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Date : 20110525

Dossier : A-242-10

Référence : 2011 CAF 176

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

UNITED STATES STEEL CORPORATION

et U.S. STEEL CANADA INC.

 

appelantes

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 mai 2011.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                    LA JUGE DAWSON

                                                                                                                        LA JUGE  TRUDEL

 

 


Date : 20110525

Dossier : A-242-10

Référence : 2011 CAF 176

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

UNITED STATES STEEL CORPORATION

et U.S. STEEL CANADA INC.

 

appelantes

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               La Loi sur Investissement Canada, L.R.C. 1985, ch. 28 (1e suppl.) (la Loi), permet au ministre de l’Industrie (le ministre) d’examiner et d’approuver les demandes d’investisseurs étrangers qui souhaitent obtenir le contrôle de grandes entreprises canadiennes. L’article 39 de la Loi permet au ministre d’exiger que l’investisseur étranger qui contrôle une entreprise canadienne se conforme à la Loi et respecte les engagements pris durant la période d’examen. Si le ministre n’est pas satisfait des actes de l’investisseur ou de sa réponse, il peut présenter une demande en vertu de l’article 40 auprès d’une cour supérieure, laquelle peut accorder plusieurs formes de réparation.

 

[2]               Le 17 juillet 2009, le ministre a présenté une demande à la Cour fédérale en vertu de l’article 40 de la Loi concernant deux engagements écrits, à savoir les engagements en matière de production et d’emploi pris par les défenderesses United States Steel Corporation et U.S. Steel Canada Inc. (collectivement appelées U.S. Steel) relativement à l’acquisition de l’entreprise Stelco Inc. (Stelco).

 

[3]               Le 8 octobre 2009, U.S. Steel a déposé un avis de requête contestant la validité constitutionnelle des articles 39 et 40 de la Loi. Plus précisément, U.S. Steel affirme que les dispositions contestées portent atteinte à son droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, contrairement à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, L.C. 1960, ch. 44 (la Déclaration des droits), et que ces dispositions contreviennent à la présomption d’innocence et au droit à un procès équitable, contrairement à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch.11 (la Charte).

 

[4]               Dans un jugement rendu en date du 14 juin 2010, 2010 CF 642, la juge Hansen de la Cour fédérale (la juge de première instance) a rejeté la contestation de U.S. Steel dans sa totalité. C’est sur cette décision que porte le présent appel.

 

Les faits et l’historique des procédures

[5]               En septembre 2007, U.S. Steel se proposait de faire un investissement dans l’entreprise de Stelco, située à Hamilton, et d’en acquérir le contrôle. À cette fin, U.S. Steel a présenté une demande d’approbation ministérielle et a fourni 31 engagements, dont deux se rapportant à l’emploi et au niveau de la production. Le ministre a approuvé l’acquisition le 29 octobre 2007.

 

[6]               Le 5 mai 2009, le ministre a avisé U.S. Steel qu’elle violait ses engagements en matière d’emploi et de production. Le ministre lui a donc envoyé une mise en demeure conformément à l’article 39 de la Loi, lui demandant de mettre fin aux contraventions, de se conformer à la Loi et de démontrer que celle‑ci n’avait pas été violée ou de justifier tout défaut de conformité.

 

[7]               U.S. Steel a répondu au moyen d’une longue lettre dans laquelle elle expliquait les difficultés qu’elle éprouvait en raison d’un ralentissement économique inattendu.

 

[8]               Insatisfait de la réponse de U.S. Steel, le ministre a, le 15 juillet 2009, informé celle‑ci qu’il engagerait des poursuites judiciaires en vertu de l’article 40 de la Loi, en vue d’obtenir une ordonnance lui enjoignant de respecter ses engagements et lui infligeant une pénalité de 10 000 $ par jour par violation à partir du 1er novembre 2008 jusqu’à l’observation des engagements.

 

[9]               Comme je l’ai déjà mentionné, le ministre a déposé son avis de demande le 17 juillet 2009. Les paragraphes 3 et 4 de la demande énoncent ce qui suit :

[traduction]

3.         Enjoignant aux défenderesses de respecter les engagements pertinents :

a.         en augmentant la production d’acier de l’entreprise canadienne, au sens de la présente demande, de sorte que :

i.          pour la période allant du 1er novembre 2007 au 31 octobre 2009, la production d’acier de l’entreprise canadienne dépasse ou totalise 8 690 000 tonnes (2 x 4 345 000);

ii.          pour la période allant du 1er novembre 2009 au 31 octobre 2010, la production d’acier de l’entreprise canadienne dépasse ou totalise 4 345 000 tonnes nettes;

b.         en prenant toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que pendant la durée des engagements, au sens de la présente demande, les défenderesses maintiennent un niveau moyen d’emploi au sein de l’entreprise canadienne, soit 3 105 employés à temps plein.

 

4.         Infligeant à US Steel et à US Steel Canada, solidairement, une pénalité de 10 000 $ par jour par violation des engagements pertinents, calculée à partir du 1er novembre 2008, ou de toute autre date fixée par la Cour, jusqu’à l’observation par les défenderesses des engagements pertinents et de toute autre ordonnance de la Cour.

 

[10]           En réponse à l’avis de demande du ministre, U.S. Steel a déposé à la Cour fédérale une demande visant à faire déclarer inopérants les articles 39 et 40 de la Loi.

 

Dispositions législatives

[11]           Avant d’examiner la décision de la juge de première instance, il convient d’énoncer les dispositions législatives pertinentes. L’article 39 de la Loi permet au ministre de faire émettre une mise en demeure à l’intention d’un investisseur non Canadien exigeant qu’il se conforme à la Loi et aux engagements pris, ou de justifier tout défaut de conformité :

39. (1) Le ministre peut faire émettre une mise en demeure à l’intention d’un non Canadien qui, selon lui, a, contrairement à la présente loi, selon le cas :

 

a) fait défaut de déposer l’avis mentionné à l’article 12 ou la demande d’examen mentionnée à l’article 17;

 

a.1) omis de fournir les renseignements prévus par règlement ou ceux exigés par le ministre ou le directeur;

 

b) effectué un investissement en contravention avec les articles 16, 24, 25.2 ou 25.3;

 

c) effectué un investissement selon des modalités qui sont substantiellement différentes de celles que contenait la demande d’examen déposée en conformité avec l’article 17 ou des autres renseignements ou éléments de preuve fournis en conformité avec la présente loi à l’égard de l’investissement;

 

d) fait défaut de se départir du contrôle d’une entreprise canadienne comme l’exige l’article 24;

 

d.1) omis de se conformer à tout engagement pris envers Sa Majesté du chef du Canada conformément au décret pris en vertu de l’article 25.4;

 

 

d.2) omis de se conformer au décret pris en vertu de l’article 25.4;

 

e) fait défaut de se conformer à l’engagement écrit envers Sa Majesté du chef du Canada qu’il a pris à l’égard de l’investissement au sujet duquel le ministre est d’avis ou est réputé être d’avis qu’il sera vraisemblablement à l’avantage net du Canada;

 

f) fait défaut de se conformer à une autre disposition de la présente loi ou des règlements;

 

g) procédé à une opération ou à un arrangement dans un but lié à la présente loi. La mise en demeure exige du non-Canadien, de mettre fin, immédiatement ou à l’intérieur du délai qu’elle précise, à la contravention, de se conformer à la loi ou aux règlements, ou de démontrer qu’ils n’ont pas été violés ou, dans le cas d’un engagement, de justifier le défaut.

 

 

 

(2) S’il estime qu’une personne ou une unité a, contrairement à la présente loi, omis de se conformer soit à une demande de renseignements faite en vertu des paragraphes 25.2(3) ou 25.3(5), soit au paragraphe 25.4(3), le ministre peut envoyer une mise en demeure exigeant de la personne ou de l’unité que, sans délai ou dans le délai imparti, elle mette fin à la contravention, elle se conforme à la présente loi ou elle démontre que celle-ci n’a pas été violée.

 

(3) La mise en demeure fait état de la nature des poursuites judiciaires qui peuvent être instituées en vertu de la présente loi contre le non-Canadien, la personne ou l’unité à qui elle est adressée s’il omet de s’y conformer.

