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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 

Date : 20110927

Dossier : A-61-11

Référence : 2011 CAF 268

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

SARAH TROCHIMCHUK

défenderesse

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 19 septembre 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                    LA JUGE Layden-Stevenson

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LA JUGE SHARLOW

LE JUGE STRATAS

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110927

Dossier : A-61-11

Référence : 2011 CAF 268

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON            

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

SARAH TROCHIMCHUK

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]        Le procureur général du Canada (la Couronne) demande le contrôle judiciaire du rejet par le juge-arbitre Landry (CUB 76124) de l’appel qu’il avait formé à l’encontre d’une décision du conseil arbitral (le conseil). Le juge‑arbitre a conclu que le paragraphe 30(5) de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi) n’empêchait pas, en cas d’abandon volontaire d’un premier emploi, la comptabilisation au titre du bénéfice de prestations d’assurance‑emploi des heures d’emploi accumulées dans l’exercice d’un deuxième emploi. La défenderesse n’a pas déposé d’argumentation écrite et elle n’était pas présente à l’audience tenue par la Cour. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais la demande.

 

Contexte

[2]        La demanderesse a travaillé pour International Clothiers Inc. (le premier emploi) du 16 janvier au 10 mai 2009. Elle a quitté le premier emploi afin de poursuivre ses études. Il est de jurisprudence constante que l’abandon d’emploi afin d’étudier ne constitue pas une justification au sens de la Loi : Canada (P.G.) c. Mancheron, 2001 CAF 174, 109 A.C.W.S. (3d) 558. Le 28 juin 2009, elle s’est trouvée du travail chez Air Ivanhoe Ltd. (Ivanhoe). Elle a été mise à pied le 19 septembre suivant. Lorsqu’elle a quitté le premier emploi, elle travaillait également pour Stinson Theatres Limited (le deuxième emploi). Bien qu’elle ait aussi quitté volontairement cet emploi, la Commission de l’assurance‑emploi (la Commission) a conclu à l’existence d’une justification.

 

[3]        La défenderesse a soumis une demande de prestations le 25 septembre 2009. La Commission a établi que, pour recevoir des prestations, la défenderesse devait avoir accumulé 455 heures d’emploi assurable. En se fondant sur son interprétation du par. 30(5) de la Loi, elle n’a tenu compte que des heures accumulées après le 10 mars 2009 (la date de cessation du premier emploi). Autrement dit, la Commission a exclu les heures afférentes au deuxième emploi accumulées avant le 10 mai et, parce que les heures totales accumulées n’étaient que de 425 heures, elle a rejeté la demande de prestations. Il appert du dossier que si les heures afférentes au deuxième emploi accumulées avant le 10 mai avaient été prises en compte, la défenderesse aurait eu droit aux prestations.

 

Le conseil

[4]        En appel devant le conseil, la défenderesse a reconnu que les heures provenant du premier emploi ne pouvaient ouvrir droit à des prestations, mais elle a fait valoir que les heures accumulées avant le 10 mai dans l’exercice du deuxième emploi devaient être prises en compte. Le conseil s’est mépris sur l’argumentation présentée par la Commission à l’audience et a cru erronément que celle‑ci avait déclaré que l’abandon du premier emploi était justifié. Elle a donc, sur ce fondement, accueilli l’appel de la défenderesse. 

 

Le juge‑arbitre

[5]        La Couronne a interjeté appel de la décision du conseil. Le juge‑arbitre a estimé que le conseil avait mal compris la position de la Commission, qui était que la défenderesse avait justifié son départ volontaire du deuxième emploi mais n’avait pas fait cette démonstration pour le premier emploi. Le juge‑arbitre a toutefois conclu que la Loi et, plus particulièrement, le par. 30(5), n’empêchaient pas de prendre en compte les heures afférentes au deuxième emploi accumulées avant le 10 mai, bien qu’il ait reconnu ce qui suit : « [a]u vu du paragraphe 30(5), il semble que, peu importe les circonstances, quand une personne quitte volontairement un emploi sans justification, toutes les heures d’emploi assurable accumulées avant ce départ soient perdues à l’égard des futures demandes de prestations (motifs, p. 3).

