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Cour d'appel fédérale |
Date : 20120213
Dossier : A-421-10
CORAM : la juge Layden-Stevenson
ENTRE :
et
DYWIDAG SYSTEMS INTERNATIONAL, CANADA, LTD.,
M. BOB BISHOP et M. KENNETH R. SOSTEK
intimés
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 13 février 2012.
Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le 13 février 2012.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
Federal Court of Appeal |
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Cour d'appel fédérale |
Dossier : A-421-10
Référence : 2012 CAF 48
CORAM : la juge Layden-Stevenson
LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE STRATAS
ENTRE :
GARFORD PTY LTD
appelante
et
DYWIDAG SYSTEMS INTERNATIONAL, CANADA, LTD.,
M. BOB BISHOP et M. KENNETH R. SOSTEK
intimés
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario), le 13 février 2012)
la juge Layden-Stevenson
[1] Garford Pty Ltd. (Garford) est une société australienne. Elle a intenté une action contre Dywidag Systems International (DSI), M. Bob Bishop et M. Kenneth R. Sostek (collectivement appelées les défendeurs), dans laquelle elle réclamait une indemnité ou des dommages‑intérêts du fait que les défendeurs auraient contrefait certains de ses brevets canadiens, et prétendait avoir subi une perte ou des dommages parce qu’ils auraient contrevenu à la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C‑34 (la Loi). DSI a présenté une requête pour jugement sommaire à l’égard de l’action engagée par Garford sous le régime de la Loi.
[2] Le juge Russell de la Cour fédérale (le juge) a accordé un jugement sommaire et a rejeté l’action de Garford au motif qu'elle était prescrite. Les motifs du juge sont publiés à 2010 CF 996. Garford interjette appel de ce jugement.
[3] Nous sommes d'avis que l'appel doit être rejeté. Par souci de commodité, les dispositions pertinentes de la Loi figurent à l’annexe A des présents motifs.
[4] En bref, Garford est titulaire de brevets canadiens relatifs à des ancres de roche et à des boulons d'ancrage (appelés boulons‑câbles) principalement utilisés dans les mines souterraines. Garford a accordé une licence à une société canadienne, Camada Technology International Pty. Ltd. (Camada), pour la fabrication, l'utilisation et la vente de ses boulons‑câbles dans tout le Canada. Les boulons‑câbles de Garford ont été commercialisés par une coentreprise formée de Camada et de Thiessen Equipment Ltd.
[5] DSI, qui est également une société canadienne, fabrique et distribue des boulons‑câbles. Dans le cadre de trois opérations commerciales, que j'appellerai les conventions d'achat, DSI a acquis les éléments d'actif de plusieurs entités du marché des boulons‑câbles :
· Thiessen Equipment Ltd., en novembre 2003;
· Stewart Mining Products Ltd., en février 2005;
· Ground Control Sudbury Ltd., en mars 2006.
[6] Garford allègue que DSI a contrevenu au paragraphe 45(1) de la Loi et prétend avoir subi « une perte et des dommages » au titre du paragraphe 36(1) de la Loi. L'article 36 prévoit un droit d'action de nature privée dans les cas où une personne subit une perte en raison d'un comportement anticoncurrentiel. Le champ d’application de cette disposition se limite au comportement allant à l'encontre de la partie VI de la Loi et au défaut d'obtempérer aux ordonnances d’un tribunal ou du Tribunal de la concurrence. La partie VI de la Loi comprend le paragraphe 45(1), invoqué par Garford, et traite des complots, accords ou arrangements visant à limiter indûment la concurrence. Le paragraphe 36(4) de la Loi prévoit un délai de prescription en deux volets. Il est acquis aux débats que le délai de prescription applicable en l'espèce est celui prévu au sous‑alinéa 36(4)a)(i), qui exige qu'une poursuite soit instituée dans les deux ans de la date du comportement en question.
[7] Le juge a résumé les principes applicables en matière de jugement sommaire et a souligné qu'un tel jugement ne devrait être accordé [traduction] « que dans les cas les plus clairs où la cour est totalement convaincue qu'un procès est inutile » (motifs du juge, par. 10). Après avoir examiné les actes de procédure et les précisions fournies par Garford, il a conclu que [traduction] « les négociations et les discussions qui ont mené à la conclusion des trois conventions d’achat et des documents y afférents incorporés dans ces conventions » constituaient le comportement requis pour les besoins du délai de prescription applicable (motifs du juge, par. 14). Se fondant sur les dates des conventions d'achat (mentionnées précédemment), il a précisé les dates auxquelles les délais de prescription avaient expiré :
· l’acquisition de Thiessen – novembre 2005;
· l’acquisition de Stewart – février 2007;
· l’acquisition de Ground Control – mars 2008.
[8] Le juge a fait remarquer que, même si l'accord ou l'arrangement était formé de l’ensemble des trois accords distincts, le délai de prescription expirait au plus tard en mars 2008. Puisque l'action n'a été instituée que le 15 août 2008, [traduction] « elle est prescrite et ne révèle ainsi aucune cause raisonnable d'action » (motifs du juge, par. 12).
[9] Nous ne décelons aucune erreur dans la façon dont le juge a énoncé ou appliqué le droit, ni aucune erreur manifeste et dominante dans ses conclusions de fait. Nous souscrivons pour l'essentiel à son raisonnement en ce qui concerne le délai de prescription.
[10] Le nœud de l'argument de Garford est que le juge a commis une erreur en ne concluant pas que la « règle de la possibilité de découvrir le dommage » s'appliquait de manière à proroger le délai de prescription. À notre avis, la question de la possibilité de découvrir le dommage ne se pose pas eu égard aux faits de l’espèce.
