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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20111216

Dossiers : A-172-11

A-173-11

Référence : 2011 CAF 358

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

A-172-11

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

ELI LILLY CANADA INC.

intimée

 

 

A-173-11

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

NYCOMED CANADA INC. et

NYCOMED GmbH

intimées

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 décembre 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20111216

Dossiers : A-172-11

A-173-11

Référence : 2011 CAF 358

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

A-172-11

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

ELI LILLY CANADA INC.

intimée

 

 

A-173-11

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

NYCOMED CANADA INC. et

NYCOMED GmbH

intimées

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit de deux appels – entendus ensemble, mais non réunis – interjetés par Apotex Inc. (Apotex ou l’appelante) qui soulèvent la même question : les protonotaires Milczynski (A‑173‑11) et Tabib (A‑172‑11), dont les décisions ont été confirmées par la juge Heneghan de la Cour fédérale (la juge de la Cour fédérale) dans des décisions rendues le 18 avril 2011, ont‑elles eu raison de radier les paragraphes de la déclaration d’Apotex dans lesquels celle‑ci demandait que lui soient restitués des bénéfices, en plus de réclamer, dans d’autres paragraphes, des dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement sur les AC)?

 

[2]               Les motifs qui suivent s’appliquent aux deux appels. L’original des motifs sera versé au dossier A‑172‑11 et une copie sera placée à titre de motifs de jugement dans le dossier A‑173‑11.

 

[3]               Les paragraphes qui ont été radiés dans chaque cas sont presque identiques. Ils indiquent respectivement ce qui suit :

[traduction]

 

A-173-11

 

1. La demanderesse, Apotex Inc. (Apotex), demande :

 

[…]

 

(b) la restitution des recettes excédentaires réalisées par la défenderesse en raison des prix plus élevés qu’elle a exigés pour ses comprimés de 20 mg et de 40 mg de pantoprazole en raison du retard de délivrance à Apotex de son AC, tel qu’il est décrit à l’alinéa (a);

 

[…]

 

20. En outre, la défenderesse n’a pas eu à subir la concurrence d’Apotex pendant environ 12 mois en raison du retard de délivrance à Apotex de son AC pour les comprimés de 20 mg et de 40 mg de pantoprazole.

 

21. Apotex affirme que, pendant cette période de 12 mois, la défenderesse a généré des recettes qu’elle n’aurait pas réalisées autrement.

 

22. Apotex affirme que, en invoquant de manière illégitime le Règlement sur les brevets, la défenderesse jouira d’un avantage et ce, même si elle est contrainte de l’indemniser quant aux dommages qu’elle a subis à cause de son exclusion du marché. Cet avantage découle du prix exigé par la défenderesse pour ses comprimés de 20 mg et de 40 mg de pantoprazole qui était plus élevé que le prix qui aurait été facturé par Apotex pour ses comprimés de 20 mg et de 40 mg de pantoprazole.

 

23. Aucune raison de nature juridique ne justifie que la défenderesse conserve cet avantage, à savoir les recettes excédentaires générées par des ventes à un prix plus élevé que le prix qu’Apotex aurait exigé.

 

24. La défenderesse n’a donc aucun droit à ces recettes excédentaires.

 

25. Si cet enrichissement sans cause était permis, chaque breveté serait encouragé à utiliser le Règlement sur les brevets dans tous les cas afin de retarder injustement l’entrée de chaque produit générique sur le marché au détriment de son fabricant, sachant que les recettes qu’il réalisera excéderont les dommages‑intérêts qu’il devra verser pour le retard causé au fabricant du produit générique.

 

A-172-11

 

1. La demanderesse, Apotex Inc. (Apotex), demande :

 

[…]

 

(b) la restitution des recettes excédentaires réalisées par la défenderesse en raison des prix plus élevés qu’elle a exigés pour ses comprimés de raloxifène en raison du retard de délivrance à Apotex de son AC, tel qu’il est décrit à l’alinéa (a);

 

[…]

 

22. En outre, la défenderesse n’a pas eu à subir la concurrence d’Apotex pendant environ 36 mois en raison du retard de délivrance à Apotex de son AC pour les comprimés d’apo‑raloxifène.

