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Date : 20110816

Dossier : A-206-10

Référence : 2011 CAF 236

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

PFIZER CANADA INC. et PHARMACIA ATKIEBOLAG

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 20 juin 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 août 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                           LE JUGE STRATAS

 


Date : 20110816

Dossier : A-206-10

Référence : 2011 CAF 236

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

PFIZER CANADA INC. et PHARMACIA ATKIEBOLAG

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

Introduction

 

[1]               Le présent pourvoi porte sur la question de savoir si la juge Heneghan, de la Cour fédérale (la juge des requêtes), a commis une erreur dans son interprétation du brevet canadien numéro 1,339,132 (le brevet 132, le Brevet 132 ou le brevet).

 

[2]               Dans un jugement daté du 26 avril 2010 (2010 CF 447), la juge des requêtes a prononcé une ordonnance en faveur de Pfizer Canada Inc. et de Pharmacia Atkiebolag (collectivement Pfizer) interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. (Apotex) en application de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, jusqu’à l’expiration du brevet 132, en 2014.

 

[3]               Le brevet 132 revendique, entre autres, un composé appelé latanoprost destiné au traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. Le latanoprost, sous forme de solution ophtalmique de 50 microgrammes/ml, est commercialisé au Canada sous le nom XalatanMD.

 

[4]               Le 4 mars 2008, Apotex a signifié un avis d’allégation à Pfizer portant que chacune des revendications du brevet 132 était invalide pour les motifs suivants : double brevet, absence de nouveauté et de caractère inventif, antériorité et évidence, portée excessive et inutilité. En outre, Apotex a soutenu que sa version générique de Xalatan MD, Apo‑Latanoprost, ne contrefait pas le brevet 132 suivant le moyen de défense Gillette (cahier d’appel, volume 1, onglet 3, page 69). Enfin, Apotex a soutenu que le brevet 132 ne répondait pas aux conditions de validité d’un brevet de sélection (ibid., aux pages 140 et suivantes). Lors de l’audience de l’appel, tous ces motifs ont été réitérés, à l’exception de ceux portant sur la portée excessive et l’inutilité, lesquels n’ont pas été repris par Apotex.

 

[5]               Il ne m’est pas nécessaire d’analyser tous ces motifs d’invalidité. Je suis d’accord avec Apotex que la juge des requêtes a commis une erreur dans l’interprétation de la promesse du brevet 132, une erreur qui a eu une incidence sur le reste de son analyse. Elle n’a donc pas entrepris un examen complet de la question de savoir si l’utilité promise avait fait l’objet d’une prédiction valable. Après avoir examiné le fondement factuel du brevet ainsi que la preuve dans son ensemble, je conclus que le brevet 132 ne satisfait pas aux exigences relatives à la prédiction valable. En conséquence, j’accueillerais le présent appel pour les motifs qui suivent.

 

Le brevet

 

[6]               Le brevet 132, intitulé « Dérivés de la prostaglandine pour le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire », a été déposé le 12 septembre 1989. À ce titre, il est assujetti à la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4 (la Loi), dans sa version antérieure au 1er octobre 1989. Le brevet a été délivré le 29 juillet 1997 et il expirera le 29 juillet 2014.

 

[7]               Le brevet concerne certains dérivés de la prostaglandine et leur utilisation dans le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire. Les prostaglandines sont des substances naturellement présentes dans les tissus humains et animaux. La PGF2See full size image est un type de prostaglandine qui peut être estérifié en isopropylester de la PGF2See full size image. Le latanoprost, composé revendiqué dans le brevet 132, est un dérivé de la prostaglandine dont la formule chimique est la suivante : isopropylester de la 13,14‑dihydro‑17‑phényl‑18,19,20‑trinor‑PGF2See full size image. On obtient le latanoprost en modifiant la PGF2See full size image comme suit (motifs de la décision, par. 6) :

 

i.    enlever les 3 derniers atomes de carbone sur la chaîne oméga (18,19,20‑trinor);

ii.    attacher un cycle phényle en C17 (17‑phenyl);

iii.   changer la liaison double en une liaison simple entre le 13e et le 14e atome de carbone (13,14‑dihydro);

iv.   estérifier l’acide carboxylique en un isopropylester.

