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Cour d’appel fédérale

Canada

Federal Court of Appeal

Date : 20110922

Dossier : A-388-10

Référence : 2011 CAF 256

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER                    

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

TBT Personnel Services Inc.

appelante

et

Sa Majesté la Reine

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 7 septembre 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                           LE JUGE STRATAS

 


Cour d’appel fédérale

Canada

Federal Court of Appeal

Date : 20110922

Dossier : A-388-10

Référence : 2011 CAF 256

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER                    

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

TBT Personnel Services Inc.

appelante

et

Sa Majesté la Reine

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               En 2005, le ministre du Revenu national a décidé que 96 chauffeurs de camion embauchés par l’appelante, TBT Personnel Services Inc., en 2002, en 2003 et en 2004 étaient des employés de celle-ci pendant cette période. Se fondant sur cette décision, le ministre a évalué les montants des cotisations payables par TBT à l’égard des 96 camionneurs en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (L.C. 1996, ch. 23) et du Régime de pensions du Canada (L.R.C. 1985, ch. C-8).

 

[2]               TBT a demandé une révision des évaluations, lesquelles ont été confirmées. TBT a ensuite interjeté appel des évaluations à la Cour canadienne de l’impôt. Pour les motifs énoncés dans TBT Personnel Services Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national - M.N.R.) 2010 CCI 360, le juge a conclu que pendant la période visée, 53 des 96 camionneurs étaient des employés de TBT, mais que les 43 autres ne l’étaient pas, et il a ordonné que les évaluations soient modifiées en conséquence.

 

[3]               TBT a interjeté appel du jugement à l’égard des 53 camionneurs par lequel la cour a conclu qu’ils étaient des employés de la société, alors que la Couronne a interjeté un appel incident du jugement à l’égard des 43 camionneurs portant qu’ils n’étaient pas des employés de TBT. Lors de l’audience relative à l’appel incident, la Couronne a concédé que le juge avait eu raison de statuer que quatre de ces 43 camionneurs n’étaient pas des employés de TBT.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel de TBT à l’égard des 53 camionneurs reconnus comme étant des employés, et j’accueillerais l’appel incident de la Couronne à l’égard des 43 autres camionneurs, à l’exception des quatre à l’égard desquels la Couronne a concédé qu’ils n’étaient pas des employés de TBT.

 

Les dispositions législatives

[5]               TBT doit verser les cotisations établies en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada à l’égard des camionneurs qui sont ses employés. Les définitions qui suivent permettent de savoir si TBT doit se conformer à cette obligation en l’espèce : (non souligné dans l’original) :

Loi sur l’assurance-emploi

Employment Insurance Act

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

5. (1) Subject to subsection (2), insurable employment is

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

(a) employment in Canada by one or more employers, under any express or implied contract of service or apprenticeship, written or oral, whether the earnings of the employed person are received from the employer or some other person and whether the earnings are calculated by time or by the piece, or partly by time and partly by the piece, or otherwise;

Régime de pensions du Canada

Canada Pension Plan

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2. (1) In this Act,

 […]

« emploi » L’accomplissement de services aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage, exprès ou tacite, y compris la période d’occupation d’une fonction.

“employment” means the performance of services under an express or implied contract of service or apprenticeship, and includes the tenure of an office.

 

 

 

[6]               Dans les provinces de common law au Canada, l’expression « contrat de louage de services » décrit la relation entre un employeur et ses employés, alors que l’expression « contrat d’entreprise » est utilisée pour décrire la relation qui s’établit lorsqu’une personne embauche un travailleur autonome ou un entrepreneur indépendant pour l’exécution de services. (Les termes correspondants dans le Code civil du Québec, L.R.Q. 1991, ch. 64, sont « contrat de travail » et « contrat d’entreprise »; voir les articles 2085 et 2098).

 

[7]               Il ne semble pas être contesté en l’espèce que la relation juridique entre TBT et ses camionneurs est régie par les lois de l’Ontario et, par conséquent, la common law.

