointed under section 47.

 

(4) An arbitral award shall, wherever possible, be made in such form

 

(a) as will be susceptible of being read and interpreted with, or annexed to and published with, any collective agreement dealing with other terms and conditions of employment of the employees in the bargaining unit in respect of which the arbitral award applies; and

 

(b) as will enable its incorporation into and implementation by regulations, by‑laws, directives or other instruments that may be required to be made or issued by the employer or the relevant bargaining agent in respect thereof.

 

 

[38]           La justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel doivent être appréciées compte tenu des circonstances particulières de chaque affaire. En l’espèce, la Commission s’est concentrée sur les facteurs et les éléments de preuve pertinents, a examiné les observations des parties et n’a pas entravé un contrôle judiciaire adéquat de sa décision. La Commission a accepté les observations du Sénat sur la portée du paragraphe 55(2) de la Loi, et, malgré sa concision, sa décision est à la fois claire et convaincante. Les parties n’ont pas eu de difficulté à présenter leurs arguments dans le présent contrôle judiciaire, et les motifs donnés par la Commission à l’appui de sa décision sont manifestement intelligibles dans les circonstances de l’espèce.

 


[39]           Par conséquent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord

            Pierre Blais, j.c. »

 

 

« Je suis d’accord

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑301‑10

 

INTITULÉ :                                                   ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA c. SÉNAT DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                        LA JUGE SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 28 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Raven

POUR LA DEMANDERESSE

 

Carole Piette

Porter Heffernan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RAVEN, CAMERON, BALLANTYNE & YAZBECK LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

EMOND HARNDEN LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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