 

[8]               Le brevet 132 renferme 38 revendications, mais seules les revendications 12, 19, 31, 37 et 38 sont en litige. Les revendications pertinentes sont les suivantes :

 

[traduction]

1. Une composition thérapeutique pour le traitement topique du glaucome ou de l’hypertension oculaire, contenant une prostaglandine PGA, PGB, PGD, PGE ou PGF en quantité suffisante pour réduire la pression intraoculaire sans irritation oculaire importante, ainsi qu’un véhicule ophtalmologiquement compatible, la chaîne oméga de la prostaglandine ayant la formule suivante :

 

                        (13)            (14)                  (15‑24)

                        C   ‑   B   ‑   C            ‑          D         ‑          R2

C est un atome de carbone (le nombre est indiqué entre parenthèses);

B est une liaison simple, une liaison double ou une liaison triple;

D est une chaîne contenant de 1 à 10 atomes de carbone, pouvant être interrompue par des atomes hétéro O, S, ou N, les substituants sur chaque atome de carbone étant l’H, des groupes alkyle, des groupes alkyle inférieurs ayant 1 à 5 atomes de carbone, une fonctionnalité oxo ou un groupe hydroxyle;

R2 est une structure cyclique choisie parmi le groupe comprenant le phényle et le phényle ayant au moins un substituant, ledit substituant étant choisi parmi les groupes alkyle en C1‑C5, les groupes alkoxy en C1‑C4, les groupes trifluorométhyle, les groupes acylamino aliphatique en C1‑C3, les groupes nitro, les atomes d’halogène et le groupe phényle; ou un groupe hétérocyclique aromatique contenant de 5 à 6 atomes cycliques, choisi parmi le groupe formé du thiazole, de l’imidazole, de la pyrrolidine, du thiopène et de l’oxazole; ou un cycloalcane ou un cycloalcène contenant de 3 à 7 atomes de carbone dans le cycle, pouvant être substitué par des groupes alkyle inférieurs contenant de 1 à 5 atomes de carbone.

 

12. Une composition ophtalmique selon la revendication 1, où le dérivé de la prostaglandine est l’isopropylester de la 13,14‑dihydro‑17‑phényl‑18,19,20‑trinor‑

PGF2See full size image.

 

18. Ester alkylique de la 13,14‑dihydro‑17‑phényl‑18,19,20‑trinor‑PGF2See full size image, où le groupe alkyle contient 1 à 10 atomes de carbone.

 

19. Composé de la revendication 18, où le groupe alkyle est l’isopropyle.

 

31. L’utilisation de l’isopropylester de la 13,14‑dihydro‑17‑phényl‑18,19,20‑trinor‑

PGF2See full size image dans le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire.

 

37. L’utilisation de l’ester alkylique de la 13,14‑dihydro‑17‑phényl‑18,19,20‑trinor‑

PGF2See full size image, où le groupe alkyle contient de 1 à 10 atomes de carbone pour le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire.

 

38. L’utilisation de l’isopropyl‑ester de la 13,14‑dihydro‑17‑phényl‑18,19,20‑trinor‑

PGF2See full size image dans le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire.

 

Le glaucome, l’hypertension oculire et le latanoprost

 

[9]               L’œil est une sphère fermée qui produit un liquide clair appelé humeur aqueuse. Ce liquide est essentiel au fonctionnement de l’œil, car en plus de transporter les nutriments à l’œil, il en élimine les déchets et les contaminants. Le drainage de l’humeur aqueuse aide à prévenir l’élévation de la pression intraoculaire, réduisant ainsi le facteur de risque de troubles oculaires, dont le glaucome et l’hypertension oculaire.

 

[10]           L’hypertension oculaire désigne une pression intraoculaire élevée sans lésion du nerf optique. Le glaucome englobe un ensemble de troubles caractérisés par des lésions du nerf optique qui, en l’absence de traitement, entraînent une perte de vision. Il n’existe aucun moyen de guérir le glaucome, mais il est possible de traiter cette maladie, ainsi que l’hypertension oculaire, en réduisant la pression intraoculaire. Il y a deux façons d’y parvenir par voie médicamenteuse : réduire la production d’humeur aqueuse ou augmenter son évacuation à l’aide du latanoprost.

 

[11]           Les patients qui soignent un glaucome au moyen de médicaments doivent observer scrupuleusement le traitement. Les schémas thérapeutiques à doses moins fréquentes sont privilégiés, parce qu’ils favorisent l’observance du traitement, tout comme le fait la tolérabilité des médicaments utilisés. La tolérabilité des médicaments est habituellement mesurée par les effets secondaires, qui peuvent être généraux (c.‑à‑d. qu’ils surviennent dans tout l’organisme) ou localisés (autour de l’œil).

 

[12]           Avant l’introduction du latanoprost, il existait d’autres médicaments pour traiter le glaucome et l’hypertension oculaire. Toutefois, ces médicaments entraînaient des effets indésirables, allant des picotements et de l’hyperémie jusqu’à l’emphysème et la mort. Le latanoprost a été revendiqué comme une composition permettant de [traduction] « réduire la pression intraoculaire sans irritation oculaire importante » (revendication 1 du brevet 132).