 

L’analyse exposée dans l’arrêt Wiebe Door

[8]               L’arrêt qui fait autorité en ce qui concerne les principes pour établir une distinction entre un contrat de louage de services et un contrat d’entreprise est Wiebe Door Services Ltd. c. M.N.R. [1986] 3 C.F. 553 (C.A.). Le juge Major, rédigeant l’arrêt de la Cour suprême du Canada, a approuvé Wiebe Door dans l’arrêt 67112 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983. Il a résumé, aux paragraphes 47 et 48, les principes pertinents comme suit :

47. […] La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

48. Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

 

 

[9]               Dans les arrêts Wolf c. Canada, 2002 CAF 96, [2002] 4 C.F. 396 (C.A.), et Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu national - M.N.R.) 2006 CAF 87, [2007] 1 R.C.F. 35, la Cour a ajouté que lorsqu’il est établi que les parties avaient l’intention commune d’établir une relation juridique entre elles, il est nécessaire de tenir compte de cette preuve, mais il est également nécessaire d’examiner les facteurs exposés dans Wiebe Door afin de déterminer si les faits concordent avec l’intention déclarée des parties.

 

L’application des principes pertinents

[10]           En l’espèce, la question fondamentale qui se pose à l’égard de chaque camionneur est la suivante : TBT a-t-elle engagé le camionneur en tant que personne travaillant à son compte? Dans l’affirmative, TBT a droit à une ordonnance annulant les évaluations. Dans la négative, les évaluations doivent être maintenues.

 

[11]           TBT a présenté une preuve documentaire, le témoignage de M. Tony Santos, propriétaire et exploitant de TBT, et ceux de deux camionneurs, MM. David Howson et Perry Lamers, embauchés par l’entreprise conformément à des ententes écrites. La Couronne a présenté le témoignage d’un autre chauffeur de camion engagé par TBT, M. Brian Boddington.

 

[12]           Le juge n’a fait aucune remarque défavorable en qui concerne la crédibilité des témoins. Pour cette raison, j’ai tenu pour acquis que chacun d’entre eux avait honnêtement exposé sa compréhension des faits.

 

[13]           La preuve présentée par TBT visait à convaincre le juge que les 96 chauffeurs de camion avaient tous été embauchés par TBT aux mêmes conditions. Le juge n’a pas tiré cette conclusion et, à mon avis, il ne pouvait raisonnablement le faire compte tenu de la preuve présentée. TBT et 43 des 96 camionneurs ont conclu des ententes écrites, mais aucune preuve ne permettait de déterminer si l’un quelconque des 53 autres camionneurs avait accepté les mêmes conditions. Monsieur Santos a témoigné qu’il (et donc TBT) estimait que tous les camionneurs étaient des travailleurs autonomes. Messieurs Howson et Lamers ont témoigné qu’ils n’avaient pas l’intention, au départ, de fournir leurs services à titre d’employés de TBT. Toutefois, M. Boddington, qui a été engagé par TBT en tant que camionneur et qui n’a pas signé d’entente, a témoigné qu’il estimait être un employé de TBT.

 

 

[14]           La nature de la preuve a amené le juge à classer les camionneurs en deux catégories. La première comptait les 43 camionneurs qui avaient signé une entente avec TBT. La deuxième se composait des 53 camionneurs pour lesquels aucune entente écrite avec TBT n’a été fournie. Le juge a examiné les deux catégories séparément. Je ne vois aucune erreur dans cette approche et je ferai de même.

 

Les 43 camionneurs qui ont signé une entente avec TBT

[15]           Le juge a conclu que les 43 camionneurs qui avaient signé une entente avec TBT n’étaient pas des employés de TBT. Cette partie de son jugement est contestée dans l’appel incident de la Couronne.

 

[16]           La preuve relative à ces 43 camionneurs a été fournie principalement par le témoignage de M. Santos, qui a expliqué la façon dont les camionneurs avaient été engagés, et les circonstances dans lesquelles les ententes ont été signées. Les ententes sont identiques, à l’exception du nom des parties. Messieurs Howson et Lamers faisaient partie de cette catégorie et ils ont expliqué leur propre situation dans le cadre de leurs témoignages. (Le témoignage de M. Boddington ne traite que de sa situation personnelle, et comme il n’était pas l’un des camionneurs qui ont signé une entente, son témoignage est inutile pour déterminer les faits relatifs aux chauffeurs de camion qui ont signé une entente.)