 

23. Apotex affirme que, pendant cette période de 36 mois, la défenderesse a généré des recettes qu’elle n’aurait pas réalisées autrement.

 

24. Apotex affirme que, en invoquant de manière illégitime le Règlement sur les brevets, la défenderesse jouira d’un avantage même si elle est contrainte de l’indemniser quant aux dommages qu’elle a subis à cause de son exclusion du marché. Cet avantage découle du prix exigé par la défenderesse pour ses comprimés de raloxifène qui était plus élevé que le prix qui aurait été facturé par Apotex pour ses comprimés d’apo‑raloxifène.

 

25. Aucune raison de nature juridique ne justifie que la défenderesse conserve cet avantage, à savoir les recettes excédentaires générées par des ventes à un prix plus élevé que le prix qu’Apotex aurait exigé.

 

26. La défenderesse n’a donc aucun droit à ces recettes excédentaires.

 

27. Si cet enrichissement sans cause était permis, chaque breveté serait encouragé à utiliser le Règlement sur les brevets dans tous les cas afin de retarder injustement l’entrée de chaque produit générique sur le marché au détriment de son fabricant, sachant que les recettes qu’il réalisera excéderont les dommages‑intérêts qu’il devra verser pour le retard causé au fabricant du produit générique.

 

28. Apotex s’appuie sur le paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

 

[4]               Cette dernière prétention ne figurait pas dans la déclaration déposée initialement dans l’affaire A‑173‑11. La requête présentée par Apotex afin de l’ajouter à sa déclaration dans cette affaire a été instruite en même temps que la requête en radiation. La protonotaire Milczynski a accueilli la requête en radiation dans son intégralité et elle a rejeté la requête d’Apotex concernant le paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 (la Loi sur les Cours fédérales).

 

[5]               Dans l’affaire A-172-11, la protonotaire Tabib a ordonné également que les paragraphes reproduits ci‑dessus soient radiés dans leur intégralité, y compris le paragraphe 28 concernant le paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[6]               La juge de la Cour fédérale a rejeté les appels interjetés à l’encontre de ces décisions, pour des motifs différents prononcés le même jour.

 

[7]               Dans ses mémoires, l’appelante décrit fidèlement les décisions rendues par les protonotaires et par la juge de la Cour fédérale. Je prends la liberté de reproduire cette description (les renvois ont été omis) :

[traduction]

 

A-172-11

 

La décision de la protonotaire Tabib

 

10.       […] Le dispositif de la décision de la protonotaire Tabib aux fins qui nous intéressent se lit comme suit :

 

 

L’avocat d’Apotex prétend en outre que, même si aucun recours en cas d’enrichissement sans cause ne pouvait être exercé en raison de l’interprétation restrictive de l’article 8 du Règlement, il n’est toujours pas clair et évident qu’Apotex ne pourrait pas présenter une demande pour enrichissement sans cause contre Lilly en vertu d’une autre disposition que l’article 8. Je ne suis pas de cet avis. Ce qu’Apotex invoquerait alors est une cause d’action fondée entièrement sur un enrichissement sans cause découlant des procédures injustifiées intentées et poursuivies par Lilly en vertu du Règlement. La thèse d’Apotex comporte un vice fatal : une cause d’action entre des parties privées fondée sur un enrichissement sans cause ou un abus de procédure ne relève tout simplement pas de la compétence de la Cour. Exception faite du régime prévu par le Règlement, il n’existe pas de texte de loi fédéral qui crée une cause d’action fondée sur un enrichissement sans cause ou un abus de procédure entre des parties privées.

 

 

La décision de la juge Heneghan

 

11.       [La juge de la Cour fédérale] a rejeté l’appel interjeté par Apotex à l’encontre de l’ordonnance de la protonotaire Tabib, au motif que la loi ne lui conférait pas la compétence nécessaire pour accorder des redressements en equity dans cette affaire. Elle a conclu que la cause d’action découlait seulement de l’article 8 du Règlement et que, selon l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans […] Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc. (2009), 76 C.P.R. (4th) 1, autorisation de pourvoi refusée, [2009] C.S.C.R. no 347 (C.S.C.) [(Merck C.A.F.)], il était « clair et évident » que l’article 8 ne visait pas les cas d’enrichissement sans cause.