 

[13]           Selon Apotex, cette utilité revendiquée, correctement interprétée, signifie que la prise chronique de latanoprost permettra de [traduction] « réduire la pression intraoculaire sans irritation oculaire importante » : le glaucome est une maladie chronique qui nécessite un traitement continu.

 

[14]           L’essentiel de l’argumentation présentée par Apotex est que, au moment du dépôt du brevet 132, les inventeurs n’avaient effectué que des études à dose unique, en promettant toutefois que les composés pouvaient être utilisés de façon chronique sans entraîner d’effets secondaires indésirables. Par conséquent, Apotex soutient que le brevet 132 n’est pas fondé sur l’utilité démontrée, mais plutôt sur une prédiction selon laquelle le traitement chronique serait sans effets secondaires. Comme le brevet 132 ne divulgue aucun raisonnement valable permettant de relier le fondement factuel du brevet (les études à dose unique) et sa promesse, il doit donc être rejeté. C’est le point central de l’argumentation d’Apotex.

 

[15]           La juge des requêtes a ensuite examiné de façon méthodique les prétentions des parties et tous les motifs d’invalidité soulevés par Apotex. Étant donné la conclusion que j’ai tirée ci‑dessus et pour plus de commodité, je ne référerai qu’à la partie pertinente de ses motifs dans le cadre de mon analyse.

 

Norme de contrôle et examen de novo

 

[16]           Le présent appel porte principalement sur l’interprétation des revendications du brevet 132. Vu que l’interprétation de revendications est une question de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 61 [Whirlpool]; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8).

 

[17]           Comme l’interprétation de revendications, la promesse du brevet est également une question de droit (Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2010 CAF 197 [Eli Lilly]). En l’espèce, la juge des requêtes devait vérifier, avec l’aide de témoignages d’experts, la promesse du brevet en fonction de son objet « dans le contexte du brevet dans son ensemble, du point de vue de la personne versée dans l’art, par rapport à l’état d’avancement de la science et aux données disponibles au moment du dépôt du brevet » (Eli Lilly, au paragraphe 80).

 

[18]           Compte tenu de ma conclusion suivant laquelle le brevet n’est pas fondé sur une utilité démontrée, il devient nécessaire d’établir si la promesse d’utilité du brevet 132 faisait l’objet d’une prédiction valable. La question de savoir si la prédiction est valable est une question de fait (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153, au paragraphe 71 [Wellcome AZT]). En l’absence d’une erreur manifeste et dominante, la conclusion de la juge des requêtes ne doit pas être modifiée.

 

[19]           En l’espèce, après avoir rejeté l’interprétation de la « prise chronique » soutenue par Apotex, la juge des requêtes a ensuite rapidement examiné, puis rejeté, les arguments subséquents d’Apotex portant sur l’absence de prédiction valable du brevet (motifs du jugement, aux paragraphes 179 à 186), parce que, selon elle, l’argument présenté par Apotex n’était pas appuyé par le témoignage de ses propres experts (ibid., au paragraphe 185). Je ne suis pas d’accord. Je conclus qu’une preuve solide et convaincante avait été versée au dossier appuyant la position d’Apotex quant à l’absence de prédiction valable.

 

[20]           En conséquence, notre Cour devra tirer certaines conclusions de fait. Suivant la méthodologie adoptée par le juge Rothstein dans l’arrêt  Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, au paragraphe 72 [Sanofi], et parce que le dossier est complet et que les parties ont débattu à fond la question devant notre Cour et en première instance, j’entends examiner l’argument de l’examen de novo présenté par Apotex plutôt que de renvoyer l’affaire à la juge des requêtes pour une nouvelle décision.

 

Analyse

A.  L’interprétation des revendications

 

[21]           Après avoir rappelé le contexte dans lequel s’inscrit l’instance, la juge des requêtes a interprété le brevet aux paragraphes 64 à 83 de ses motifs. Tel que je l’ai déjà mentionné, les parties s’étaient entendues sur le fait que seules les revendications 12, 19, 31, 37 et 38 étaient pertinentes quant à l’issue de la demande présentée par Pfizer. La juge des requêtes n’a trouvé aucune raison convaincante de ne pas interpréter les revendications comme elle l’avait fait dans une affaire antérieure (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 1294; conf. par 2011 CAF 102). Pfizer souligne avec justesse que l’interprétation du brevet 132, telle que formulée par la juge des requêtes dans l’instance précédente, avait été confirmée en appel.

