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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20120301

 

Dossier : A-268-10

 

Référence : 2012 CAF 69

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

 

EDUARDO BUENAVENTURA JR., UMER BUTT, DAMAN CHAWLA, FABIAN CHUNG, WILLIAM COS, ZHI YU DUAN, KARL EATON, JIAN DONG FENG, GARETH FRASER, PUKHRAJ GOHALWAR, CHANG HE, LIANG HE, BOB HOLOWENKO, JEFF HOLTEN, GRAYDON HOOGE, HE HUANG, SUCHAT JITMAS, MATTHEW KREMSER, HORACE KWAN, ANTHONY LAM, KEVIN LEE, JIN LIU, MARIO MATEJKA, RUSSELL METCALFE, MIKHAIL POPOVICH‑KASERES, TONY QIN, KEN REDDING, JESSE REMPEL, JAMES RENNEBOOG, KEVIN RODRIGUES, TOM RUMBAL, MIKHAIL SEMESHKO, RAHAT SHARMA, ZHE SHI, BILL SOLACZEK, JAKE SWAFFIELD, LASZLO SZOCS, CHRIS SZYMANSKI, JOHN TANTON, FELIZARDO TORRES, SUNNY WAN, PETER WANG, KENJI WONG, RAYMOND WONG, ERIC YEH, KYLE ZACHER

 

demandeurs

et

 

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS(EUSES) EN TÉLÉCOMMUNICATIONS (STT) et TELUS COMMUNICATIONS INC.

 

défendeurs

et

 

CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES

 

intervenant

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 29 novembre 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er mars 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                                       LE JUGE MAINVILLE


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20120301

Dossier : A-268-10

Référence : 2012 CAF 69

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

EDUARDO BUENAVENTURA JR., UMER BUTT, DAMAN CHAWLA, FABIAN CHUNG, WILLIAM COS, ZHI YU DUAN, KARL EATON, JIAN DONG FENG, GARETH FRASER, PUKHRAJ GOHALWAR, CHANG HE, LIANG HE, BOB HOLOWENKO, JEFF HOLTEN, GRAYDON HOOGE, HE HUANG, SUCHAT JITMAS, MATTHEW KREMSER, HORACE KWAN, ANTHONY LAM, KEVIN LEE, JIN LIU, MARIO MATEJKA, RUSSELL METCALFE, MIKHAIL POPOVICH‑KASERES, TONY QIN, KEN REDDING, JESSE REMPEL, JAMES RENNEBOOG, KEVIN RODRIGUES, TOM RUMBAL, MIKHAIL SEMESHKO, RAHAT SHARMA, ZHE SHI, BILL SOLACZEK, JAKE SWAFFIELD, LASZLO SZOCS, CHRIS SZYMANSKI, JOHN TANTON, FELIZARDO TORRES, SUNNY WAN, PETER WANG, KENJI WONG, RAYMOND WONG, ERIC YEH, KYLE ZACHER

 

demandeurs

et

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS(EUSES) EN TÉLÉCOMMUNICATIONS (STT) et TELUS COMMUNICATIONS INC.

 

défendeurs

et

 

CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES

 

intervenant

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Pendant la période visée par la présente demande, les demandeurs étaient apprentis techniciens et employés de Telus Communications Inc. (« Telus ») et ils étaient liés par une convention collective intervenue entre Telus et le Syndicat des travailleurs(euses) en télécommunications (« STT »). Ils ont présenté au Conseil canadien des relations industrielles une plainte contre le STT en vertu de l'article 37 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2. Étant donné que la plainte avait été déposée après le délai prescrit, les demandeurs ont également sollicité une prorogation de délai au Conseil. Ce dernier a refusé de proroger le délai et il a rejeté la plainte. Les plaignants ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du Conseil. Le STT et Telus se sont opposés à leur demande. Le Conseil a exercé son droit de présenter des observations en vertu du paragraphe 22(1.1) du Code. Pour tenir compte de la participation du Conseil, ce dernier a été ajouté à l'intitulé en tant qu'intervenant.

 

[2]               En plus de s'opposer à la demande sur le fond, le STT a fait valoir que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser d'entendre la demande, ou refuser d'accorder aux plaignants une mesure de redressement, parce qu'ils n'avaient pas exercé un autre recours approprié prévu par le Code. Il s'agit de la première question en litige. Si la Cour rejette les observations du STT portant sur cette question, elle devra se prononcer sur le bien‑fondé de la demande des plaignants.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci-après, j'ai conclu que notre Cour devrait examiner la demande des plaignants, mais qu'elle devrait être rejetée parce que le refus du Conseil de proroger le délai était raisonnable.