 

[6]        Selon le juge‑arbitre, une telle interprétation mettait à risque toute personne qui occupe plus d’un emploi. Il a donc conclu qu’il n’était pas dans l’intention du législateur de pénaliser « les personnes qui jugent nécessaire d’occuper deux emplois quand ces personnes décident d’abandonner l’un de leurs deux emplois tout en continuant d’occuper l’autre » (motifs, p. 5). L’« interprétation appropriée » qu’il a proposée est la suivante :

[traduction] - quand une personne a un emploi et qu’elle le quitte sans justification, elle perd toutes les heures d’emploi assurable accumulées précédemment dans le cadre de cet emploi ou d’un emploi antérieur;

 

- quand une personne occupe deux emplois et qu’elle en quitte un tout en continuant à occuper le deuxième, elle perd les heures d’emploi assurable accumulées dans le cadre de l’emploi abandonné et de tout autre emploi antérieur, mais conserve les heures assurables accumulées dans le cadre de l’emploi qu’elle conserve (motifs, p. 5)

 

 

La norme de contrôle

[7]        L’interprétation d’une disposition législative est une question de droit. La norme de contrôle applicable à la décision d’un juge arbitre est la norme de la décision correcte pour les questions de droit et celle de la décision raisonnable pour l’application du droit aux faits : MacNeil c. Canada (Commission de l’assurance‑emploi), 2009 CAF 306, 396 N.R. 157; Mac c. Canada (P.G.), 2008 CAF 184, 380 N.R. 203; Canada (P.G.) c. Sveinson, 2001 CAF 315, [2002] 2 C.F. 205.

 

 

Les dispositions législatives

[8]        Les dispositions applicables de l’article 30 sont ainsi libellées :

Loi sur l’assurance-emploi L.C. 1996, ch. 23

 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le

 cas :

a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

 

[…]

 

30(5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.

 

Employment Insurance Act S.C. 1996, c. 23

 (1) A claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of their misconduct or voluntarily left any employment without just cause, unless

 

(a) the claimant has, since losing or leaving the employment, been employed in insurable employment for the number of hours required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits; or

(b) the claimant is disentitled under sections 31 to 33 in relation to the employment.

 

 

30(5) If a claimant who has lost or left an employment as described in subsection (1) makes an initial claim for benefits, the following hours may not be used to qualify under section 7 or 7.1 to receive benefits:

(a) hours of insurable employment from that or any other employment before the employment was lost or left; and

(b) hours of insurable employment in any employment that the claimant subsequently loses or leaves, as described in subsection (1).

 

 

Analyse

[9]        La démarche interprétative vise à dégager un sens qui soit en harmonie avec le texte, le contexte et l’objet de la disposition en cause. S’il est clair, le libellé, pris dans son contexte, prévaut; sinon, il cède le pas à l’interprétation qui convient le mieux à l’objet prédominant de la loi : Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3.

 

[10]      Comme il en a été fait mention, le juge‑arbitre a conclu que le texte de la disposition semble énoncer que « peu importe les circonstances, quand une personne quitte volontairement un emploi sans justification, toutes les heures d’emploi assurable accumulées avant ce départ [sont] perdues à l’égard des futures demandes de prestations » (motifs, p. 3)). C’est cette interprétation qu’il faut retenir selon la Couronne. Bien que le juge‑arbitre n’ait pas expressément cité Canada (Procureur général) c. Abrahams, [1983] 1 R.C.S. 2 (Abrahams), il semble avoir implicitement appliqué le principe établi dans cet arrêt, à savoir que la Loi ayant pour but général de procurer des prestations aux chômeurs, il faut lui donner une interprétation libérale et que tout doute résultant de l’ambiguïté du texte doit se résoudre en faveur du prestataire : Abrahams, p. 10. Néanmoins, lorsque l’intention du législateur peut être dégagée, c’est elle qui doit prévaloir.