[11] Premièrement, en réponse à la prétention de Garford voulant qu'elle n'ait pas été en mesure d'instituer l’action fondée sur le paragraphe 36(1) jusqu'à ce qu'elle ait eu accès aux documents ou aux conventions d'achat et qu’elle ait pu déterminer la nature du problème et des dommages causés, le juge a à juste titre observé que Garford avait engagé son action avant d'avoir eu accès aux documents et avant le début du processus de communication préalable.
[12] Deuxièmement, Garford savait de façon générale que le fait de ne plus avoir accès à ses distributeurs causerait des dommages (dossier d'appel, vol. 4, p. 1295 – contre‑interrogatoire de Neville Hedrick). Les éléments exigés par l'article 45 de la Loi sont l’accord et le risque de préjudice.
[13] Troisièmement, le 10 avril 2006, les avocats de Garford ont transmis aux administrateurs de DSI une lettre dans laquelle ils lui demandaient de cesser ses activités. Ils y expliquaient que Garford connaissait les activités de DSI et ils menaçaient de poursuivre l’entreprise et chacun de ses administrateurs à titre personnel pour contrefaçon de brevets et de marques de commerce [traduction] « et pour contravention à la Loi sur la concurrence ».
[14] Quatrièmement, et c’est ce qui est le plus important, entre le 10 avril 2006 et la date à laquelle l’action a été instituée, il n'y a eu aucun fait nouveau et pertinent concernant la contravention alléguée à la Loi. Les renseignements auxquels Garford avait accès, le 10 avril 2006, étaient essentiellement les mêmes renseignements que ceux dont elle disposait lorsqu'elle a institué l'action. La réponse de DSI, datée du 19 avril 2006, à la lettre dans laquelle on lui demandait de cesser ses activités a simplement cristallisé la nécessité d'engager une action et indiquait clairement que celle‑ci serait contestée.
[15] Cinquièmement, le juge a tiré une conclusion de fait au paragraphe 37 de ses motifs : [traduction] « il est clair que le 10 avril 2006, [Garford] était tout à fait au courant de ce qu'elle considérait être une contravention à [la Loi] par les défendeurs ». À notre avis, le juge n'a commis aucune erreur manifeste et dominante en tirant cette conclusion.
[16] Pour ces motifs, les conclusions de fait du juge, qui ne peuvent être annulées en l'espèce selon la norme de contrôle applicable, excluent tout argument fondé sur la possibilité de découvrir le dommage, en supposant, sans nous prononcer sur la question, qu’il puisse être invoqué légalement.
[17] Enfin, Garford soutient que le juge a commis une erreur en concluant que les effets continus du complot ne permettaient pas de proroger le délai de prescription prévu au paragraphe 36(4) de la Loi. Le juge a examiné cette question à fond aux paragraphes 39 à 46 de ses motifs. Nous souscrivons pour l'essentiel à son analyse à cet égard.
[18] L'arrêt Eli Lilly & Co c. Apotex, 2005 CAF 361 (Eli Lilly), n'est d'aucune utilité pour Garford parce que les questions de preuve sur lesquels il portait ne se posent pas dans l’affaire qui nous occupe. En effet, il est bien établi que l'action instituée par Garford en vertu de la Loi repose sur les conventions d'achat. De même, la décision 351694 Ontario Ltd. c. Paccar of Canada Ltd., 2004 CF 1764 [Paccar], n’aide nullement Garford. Fait important à signaler, Paccar ne portait pas sur l'article 45 de la Loi. Cette décision visait plutôt des restrictions verticales entre un fabricant/distributeur et un détaillant. L'action était fondée sur le maintien des prix de revente, le refus de fournir des marchandises et la discrimination par les prix. Je signale en passant que ces infractions ne sont plus visées par la Loi et ne sauraient donc plus constituer le fondement d'une action au titre de l'article 36. Dans Paccar, la cour a conclu à un comportement permanent, pour l’application du délai de prescription, au motif que le comportement en cause consistait dans les ventes discriminatoires.
[19] En l'espèce, comme le juge l'a expliqué, l'infraction visée à l'article 45 était complète au moment de la conclusion des conventions d'achat. Le délai prévu au paragraphe 36(4) ne saurait être prorogé par des effets continus. La position de Garford équivaut à dire que le comportement interdit par l'article 45 est celui qui consiste simplement à conclure un accord qui, dans les faits, porte atteinte au marché. Ce n'est pas ce que la Loi prévoit. À l’époque pertinente (l'article 45 a été modifié depuis), l'infraction était complète au moment de la conclusion d’un accord qui, s'il était exécuté, aurait limité indûment la concurrence.
[20] Pour ces motifs, l'appel sera rejeté avec dépens.
« Carolyn Layden-Stevenson »
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
ANNEXE A
Competition Act, R.S.C., 1985, c. C-34 Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C‑34
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-421-10
(Appel d'un jugement de monsieur le juge RUSSELL, daté du 6 octobre 2010, dossier de la cour fédérale no T-1270-08)
INTITULÉ : GARFORD PTY LTD. c. DYWIDAG SYSTEMS INTERNATIONAL, CANADA, LTD., M. BOB BISHOP et M. KENNETH R. SOSTEK
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 13 février 2012
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LES JUGES LAYDEN-STEVENSON, GAUTHIER et STRATAS
PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR : LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON
COMPARUTIONS :
Mala Joshi
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POUR L’APPELANTE
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Kirsten Crain |
POUR LES INTIMÉS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Toronto (Ontario)
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POUR L’APPELANTE
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Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l. Ottawa (Ontario) |
POUR LES INTIMÉS
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