 

[17]           Au cours de la période visée, TBT a embauché des camionneurs afin qu’ils fournissent des services à son client Locomote Systems Inc., une entreprise dont les activités comprennent le transport de produits de l’acier. Locomote payait un prix en fonction du kilométrage, et TBT payait aux camionneurs des honoraires en fonction du même kilométrage, mais à un taux inférieur. Les camionneurs n’ont pas négocié leurs taux de rémunération. Le dossier n’indique pas les modalités des ententes entre Locomote et ses clients.

 

[18]           Locomote est une société contrôllée et exploitée par l’épouse de M. Santos. Au cours de la période pertinente, Locomote a loué des camions d’une société liée, Centinel Equipment Leasing Inc., et elle a fourni les camions loués aux camionneurs engagés par TBT.

 

[19]           On compte parmi les clients de Locomote des aciéries comme Dofasco Inc. de Hamilton en Ontario. Généralement, les aciéries demandent que Locomote transporte leurs produits de l’acier à certaines usines au Québec et en Ontario. Ce transport requiert des camions spécialement équipés et des camionneurs ayant des connaissances spécialisées, de l’expérience pertinente et des compétences particulières, ainsi que les permis et les titres de compétence requis.

 

[20]           Les camions que Locomote a fournis aux chauffeurs de TBT étaient équipés des éléments requis pour sécuriser les chargements, comme des bâches, des chaînes et des ligatures. La preuve révèle que certains camionneurs ‑ et non l’ensemble ‑ ont fourni ce type d’équipement, bien qu’ils n’étaient pas tenus de le faire en vertu de l’entente. Aucun camionneur n’a fourni son propre camion. Les chauffeurs de camion n’ont pas assumé les coûts d’exploitation des camions (dont l’essence, les assurances et l’entretien). Toutefois, les camionneurs étaient responsables des dommages causés aux véhicules ou à l’équipement en raison de leur négligence (à l’exception des dommages couverts par la police d’assurance de Locomote ou de Centinel). Les camionneurs étaient également tenus de payer les contraventions ou amendes dont ils étaient responsables.

 

[21]           Monsieur Santos a indiqué dans son témoignage que TBT ne supervisait pas le travail des camionneurs. Les témoignages de MM. Howson et Lamers allaient dans le même sens. En fait, rien dans la preuve n’indique que les camionneurs étaient supervisés. Toutefois, la preuve établit que les camionneurs étaient des chauffeurs professionnels hautement qualifiés et expérimentés, ce qui laisse croire qu’ils auraient nécessité peu de supervision hormis les directives imposées pour obtenir leurs affectations (lesquelles, je suppose, étaient données, au départ, par TBT) et pour répondre aux exigences de Locomote et de ses clients.

 

[22]           Locomote et son répartiteur géraient les affectations des camionneurs. Les camionneurs devaient communiquer avec le répartiteur lorsqu’ils étaient libres pour travailler. Ils étaient alors affectés au transport d’un chargement particulier à partir d’une aciérie cliente de Locomote jusqu’à une autre aciérie, cliente de la première, au Québec ou en Ontario. Les camionneurs indiquaient les jours où ils étaient libres pour travailler et ils pouvaient prendre des jours de congé à leur gré. Ces éléments concordent avec le témoignage de M. Santos selon lequel les camionneurs sont très recherchés en raison de leurs compétences particulières.

 

[23]           Dofasco menait périodiquement des « vérifications de conformité » pour s’assurer que les titres de compétence et pratiques des camionneurs fournis par Locomote étaient conformes à une certaine norme. Il n’a pas été allégué que ces vérifications étaient assimilées à la supervision des camionneurs. Il n’est pas clair si d’autres clients de Locomote menaient également ce type de vérification. Le dossier ne révèle pas l’objectif visé par les vérifications de conformité menées par Dofasco, mais il me semble raisonnable d’inférer que Dosfasco avait des raisons d’affaires légitimes de s’assurer de la compétence des camionneurs responsables de transporter ses produits.