 

[22]           Cela ne veut cependant pas dire qu’il est interdit à Apotex, qui n’était pas partie à l’instance précédente, de soutenir en l’espèce une interprétation différente du brevet fondée sur une question n’ayant pas précédemment été soulevée.  Pfizer ne dit pas que la question d’interprétation du brevet soulevée par Apotex en l’espèce était en litige dans l’instance précédente. En effet, il ne ressort pas clairement des motifs de la juge des requêtes si l’interprétation du brevet 132 était même contestée par les parties dans l’instance précédente. Dans l’appel de l’instance précédente, la contestation portait sur la justesse de l’interprétation retenue par la juge des requêtes. La question en litige était de savoir si elle avait omis d’interpréter la revendication 12 du brevet 132 parce qu’elle n’avait tiré aucune conclusion sur le sens de l’expression < irritation oculaire importante > utilisée dans la revendication 1 dont elle dépendait. Ce point n’est pas contesté dans la présente demande.

 

[23]           Pour en revenir à l’interprétation du brevet donnée par la juge des requêtes, sans oublier les enseignements de la Cour suprême du Canada dans Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, elle a conclu que la revendication 19 visait le composé en soi, alors que les revendications 31, 37et 38 étaient des revendications visant l’utilisation du composé visé par la revendication 19. Elle a également conclu que la revendication 12 était limitée par le renvoi à la revendication 1 qui concerne la réduction de la pression intraoculaire  [traduction] « sans irritation oculaire importante » (motifs du jugement, aux paragraphes 74 à 82). Apotex ne conteste ni la méthode adoptée par la juge des requêtes pour l’interprétation des revendications ni les principes juridiques auxquels elle a fait référence ou qu’elle a appliqués.

 

[24]           Selon la juge des requêtes, la position d’Apotex selon laquelle la promesse du brevet est une prise chronique du composé constituait une « prémisse erronée » sur laquelle Apotex a eu tort de s’appuyer dans cette affaire. Au paragraphe 192 de ses motifs, elle a conclu qu’Apotex « n’a pas été en mesure de démontrer que sa thèse était viable » et elle a rejeté ses arguments. Je suis d’accord avec Apotex qu’en concluant de la sorte la juge des requêtes n’avait pas tenu compte des éléments de preuve de Pfizer selon lesquels la personne versée dans l’art aurait su, à la date du dépôt, que le glaucome est un trouble chronique nécessitant un traitement chronique.

 

[25]           Le Dr Fechtner, l’expert de Pfizer, a reconnu que dans le cas du traitement du glaucome, la personne versée dans l’art saurait qu’on parle de prise chronique (contre‑interrogatoire du Dr Fechtner, dossier d’appel, volume 3, onglet 50, à la page 1086). Lorsqu’on lui a demandé si les revendications 37 et 38 du brevet pouvaient concerner un traitement chronique, il a répondu : [traduction] « Pour moi, il va de soi que le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire est un traitement chronique » (contre‑interrogatoire du Dr Fechtner, dossier d’appel, volume 3, onglet 50, à la page 1086). Le Dr Stjernschantz, un des deux inventeurs du brevet, a convenu que le glaucome, à l’exception peut‑être du glaucome aigu, était une maladie chronique. Lui et deux autres experts de Pfizer se sont également accordés pour dire que l’utilisation d’un traitement topique pour le glaucome exige une prise chronique (contre‑interrogatoire du DStjernschantz, dossier d’appel, volume 3, onglet 3, à la page 1147; contre‑interrogatoire du DNeufeld, dossier d’appel, volume 3, onglet 54, à la page 1196; contre‑interrogatoire du DWolff, dossier d’appel, volume 3, onglet 55, à la page 1240).

 

[26]           Pfizer refuse de partager cette interprétation telle que proposée qui, selon elle, sème la confusion entre l’interprétation d’une revendication et le traitement médical d’une maladie. Selon Pfizer, le fait qu’une maladie nécessite un traitement de longue durée est une question qui relève des médecins et non de notre Cour dont le mandat consiste à rendre des décisions en matière d’interprétation des revendications (mémoire de l’intimée, au paragraphe 50). Lors de l’audience, Pfizer a souligné qu’adopter l’interprétation proposée par Apotex reviendrait à « appliquer de façon implicite » un élément chronique aux revendications.

 

[27]           Je ne suis pas d’accord. La juge des requêtes a défini la personne versée dans l’art comme étant « un chimiste médicinal ou organique ou un pharmacologiste, titulaire au moins d’un baccalauréat, qui connaît assez bien les prostaglandines et le domaine de l’ophtalmologie, de même qu’un médecin spécialisé en ophtalmologie » (motifs du jugement, au paragraphe 137). Il ressort de façon incontestée de la preuve qu’une personne versée dans l’art, suivant la définition qui en est donnée ci‑dessus, aurait su que le glaucome est une maladie chronique. Je considère qu’il est erroné d’interpréter la promesse du brevet 132 sans tenir compte de la nature de la maladie qu’elle est censée traiter avec efficacité. Le Dr Fechtner a expressément conclu en ce sens (contre‑interrogatoire du Dr Fechtner, dossier d’appel, volume 3, onglet 50, à la page 1089) :

 

[traduction]

Q. Mais réalisez‑vous – nous avons déjà examiné cette question – que les composés analysés dans le cadre du présent brevet étaient destinés à une prise chronique?