 

 

 

[Non souligné dans l’original]

39. (1) Where the Minister believes that a non-Canadian, contrary to this Act,

 

 

 

(a) has failed to give a notice under section 12 or file an application under section 17,

 

 

(a.1) has failed to provide any prescribed information or any information that has been requested by the Minister or Director,

 

(b) has implemented an investment the implementation of which is prohibited by section 16, 24, 25.2 or 25.3,

 

(c) has implemented an investment on terms and conditions that vary materially from those contained in an application filed under section 17 or from any information or evidence provided under this Act in relation to the investment,

 

 

 

(d) has failed to divest himself of control of a Canadian business as required by section 24,

 

(d.1) has failed to comply with an undertaking given to Her Majesty in right of Canada

in accordance with an order made under section 25.4,

 

(d.2) has failed to comply with an order made under section 25.4,

 

(e) has failed to comply with a written undertaking given to Her Majesty in right of Canada relating to an investment that the Minister is satisfied or is deemed to be satisfied is likely to be of net benefit to Canada,

 

 

 

(f) has failed to comply with any other provision of this Act or with the regulations, or

 

(g) has entered into any transaction or arrangement primarily for a purpose related to this Act, the Minister may send a demand to the non- Canadian, requiring the non-Canadian, forthwith or within such period as is specified in the demand, to cease the contravention, to remedy the default, to show cause why there is no contravention of the Act or regulations or, in the case of undertakings, to justify any non-compliance therewith.

 

 

(2) If the Minister believes that a person or an entity has, contrary to this Act, failed to comply with a requirement to provide information under subsection 25.2(3) or 25.3(5) or failed to comply with subsection 25.4(3), the Minister may send a demand to the person or entity requiring that they immediately, or within any period that may be specified in the demand, cease the contravention, remedy the default or show cause why there is no contravention of the Act.

(3) A demand under subsection (1) or (2) shall indicate the nature of the proceedings that may be taken under this Act against the non-Canadian or other person or entity to which it is sent in the event that the non-Canadian, person or entity fails to comply with the demand.

 

[Emphasis added]

 

[12]           L’article 40 de la Loi permet au ministre de présenter une demande à une cour supérieure en cas de défaut de se conformer à la mise en demeure reçue en application de l’article 39 :

40. (1) Une demande d’ordonnance judiciaire peut être présentée au nom du ministre à une cour supérieure si le non-Canadien, la personne ou l’unité ne se conforme pas à la mise en demeure reçue en application de l’article 39.

 

(2) Après audition de la demande visée au paragraphe (1), la cour supérieure qui décide que le ministre a agi à bon droit et constate le défaut du non-Canadien, de la personne ou de l’unité peut rendre l’ordonnance que justifient les circonstances; elle peut notamment rendre une ou plusieurs des ordonnances suivantes :

 

 

 

 

 

 

a) ordonnance enjoignant au non-Canadien de se départir soit du contrôle de l’entreprise canadienne, soit de son investissement dans l’unité, selon les modalités que la cour estime justes et raisonnables;

 

 

b) ordonnance enjoignant au non-Canadien de ne pas prendre les mesures mentionnées dans l’ordonnance à l’égard de l’investissement qui pourraient empêcher une cour supérieure, dans le cadre d’une autre demande pour une ordonnance visée à l’alinéa a), de rendre une ordonnance efficace;

 

c) ordonnance enjoignant au non-Canadien de se conformer à l’engagement écrit envers Sa Majesté du chef du Canada pris à l’égard d’un investissement au sujet duquel le ministre est d’avis ou est réputé être d’avis qu’il sera vraisemblablement à l’avantage net du Canada;

 

c.1) ordonnance enjoignant au non-Canadien de se conformer à l’engagement écrit pris envers Sa Majesté du chef du Canada conformément au décret pris en vertu de l’article 25.4;

 

d) ordonnance infligeant au non-Canadien une pénalité maximale de dix mille dollars pour chacun des jours au cours desquels se commet ou se continue la contravention;

 

e) ordonnance de révocation ou de suspension, pour une période qu’elle précise, des droits afférents aux intérêts avec droit de vote qu’a acquis le non-Canadien ou du droit de contrôle de ces droits;

 

f) ordonnance enjoignant au non-Canadien de se départir des intérêts avec droit de vote qu’il a acquis ou des actifs qu’il a acquis et qui sont ou ont été utilisés dans l’exploitation de l’entreprise canadienne;

 

 

g) ordonnance enjoignant au non-Canadien, à la personne ou à l’unité de fournir les renseignements exigés par le ministre ou le directeur.

 

(2.1) Après audition de la demande visée au paragraphe (1), la cour supérieure qui décide que le ministre a agi à bon droit et constate le défaut de conformité peut rendre l’ordonnance que justifient, à son avis, les circonstances, et notamment infliger à la personne ou à l’unité en défaut une pénalité maximale de 10 000 $

pour chacun des jours au cours desquels se commet ou se continue la contravention.

 

 

 

 

 

 

(3) Les pénalités infligées en vertu de l’alinéa (2)d) ou du paragraphe (2.1) sont des créances de Sa Majesté du chef du Canada dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant une cour supérieure.

 

(4) Quiconque refuse ou omet de se conformer aux ordonnances visées aux paragraphes (2) ou (2.1) peut être puni pour outrage au tribunal par la cour qui a rendu l’ordonnance.

 

 

 

(5) Il demeure entendu que tous les droits d’appel que prévoit la loi s’appliquent aux ordonnances visées au présent article comme s’il s’agissait d’une ordonnance ordinaire rendue par la cour.

 

(6) Au présent article, « cour supérieure » a le sens que lui donne le paragraphe 35(1) de la Loi d’interprétation mais ne vise pas la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel fédérale et la Cour canadienne de l’impôt.

 

[Non souligné dans l’original.]

40. (1) If a non-Canadian or any other person or entity fails to comply with a demand under section 39, an application on behalf of the Minister may be made to a superior court for an order under subsection (2) or (2.1).

 

 

(2) If, at the conclusion of the hearing on an application referred to in subsection (1), the superior court decides that the Minister was justified in sending a demand to the non-Canadian or other person or entity under section 39 and that the non-Canadian or other person or entity has failed to comply with the demand, the court may make any order or orders as, in its opinion, the circumstances require, including, without

limiting the generality of the foregoing, an order

 

(a) directing the non-Canadian to divest

themselves of control of the Canadian business, or to divest themselves of their investment in the entity, on any terms and conditions that the court considers just and reasonable;

 

(b) enjoining the non-Canadian from taking any action specified in the order in relation to the investment that might prejudice the ability of a superior court, on a subsequent application for an order under paragraph (a), to effectively accomplish the end of such an order;

 

 

(c) directing the non-Canadian to comply with a written undertaking given to Her Majesty in right of Canada in relation to an investment that the Minister is satisfied or is deemed to be satisfied is likely to be of net benefit to Canada;

 

 

(c.1) directing the non-Canadian to comply with a written undertaking given to Her Majesty in right of Canada in accordance with an order made under section 25.4;

 

 

(d) against the non-Canadian imposing a penalty not exceeding ten thousand dollars for each day the non-Canadian is in contravention of this Act or any provision thereof;

 

(e) directing the revocation, or suspension for any period specified in the order, of any rights attached to any voting interests acquired by the non-Canadian or of any right to control any such rights;

 

(f) directing the disposition by any non-

Canadian of any voting interests acquired by the non-Canadian or of any assets acquired by the non-Canadian that are or were used in carrying on a Canadian business; or

 

(g) directing the non-Canadian or other person or entity to provide information requested by the Minister or Director.

 

(2.1) If, at the conclusion of the hearing on an application referred to in subsection (1), the superior court decides that the Minister was justified in sending a demand to a person or an entity under section 39 and that the person or entity has failed to comply with it, the court may make any order or orders that, in its opinion, the circumstances require, including, without limiting the generality of the foregoing, an order against the person or entity imposing a penalty not exceeding $10,000 for each day on which the person or entity is in contravention of this Act or any of its provisions.

 

(3) A penalty imposed by an order made under paragraph (2)(d) or subsection (2.1) is a debt due to Her Majesty in right of Canada and is recoverable as such in a superior court.