 

[24]           Le seul document inscrit au dossier qui fournit la preuve que Dofasco menait des vérifications de conformité indique que Dofasco exigeait ce qui suit :

 

a.       Le manuel de santé et sécurité de l’entrepreneur de Dofasco doit être accessible et à jour;

b.      le camionneur doit se conformer aux règles de sécurité et aux lignes directrices de l’entreprise;

c.       le camionneur doit disposer de l’équipement de protection individuelle et des vêtements de travail nécessaires;

d.      le camionneur doit se conformer au code de la sécurité routière et aux lignes directrices de l’entreprise;

e.       le camionneur doit se conformer aux règles et aux lignes directrices propres à chaque site;

f.        le camionneur doit répondre aux exigences relatives à l’aptitude au travail;

g.       le camionneur doit employer les signaux normalisés relatifs aux grues de Dofasco;

h.       le camionneur doit se conformer aux règles de sécurité propres à chaque site;

i.         le camionneur doit se positionner correctement lorsque le camion est chargé;

j.        la remorque doit être équipée d’un avertisseur sonore de remplacement fonctionnel;

k.      le camionneur doit sécuriser le système de bâches installé sur le chargement.

 

[25]           Le document relatif à la vérification de conformité indique que le fait pour un camionneur de ne pas obtenir un résultat de 100 % dans le cadre de cette évaluation entraîne une note écrite de non-conformité. Une deuxième note de non-conformité en moins d’un an se traduit par une note « finale » de non-conformité. Une troisième note de non-conformité [traduction] « compromettrait les futures occasions d’affaires avec Dofasco Inc. ». J’en conclus qu’il s’agissait d’un avertissement indiquant à Locomote que son contrat avec Dofasco pouvait être résilié si les vérifications de conformité démontraient qu’à trois reprises en moins d’un an, des problèmes relatifs aux titres de compétence ou aux pratiques d’un ou plusieurs camionneurs engagés par Locomote étaient survenus. J’en déduis que toute perte d’occasion d’affaires subie par Locomote aurait des effets néfastes sur TBT, et pourrait mettre fin au travail du camionneur ayant reçu la note de non-conformité.

 

[26]           Monsieur Santos a embauché les chauffeurs de camion pour TBT. Pour ce faire, il a employé une liste de vérification intitulée [traduction] « Dossier des compétences des camionneurs — procédure à suivre pour l’embauche ». La plupart des points sur la liste de vérification semblent se rattacher d’une certaine façon aux titres de compétence, à l’expérience et au dossier de conduite du camionneur.

 

[27]           Un des points sur la liste de vérification est intitulé [traduction] « Société ». Lors de son témoignage, M. Santos a donné les explications suivantes en ce qui concerne ce point (transcription, page 30:17 à 31:25) :

 

[traduction]

R.

… « Société » signifie le nom de la société qu’ils devaient me donner afin que je puisse les payer.

Q.

Revenons simplement à « société ». Pourquoi ce titre apparaît-il sur le questionnaire d’entrevue?

R.

Quand on veut avoir ce genre de camionneurs dans l’industrie de l’acier ‑ ils vivent une vie difficile et aiment prendre beaucoup de jours de congé ‑, on leur fait signer une entente valide pour un an et on les fait travailler, mais ils prennent beaucoup de jours de congé. Nous les embauchons par l’entremise de leur société afin qu’ils puissent faire ce qu’ils veulent. S’ils veulent travailler pendant une semaine, ils peuvent. S’ils ne veulent pas travailler, ils n’ont pas à le faire. Nous les embauchons par l’entremise d’une société de sorte que nous pouvons les envoyer à plusieurs endroits différents.

Q.

Que se passe-t-il s’ils ne sont pas constitués en société? Les embauchez-vous quand même?

R.

Oui.

Q.

Comment les traitez-vous?

R.

Je les traite comme s’ils étaient des travailleurs autonomes. Je leur fais signer un contrat.

Q.