 

A-173-11

 

La décision de la protonotaire Milczynski

 

10.       […] Le dispositif [de la décision de la protonotaire Milczynski] se lit comme suit :

 

 

[…] Apotex a reconnu […] qu’elle ne peut plus présenter une demande pour enrichissement sans cause sous le régime du paragraphe 8(4) du Règlement. Apotex n’adopte pas une position différente […] mais elle demande l’autorisation de déposer une déclaration modifiée dans le but uniquement d’ajouter le paragraphe suivant à la fin :

 

26.          Apotex s’appuie sur le paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

 

[…]

 

Le problème pour Apotex vient du fait que l’ajout de cette prétention ne change pas la nature de sa demande. L’alinéa 1(b) de la déclaration parle toujours de restitution de bénéfices en vertu du Règlement sur les AC et de mesures découlant exclusivement de ce règlement. Au paragraphe 25, Apotex allègue que « [s]i [les bénéfices] n’étai[ent] pas restitué[s], chaque breveté […] dans tous les cas retarder[ait] injustement l’entrée de chaque produit générique sur le marché ». L’avocat d’Apotex a confirmé lors de l’audition de la requête qu’Apotex n’invoque pas et n’invoquera pas d’autres faits pertinents au soutien de sa demande de restitution de bénéfices fondée sur le fait que Nycomed s’est enrichie injustement. Apotex s’appuie exclusivement sur le fait que Nycomed a présenté une demande dans le but d’obtenir une ordonnance d’interdiction en vertu du Règlement et que cette mesure seule a causé la perte qu’elle a subie (le retard de délivrance de l’AC à Apotex) et qu’aucune raison de nature juridique ne justifie. Apotex a beau prétendre qu’elle appuie sa demande de redressement en equity sur l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales, sa demande de restitution est toujours associée au Règlement et aucun autre texte de loi ne lui permet de demander ce redressement.

 

À cet égard, la présente affaire est différente de la décision du juge Kelen dans Apotex Inc. c. AstraZeneca Canada Inc., 2009 CF 120. Dans cette affaire où Apotex avait présenté une demande en vertu de l’article 8, la Cour fédérale a accueilli une demande visant le ministre de la Santé, même si le paragraphe 8(6) du Règlement sur les AC prévoit clairement que ce dernier ne peut être tenu responsable des dommages‑intérêts au titre de l’article 8. Le juge Kelen a confirmé la décision de la protonotaire Aronovitch, laquelle avait conclu que la demande visant le ministre était fondée sur la négligence et non sur le Règlement.

 

Par conséquent, je suis convaincue qu’il est clair, évident et indubitable que la demande de restitution de bénéfices d’Apotex ne peut être accueillie dans sa forme originale ou telle qu’elle est formulée dans la déclaration modifiée. La demande est toujours associée au Règlement et aucun autre texte de loi ne permet à Apotex de demander le redressement […]

 

 

La décision de la juge Heneghan

 

11.       [La juge de la Cour fédérale] a rejeté l’appel interjeté par Apotex à l’encontre de l’ordonnance de la protonotaire Milczynski radiant sa demande pour enrichissement sans cause. Elle a décidé que la décision de cette Cour dans […] [Merck C.A.F.)], où la Cour a souscrit à l’interprétation donnée à l’article 8 par le juge de première instance dans cette affaire [Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2008 CF 1185 (Merck C.F.)], fait en sorte qu’il est « clair et évident que l’article 8 ne vise pas les cas d’enrichissement sans cause ou ne confère pas à la Cour la compétence nécessaire pour accorder la restitution de profits – un redressement en equity – par suite d’une demande fondée sur l’article 8 ».

 

12.       La juge Heneghan a aussi conclu que la protonotaire avait eu raison de refuser d’autoriser la modification, car Apotex [traduction] « essayait de faire valoir un enrichissement sans cause dans le contexte d’une demande fondée sur l’article 8 du Règlement, une cause d’action qui ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale ».