 

(4) Everyone who fails or refuses to comply with an order made by a superior court under subsection (2) or (2.1) that is directed to them may be cited and punished by the court that made the order, as for other contempts of that court.

 

(5) For greater certainty, all rights of appeal provided by law apply in the case of any decision or order made by a superior court under this section, as in the case of other decisions or orders made by that court.

 

(6) In this section, “superior court” has the same meaning as in subsection 35(1) of the Interpretation Act but does not include the Supreme Court of Canada, the Federal Court of Appeal or the Tax Court of Canada.

 

 

[Emphasis added]

 

[13]           L’alinéa 11d) de la Charte prévoit ce qui suit :

11. Tout inculpé a le droit:

 

[…]

e) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;

11. Any person charged with an offence has the right:

(e) to be presumed innocent until proven guilty according to law in a fair and public hearing by an independent and impartial tribunal;

 

[14]           L’alinéa 2e) de la Déclaration des droits prévoit ce qui suit :

2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme

 

[…]

 

e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;

2. Every law of Canada shall, unless it is expressly declared by an Act of the Parliament of Canada that it shall operate notwithstanding the Canadian Bill of Rights, be so construed and applied as not to abrogate, abridge or infringe or to authorize the abrogation, abridgment or infringement of any of the rights or freedoms herein recognized and declared, and in particular, no law of Canada shall be construed or applied so as to

 

 

 

 

(e) deprive a person of the right to a fair

hearing in accordance with the principles of fundamental justice for the determination of his rights and obligations;

 

La décision de la Cour fédérale

[15]           Après avoir donné un aperçu des faits, des dispositions législatives pertinentes et des observations des appelantes, la juge de première instance s’est penchée sur la question de savoir si l’alinéa 11d) de la Charte s’appliquait à l’article 40 de la Loi.

 

[16]           La juge de première instance a appliqué le critère à deux volets énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541 [Wigglesworth], selon lequel si une affaire comporte l’un des deux volets, elle relève de l’alinéa 11d) de la Charte. Le premier volet consiste à savoir si une affaire est, de par sa nature, une procédure criminelle, alors que le deuxième volet consiste à savoir si la disposition contestée permet l’imposition de conséquences véritablement pénales.

 

[17]           En ce qui concerne le premier volet, la juge de première instance a examiné l’objet de l’article 40, le but visé par la sanction et le processus menant à la sanction, ce qui l’a amenée à écrire ce qui suit au paragraphe 40 de ses motifs :

[40]     L’aspect clé de la Loi est la décision que l’investissement proposé « sera vraisemblablement à l’avantage net du Canada ». Cette décision repose sur la valeur des renseignements, des engagements et des observations de l’investisseur qui ont trait aux facteurs économiques généraux qui figurent à l’article 20. Si l’investissement n’est pas effectué en conformité avec le fondement de son approbation, surtout lorsque les engagements ne sont pas respectés, il y a risque d’entrave à l’atteinte de l’objet ultime de la Loi.

 

ajoutant au paragraphe 41 :

[41]     Lu dans le contexte des articles 39 et 39.1, et compte tenu des objectifs de la Loi et des types d’ordonnance qui peuvent être rendus en application de l’article 40, l’objectif d’une procédure engagée en vertu de cet article est d’assurer le respect des dispositions de la Loi et de tout engagement qui peut avoir été pris à l’appui de la demande d’approbation.

 

[18]           En ce qui concerne l’objet de la sanction prévue à l’article 40, la juge de première instance a estimé que cette sanction « vise à favoriser et à assurer l’observation en temps opportun de tout engagement et des dispositions de la Loi » (motifs de la juge de première instance, par. 42).

 

[19]           La juge de première instance a ajouté que, malgré l’aspect public de l’article 40, son objet est de nature privée puisqu’il vise des opérations commerciales privées en ce que cette disposition permet au gouvernement de tenir responsables les entités privées qui ne se sont pas conformées à leurs engagements. À son avis, l’historique de la législation appuyait l’idée que l’article 40 n’était pas de nature criminelle.

 

[20]           Par conséquent, en ce qui a trait au premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Wigglesworth, la juge de première instance a conclu que la procédure engagée en vertu de l’article 40 n’était pas de nature criminelle.

 

[21]           La juge de première instance s’est ensuite penchée sur la question de savoir si l’article 40 pourrait répondre au deuxième volet du critère de l’arrêt Wigglesworth, soit s’il entraînait de véritables conséquences pénales.

 

[22]           Selon la juge de première instance, l’analyse doit « aller au‑delà de l’importance de l’amende afin de décider si elle est imposée pour redresser le tort causé à la société ou pour réaliser un objectif privé en particulier » (motifs de la juge de première instance, au par. 54). Ce point de vue est étayé par l’arrêt Martineau c. M.R.N., [2004] 3 R.C.S. 737, 192 C.C.C. (3d) 129 [Martineau], de la Cour suprême et la décision Lavallee c. Alberta (Securities Commission), 2009 ABQB 17, de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, confirmée par 2010 ABCA 48 [Lavallée].

 

[23]           La juge de première instance a jugé sans fondement l’argument de U.S. Steel selon lequel l’importance même de l’amende pourrait indiquer de véritables conséquences pénales. Elle a estimé que l’importance de l’amende ne pouvait pas être prise isolément. Au paragraphe 58 de ses motifs, la juge a dit qu’« [e]n l’absence de contexte, on ne saurait dire qu’une valeur monétaire elle‑même mène forcément à l’inférence que la pénalité est imposée pour punir », ajoutant qu’il ne fallait pas oublier que la disposition en question conférait à la cour le pouvoir discrétionnaire d’établir l’importance de la pénalité (motifs de la juge de première instance, par. 59).

 

[24]           Selon la juge de première instance, il était crucial qu’une pénalité pécuniaire prévue par la loi ait une portée et une importance suffisantes pour traiter de l’éventail des investissements susceptibles d’examen et pour dissuader les contrevenants. À son avis, la pénalité ne devait pas être considérée seulement comme une dépense d’affaire (motifs de la juge de première instance, par. 58).

 

[25]           La juge de première instance a alors indiqué qu’elle était convaincue que l’amende prévue à l’article 40 n’était pas destinée à réparer un tort causé à la société. Le seul fait que l’amende était payable à Sa Majesté du chef du Canada n’indiquait pas l’existence d’un objectif d’intérêt public, et le fait que la pénalité ne visait pas à réparer un tort particulier n’indiquait pas non plus en tel objectif. En ce qui concerne le deuxième volet de Wiggleswort, la juge de première instance a conclu comme suit au paragraphe 67 :

[67]     En l’absence de l’un ou l’autre des indices habituels, sur quel fondement peut‑on déterminer si la pénalité pécuniaire est, de par son importance, imposée dans le but de redresser le tort causé à la société. Dans le contexte de la Loi, la cour doit tenir compte : de ses objectifs, du régime législatif, dont la nature de la procédure de contrôle, ainsi que de la possibilité de se conformer volontairement à la Loi ou de remédier à une contravention, du rôle crucial que jouent les engagements de l’investisseur dans l’atteinte des objectifs de la Loi, de la nature des transactions faisant l’objet de l’examen, de la relation entre l’investisseur et le gouvernement, du caractère non moralement répréhensible de la conduite sanctionnée, de même que de l’établissement du montant de la pénalité pécuniaire. Étant donné ces facteurs, je conclus que la pénalité pécuniaire n’est pas une véritable conséquence pénale. La pénalité pécuniaire vise plutôt à favoriser et à assurer l’atteinte des objectifs de la Loi.

 

[26]           La juge de première instance a ensuite examiné les arguments de U.S. Steel se rapportant à l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits. Elle a estimé que la question fondamentale était « de savoir si l’article 40 viole le droit à une audience équitable, selon les principes de justice fondamentale » (motifs de la juge de première instance, par. 69).

 

[27]           Selon U.S. Steel, la Loi autorisait à tort le dessaisissement de biens sans accorder le droit de connaître la preuve à réfuter et n’établissait pas adéquatement les éléments à démontrer pour établir le non‑respect ni les moyens de défense possibles. U.S. Steel a ainsi soutenu que les termes « principes de justice fondamentale » énoncés à l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits étaient plus larges que les principes de justice naturelle reconnus en common law.