R. Il s’agit de la promesse du brevet.

 

[28]           À mon avis, la juge des requêtes a commis une erreur de droit lorsqu’elle a omis de prendre en compte l’ensemble de la preuve dans son interprétation de la promesse du brevet. Si elle l’avait fait, elle aurait conclu que la revendication du brevet est invalide pour cause d’absence de prédiction valable.

 

 

B.  Absence de prevue d’utilité

 

[29]           Se fondant sur plusieurs conclusions touchant les faits, la juge des requêtes a statué que le brevet avait établi l’utilité de l’invention à compter du 12 septembre 1989 (motifs du jugement, aux paragraphes 167 à 175). Après avoir écarté l’argument d’Apotex fondé sur la prise chronique du composé, elle a tiré des conclusions étayées par l’interprétation antérieure qu’elle avait retenue de la promesse du brevet, selon laquelle aucun traitement chronique n’y figurait. Comme je ne suis pas d’accord avec la juge des requêtes sur ce point, je vais examiner la question de la preuve de l’utilité et du caractère valable de la prédiction en adoptant le point de vue que la promesse du brevet est la prise chronique du composé pour le traitement d’un état médical chronique.

 

[30]           L’article 2 de la Loi exige que l’objet d’un brevet présente le caractère de la nouveauté et de l’utilité. L’octroi d’un brevet dépend de la divulgation de la façon dont le brevet est censé remplir sa promesse (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 108, [2009] 1 R.C.F. 253, au paragraphe 34; Wellcome AZT, au paragraphe 66). Le principe général veut qu’à la date de son dépôt un brevet doive divulguer soit une réalisation réellement accomplie (c.‑à‑d., prouver qu’il réalise l’objet de la revendication) soit le fondement d’une prédiction valable du résultat (c.‑à‑d., illustrer la réalisation probable de l’objet visé par la revendication). Il n’existe aucune exigence à satisfaire en matière de démonstration de l’utilité dans l’exposé de l’invention; dès lors que cet exposé cite une étude démontrant que le brevet réalise ce qu’il garantit comme résultat, cette exigence est satisfaite (Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2010 CAF 242, au paragraphe 90). En l’espèce, l’utilité serait établie si le brevet divulguait des études démontrant que la prise chronique de latanoprost réduisait la pression intraoculaire sans être la source d’effets secondaires importants.

 

[31]           À la date du dépôt, il ressort cependant de la preuve non contestée que les inventeurs n’avaient réalisé que des études à « dose unique » menées sur des animaux ou sur des humains en santé; le latanoprost n’avait pas été testé sur des patients atteints de glaucome, ou en fonction d’une prise chronique. Il ressort également du témoignage des experts des deux parties que le brevet 132 était fondé sur une prédiction d’utilité, c.‑à‑d., que celle qui avait été observée dans le cadre de l’étude à dose unique pouvait s’appliquer, sur la foi d’une prédiction valable, à une prise chronique du composé (contre‑interrogatoire du Dr Fechtner, dossier d’appel, volume 3, onglet 50, à la page 1091; contre‑interrogatoire du Dr Wolff, dossier d’appel, volume 3, onglet 55, aux pages 1240 et 1242; affidavit du Dr Leibowitz, dossier d’appel, volume 8, onglet 69, à la page 3321). Le Dr Stjernschantz a confirmé qu’à la date de dépôt l’utilité du brevet n’avait pas été démontrée (contre‑interrogatoire du Dr Stjernschantz, dossier d’appel, volume 3, onglet 53, aux pages 1149 et 1154) :

 

[traduction]

Q. Je comprends. Et à la date du dépôt du présent brevet, qui – vous pouvez me croire – remonte à septembre 1989, vous n’aviez testé aucun des composés de l’invention de façon à démontrer qu’ils étaient aptes à traiter le glaucome chronique sans effets secondaires pour les humains?

R. Nous n’avions testé aucun des médicaments sur des patients atteints de glaucome.

Q. Bien. Et dans la mesure où les revendications du brevet visent le traitement des personnes atteintes de glaucome, s’agissait‑il d’une prédiction?

R. Oui. C’était une prédiction, oui.

 

[32]           La preuve m’incite à conclure qu’à la date de dépôt du brevet 132 son utilité était fondée non pas sur une preuve d’utilité, mais plutôt sur une prédiction. La question à laquelle il faut répondre est de savoir si cette prédiction était valable. Je suis d’accord avec Apotex que la revendication du brevet est invalide parce qu’elle ne satisfait pas à la règle de la prédiction valable.

