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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110915

Dossier : A-43-11

Référence : 2011 CAF 252

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE STRATAS

 

Entre :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

CURTIS HINES

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 13 septembre 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LA JUGE SHARLOW

LE JUGE STRATAS

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110915

Dossier : A-43-11

Référence : 2011 CAF 252

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

CURTIS HINES

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le procureur général du Canada (le demandeur) d’une décision de révision (CUB 73386B) du juge-arbitre en chef désigné Michel Beaudry (le juge-arbitre) datée du 17 décembre 2010, accueillant l’appel de M. Curtis Hines (le défendeur) et établissant que ce dernier n’a pas fait sciemment de fausse déclaration à la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission).

 

[2]               Le demandeur soutient qu’il n’était pas loisible au juge–arbitre de réexaminer sa décision antérieure parce qu’aucun « fait nouveau » ne lui a été soumis, suivant l’article 120 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi). Subsidiairement, le demandeur fait valoir que les « faits nouveaux » allégués ne permettent pas d’appuyer la conclusion tirée par le juge-arbitre.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’estime qu’aucun « fait nouveau » n’a été présenté au juge-arbitre, comme le plaide le demandeur, et qu’il ne lui était pas loisible de réexaminer sa décision antérieure.

 

CONTEXTE FACTUEL

[4]               Le défendeur a produit une demande initiale de prestations d’assurance-emploi le 27 septembre 2005. Le 15 mai 2006, la Commission, après avoir noté des incohérences entre la rémunération qu’il a déclarée et les montants qu’il a vraiment gagnés, a déterminé que le défendeur avait fait des déclarations fausses ou trompeuses et lui a infligé une pénalité en vertu de la Loi. Le 10 octobre 2008, après avoir réexaminé la demande du défendeur, la Commission lui a infligé une pénalité de 1 239,00 $ en vertu de la Loi. Le défendeur ne conteste pas le fait qu’il n’a pas déclaré sa rémunération correctement en 2005 et 2006.

 

[5]               Le défendeur a d’abord interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral (le conseil) qui a rejeté l’appel le 22 décembre 2008. Le défendeur a ensuite interjeté appel de la décision du conseil auprès d’un juge-arbitre. Dans le cadre de ses appels devant le conseil et le juge-arbitre, le défendeur a fait valoir qu’une grave dépression avait affecté sa capacité à gérer ses obligations financières. Le 20 mars 2009, le juge-arbitre M. Louis S. Tannenbaum (CUB 71980) a rejeté l’appel, en ce qui concerne la question de la répartition. Quant à la pénalité et l’avis de violation, le juge-arbitre a conclu que la décision initiale du conseil n’a pas considéré la question de savoir si les faux renseignements avaient été fournis sciemment et a renvoyé l’affaire devant un conseil différemment constitué pour la tenue d’une nouvelle audience (dossier du demandeur, p. 178).

 

[6]               Le 11 juin 2009, le nouveau conseil a conclu que le défendeur avait fait sciemment des fausses déclarations dans ses demandes de prestations. Le défendeur a interjeté appel de la décision du conseil devant le juge-arbitre le 22 juin 2009. Il a plaidé que le conseil a omis de considérer le fait qu’il souffrait d’une grave dépression, ce qui le rendait incapable de gérer ses finances quotidiennes à l’époque où il a rempli incorrectement les déclarations.

 

[7]               Le 23 avril 2010, le juge-arbitre a rejeté l’appel (CUB 73386A). Il a expliqué que sans l’avis d’un médecin indiquant précisément que le défendeur était dans un état d’esprit tel qu’il ne pouvait déclarer son travail et sa rémunération de manière appropriée, il était raisonnable de conclure que le défendeur savait que ses déclarations étaient fausses. Le juge-arbitre a conclu que le conseil n’avait pas commis d’erreur de fait ou de droit susceptible d’être contrôlée, mais il a incité la Commission à collaborer avec le défendeur pour établir un calendrier de remboursement afin d’éviter les difficultés excessives.

 

[8]               Le 16 septembre 2010, le défendeur a envoyé une lettre au juge-arbitre demandant le réexamen de sa dernière décision au motif qu’il avait des faits nouveaux à présenter. Il a répété que sa dépression et sa consommation d’alcool en 2005 et 2006 l’avaient rendu incapable de remplir correctement sa demande de prestations d’assurance-emploi. La lettre était accompagnée d’une lettre de son médecin, P.G. Methven MD, datée du 21 juillet 2010 et indiquant ce qui suit (dossier du demandeur, p. 37) :

 

[traduction] J’ai soigné ce patient pendant les 20 dernières années et je le connais très bien. M. Hines a souffert d’une dépression pendant de nombreuses années, et celle-ci était particulièrement grave en 2005 et 2006 [sic]. Sa capacité à travailler et à remplir des documents était grandement diminuée à cette époque en raison de la maladie.

 

 

DÉCISION DU JUGE-ARBITRE

[9]               Le juge-arbitre a d’abord rappelé que dans sa première décision, il avait rejeté l’appel du défendeur notamment en raison de l’absence d’un certificat médical indiquant que son état d’esprit ne lui permettait pas de déclarer son travail et sa rémunération de manière appropriée. Après avoir considéré la lettre du 16 septembre 2010 et l’avis médical fourni par le défendeur, le juge-arbitre a infirmé sa décision. Il a annulé la décision du conseil au motif que l’avis médical confirmait que le défendeur souffrait d’une dépression particulièrement grave qui avait sévèrement altéré sa capacité de travailler et de produire des documents en 2005 et 2006.