 

[28]           Après avoir soigneusement examiné la jurisprudence applicable, la juge de première instance a rejeté l’argument de U.S. Steel. Elle a écrit ce qui suit au paragraphe 79 :

[79]     On peut donc constater qu’une audience équitable selon les principes de justice fondamentale dans le contexte de l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits veut dire la même chose que les concepts de justice naturelle et d’équité procédurale. Il reste à déterminer ce qu’exige la justice naturelle dans ces circonstances.

 

[29]           La juge de première instance a ensuite porté son attention sur la détermination des principes pertinents de justice naturelle. Selon elle, l’interprétation large donnée par U.S. Steel aux droits garantis à l’alinéa 2e) mettait indûment l’accent sur l’importance de la pénalité pécuniaire, et les exigences de la justice naturelle n’étaient pas aussi strictes que le faisait valoir U.S. Steel. Elle a écrit ce qui suit au paragraphe 84 de ses motifs :

[84]     Il n’y a aucun doute que l’importance de la décision pour la partie concernée est un facteur important. Il convient cependant de faire une distinction entre les décisions qui touchent la vie, la liberté et la sécurité de l’intéressé et celles, comme dans la présente affaire, qui ont seulement une incidence économique. En outre, il faut examiner l’ampleur de la pénalité et le désinvestissement forcé dans le contexte du régime législatif. La pénalité pécuniaire peut sembler très élevée lorsque prise isolément, mais compte tenu des seuils financiers qui déclenchent l’examen et l’approbation du ministre, les pénalités prévues dans la Loi doivent être suffisamment élevées pour être efficaces vu l’importance des investissements effectués conformément à la Loi. De plus, la possibilité de désinvestissement forcé semble être de mauvais augure et constituer une grave atteinte au droit à la jouissance d’un bien, mais étant donné les objectifs de la Loi et le large pouvoir discrétionnaire d’une cour dans l’organisation d’un désinvestissement, elle n’est pas assimilable à une décision qui touche la vie, la liberté et la sécurité de la personne. Il s’agit uniquement d’une issue d’ordre économique. Il importe également de faire remarquer qu’une procédure engagée en application de l’article 40 survient dans un contexte réglementaire. En outre, les parties qui sollicitent l’approbation du ministre sont des agents économiques astucieux et bien représentés qui ont la possibilité de respecter la loi de leur plein gré avant de présenter une demande. 

 

[30]           En ce qui concerne l’argument principal de U.S. Steel portant qu’elle ne pouvait pas savoir précisément quelle était  la preuve à réfuter et qu’elle n’a pu le déterminer, la juge de première instance a estimé que cette préoccupation n’était pas justifiée du fait que les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, portant sur le traitement des demandes, permettaient clairement à U.S. Steel de connaître la preuve qu’elle devait réfuter. Aux paragraphes 87 à 90 de ses motifs, la juge s’est exprimée en termes clairs à cet égard.

 

[31]           Enfin, la juge de première instance a refusé d’examiner l’argument de U.S. Steel selon lequel l’article 40 était nul pour cause d’imprécision parce qu’à son avis ce concept ne s’appliquait pas lorsque seuls des droits procéduraux étaient en cause, et parce que U.S. Steel avait renoncé à soutenir que l’alinéa 2e) protégeait les droits substantiels.

 

[32]           Pour ces motifs, la juge de première instance a conclu que l’article 40 de la Loi ne viole ni l’alinéa 11d) de la Charte ni l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits et a rejeté donc la requête de U.S. Steel.

 

La position de U.S. Steel

[33]           U.S. Steel soutient que le ministre n’a donné aucune explication quant au rejet de sa réponse du 20 mai 2009 dans laquelle elle justifiait son omission de respecter les deux engagements en cause en invoquant la situation économique défavorable. U.S. Steel fait valoir que les articles 39 et 40 de la Loi créent un régime punitif auquel s’applique l’alinéa 11d) de la Charte parce qu’il [traduction] « ne confère pas à un investisseur le droit à la divulgation complète de la preuve à réfuter, le droit d’être raisonnablement avisé de la conduite interdite et permet de prononcer la culpabilité selon la simple prépondérance des probabilités » (mémoire des faits et du droit de U.S. Steel, par. 19).

 

[34]           U.S. Steel soutient également que la possibilité de recourir à la procédure de l’outrage au tribunal pour faire appliquer les sanctions prévues à l’article 40 montre le caractère pénal de ces sanctions du fait que la pénalité pécuniaire est une amende. Le fait que le pouvoir en matière d’outrage est rarement inclus dans d’autres régimes administratifs montre que le régime législatif a un caractère différent. En outre, ce régime vise des fins publiques que les tribunaux supérieurs font respecter en infligeant des sanctions punitives, alors que les tribunaux de règlementation ne peuvent infliger que des sanctions visant à favoriser l’observation de la loi. De plus, U.S. Steel fait valoir que les amendes infligées en vertu de l’article 40 ne se rapportent à aucune perte ni à la gravité de la violation. Les amendes ne visent donc pas à favoriser l’observation de la loi, mais plutôt à punir son inobservation. Par conséquent, selon U.S. Steel, l’alinéa 11d) de la Charte s’applique en l’espèce.

 

[35]           De plus, U.S. Steel fait valoir que, dans les circonstances de l’espèce, il y a violation de l’alinéa 11d). La Loi n’impose pas au ministre l’obligation de communiquer des renseignements pertinents et fait preuve d’une imprécision inacceptable quant à ce qui constitue une « justification » pour les violations reprochées. En outre, les procédures susceptibles d’entraîner des amendes punitives de l’ampleur prévue par la Loi devraient commander l’application de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, mais ce n’est pas le cas.

 

[36]           U.S. Steel soutient également que ces violations de l’alinéa 11d) ne satisfont pas au critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, parce que la suppression des droits procéduraux n’a aucun lien rationnel avec les objectifs de la Loi et qu’elle ne porte pas le moins possible atteinte aux droits garantis par l’alinéa 11d) qui sont en cause.

 

[37]           U.S. Steel ajoute que les articles 39 et 40 de la Loi violent l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits. Elle fait valoir que les principes de justice fondamentale garantis à l’alinéa 2e) ne coïncident pas avec les règles de justice naturelle et d’équité procédurale parce que ces dernières n’existent pas de façon indépendante. Ces principes visent à refléter l’intention du législateur et peuvent être circonscrits par la loi, alors que les principes de justice fondamentale garantis par la Déclaration des droits ne sont pas soumis à la volonté du législateur et devraient donc recevoir une interprétation plus large que les règles de justice naturelle et d’équité procédurale. De plus, ces principes devraient s’appliquer vigoureusement aux droits de propriété.

 

[38]           U.S. Steel dit aussi que dans la présente affaire, les principes de justice fondamentale sont violés parce que l’article 40 n’accorde pas à l’investisseur un droit valable à la divulgation. De plus, [traduction] « en raison de l’omission du législateur de circonscrire clairement le contour de l’infraction, ou de toute infraction qu’un investisseur pourrait commettre, la disposition est si vague qu’elle a pour effet de priver celui‑ci du droit d’être raisonnablement avisé de la preuve à réfuter » (mémoire des faits et du droit de U.S. Steel, par. 97).

 

Les questions en litige

[39]           Les questions que la Cour doit trancher dans le présent appel sont les suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  Les articles 39 et 40 de la Loi violent‑ils l’alinéa 11d) de la Charte?

3.                  Les articles 39 et 40 de la Loi violent‑ils l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits?

 

Analyse

1.         La norme de contrôle :

[40]           À mon avis, il ne fait aucun doute que la norme de contrôle applicable aux questions soulevées dans l’appel est celle de la décision correcte (voir : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8).