 

13.       Enfin, la juge saisie de la requête a conclu que, comme la loi ne lui conférait pas la compétence nécessaire pour accorder des redressements en equity dans cette affaire, Apotex ne pouvait pas présenter une demande pour enrichissement sans cause autrement qu’en s’appuyant sur l’article 8 du Règlement. Cette cause d’action découlait entièrement du Règlement, de sorte que la seule question en litige consistait à déterminer si l’article 8 permettait une demande pour enrichissement sans cause. Pour les motifs exposés précédemment, il était clair et évident que ce n’était pas le cas. 

 

 

POSITION DES PARTIES

[8]               Les motifs justifiant la radiation des actes de procédure ne sont pas exactement les mêmes dans A-173-11 et A-172-11, mais les arguments invoqués par Apotex au soutien des deux appels sont identiques.

 

[9]               Apotex reconnaît que l’article 8 du Règlement sur les AC ne lui donne pas droit à d’autres redressements que des dommages‑intérêts calculés conformément à cette disposition. Elle affirme cependant que l’enrichissement sans cause est une cause d’action différente, sans aucun lien avec l’article 8, et qu’elle a droit, à titre de redressement découlant de cette cause d’action indépendante, à la restitution des bénéfices réalisés par les intimées.

 

[10]           Apotex reconnaît que la décision de cette Cour dans Merck C.A.F., sur laquelle la juge de la Cour fédérale s’est fondée, a établi l’étendue des dommages‑intérêts qu’une seconde personne peut obtenir en vertu de l’article 8, mais elle affirme que cette décision ne dit rien au sujet de la question de savoir si la restitution de bénéfices peut être obtenue par une action indépendante.

 

[11]           Ayant à l’esprit le critère rigoureux applicable à une requête en radiation, Apotex soutient qu’il n’est pas clair et évident que sa demande est destinée à être rejetée ou ne renferme pas une « mince chance de succès » (Apotex c. Wellcome Foundation Ltd. (1996), 113 F.T.R. 241). Apotex s’appuie à cet égard sur les décisions rendues par la Cour supérieure de l’Ontario (Cour divisionnaire) dans Apotex Inc. c. Abbott Laboratories Limited et al., 2010 ONSC 6909, (2010), 89 C.P.R. (4th) 141, et Apotex Inc. c. Laboratoires Fournier S.A. et al., 2010 ONSC 6947, où des tentatives de faire radier des demandes pour enrichissement sans cause dans le contexte d’une demande présentée en vertu de l’article 8 du Règlement sur les AC ont échoué.

 

[12]           Apotex soutient que les protonotaires et la juge de la Cour fédérale n’ont pas appliqué le principe approprié lorsqu’elles ont statué que l’issue de sa demande pour enrichissement sans cause était claire et ne faisait aucun doute et ont radié les paragraphes pertinents.

 

[13]           Pour leur part, les intimées soutiennent que la juge de la Cour fédérale a eu raison de rejeter les appels, et elles souscrivent essentiellement aux motifs donnés par celle‑ci et par les protonotaires.

 

ANALYSE ET LA DÉCISION

[14]           La norme de contrôle n’est pas contestée. Bien qu’une décision relative à une requête en radiation soit discrétionnaire, elle peut être infirmée en appel si, comme il est allégué, elle repose sur une erreur de droit ou de principe (Domtar Inc. c. Canada, 2009 CAF 218).

 

[15]           Avant d’examiner les erreurs alléguées, il est utile de bien connaître les demandes précises contenues dans les deux déclarations, ainsi que les faits pertinents invoqués à l’appui. Les réparations demandées dans chaque cas constituent un bon point de départ à cette fin :

[traduction]

a)      les dommages subis par Apotex relativement au retard de délivrance à celle‑ci d’un avis de conformité (AC) pour les comprimés [en cause] en raison du [Règlement sur les AC];

 

b)      la restitution des recettes excédentaires réalisées par la défenderesse en raison des prix plus élevés qu’elle a exigés pour ses comprimés [en cause] en raison du retard de délivrance à Apotex de cet AC, tel qu’il est décrit à l’alinéa (a);