 

[10]           Le juge-arbitre a reconnu que l’état de santé du défendeur était un fait connu de ce dernier et qu’il avait été porté à l’attention du conseil à l’audience. Toutefois, le juge-arbitre a rejeté la prétention du demandeur selon laquelle l’avis médical ne constituait pas un fait nouveau au motif que le défendeur ne savait pas qu’il devait présenter un certificat médical pour étayer son recours. Le juge-arbitre a également conclu que la lettre du médecin confirmait l’assertion du défendeur [traduction] « selon laquelle son état de santé a altéré sa capacité de gérer ses affaires courantes et l’a amené à fournir des renseignements erronés » (motifs, p. 2).

 

[11]           Sur la base de ce renseignement additionnel, le juge-arbitre a réexaminé sa décision antérieure et a accueilli l’appel.

 

ERREUR ALLÉGUÉE

[12]           À l’appui de sa demande, le demandeur fait valoir inter alia que le juge-arbitre a appliqué le mauvais critère en décidant que des faits nouveaux lui ont été soumis sous la forme d’une lettre et d’un avis médical. Suivant l’application du critère juridique approprié, il est clair que des faits nouveaux n’ont pas été présentés au juge-arbitre.

 

ANALYSE ET DÉCISION

[13]           Le juge-arbitre n’avait pas compétence pour réexaminer sa décision initiale en l’absence de « faits nouveaux » au sens de l’article 120 de la Loi :

 

120. La Commission, un conseil arbitral ou le juge-arbitre peut annuler ou modifier toute décision relative à une demande particulière de prestations si on lui présente des faits nouveaux ou si, selon sa conviction, la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.

120. The Commission, a board of referees or the umpire may rescind or amend a decision given in any particular claim for benefit if new facts are presented or if it is satisfied that the decision was given without knowledge of, or was based on a mistake as to, some material fact.

 

 

[14]           Le critère pour déterminer si des « faits nouveaux » ont été présentés au sens de cette disposition est établi depuis longtemps. Il a été réaffirmé dans Canada (Procureur général) c. Chan, [1994] A.C.F. no 1916, où le juge Décary – se référant à la disposition qui a précédé à l’article 120, dont le libellé est essentiellement le même – a déclaré ce qui suit (paragraphe 10) :

 

[…] Les « faits nouveaux », aux fins du réexamen de la décision du juge-arbitre recherché conformément à l'article 86 de la Loi, sont des faits qui se sont produits après que la décision a été rendue ou qui ont eu lieu avant la décision mais n'auraient pu être découverts par une prestataire diligente et, dans les deux cas, les faits allégués doivent avoir décidé de la question soumise au juge-arbitre.

 

[Mon soulignement.]

 

 

[15]           Au moment de trancher la question de savoir si des faits nouveaux lui ont été présentés, le juge‑arbitre a reconnu que le demandeur était au courant de son état de santé à l’époque pertinente. Toutefois, comme le demandeur ne savait pas qu’il devait étayer sa demande en présentant un avis médical, le juge-arbitre a conclu que la lettre et l’avis médical constituaient des « faits nouveaux ». Le raisonnement est exposé à la page 2 de ses motifs :

 

[traduction] La Commission affirme que [l’état de santé du plaignant] ne constitue pas un fait nouveau en vertu de l’article 120 [de la Loi] parce que ce fait était connu du plaignant au moment de l’audience [devant la Commission]. Il est vrai que [le plaignant] a soulevé la question de son état de santé devant la Commission. Toutefois, le plaignant ne savait pas qu’il devait étayer sa demande en présentant un certificat médical. Il l’a fait en l’espèce et son médecin confirme ce que [le défendeur] a allégué depuis le début de l’affaire; à savoir que son état de santé le rendait incapable de gérer ses finances quotidiennes, que ce dernier l’a amené à fournir des renseignements erronés et qu’il n’a pas cherché à tromper sciemment la Commission.

 

[Mon soulignement.]

 

[16]           En toute déférence, j’estime que le juge-arbitre a appliqué le mauvais critère en décidant que la lettre et l’avis médical confirmant l’état de santé du demandeur constituaient des « faits nouveaux ». Le critère ne consiste pas à se demander si le demandeur savait qu’il était nécessaire de fournir un avis médical, mais plutôt si le demandeur aurait pu produire cette preuve s’il avait fait preuve de diligence.

 

[17]           L’application correcte du critère montre clairement que l’état de santé du demandeur était connu à l’époque pertinente et que l’opinion d’un médecin confirmant l’état de santé du demandeur aurait pu être obtenue si elle avait été demandée. Il s’ensuit que la lettre et l’avis médical ne peuvent être considérés comme des « faits nouveaux ».

 

[18]           En l’absence de faits nouveaux, il n’était pas loisible au juge-arbitre de réexaminer sa décision antérieure. J’accueillerais la demande de contrôle judiciaire et j’annulerais donc la décision du 17 décembre 2010, rétablissant ainsi la décision initiale du juge-arbitre (CUB 73386A).

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

          K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

          David Stratas, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent

 


Cour d’appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                                                             A-43-11

 

APPEL D’UNE DÉCISION DU JUGE-ARBITRE EN CHEF DESIGNÉ MICHEL BEAUDRY DATÉE DU 17 DÉCEMBRE 2010, NO CUB 73386B.

 

INTITULÉ :                                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. CURTIS HINES

 

LIEU DE L’AUDIANCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                    Le 13 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LA JUGE SHARLOW

                                                                                                LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 15 septembre 2011

                                                                                                 Modifiés le 16 septembre 2011

 

Comparutions :

 

Linda Lafond

POUR LE DEMANDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

s.o.

POUR LE DÉFENDEUR

(pour son propre compte)

 

 

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