 

(1) Les dispositions pertinentes du Code

(a) Le processus d'examen des plaintes

[4]               Comme je l'ai déjà indiqué, les plaignants demandent réparation au Conseil à l'égard de ce qu'ils allèguent être un manquement par le STT aux dispositions de l'article 37 du Code. L'article 37 est ainsi libellé :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu'à ses représentants, d'agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l'égard des employés de l'unité de négociation dans l'exercice des droits reconnus à ceux‑ci par la convention collective.

 

37. A trade union or representative of a trade union that is the bargaining agent for a bargaining unit shall not act in a manner that is arbitrary, discriminatory or in bad faith in the representation of any of the employees in the unit with respect to their rights under the collective agreement that is applicable to them.

 

 

[5]               La procédure d'examen des plaintes déposées au Conseil est décrite à l'article 97 du Code. Le paragraphe 97(1) précise ce qui peut faire l'objet d'une plainte et le paragraphe 97(2) prévoit un délai de 90 jours pour adresser une plainte au Conseil. Voici les éléments pertinents de ces dispositions :

97. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute personne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit, une plainte reprochant :

 

97. (1) Subject to subsections (2) to (5), any person or organization may make a complaint in writing to the Board that

 

a) soit [...] à un syndicat [...] d'avoir manqué ou contrevenu [...] aux articles 37 [...]

(a) . . . a trade union . . . has contravened or failed to comply with . . . section 37 . . .

(2) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon le Conseil, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte.

 

(2) Subject to subsections (4) and (5), a complaint pursuant to subsection (1) must be made to the Board not later than ninety days after the date on which the complainant knew, or in the opinion of the Board ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

 

 

(b) Le pouvoir du Conseil de proroger les délais

[6]               L'alinéa 16m.1) du Code autorise le Conseil à proroger le délai pour la présentation d'une plainte. Il est libellé comme suit :

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

 

[...]

 

16. The Board has, in relation to any proceeding before it, power

 

. . .

 

m.1) proroger les délais fixés par la présente partie pour la présentation d'une demande;

 

(m.1) to extend the time limits set out in this Part for instituting a proceeding;

 

 

[7]               La pratique du Conseil est d'autoriser la présentation d'une demande de prorogation de délai faisant partie d'une plainte déposée après le délai. La pratique du Conseil est également qu'une demande de prorogation de délai peut être rejetée sans qu'il ne demande à l'intimé de présenter des observations et sans la tenue d'une audience.

 

(c) Le caractère définitif des décisions du Conseil et les exceptions

[8]               En vertu du paragraphe 22(1) du Code, les décisions du Conseil sont définitives, sous réserve de deux exceptions. Une de ces exceptions est exprimée dans la disposition liminaire du paragraphe 22(1) (« Sous réserve des autres dispositions de la présente partie »). Cette exception engloberait le pouvoir de réexamen du Conseil prévu à l'article 18 du Code, dont le libellé est le suivant :

18. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

 

18. The Board may review, rescind, amend, alter or vary any order or decision made by it, and may rehear any application before making an order in respect of the application.

 

 

[9]               L'autre exception au caractère définitif des décisions du Conseil est une demande de contrôle judiciaire conformément aux dispositions de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, fondée sur les motifs cités aux alinéas 18.1(4)a), b) et e) de cette Loi. Ni le STT ni Telus n'ont laissé entendre que les motifs sur lesquels la présente demande de contrôle judiciaire est fondée échappent à l'application de ces dispositions.

 

(d) La procédure de présentation d'une demande de réexamen

[10]           L'article 15 du Code confère au Conseil le pouvoir de prendre des règlements. En vertu de ce pouvoir, le Conseil a adopté le Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles, DORS/2001‑520. Les articles 44 et 45 du Règlement traitent des demandes de réexamen des décisions du Conseil. L'article 45 établit la procédure de demande, notamment les renseignements devant être compris dans la demande, les délais et les exigences concernant la signification de la demande et des documents pertinents. L'article 44 prévoit les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée. Il est libellé comme suit :

44. Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil sur le fondement

 

 

du pouvoir de réexamen que lui

confère l'article 18 du Code comprennent les suivantes :

 

44. The circumstances under which an application shall be made to the Board exercising its power of

 

 

reconsideration under section 18 of

the Code include the following:

 

a) la survenance de faits nouveaux qui, s'ils avaient été portés à la connaissance du Conseil avant que celui‑ci ne rende la décision ou l'ordonnance faisant l'objet d'un réexamen, l'auraient vraisemblablement amené à une conclusion différente;

 

(a) the existence of facts that were not brought to the attention of the Board, that, had they been known before the Board rendered the decision or order under reconsideration, would likely have caused the Board to arrive at a different conclusion;

 

b) la présence d'erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l'interprétation du Code donnée par le Conseil;

 

(b) any error of law or policy that casts serious doubt on the interpretation of the Code by the Board;

 

c) le non‑respect par le Conseil d'un principe de justice naturelle;

 

(c) a failure of the Board to respect a principle of natural justice; and

 

d) toute décision rendue par un greffier aux termes de l'article 3.