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[16]           Le paragraphe 22 de la déclaration dans l’affaire A-173-11 et le paragraphe 24 de la déclaration dans l’affaire A‑172‑11 indiquent que, [traduction] « […] en invoquant de manière illégitime le Règlement sur les brevets, la défenderesse jouira d’un avantage » auquel elle n’a pas droit [non souligné dans l’original]. Le seul fait pertinent en raison duquel la conduite de la défenderesse est qualifiée d’[traduction] « illégitime » est le rejet ultérieur de l’action en interdiction intentée par les intimées (paragraphes 16 dans l’affaire A‑173‑11 et paragraphes 16 à 18 dans l’affaire A‑172‑11), lequel a fait en sorte que la délivrance des avis de conformité pertinents à Apotex a été retardée à cause de la suspension réglementaire qui s’applique en faveur des intimées (paragraphes 18 et 20 à 25 dans l’affaire A‑173‑11; paragraphes 20 et 22 à 27 dans l’affaire A‑172‑11). La responsabilité d’une première personne repose sur ces exigences sous le régime de l’article 8, et la même allégation est faite au soutien de la demande de dommages‑intérêts fondée sur cette disposition (paragraphes 18 et 19 dans l’affaire A‑173‑11; paragraphes 20 et 21 dans l’affaire A‑172‑11). Fait important, aucun autre acte [traduction] « illégitime » n’est allégué (comparer avec Apotex Inc. c. Laboratoires Fournier S.A., [2006] O.J. No. 4555, 54 C.P.R. (4th) 241 (H.C.J. Ont.), au paragraphe 25, où les éléments constitutifs du délit d’abus de procédure décrits dans R. Cholkan & Co. c. Brinker, [1990] O.J. No. 1, 71 O.R. (2d) 381 (H.C.J.), et du complot en vue de commettre ce délit étaient aussi allégués).  

 

[17]           En conséquence, comme la protonotaire Milczynski l’a conclu dans le passage reproduit précédemment (paragraphe 7 ci‑dessus), Apotex s’appuie sur la compétence de la Cour fédérale d’accorder un redressement en equity en vertu du paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales pour ce qui est de sa demande de restitution de bénéfices, mais cette demande est liée au Règlement sur les AC car le droit découlerait uniquement du fait que l’action en interdiction intentée par les intimées a été ultérieurement rejetée, comme l’article 8 le prévoyait. La question qui se pose est donc de savoir si Apotex peut espérer, en invoquant le paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales, obtenir le redressement additionnel qu’elle demande.  

 

[18]           Avec égards, j’estime que cette question doit recevoir une réponse négative. Par l’entremise du pouvoir délégué du gouverneur en conseil, le législateur a examiné la question de savoir si une seconde personne devrait pouvoir obtenir un redressement dans les circonstances alléguées dans les déclarations et quelle devrait en être l’étendue. Le législateur souhaitait ainsi établir un équilibre entre la nécessité de la protection conférée par un brevet et l’entrée en temps opportun de médicaments à prix plus bas sur le marché. L’article 8 fait partie de ce compromis (voir Merck C.A.F., aux paragraphes 45 à 61; Bristol Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, aux paragraphes 6 à 12, 45, 46 et 50; AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560, aux paragraphes 12 à 23).

 

[19]           En raison de leur nature même, les compromis ne tiennent pas pleinement compte des intérêts concurrents en jeu, de sorte que personne n’était satisfait de l’article 8. Les sociétés innovantes ne croyaient pas qu’elles devaient être tenues de verser des dommages‑intérêts pour simplement s’être prévalues de la procédure prévue par le législateur pour assurer le respect de la protection conférée par un brevet (Merck C.A.F., au paragraphe 51). Les fabricants de produits génériques prétendaient, comme Apotex en l’espèce, que l’équilibre ne dissuadait pas suffisamment les premières personnes compte tenu de l’effet négatif de la [traduction] « suspension automatique » sur l’accès à des médicaments moins chers.

 

[20]           L’article 8 était ambigu avant la modification de 2006, car il prévoyait un droit à des « dommages‑intérêts ou [à des] profits ». On a toutefois déterminé que le terme « profits » désignait les bénéfices perdus par la seconde personne et non les bénéfices gagnés par la première personne pendant la période de suspension réglementaire (voir Merck C.F., au paragraphe 97, confirmée par Merck C.A.F. sur ce point, aux paragraphes 88 à 91).