Avez-vous déjà embauché quelqu’un sans qu’il ne signe de contrat, ou quelqu’un qui, pour une raison ou pour une autre, ne signe pas de contrat?

R.

Oui.

Q.

Pourquoi?

R.

Parce qu’il y a une telle pénurie de ce genre de travailleurs dans l’industrie de l’acier que parfois certains d’entre eux viennent à vous et vous disent : « C’est correct, Tony. Paie-moi à titre de sous-traitant. Paie-moi le montant brut, je ferai mes impôts. »

Q.

C’est ce qu’ils vous disent?

R.

C’est ce qu’ils me disent, et ils signent un contrat. Parfois, ils ne signent pas.

 

[28]           Monsieur Santos n’a été pas été contre-interrogé sur cette partie de son témoignage. Le juge semble avoir jugé qu’elle constituait l’expression exacte de la compréhension qu’avait M. Santos du processus d’embauche, et de sa préférence que TBT conclue une entente écrite avec une société détenue par un camionneur (parfois désignée comme « chauffeur constitué en société »), plutôt qu’avec simplement le camionneur. Monsieur Santos a également témoigné que si un chauffeur n’était pas constitué en société, il faisait néanmoins en sorte que TBT signe une entente écrite avec le camionneur, personnellement, et qu’elle embauche également un chauffeur qui n’a pas signé d’entente.

 

[29]           L’entente signée par 43 des 96 camionneurs contient la clause suivante :

[traduction]
L’entrepreneur déclare vouloir par les présentes agir à titre d’entrepreneur indépendant, être pleinement qualifié et posséder le matériel adéquat pour exercer pareille activité. L’entrepreneur s’engage à assurer les services de transport et services complémentaires, notamment le chargement et le déchargement, selon les exigences des clients de la société. Les parties conviennent que la relation qui existe entre elles découle d’un contrat d’entreprise.

 

La « société » s’entend de TBT. L’« entrepreneur », dans le cas d’un conducteur qui est un « chauffeur constitué en société », est la société du camionneur, sinon c’est le camionneur.

 

[30]           La Couronne a admis dans sa plaidoirie devant la Cour canadienne de l’impôt que les « chauffeurs constitués en société » n’étaient pas embauchés par TBT en vertu d’un contrat de louage de services. Je suppose que l’admission découlait du fait que, dans le cas d’un chauffeur constitué en société, la société s’engageait à fournir les services de transport par l’entremise du camionneur désigné et le camionneur veillait à « garantir » l’exécution des obligations de la société. Les évaluations visées par l’appel touchent les 96 camionneurs dont le ministre croyait, au moment de l’évaluation, qu’ils n’étaient pas des « chauffeurs constitués en société ».

 

[31]           Au paragraphe 49 des motifs de l’ordonnance, le juge semble avoir considéré que les camionneurs signataires de l’une des 43 ententes inscrites au dossier étaient des « chauffeurs constitués en société ». Sur ce fondement, et compte tenu de l’admission dans la plaidoirie de la Couronne, le juge a conclu que l’appel de TBT devait être accueilli à l’égard de ces 43 camionneurs.

 

[32]           Cette conclusion est fondée sur une appréciation erronée des faits et ne saurait tenir. Parmi les 43 camionneurs ayant signé une entente avec TBT, seulement deux étaient des « chauffeurs constitués en société » : M. Justin Nurse (1507978 Ontario Inc.) et M. W. Wood (2041435 Ontario Inc.). Devant la Cour, la Couronne a reconnu que son appel incident devrait être rejeté à l’égard de ces deux chauffeurs. Elle a également reconnu que son appel incident devrait être rejeté à l’égard de MM. Howson et Lamers, lesquels ont déclaré dans leurs témoignages qu’ils travaillaient à leur compte. Ces admissions réduisent à 39 le nombre de camionneurs faisant l'objet de l'appel incident de la Couronne.