 

2.         Les articles 39 et 40 de la Loi violent‑ils l’alinéa 11d) de la Charte?

[41]           L’alinéa 11d) de la Charte garantit la protection d’un accusé qui est une personne physique ou morale. Toutefois, pour qu’elle fasse l’objet de cette protection, la personne doit être un « inculpé ». Dans Wigglesworth, la juge Wilson a expliqué le sens de ce terme en affirmant qu’une affaire peut relever de l’article 11 dans deux cas. Elle a écrit ce qui suit à la page 559 de ses motifs :

 […] une affaire pourrait relever de l’art. 11 soit parce que, de par sa nature même, il s’agit d’une procédure criminelle, soit parce qu’une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction est susceptible d’entraîner une véritable conséquence pénale. Je crois qu’une affaire pourrait relever de l’art. 11 dans les deux cas.

 

[42]           Par conséquent, les procédures susceptibles d’entraîner une peine d’emprisonnement peuvent relever de l’article 11, tout comme les procédures qui entraînent des peines moins sévères, comme les amendes (Wigglesworth, à la page 559).

 

[43]           Comme je l’ai déjà indiqué, la juge de première instance a conclu que les articles 39 et 40 de la Loi ne s’inscrivent pas dans l’une ou l’autre des deux catégories. À mon avis, la conclusion de la juge de première instance n’est pas entachée d’erreur. Je m’appuie sur les motifs suivants.

 

a.         Les procédures visées aux articles 39 et 40 sont‑elles de par leur nature même des procédures criminelles?

[44]           Dans Wigglesworth, la juge Wilson a expliqué à la page 560 ce qu’elle entendait par l’expression « de par sa nature même, il s’agit d’une procédure criminelle » :

À mon avis, si une affaire en particulier est de nature publique et vise à promouvoir l’ordre et le bien‑être publics dans une sphère d’activité publique, alors cette affaire est du genre de celles qui relèvent de l’art. 11. Elle relève de cet article de par sa nature même. Il faut distinguer cela d’avec les affaires privées, internes ou disciplinaires qui sont de nature réglementaire, protectrice ou corrective et qui sont principalement destinées à maintenir la discipline, l’intégrité professionnelle ainsi que certaines normes professionnelles, ou à réglementer la conduite dans une sphère d’activité privée et limitée […].

 

[45]           La juge Wilson a ajouté à la page 560 que « [l]es procédures de nature administrative engagées pour protéger le public conformément à la politique générale d’une loi ne sont pas non plus le genre de procédures relatives à une "infraction", auxquelles s’applique l’art. 11. » (voir également Lavallée, par. 21, pour une formulation récente de la même idée).

 

[46]           S’exprimant au nom de la Cour suprême, le juge Fish a énoncé dans l’arrêt Martineau, au paragraphe 24 de ses motifs, trois critères permettant de déterminer s’il s’agit d’une procédure criminelle de par sa nature même :

[24]     Pour déterminer la nature de la procédure, un examen de la jurisprudence sous l’éclairage des critères suivants s’impose : (1) les objectifs de [loi et dispositions pertinentes]; (2) le but visé par la sanction; (3) le processus menant à la sanction.

 

[47]           En ce qui concerne le premier critère énoncé dans Martineau, U.S. Steel soutient que la Loi [traduction] « a manifestement pour objet de favoriser le bien‑être public dans le secteur de l’investissement étranger et de punir ainsi les contraventions » (mémoire des faits et du droit de U.S. Steel, par. 40). Il est vrai que la juge Wilson, dans Wigglesworth (à la page 560), et le juge Fish, dans Martineau (au par. 21), ont tous deux souligné que les procédures criminelles de par leur nature même visent des objectifs d’intérêt public, mais on ne peut conclure automatiquement qu’un objectif d’intérêt public mène nécessairement à une procédure criminelle. Le juge Fish l’indique clairement dans Martineau, au paragraphe 22 de ses motifs, où il fait remarquer que les procédures de nature administrative « engagées pour protéger le public conformément à la politique générale d’une loi ne sont pas de nature pénale ».

 

[48]           Par conséquent, les procédures ayant un objectif d’intérêt public peuvent être ou non de nature pénale. Ainsi, certaines procédures ayant des objectifs d’utilité publique relèveront automatiquement de l’article 11, comme c’est le cas des procédures engagées en vertu du Code criminel (Wigglesworth, page 560). D’autres procédures ayant des objectifs d’utilité publique seront cependant presque toujours exclues du champ d’application de l’article 11, comme c’est le cas des procédures engagées en vertu des lois provinciales sur les valeurs mobilières (Lavallée, par. 21).

 

[49]           Par conséquent, il est clair que la simple existence d’un objectif d’intérêt public ne peut être déterminante en soi. Les tribunaux doivent aller plus loin et se demander sur quel type d’objectif d’intérêt public porte la loi. Il n’y a guère de doute qu’un objectif d’intérêt public en matière de malhonnêteté, de fraude ou d’immoralité sera généralement considéré comme de nature pénale par le tribunal. Toutefois, un objectif d’intérêt public qui relève de la réglementation financière fera généralement partie de la catégorie administrative, non pénale.

 

[50]           L’objet de la Loi attaquée dans le présent appel est énoncé comme suit à l’article 2 :

2.     Étant donné les avantages que retire le Canada d’une augmentation du capital et de l’essor de la technologie et compte tenu de l’importance de préserver la sécurité nationale, la présente loi vise à instituer un mécanisme d’examen des investissements importants effectués au Canada par des non-Canadiens de manière à encourager les investissements au Canada et à contribuer à la croissance de l’économie et à la création d’emplois, de même qu’un mécanisme d’examen des investissements effectués au Canada par des non-Canadiens et susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale.

2.     Recognizing that increased capital and technology benefits Canada, and recognizing the importance of protecting national security, the purposes of this Act are to provide for the review of significant investments in Canada by non-Canadians in a manner that encourages investment, economic growth and employment opportunities in Canada and to provide for the review of investments in Canada by non-Canadians that could be injurious to national security.

 

[51]           Rien n’indique que la sécurité nationale soit en cause en l’espèce, ce qui laisse comme objet pertinent celui de contribuer à la croissance de l’économie et à la création d’emploi au Canada. Cet objectif sous‑tend le processus relatif aux demandes des investisseurs étrangers ainsi que les facteurs dont le ministre doit tenir compte lorsqu’il approuve ou rejette une demande (art. 20 de la Loi).

 

[52]           Comme la juge de première instance souligne à juste titre au paragraphe 41 de ses motifs, les articles 39 et 40 visent à assurer le respect de la Loi et de tout engagement pris conformément à celle‑ci. Il s’ensuit donc que les procédures engagées par le ministre en vertu des dispositions attaquées visent en fin de compte à stimuler le développement économique et la création d’emplois, tout comme la Loi dans son ensemble. J’estime donc que le premier critère énoncé dans Martineau ne permet pas de conclure à la nature pénale des procédures.

 

[53]           De plus, comme l’indique l’intimé, les procédures engagées en vertu de l’article 40 ne visent jamais un objectif d’intérêt entièrement public. Lorsqu’elles se rapportent aux engagements qu’un investisseur étranger a pris auprès du ministre, elles sont, du moins en partie, assimilables à l’exécution d’une entente privée. Bien sûr, les engagements sous‑jacents se rapportent eux‑mêmes aux objectifs visant l’économie publique, mais la nature partiellement privée des procédures engagées en vertu de l’article 40 milite aussi contre l’applicabilité de l’article 11.

 

[54]           Le deuxième critère énoncé dans Martineau s’attache au but visé par la sanction. Le paragraphe 40(2) de la Loi confère différents pouvoirs à la cour saisie d’une demande présentée en vertu de l’article 40. L’un de ces pouvoirs – celui qui est principalement attaqué par le présent appel – est prévu à l’alinéa 40(2)d), lequel inflige à un non‑Canadien une  pénalité maximale de 10 000 $ pour chacun des jours au cours desquels se commet ou se continue la contravention. Selon la juge de première instance, cette sanction visait « à favoriser et à assurer l’observation en temps opportun de tout engagement et des dispositions de la Loi » (motifs de la juge de première instance, par. 42).

 

[55]           Je ne trouve rien à redire à l’opinion de la juge de première instance. L’infliction de la pénalité pour chaque jour d’infraction indique que le but était d’assurer la conformité. L’investisseur étranger sait qu’il sera passible de pénalités s’il ne se conforme pas à la mise en demeure envoyée par le ministre.