 

[21]           Il n’existe plus aucun doute à cet égard depuis que le terme « profits » a été supprimé de l’article 8 en 2006. Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR) qui accompagnait la modification expliquait celle‑ci dans les termes suivants :

 

[L]e gouvernement a pris connaissance d’un nombre d’affaires en cours relatives à l’article 8 dans lesquelles on avance qu’afin que cette disposition serve à décourager l’utilisation abusive du règlement de liaison par les fabricants innovateurs, le terme « profits » dans ce contexte doit s’entendre par reddition de compte de bénéfices de l’innovateur. […]

 

Après avoir traité de l’ajout de mesures connexes, le REIR concluait :

[…] le gouvernement est d’avis que ce genre d’argument ne devrait plus être admis pour les fabricants de médicaments génériques invoquant l’article 8.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[22]           Compte tenu de cette modification et de l’arrêt Merck C.A.F. de cette Cour, les choses ne sauraient être plus claires. Le législateur, par l’entremise du gouverneur en conseil, a examiné la question de savoir si les fabricants de produits génériques devraient avoir droit à la restitution des bénéfices des premières personnes dans les circonstances visées à l’article 8, et il a écarté cette possibilité en raison de l’équilibre dont il a été question précédemment qui est établi dans le Règlement sur les AC. Il s’agit d’une question de politique législative à l’égard de laquelle le législateur est souverain.

 

[23]           Il s’ensuit que, peu importe la compétence lui permettant d’accorder un redressement en equity que lui confère le paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale ne peut pas l’exercer pour accorder un redressement que l’article 8 vise à exclure (comparer avec Radio Corp. of America c. Philco Corp. (Delaware) (1966), 48 C.P.R. 128, à la page 136 (CSC); voir aussi Zaidan Group Ltd. c. London (City) (1990), 71 O.R. (2d) 65, à la page 69 (C.A.), conf. par [1991] 3 R.C.S. 593), sauf si une cause d’action indépendante de l’article 8 est alléguée. Or, aucune cause d’action de ce genre n’a été invoquée en l’espèce. En conséquence, la demande de restitution de bénéfices d’Apotex ne peut être accueillie.

 

[24]           Comme l’avocat d’Apotex ne nous a pas présenté les déclarations en cause dans les deux décisions de la Cour supérieure de l’Ontario (Cour divisionnaire) sur lesquelles il s’appuie (voir le paragraphe 11 ci‑dessus), il est difficile de faire des commentaires sur ces décisions. Toutefois, si, comme c’est le cas en l’espèce, Apotex a prétendu avoir droit à la restitution des bénéfices des premières personnes simplement en raison du rejet ultérieur de leurs demandes d’interdiction conformément à l’article 8, je ne souscris pas à la conclusion tirée dans ces deux affaires.

 

[25]           Ces motifs sont suffisants pour statuer sur les appels, que je rejetterais avec dépens, dans chaque cas.

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

          Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

          Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             A-172-11

 

APPEL D’UNE DIRECTIVE ET D’UNE ORDONNANCE PRONONCÉES PAR LA JUGE HENEGHAN EN DATE DU 18 AVRIL 2011, NO DE DOSSIER : T-656-09

 

INTITULÉ :                                                           APOTEX INC. et

                                                                                ELI LILLY CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   Le 12 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                             LA JUGE DAWSON

                                                                                LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                          Le 16 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brodkin

Jerry Topolski

 

POUR L’APPELANTE

 

Patrick Smith

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodman LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Gowling Lafleur Henderson

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             A-173-11

 

APPEL D’UNE DIRECTIVE ET D’UNE ORDONNANCE PRONONCÉES PAR LA JUGE HENEGHAN EN DATE DU 18 AVRIL 2011, NO DE DOSSIER : T-1786-08

 

INTITULÉ :                                                           APOTEX INC. et

                                                                                NYCOMED CANADA INC.

                                                                                et NYCOMED GmbH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   Le 12 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                             LA JUGE DAWSON

                                                                                LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                          Le 16 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brodkin

Jerry Topolski

 

POUR L’APPELANTE

 

Neil Belmore

Afif Hamid

 

POUR LES INTIMÉES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodman LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Belmore Neidrauer LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

 

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