 

[33]           En raison de l'approche que le juge a adoptée à l'égard des 43 chauffeurs (maintenant 39) ayant signé des ententes, il n'a pas examiné les critères juridiques applicables pour déterminer s'ils étaient des employés de TBT. La Cour pourrait exiger la tenue d’une nouvelle audience devant la Cour canadienne de l'impôt ou exiger qu’elle tranche l’affaire à nouveau, sur dossier. À mon avis, cette dernière solution est celle qui convient le mieux dans les circonstances.

 

[34]           L'entente signée par les 39 camionneurs contenait une clause dans laquelle le chauffeur déclarait être un entrepreneur autonome et une autre dans laquelle il déclarait comprendre qu'il ne devenait pas un employé de la société. Ces clauses tendent à indiquer que les deux parties voulaient que le chauffeur soit engagé à titre de personne travaillant à son compte.

 

[35]           De telles clauses d'intention sont pertinentes, mais elles ne sont pas déterminantes. Les facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door doivent également être examinés afin de déterminer si l'intention des parties contractantes qui semble découler des clauses d'intention se concilie avec les autres modalités du contrat et avec la relation contractuelle qui existait véritablement entre les parties. Mon analyse des facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door est la suivante :

A. Le degré de contrôle que TBT exerçait sur les activités des travailleurs. Comme il est indiqué ci-dessus, TBT ne supervisait pas directement le travail des camionneurs. À mon avis, ce facteur est neutre dans les circonstances de l’espèce. Qu'ils aient été des employés ou des travailleurs autonomes, les chauffeurs étaient des professionnels hautement qualifiés qui nécessitaient probablement peu de supervision.

B. Les camionneurs fournissaient-ils leur propre équipement? Selon les ententes écrites, les chauffeurs n'étaient pas tenus de fournir leur propre camion ou d'assumer le coût de l'utilisation du camion. Ils n'étaient pas non plus tenus de fournir leurs propres outils ou leur propre équipement. Ce facteur appuie la conclusion selon laquelle les camionneurs étaient des employés.

C. Les camionneurs embauchaient-ils des assistants? Selon les ententes écrites, les camionneurs avaient le droit de remplacer un autre chauffeur à leurs propres frais sous réserve de certaines conditions. Cet élément indique logiquement que les camionneurs seraient des travailleurs autonomes. Toutefois, rien dans la preuve n’indique qu'un chauffeur a déjà exercé ce droit, ce qui signifie que ce facteur devrait se voir accorder peu d’importance.

D. L’étendue du risque financier assumé par les camionneurs. Les camionneurs n'ont assumé aucun risque financier à l’égard des mises de fonds pour l’obtention de camions ou d'équipement ou à l’égard des coûts liés à l'utilisation ou l'assurance des camions. Le seul risque financier qu'ils devaient assumer était lié à l'obligation contractuelle de payer les amendes encourues à la suite d'une infraction au code de la sécurité routière et les dommages causés au camion ou à l'équipement en raison de leur propre négligence (à l'exception des pertes assurées). Il n'est pas inhabituel que des employés soient tenus de payer leurs propres amendes pour conduite illégale. Il est moins habituel, mais il n’est toutefois pas rare, que les employés soient tenus de payer les dommages aux biens causés par leur propre négligence. Toutefois, ces éléments de risque financier sont relativement limités si on les compare à ce qui constitue l’aspect financier le plus important du travail du camionneur, à savoir le coût du camion et de son utilisation. Suivant la prépondérance de la preuve, je conclus que les faits relatifs au risque financier révèlent que les chauffeurs étaient des employés plutôt que des travailleurs autonomes.

E. Jusqu’à quel point les camionneurs étaient-ils responsables des mises de fonds et de la gestion? Ni la responsabilité des mises de fonds nécessaires à l’exécution des obligations contractuelles que les camionneurs avaient envers TBT ni une gestion de leur travail qui serait plus importante que celle normalement exigée d'un employé n’incombaient aux camionneurs. Ils obtenaient leur affectation du répartiteur, chargeaient le camion, transportaient le chargement et déchargeaient le camion à destination. Même les factures relatives à leur travail étaient préparées par TBT. Ce facteur appuie la conclusion selon laquelle les chauffeurs étaient des employés.