 

[33]           La règle de la prédiction valable cherche à mettre en balance deux types contradictoires d’intérêts publics soit le souci de divulguer rapidement toute invention nouvelle et utile avant même que son utilité n’ait été confirmée sans réserve par des essais et le souci de ne pas encombrer le domaine public de brevets inutiles et de ne pas accorder un monopole pour une mésinformation (Sanofi, au paragraphe 105; Wellcome AZT, au paragraphe 66). Ainsi, s’il est possible pour le titulaire d’un brevet d’exposer une  prédiction valable quant à l’utilité de son invention, il devrait avoir le droit de l’utiliser comme fondement de sa revendication. Bien que les brevets ne doivent pas être accordés en contrepartie de mésinformation, de simples spéculations ou de vœux pieux, une prédiction valable n’équivaut pas à certitude (Wellcome AZT, au paragraphe 69; Monsanto Co. c. Canada (Commissaire des brevets), [1979] 2 R.C.S. 1108, à la page 8).

[34]           La règle de la prédiction valable comporte trois éléments décrits dans Wellcome AZT (au paragraphe 70). Tous ces éléments doivent satisfaire aux exigences de la règle pour la survie du brevet :

 

1) la prédiction doit avoir un fondement factuel;

2) l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

3) il doit y avoir divulgation suffisante.

 

[35]           J’examinerai d’abord la conclusion du juge des requêtes selon laquelle Apotex ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait quant à l’écart existant entre le fondement factuel et la promesse du brevet (la « question de l’écart »). Elle a rejeté l’argument d’Apotex en ces termes (motifs du jugement, au paragraphe 185) :

 

Lors de l’audience, l’intimée a soutenu que le brevet 132 ne traite pas de l’écart entre les etudes à dose unique décrites dans le brevet et le fait que le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire nécessite la prise chronique de médicaments, c’est‑à‑dire des traitements de longue durée, et habituellement pendant toute une vie. Aucun des experts de l’intimée n’a fait référence à cette question dans son affidavit ni n’a discuté de ce facteur lorsqu’ils ont parlé des pièces d’art antérieur dans l’AA.

 

[36]           Or, le Dr Leibowitz, expert d’Apotex, a précisément abordé la question de l’écart dans son affidavit (dossier d’appel, volume 8, onglet 69, à la page 3325) :

 

[traduction]

De plus, l’utilisation d’observations portant sur une dose unique ne s’accorde pas avec la prise quotidienne prévue du composé pendant toute la durée de la vie. Les données tirées exclusivement d’une dose unique ne démontrent pas l’absence d’effets irritants d’un composé conçu pour une utilisation répétée et prolongée.

 

[37]           De plus, cette question a également été abordée par les experts de Pfizer (contre‑interrogatoire du Dr Fechtner, dossier d’appel, volume 3, onglet 50, à la page 1082; contre‑interrogatoire du Dr Wolff, dossier d’appel, volume 3, onglet 55, à la page 1241; contre‑interrogatoire du Dr Stjernschantz, dossier d’appel, volume 3, onglet 53, à la page 1154). Les deux parties ont donc présenté des éléments de preuve portant sur la question de l’écart. Le fait que la juge des requêtes a ignoré ou n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve écourte assurément son analyse portant sur le caractère valable de la prédiction.

 

[38]           Je vais maintenant examiner la règle de la prédiction valable. Le premier élément de l’analyse de la prédiction valable consiste à déterminer s’il existe un fondement factuel étayant la promesse du brevet. Il convient de répéter que la promesse du brevet visait le traitement chronique du glaucome et de l’hypertension oculaire sans entraîner d’effets secondaires importants.

 

[39]           Le brevet 132 divulgue des études soumettant à des tests un certain nombre de dérivés de prostaglandine pour un traitement topique visant une réduction de la pression intraoculaire. Les études consistaient à déposer une dose unique du composé dans l’œil des modèles animaux et humains. Les tests ont été répartis de façon à mesurer l’efficacité des composés sur des singes et des humains, alors que la toxicité (irritation et hyperémie) a été testée sur des modèles de lapins et de chats (tableaux 3 à 6 du brevet 132; contre‑interrogatoire du Dr Stjernschantz, volume 3, onglet 53, aux pages 1150 et suivantes).

 

[40]           Toutefois, le fondement factuel étayant la promesse du brevet n’est de toute évidence pas une étude portant sur l’usage chronique du composé. Aucune des études n’a utilisé des doses multiples, comme l’a confirmé le Dr Neufeld (dossier d’appel, volume 3, onglet 54, à la page 1197) :

 

[traduction]

Q. D’accord, mais les études qui ont été incorporées dans le brevet ne sont pas des études chroniques.

R. Exact.

Q. Et elles sont toutes – toutes ces études portent sur l’usage unique des médicaments?

R. Oui.

(Voir aussi le contre‑interrogatoire du Dr Fechtner, dossier d’appel, volume 3, onglet 50, à la page 1088.)