 

[56]           Le contexte dans lequel s’inscrit la pénalité pécuniaire indique aussi que celle‑ci vise un objectif d’intérêt public. L’infliction d’une pénalité est l’une des mesures que le tribunal peut ordonner après audition d’une demande présentée en vertu de l’article 40. Le tribunal peut ordonner à l’investisseur étranger de se départir du contrôle de l’entreprise (al. 40(2)a) de la Loi), de se conformer à l’engagement pris « à l’égard d’un investissement au sujet duquel le ministre est d’avis ou est réputé être d’avis qu’il sera vraisemblablement à l’avantage net du Canada » (al. 40(2)c)), et de se départir de ses droits de vote dans le cadre de l’entreprise (al. 40(2)f). Ces mesures ne visent pas à punir, mais plutôt à prévenir tout préjudice aux intérêts économiques du Canada en forçant l’observation de la Loi ou en retirant le pouvoir d’un investisseur étranger dont les actes ou les omissions compromettent l’objet de la Loi.

 

[57]           À mon avis, il convient de déterminer l’objet de la sanction prévue à l’alinéa 40(2)d) en situant cette sanction dans le contexte plus large du régime de réparation dont elle fait partie. La sanction vise, comme la juge de première l’a conclu, « à favoriser et à assurer l’observation en temps opportun de tout engagement et des dispositions de la Loi » (motifs de la juge de première instance, par. 42). Dans Martineau, le juge Fish a examiné une sanction dont le but n’était pas de « réparer un tort causé à la société » mais plutôt de « produire un effet dissuasif » pour assurer la viabilité d’un régime administratif (Martineau, par. 33 à 39). Selon le juge Fish, cela permet de conclure à l’inapplicabilité de l’article 11. À mon humble avis, cette opinion devrait s’appliquer à la sanction en cause dans le présent appel.

 

[58]           Le troisième critère énoncé dans Martineau s’intéresse au « processus menant à la sanction ». U.S. Steel soutient que l’audition d’une demande en vertu de l’article 40 devant un tribunal judiciaire plutôt que devant un tribunal administratif confère à la demande un caractère pénal. Il est vrai que les tribunaux judiciaires sont habilités à infliger des sanctions pénales, mais rien ne me permet de conclure qu’ils ne peuvent pas infliger des sanctions de nature administrative. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’accorder beaucoup de poids à ce critère.

 

[59]           Qui plus est, les sanctions prévues à l’article 40 ne répondent pas aux critèrex auxquels on peut reconnaître les procédures pénales. Elles s’apparentent plutôt à la sanction examinée par le juge Fish dans l’arrêt Martineau et qui est décrite comme suit au paragraphe 45 :

[45]     Ce processus a donc peu en commun avec la procédure pénale.  En effet, la confiscation compensatoire n’inculpe personne.  Aucune dénonciation n’est déposée contre qui que ce soit.  Personne n’est arrêté.  Personne n’est sommé de comparaître devant une cour de juridiction pénale.  Aucun casier judiciaire n’en résulte.  Au pire des cas, une fois la procédure administrative et les appels épuisés, si l’avis de confiscation compensatoire est maintenu et que la personne redevable refuse toujours de payer, cette dernière risque d’être contrainte civilement de le faire.

 

[60]           Tout comme la sanction en cause dans l’arrêt Martineau, la sanction prévue à l’article 40 dont il est question en l’espèce n’implique pas le dépôt d’accusations, de pouvoirs d’arrestation, de cours de juridiction criminelle ni de casier judiciaire. Par conséquent, cela indique que l’alinéa 11d) n’est pas applicable.

 

[61]           La principale différence entre la sanction en cause dans Martineau et celle dont il est question en l’espèce est au coeur des observations de U.S. Steel, soit l’existence de la procédure de l’outrage au tribunal en application du paragraphe 40(4). U.S. Steel souligne qu’il est généralement impossible de recourir à l’ordonnance pour outrage pour faire exécuter les jugements en matière civile, laquelle exécution ne peut être ordonnée qu’en vertu de l’article 425 des Règles des Cours fédérales. À son avis, la possibilité de recourir à l’ordonnance pour outrage montre que les pénalités pécuniaires prévues à l’article 40 constituent des sanctions pénales.

 

[62]           U.S. Steel commence l’exposé de ses moyens en soulignant que l’alinéa 40(2)d) de la Loi permet à la cour saisie d’une procédure engagée en vertu de l’article 40 d’infliger une pénalité pécuniaire et que le paragraphe 40(4) permet à la cour de punir le défaut de se conformer à ses ordonnances au moyen de la procédure de l’outrage au tribunal. L’outrage au tribunal est évidemment punissable d’une peine d’emprisonnement. Selon U.S. Steel, ces deux dispositions indiquent que la Loi permet à une cour de punir le défaut de paiement d’une amende par l’emprisonnement. Le recours à la procédure de l’outrage au tribunal indique donc que les pénalités infligées en vertu de la Loi sont plutôt de nature criminelle que de nature civile.

 

[63]           Je ne peux souscrire à cet argument. Bien que U.S. Steel ait raison d’affirmer qu’on ne peut emprisonner quelqu’un pour une dette civile, comme l’a dit le juge Binnie dans R. c. Wu, [2003] 3 R.C.S. 530, au paragraphe 2, « [l]’incarcération des débiteurs démunis est un concept de l’époque de Charles Dickens que la plupart des pays civilisés ont aujourd’hui abandonné », la Loi ne prévoit pas la possibilité que U.S. Steel ou l’un de ses dirigeants soient incarcérés pour l’omission de payer une pénalité infligée en vertu de celle‑ci. La personne qui ne se conforme pas à une ordonnance de payer une somme d’argent ne peut être emprisonnée pour outrage au tribunal, l’emprisonnement pour dettes ayant été aboli : Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques, [1992] 2 R.C.S. 1065, à la page 1078. Toutefois, la personne qui ne se conforme pas à une ordonnance de payer une somme d’argent peut être emprisonnée pour outrage si elle démontre « une certaine volonté de se soustraire à ses obligations » : Ibidem. C’est‑à‑dire que la personne en question ne veut pas payer sa dette même si elle a les moyens de le faire.

 

[64]           Ainsi, U.S. Steel ferait uniquement face à la possibilité d’être poursuivie pour outrage au tribunal si elle avait les moyens de payer la pénalité infligée en vertu de la Loi mais qu’elle ne voulait pas le faire. Une telle procédure ne vient pas rétablir l’incarcération des débiteurs parce que U.S. Steel ne serait pas passible de l’emprisonnement pour sa dette en soi, mais plutôt pour le refus de payer la dette malgré sa capacité de le faire.

 

[65]           De plus, comme le dit la juge de première instance au paragraphe 66 de ses motifs, toute procédure pour outrage au tribunal engagée contre U.S. Steel serait une procédure distincte assujettie aux Règles des Cours fédérales et U.S. Steel se verrait ainsi accorder la pleine protection de la Charte.

 

[66]           U.S. Steel réplique que la seule possibilité d’une peine pour outrage dans le cas d’une pénalité impayée confère à la procédure engagée en vertu de l’article 40 une nature criminelle. Je ne suis pas d’accord. Comme la juge de première instance l’a conclu au paragraphe 66 de ses motifs, la procédure de l’outrage au tribunal est distincte de la procédure engagée en vertu de l’article 40. Par conséquent, bien que la procédure pour outrage au tribunal puisse avoir une nature criminelle, la procédure engagée en vertu de l’article 40 demeure de nature civile.

 

[67]           Accepter l’argument de U.S. Steel conduirait à un résultat pervers. Tout procès civil peut mener à un jugement de nature pécuniaire susceptible d’exécution forcée par voie d’ordonnance judiciaire. Tout défaut de se conformer à une ordonnance judiciaire est susceptible d’entraîner une procédure pour outrage au tribunal. Toute procédure pour outrage au tribunal peut entraîner une peine d’emprisonnement. Ainsi, selon la logique de U.S. Steel, l’existence du recours pour outrage ferait de tout procès civil une procédure de nature criminelle suivant l’arrêt Wigglesworth et tout défendeur civil aurait alors droit à la pleine protection de la Charte. Une telle conclusion est, à mon avis, tout à fait contraire au libellé de l’alinéa 11d) de la Charte qui ne protège que tout « inculpé ».