F. La possibilité de profit. Les chauffeurs ne négociaient pas leurs taux de rémunération. Ils auraient pu gagner davantage en accomplissant un nombre supérieur d’affectations et en évitant les amendes et les dommages. Comme le coût d'utilisation des camions était assumé par Locomote, les chauffeurs ne pouvaient s'attendre à tirer des avantages financiers en les utilisant de manière plus efficace. Ce facteur appuie la conclusion selon laquelle les chauffeurs étaient des employés.

 

[36]           Suivant la prépondérance de la preuve, les facteurs de Wiebe Door privilégient la conclusion selon laquelle les chauffeurs ayant signé une entente avec TBT étaient des employés, ce qui contredit manifestement les clauses d'intention prévues dans ces ententes. Paraphrasant les propos du juge Major dans Sagaz, je conclus que les camionneurs ayant signé une entente ne fournissaient pas les services, pour lesquels ils avaient été engagés, en tant que personnes travaillant à leur compte (à l'exception de MM. Nurse, Wood, Howson et Lamers comme l’a reconnu la Couronne).

 

[37]           En conséquence, je rejetterais l'appel incident de la Couronne en ce qui concerne MM. Nurse, Wood, Howson et Lamers et l'accueillerais en ce qui concerne les 39 autres camionneurs ayant signé une entente avec TBT.

 

Les 53 camionneurs pour lesquels il n'y avait aucune preuve d'entente écrite avec TBT

[38]           Quant aux 53 camionneurs pour lesquels il n'y avait aucune preuve d'entente écrite avec TBT, le juge n'a dit que ceci au paragraphe 50 de ses motifs :

Je ne suis pas prêt à reconnaître que les 53 autres travailleurs (à part M. Howson) sont des entrepreneurs indépendants.

 

 

Son observation comporte une erreur de fait. Monsieur Howson était l'un des chauffeurs qui avaient signé une entente avec TBT; il n'aurait pas dû être désigné comme l'un des chauffeurs n'en ayant pas signé.

 

[39]           Abstraction faite de cette erreur, je comprends, selon mon interprétation du paragraphe 50 des motifs du juge, que ce dernier n'était pas convaincu que les 53 chauffeurs à l’égard desquels il n'y avait aucune preuve d'entente écrite étaient des travailleurs autonomes. À mon avis, le juge pouvait raisonnablement tirer cette conclusion compte tenu de la preuve.

 

[40]           Monsieur Santos a témoigné de manière générale au sujet des activités de TBT, de l'embauche des camionneurs et des modalités de travail, mais il n'a donné aucune précision concernant les modalités contractuelles et les conditions de travail des 53 chauffeurs n'ayant pas signé d'entente.

 

[41]           Je conclus que le juge n'a commis aucune erreur de droit ni aucune erreur de fait manifeste et dominante en rejetant l'appel de TBT, dans la mesure où l’appel concernait les 53 chauffeurs pour lesquels il n'y avait aucune preuve d'entente écrite. Les évaluations doivent donc être maintenues à l’égard de ces 53 chauffeurs, et pour ce motif je rejetterais l'appel de TBT.

 

 

Conclusion

[42]           Pour ces motifs, je rejetterais l'appel de TBT et accueillerais l'appel incident du ministre en ce qui concerne tous les chauffeurs ayant signé une entente avec TBT, à l'exception de MM. Nurse, Wood, Howson et Lamers. J'annulerais le jugement de la Cour de l'impôt et, rendant le jugement qui aurait dû être prononcé, je rejetterais l'appel de TBT à l’égard des évaluations du 17 août 2005 établies en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada, à l'exception de MM. Nurse, Wood, Howson et Lamers.

 

[43]           Comme la Couronne a essentiellement eu gain de cause dans le cadre de l’appel et de l’appel incident, je lui adjugerais les dépens devant la Cour.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

David Stratas, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-388-10

 

INTITULÉ :                                                                           TBT PERSONNEL SERVICES INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 7 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE PELLETIER

                                                                                                LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 22 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

David W. Chodikoff

Tarsem Basraon

 

POUR L’APPELANTE

 

Marie-Thérèse Boris

Rita Araujo

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Miller Thomson

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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