 

[41]           Je vais maintenant examiner le deuxième élément de la règle de la prédiction valable, soit la question de savoir s’il existe un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer la promesse du brevet de son fondement factuel.

 

[42]           Le raisonnement de l’inventeur ne se trouve nulle part dans la divulgation du brevet 132. Lorsqu’interrogé pour savoir où, dans le brevet, le raisonnement était divulgué, le Dr Wolff n’a pu se fonder sur aucun extrait (contre‑interrogatoire du Dr Wolff, volume 3, onglet 55, à la page 1243). Le Dr Fechtner a été amené à la même conclusion (contre –interrogatoire du Dr Fechtner, dossier d’appel, volume 3, onglet 50, à la page 1091) :

 

[traduction]

Q. Oui.  Alors, pouvez‑vous m’indiquer où dans le brevet l’inventeur déclare voici le raisonnement qui met en rapport le point A – l’usage unique, les tableaux – au point B –l’usage chronique pour la vie, les revendications – ?  Où se trouve la description de ce raisonnement dans le brevet?

[…]

R. Je ne trouve pas de façon explicite ce que vous décrivez.

 

[43]           Lors de l’audience, l’avocat de Pfizer a soutenu que le raisonnement se trouvait dans les études dont la liste se trouve à la section des « Références » du brevet (Brevet 132, aux pages 30 et 31). Pfizer a également fait valoir qu’il serait possible pour la personne versée dans l’art d’inférer, en tenant compte de l’état global de l’art antérieur, que la prise de doses multiples de latanaprost donnerait le même résultat que ceux figurant dans les études à dose unique.

 

[44]           Cette prétention semble incompatible avec la notion de divulgation appartenant au droit des brevets. Dans Wellcome AZT, le juge Binnie a déclaré que si la preuve de l’utilité n’est pas faite à la date de dépôt, la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet (Welcome AZT, au paragraphe 70). Vu que la demanderesse est la partie qui bénéficiera du monopole, je suis d’avis qu’elle est la seule, et non les auteurs ou les inventeurs des réalisations antérieures, à pouvoir s’acquitter de l’obligation de divulgation qui lui incombe. En outre, notre Cour a jugé dans Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 97, au paragraphe 17, qu’un brevet dont la divulgation n’offre pas davantage que ce qui était connu dans l’art antérieur ne fournit pas de fondement valable à la prédiction.

 

[45]           De plus, Pfizer n’a désigné aucun élément de preuve au dossier à l’appui de sa position. Aucun expert de Pfizer n’a pu mettre en rapport les études à dose unique et l’utilisation chronique revendiquée. Le Dr Stjernschantz et le Dr Fechtner se sont limités dans leurs observations à la pertinence des modèles du chat et du lapin pour évaluer les effets toxiques – l’œil du chat est plus sensible que l’œil humain, ce qui en fait un bon modèle pour prédire la gêne oculaire; l’œil du lapin présente une forte tendance aux réactions hyperémiques, ce qui en fait un modèle tout indiqué pour l’essai de médicaments contre l’hyperémie – et à la pertinence des modèles simiesques pour prédire la pression intraoculaire chez l’humain – les yeux des singes sont, sur le plan anatomique et physiologique, similaires à ceux des humains (affidavit du Dr Stjernschantz, volume 2, onglet 40, à la page 879; affidavit du Dr Fechtner, volume 1, onglet 10, à la page 381; affidavit du Dr Neufeld, dossier d’appel, volume 2, onglet 39, à la page 831).

 

[46]           Le Dr Wolff s’est aussi exprimé sur le raisonnement entre les tests effectués sur des patients en santé et les prédictions portant sur des patients glaucomateux (affidavit du Dr Wolff, dossier d’appel, volume 3, onglet 46, à la page 969). Pfizer n’a cité aucun de ses experts pour expliquer comment et pourquoi des études à dose unique pouvaient fournir un fondement valable pour prédire que le latanoprost, utilisé de façon chronique, permettrait de traiter le glaucome et l’hypertension oculaire sans entraîner d’effets secondaires importants.

 

[47]           Il existe cependant une preuve appréciable attestant que les études à dose unique pourraient ne pas prévoir les effets à long terme d’un composé. Le Dr Leibowitz, cité au paragraphe 35 ci‑dessus, a affirmé que les données tirées exclusivement d’une dose unique ne démontrent pas l’absence d’effets irritants d’un composé conçu pour une utilisation répétée et prolongée. Son point de vue est appuyé par l’art antérieur, dont voici un extrait (dossier d’appel, volume 5, onglet 64(35), à la page 2288) :

 

[traduction]

Lorsque la PGF à 0,5 μg était administrée deux fois par jour pendant deux semaines, on a observé une tendance vers une gêne croissante durant l’étude. Bien que cette gêne fût modérée, même à la fin du traitement, cette observation laisse entendre que les effets secondaires peuvent augmenter avec un traitement répété.