 

[68]           De plus, toutes les procédures pour outrage au tribunal commandent l’application de la Charte : Pro Swing Inc. c. Elta Golf Inc., [2006] 2 R.C.S. 612, aux paragraphes 34 et 35. En conséquence, il est impossible que U.S. Steel soit accusée d’outrage au tribunal sans se voir accorder la protection de la Charte.

 

[69]           L’argument de U.S. Steel est également incompatible avec le libellé de la Loi. Le paragraphe 40(4) prévoit que « [q]uiconque refuse ou omet de se conformer aux ordonnances visées aux paragraphes (2) ou (2.1) peut être puni pour outrage au tribunal par la cour qui a rendu l’ordonnance » [non souligné dans l’original]. Le paragraphe 40(3)prévoit que « [l]es pénalités infligées en vertu de l’alinéa (2)d) ou du paragraphe (2.1) sont des créances de Sa Majesté du chef du Canada dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant une cour supérieure » [non souligné dans l’original].

 

[70]           Le libellé de la Loi est important pour trois motifs. Premièrement, le paragraphe 40(4) renvoie aux paragraphes 40(2) et 40(2.1), de sorte qu’il vise un large éventail d’ordonnances. Deuxièmement, en raison de cette vaste portée, le libellé de la Loi est encore plus général. Le paragraphe 40(4) indique qu’une personne peut violer une ordonnance judiciaire de deux façons différentes : lorsqu’elle « omet » ou « refuse » de s’y conformer. Le mot « refuse » dénote une certaine intention, alors que le mot « omet » ne nécessite pas la preuve de l’intention de désobéir, mais simplement de l’acte de désobéissance en soi. Troisièmement, le libellé de la Loi n’indique pas que l’outrage à chacune des ordonnances énumérées aux paragraphes 40(2) et 40(2.1) est punissable pour défaut de conformité tant intentionnel que non intentionnel. Le paragraphe 40(3) indique que les pénalités infligées en vertu de l’alinéa 40(2)d) ou du paragraphe 40(2.1) sont des créances dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant une cour supérieure. Le mot « créances » indique que ces pénalités sont de nature civile et non de nature criminelle.

 

[71]           Dans le même ordre d’idées, le paragraphe 40(4) prévoit qu’une cour peut punir une personne pour outrage au tribunal, la version anglaise ajoutant les mots « as for other contempts of that court ». Selon moi, cette disposition signifie que les outrages au tribunal au sens du paragraphe 40(4) peuvent être punis de la même façon que les autres types d’outrages au tribunal. De quelle façon une personne peut‑elle être punie pour outrage au tribunal devant la Cour fédérale? Il ressort de la jurisprudence susmentionnée que l’omission de payer une dette civile ne peut être punie par l’emprisonnement, à moins qu’il ne soit démontré que le débiteur a les moyens de payer sa dette, mais qu’il refuse de le faire.

 

[72]           Ainsi, le défaut de payer une pénalité pécuniaire infligée en vertu de l’alinéa 40(2)d) ou du paragraphe 40(2.1) peut être puni par le biais de l’outrage au tribunal, mais seulement si la personne en cause « refuse » de payer la pénalité – c’est‑à‑dire qu’elle a les moyens de payer mais qu’elle s’abstient délibérément de le faire. Le défaut de payer une pénalité pécuniaire infligée en vertu de ces deux dispositions ne peut faire l’objet d’une procédure pour outrage au tribunal si la personne en cause « omet » de payer la pénalité – c’est à dire qu’elle est tout simplement incapable de payer. Par conséquent, le libellé de la Loi étaye la conclusion selon laquelle les procédures engagées en vertu de l’article 40 ne sont pas de nature criminelle.

 

[73]           Je dois donc conclure que le troisième critère énoncé dans Martineau ne permet pas non plus de conclure à la nature pénale des procédures engagées en vertu de l’article 40 ni à l’applicabilité de l’alinéa 11d). Par conséquent, les procédures engagées en vertu de l’article 40 ne sont pas criminelles par nature et ne répondent donc pas aux exigences du premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Wigglesworth.

 

b.         Les procédures engagées en vertu de l’article 40 entraînent‑t‑elles de véritables conséquences pénales?

[74]           Comme je l’ai déjà précisé, même si les procédures engagées en vertu de l’article 40 ne sont pas criminelles par nature, l’article 11 de la Charte s’y appliquera néanmoins si elles entraînent de « véritables conséquences pénales » (Wigglesworth, à la p. 559). En ce qui concerne les pénalités pécuniaires, leur importance n’est pas en soi déterminante. La jurisprudence a constamment établi une distinction entre les pénalités qui visent à punir ou à dénoncer (de nature pénale) et les pénalités qui visent à dissuader les contrevenants (de nature non pénale). Dans les arrêts Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), [2001] 2 R.C.S. 132 [Actionnaires minoritaires de la société Asbestos Ltée], et Cartaway Resources Corp. (Re), [2004] 1 R.C.S. 672 [Cartaway], il est établi qu’en général les sanctions administratives ne visent pas à punir. Elles visent plutôt à dissuader les contrevenants. En résumant ces arrêts, le juge Groberman de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a écrit dans Thow c. B.C. (Securities Commission), [2009] B.C.J. no 211 (Q.L.), au paragraphe 30, qu’il en ressort que [traduction] « [l]es sanctions administratives, par opposition aux sanctions pénales sont, comme le fait observer le juge Iacobucci au paragraphe 45 de l’arrêt [Actionnaires minoritaires de la société Asbestos Ltée], "de nature préventive et axées sur l’avenir " ».

 

[75]           En ce qui concerne la relation entre l’importance de la sanction et le but visé par celle‑ci, le juge Fish a écrit ce qui suit dans l’arrêt Martineau, au paragraphe 60 :

60.     Reste donc la question de savoir si le paiement de 315 458 $ exigé en vertu de l’art. 124 de la LD [Loi sur les douanes] constitue une amende qui, par son importance, est infligée dans le but de réparer le tort causé à la société en général plutôt que dans celui de maintenir l’efficacité des exigences douanières.

[Souligné dans l’original.]

 

[76]           Ce qui importe, c’est le but visé. L’importance pourrait être un indicateur du but, mais il existe aussi d’autres indicateurs. L’un d’eux est la destination finale de l’amende. Le fait que l’amende soit versée dans le Fonds du revenu consolidé indique qu’il s’agit d’une sanction de nature pénale (Wigglesworth, p. 561). C’est le cas d’une amende infligée en vertu de l’alinéa 42(2)d).

 

[77]           Toutefois, d’autres indicateurs vont dans le sens contraire. Premièrement, une pénalité réglementaire comme celle que prévoit la Loi ne stigmatise personne (Martineau, par. 64). Deuxièmement, l’importance de l’amende n’indique pas nécessairement un caractère punitif. Comme l’a souligné la juge de première instance dans ses motifs, au paragraphe 58, il faut de fortes pénalités pour dissuader les grandes sociétés. Récemment, la Cour d’appel de l’Alberta a fait observer dans Lavallée, au paragraphe 23, qu’une forte pénalité pécuniaire [traduction] « révèle l’intention du législateur de faire en sorte que les pénalités ne soient pas considérées comme une simple dépense d’affaire ». Le fait que la pénalité pécuniaire augmente pour chaque jour de non‑conformité démontre qu’elle vise à dissuader le contrevenant. Lorsque la contravention cesse, l’amende arrête d’augmenter, de sorte que les investisseurs étrangers ont toutes les raisons de respecter la Loi et les engagements qu’ils ont pris.