 

[11]      La version anglaise du paragraphe 30(5) de la Loi n’est pas un modèle de rédaction législative. Par exemple, il n’énonce pas clairement si les alinéas 30(5)(a) et (b) doivent tous deux s’interpréter en conjonction avec le paragraphe 30(1) comme l’indique la première partie du paragraphe30(1) (5). Il n’est pas clair non plus si le mot « or », à l’alinéa (a), doit être interprété de façon conjonctive ou disjonctive, et si les mot « before the employment was lost or left », à l’alinéa (a), modifient « from that » ou « from any other employment », ou les deux membres de phrase. On peut donc dire que la disposition est ambiguë.

 

[12]      La Loi, cependant, est rédigée dans les deux langues officielles. Les versions française et anglaise des lois fédérales font pareillement autorité : Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, [2002] 3 R.C.S. 269, par. 54; Michel Bastarache, The Law of Bilingual Interpretation, 1re éd. (Markham: LexisNexis, 2008) p. 15. Comme la professeure Ruth Sullivan l’affirme dans son ouvrage, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (Markham: LexisNexis, 2008), les deux versions d’un texte de loi bilingue doivent exprimer la même règle de droit et doivent recevoir la même interprétation. Si les deux versions diffèrent, il faut abolir cette différence. La meilleure façon de concilier des versions divergentes est de dégager et retenir le sens qui peut être attribué aux deux versions de façon plausible (Sullivan, p. 100). Lorsque les deux versions n’ont pas la même portée, on retient le sens le plus restreint commun aux deux versions : R c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217, par. 29.

 

[13]      En l’occurrence, le texte français élimine toute ambiguïté pouvant se trouver dans le texte anglais. La version française énonce : [d]ans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire [from this employment or from all other employment that preceded the loss of this employment or the voluntary departure] et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.

 

[14]      La version française, interprétée conjointement avec le paragraphe 30(1), exprime clairement que lorsqu’une personne quitte volontairement un emploi sans justification, les heures d’emploi assurable accumulées dans tout emploi avant la date d’abandon sont exclues du calcul du nombre d’heures requises pour obtenir des prestations. Cette interprétation correspond à la position exposée par la Couronne et concorde avec les débats relatifs au projet de loi C‑12 consignés au Hansard : Débats de la Chambre des communes, vol. 134, no 044 (10 mai 1996), pages 2599-2602; Débats de la Chambre des communes, vol. 134, no 46 (14 mai 1996), page 2733. Étant donné la clarté de la version française, j’estime que le sens commun aux deux versions concorde avec l’intention du législateur.

 

[15]      Le sens du paragraphe 30(5), correctement interprété, est que les heures d’emploi assurable accumulées dans tout emploi avant le départ volontaire d’un emploi sont exclues du calcul des heures assurables pour les fins d’une demande de prestations.

 

[16]      Pour ces motifs, je conclus que le juge‑arbitre a commis une erreur dans l’interprétation du paragraphe 30(5) de la Loi. 

 

 

 

Décision

[17]      J’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision du juge‑arbitre et je renverrais l’affaire au juge‑arbitre en chef ou à son délégué pour qu’il procède à un nouvel examen en tenant pour acquis que le nombre d’heures d’emploi assurable accumulées par la défenderesse n’est pas suffisant pour lui permettre de recevoir des prestations d’assurance‑emploi. La Couronne n’ayant pas demandé de dépens, je n’en adjugerais pas.

 

           

« Carolyn Layden-Stevenson »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

 


Cour d’appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                                                            A-61-11

 

 

INTITULÉ :                                                                           PGC c. TROCHIMCHUK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 19 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE Layden-Stevenson

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LA JUGE SHARLOW
LE JUGE STRATAS

                                                                                               

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 27 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Derek Edwards

POUR LE DEMANDEUR

 

s/o

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général duCanada

 

POUR LE DEMANDEUR

s/o

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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