[48]           Même les experts de Pfizer ont exprimé des doutes quant à l’existence d’une prédiction valable. Le Dr Wolff  a précisé que les résultats obtenus à l’égard de la dose unique pouvaient varier à la suite d’une prise chronique (contre‑interrogatoire du Dr Wolff, dossier d’appel, volume 3, onglet 55, à la page 1241). Le Dr Fechtner, qui partageait la même opinion, a déclaré ce qui suit (contre‑interrogatoire du Dr Fechtner, dossier d’appel, volume 3, onglet 50, à la page 1089) :

 

[traduction]

Q. Et vous conviendrez que l’apparition d’effets négatifs pourrait ne pas survenir à la suite d’une prise unique. Est-ce juste?

R. Je serais d’accord avec cet énoncé.

 

[49]            À la lumière de l’ensemble du dossier, Pfizer ne m’a pas convaincue que les inventeurs avaient, à la date de dépôt, un raisonnement clair et valable réduisant l’écart entre le fondement factuel et la promesse du brevet. En conséquence, je conclus que le brevet ne répond pas aux exigences du deuxième volet de la règle de la prédiction valable.

 

[50]           J’ai à l’esprit la prétention exprimée par Pfizer, selon laquelle l’argument portant sur l’écart soutenu par Apotex pourrait signifier que seuls les tests pratiqués à long terme sur des humains atteints de la maladie pourraient répondre aux exigences de la règle de la prédiction valable (mémoire de l’intimée, au paragraphe 102). Il me semble, cependant, que les renseignements requis pour établir une prédiction valable sont fondés sur des facteurs spécifiques et doivent être établis au vu de la preuve. Il suffit de conclure qu’en l’espèce la preuve était insuffisante pour prédire de façon valable que le latanoprost remplirait ses promesses.

 

[51]           J’examinerai maintenant le troisième élément de la règle de la prédiction valable : la divulgation suffisante. Lors de l’examen de cet élément, la Cour doit déterminer si le mémoire descriptif  fournit une description complète, claire et exacte de l’invention et de la manière de la mettre en pratique (Wellcome AZT, au paragraphe 70). Naturellement, l’obligation de divulgation repose sur les deux premiers volets de la règle de la prédiction valable.

 

[52]           L’importance de l’obligation de divulgation requise pour satisfaire au troisième volet de la règle de la prédiction valable a été examinée dans Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142; conf. sur ce point dans 2009 CAF 97. Le juge Noël, dans ses motifs en appel, a conclu que lorsqu’un brevet est fondé sur une prédiction valable, la divulgation doit inclure la prédiction (au paragraphe 15). Plus récemment, notre Cour a statué ce qui suit : « Quand l’utilité est fondée sur la prédiction valable, la divulgation de son fondement factuel touche à l’essence du marché conclu avec le public, qui sous‑tend la brevetabilité » (Eli Lilly and Company c. Teva Canada Limited, 2011 CAF 220, au paragraphe 51). Pfizer ne m’a pas convaincue que les éléments de preuve présentés dans le brevet et ceux versés au dossier étaient suffisants pour étayer sa prétention.

 

[53]           Je conclus que Pfizer n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l’allégation d’absence de prédiction valable présentée par Apotex n’était pas fondée.

Conclusion

 

[54]           La juge des requêtes a commis une erreur dans son interprétation de la promesse du brevet, ce qui l’a menée sur la mauvaise voie.  Si elle avait correctement interprété le brevet comme étant une promesse de traitement nécessitant une prise chronique des composés, elle aurait conclu que la revendication du brevet était invalide pour cause d’absence de prédiction d’utilité valable. Dans ce contexte, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres motifs d’invalidité soulevés par Apotex. La demande d’ordonnance d’interdiction présentée par Pfizer est rejetée pour ce seul motif.

 

[55]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel et j’annulerais la décision de la Cour fédérale. Rendant le jugement qui aurait dû être rendu, je rejetterais la demande. J’adjugerais également à Apotex ses dépens devant notre Cour et devant la Cour fédérale.

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord,

        K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord,

        David Stratas, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean‑Jacques Goulet, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑206‑10

 

INTITULÉ :                                                   APOTEX INC. c.
PFIZER CANADA INC. ET PHARMACIA ATKIEBOLAG ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE SHARLOW

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 16 août 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew R. Brodkin

Dino Clarizio

Belle Van

 

POUR L’APPELANTE

 

Judith Robinson

Kavita Ramamoorthy

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Ogilvy Renault, S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 

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