 

[78]           De plus, l’effet rétroactif de l’amende n’indique pas nécessairement un but de nature pénale (Lavallée, par. 25). L’arrêt Cartaway ne portait pas sur l’article 11, mais il y a été précisé au sujet de la dissuasion qu’il « est raisonnable de considérer qu’il s’agit d’un facteur pertinent, voire nécessaire, dans l’établissement d’ordonnances de nature à la fois protectrice et préventive » (par. 61). L’application rétractive des amendes vise la dissuasion générale. Si les investisseurs étrangers savent qu’ils risquent d’être pénalisés rétroactivement pour avoir commis des contraventions, ils réfléchiront à deux fois avant de contrevenir à la loi. Si la loi ne prévoyait pas des amendes à effet rétroactif, les investisseurs pourraient agir à leur guise jusqu’à ce qu’ils fassent l’objet d’une sanction judiciaire axée sur l’avenir. La Loi serait impuissante et le régime administratif serait faible. L’importance potentielle de la pénalité n’est donc pas l’indice d’un but de nature pénale.

 

[79]           L’argument principal de U.S. Steel relativement au deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt Wigglesworth porte que la Loi ne prévoit pas de critères permettant d’établir des pénalités pécuniaires. Ces pénalités ne seront pas directement liées aux conséquences de la violation, contrairement aux pénalités examinées, par exemple, dans l’arrêt Martineau. U.S. Steel présume, pour l’essentiel,  que l’absence de critères pour déterminer les amendes signifie qu’ [traduction] « une pénalité pécuniaire établie en vertu de la Loi aura inévitablement un caractère punitif » (mémoire des faits et du droit de U.S. Steel, par. 55 à 60 / Non souligné dans l’original). En toute déférence, je ne vois pas pourquoi. En fait, il ressort de l’arrêt Wigglesworth que c’est le contraire. La juge Wilson a écrit ce qui suit dans l’arrêt Wigglesworth, à la page 561 de ses motifs :

Je suis d’avis que si un organisme ou une personne responsable détient un pouvoir illimité d’imposer des amendes et s’il n’accorde pas les droits énumérés à l’art. 11, il ne peut imposer des amendes destinées à réparer le tort causé à la société en général. Il est plutôt limité au pouvoir d’imposer des amendes pour atteindre un objectif privé en particulier. […]

 

[80]           Le pouvoir d’infliger des amendes à l’égard duquel la loi fournit peu d’indications ne sera pas visé par l’article 11 dans la mesure où il est exercé de manière à atteindre des objectifs administratifs légitimes. Si, comme le soutient U.S. Steel, la procédure prévue à l’article 40 ne répond pas à la norme de l’alinéa 11d) de la Charte, cela signifie simplement que les objectifs que la Cour peut prendre en compte lorsqu’elle inflige des amendes sont restreints. La Cour ne peut prendre en compte que les objectifs qui conviennent constitutionnellement à un régime punitif. À mon avis, cela correspond au principe selon lequel nous ne devrions pas supposer que les juges exerceraient leur pouvoir discrétionnaire d’une manière non conforme à la Constitution (voir R. c. Shoker, [2006] 3 R.C.S. 399, par. 39). Les objectifs de la Loi relatifs à la dissuasion auront nécessairement une importance cruciale. Le fait qu’une telle méthode de fixation des pénalités s’harmonise bien avec les objectifs de la Loi et avec les sanctions prévues indique également l’opportunité d’axer la démarche sur la dissuasion.

 

[81]           Je conclus donc que les pénalités prévues à l’alinéa 40(2)d) de la Loi doivent être comprises et que le pouvoir de les infliger doit nécessairement être exercé dans le cadre des « procédures de nature administrative – privées, internes ou disciplinaires – engagées pour protéger le public conformément à la politique générale d’une loi » (Martineau, par. 22). Ces pénalités n’entraînent pas de véritables conséquences pénales et l’alinéa 11d) de la Charte ne s’applique donc pas en l’espèce.

 

3.         Les articles 39 et 40 violent‑ils l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits?

[82]           L’analyse relative à l’alinéa 2e) porte sur l’audience en vertu de l’article 40, non sur les mesures prises par le ministre en vertu de l’article 39. Ces mesures ne constituent pas une audience au sens de l’alinéa 2e) ni une définition des droits et obligations suivant cet alinéa. Les parties en conviennent, mais là s’arrête leur accord.

 

[83]           U.S. Steel fait valoir que les principes de justice fondamentale ne coïncident pas avec les règles de justice naturelle ou d’équité procédurale, et souligne que, contrairement aux règles de justice naturelle, l’alinéa 2e) vise à déterminer d’avance si les lois fédérales établissent des procédures adéquates. De plus, l’alinéa 2e) permet à une cour d’invalider ou de ne pas appliquer de telles lois. Cette affirmation est évidemment exacte, mais l’argument ne dit rien quant au contenu. U.S. Steel reste vague quant à l’apport de l’alinéa 2e) au principe général de common law selon lequel une partie doit connaître la preuve à réfuter. J’ai examiné les arrêts R. c. Duke, [1972] R.C.S. 917 [Duke], et Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, et je souscris entièrement à l’opinion de la juge de première instance selon laquelle ces affaires indiquent ou au moins tiennent pour acquis, « sans toutefois le décider », que les principes de justice fondamentale prévus à l’alinéa 2e) ne font qu’exiger que « le tribunal appelé à se prononcer sur ses droits doit agir équitablement, de bonne foi, sans préjugé et avec sérénité, et qu’il doit donner à l’accusé l’occasion d’exposer adéquatement sa cause » (Duke, à la p. 923).

 

[84]           U.S. Steel n’invoque non plus d’argument tendant à faire valoir que les Règles des Cours fédérales, qui traitent de l’audition des demandes, ne répondraient pas adéquatement aux exigences de l’alinéa 2e). Dans ses prétentions concernant le droit à la divulgation, U.S. Steel met l’accent sur le fait que l’article 40 n’en prévoit aucun – ni aucune garantie procédurale en la matière. Cet argument fait cependant abstraction du fait que la Loi n’a pas pour objet de prévoir des garanties procédurales. C’est plutôt l’objet des Règles des Cours fédérales, lesquelles prévoient, comme la juge de première instance le souligne avec raison, la présentation d’un avis de demande, d’une liste de documents devant être utilisés à l’audience, le dépôt d’affidavits et de pièces, la tenu de contre‑interrogatoires préalables et la divulgation de la preuve (motifs de la juge de première instance, par. 87 à 89).

 

[85]           Avec égards pour l’opinion contraire, je ne vois pas comment l’on peut considérer que ces Règles ne respectent pas adéquatement le droit d’un investisseur de comprendre la preuve du ministre. J’ajouterais que, de toute façon, le dossier étaye très peu l’argument de U.S. Steel selon lequel elle n’est pas en mesure de comprendre la preuve du ministre.

 

[86]           U.S. Steel soutient également que les articles 39 et 40 sont à ce point imprécis qu’ils ne permettent pas à l’investisseur de savoir ce que veut dire se conformer à une mise en demeure ou justifier un défaut de conformité. La juge de première instance a rejeté cet argument de nullité « pour cause d’imprécision » parce qu’il ne concernait pas l’application régulière du droit procédural, mais les droits substantiels inclus dans la garantie d’application régulière de la loi. L’argument ne relevait donc pas de l’alinéa 2e).

 

[87]           Il me semble que la notion d’imprécision ne peut être dissociée entièrement des droits procéduraux, puisque connaître la preuve à réfuter suppose de comprendre ce qu’il faut prouver pour avoir gain de cause. Toutefois, la juge de première instance a eu raison de citer à l’appui de son opinion l’arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, comme établissant que l’imprécision est une doctrine qui touche au fond. Dans cet arrêt, le juge Gonthier a dit que « la question de l’avertissement raisonnable porte aussi sur le fond » (au par. 46). À mon avis, cela suffit pour rejeter ce volet des arguments que U.S. Steel tire de l’alinéa 2e).


Conclusion

[88]           Par conséquent, je conclus que la juge de première instance n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle qui justifierait notre intervention. Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A-242-10

 

INTITULÉ :                                                   U.S. STEEL CORP. et al c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (ON)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE DAWSON

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 25 mai 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Barrack

 

Marie Henein

Matthew Gourlay

 

POUR LES APPELANTES

 

POUR LES APPELANTES

John Syme

Jeffrey G. Johnston

Max Binnie

Jessica DiZazzo

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Thornton Grout Finnigan LLP

Toronto (ON)

 

Henein & Associates

Toronto (ON)

 

POUR LES APPELANTES

 

 

POUR LES APPELANTES

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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