 

(d) a decision made by a Registrar under section 3.

 

 

[11]           Selon le Conseil, l'article 44 du Règlement a été adopté en 2001 comme une codification de la jurisprudence du Conseil portant sur les demandes de réexamen. Il est maintenant reconnu que la liste des motifs recevables pour demander un réexamen figurant à l'article n'est pas exhaustive, puisque le mot « comprennent » apparaît dans la partie liminaire de cette disposition. Fait plus important, cette conclusion s'ensuit nécessairement du principe général que le Conseil ne peut exercer ses pouvoirs de prendre des règlements de façon à restreindre la portée du pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi. Ce principe est très clairement établi au paragraphe 40 de l'arrêt ADM Agri‑Industries ltée c. Syndicat national des employés de Les Moulins Maple Leaf (de l'Est) (CSN), 2004 CAF 69 :

[...] Nous ne croyons pas que le Conseil ait pu, par règlement, écarter un pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît le Code. Par ailleurs, le fait que le Conseil ait jugé opportun d'identifier par règlement certaines circonstances donnant ouverture à une demande de réexamen par une partie, ne permet pas de supposer qu'il ait, ce faisant, restreint les circonstances dans lesquelles il pouvait réexaminer lui-même, de son propre chef, ses décisions.

 

(Voir aussi Société des arrimeurs de Québec c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3810, 2008 CAF 237, et Syndicat des débardeurs du port de Québec (SCFP, section locale 2614) c. Société des arrimeurs de Québec inc., 2011 CAF 17.)

 

[12]           Le Conseil déclare qu'on envisage d'abroger l'article 44 du Règlement en raison de son peu d'utilité au regard de l'article 18 du Code. Le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation (un comité parlementaire établi sous le régime de l'article 19 de la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. 1985, ch. S‑22) a affirmé que l'article 44 du Règlement ne remplissait aucun objectif législatif.

 

(e) La qualité pour comparaître du Conseil devant notre Cour

[13]           Le Conseil a qualité pour comparaître dans une demande de contrôle judiciaire d'une de ses décisions en vertu du paragraphe 22(1.1) du Code, qui est ainsi libellé : 

22. (1.1) Le Conseil a qualité pour comparaître dans les procédures visées au paragraphe (1) pour présenter ses observations à l'égard de la norme de contrôle judiciaire applicable à ses

 

décisions ou à l'égard de sa compétence, de ses procédures et de ses politiques.

22. (1.1) The Board has standing to appear in proceedings referred to in subsection (1) for the purpose of making submissions regarding the standard of review to be used with respect to

 

decisions of the Board and the Board's jurisdiction, policies and procedures.

 

 

(2) Les faits

[14]           Selon la convention collective en vigueur entre le STT et Telus du 20 novembre 2005 au 19 novembre 2010, un plan salarial par étapes était prévu pour les apprentis techniciens (dont les plaignants), de façon à ce qu'ils reçoivent des augmentations salariales une fois certaines étapes du programme d'apprentissage complétées. En février 2008, ou vers ce mois, le STT a déposé des griefs individuels concernant le salaire rétroactif que, disait‑il, Telus devait aux apprentis techniciens en raison du plan salarial par étapes. Le STT a par la suite présenté un grief de principe concernant la même question.

 

[15]           Le 5 juin 2009, le STT et Telus ont conclu une entente de règlement des griefs de principe. L'entente prévoyait des augmentations salariales futures pour tous les apprentis techniciens, mais le versement d'un salaire rétroactif n'était prévu que pour seulement 49 apprentis techniciens identifiés à cet égard. Environ 250 apprentis techniciens, dont les plaignants, n'étaient pas visés par cette entente et n'avaient donc pas droit au versement du salaire rétroactif en vertu de l'entente de règlement. Tous les griefs individuels, dont ceux engagés par les plaignants ou en leur nom, ont été rejetés ou abandonnés. Par conséquent, les plaignants se sont retrouvés sans recours contre Telus en ce qui concerne leurs réclamations de salaire rétroactif.

 

[16]           Le 17 juin 2009, un représentant de Telus a dit à tous les apprentis techniciens qu'ils recevraient un salaire rétroactif en vertu de l'entente de règlement. Cette information était inexacte. Le 9 juillet 2009, un représentant du STT a indiqué à certains plaignants, à juste titre, qu'ils ne recevraient pas de salaire rétroactif. La réception de ces renseignements marque le début du délai de 90 jours prévu par le paragraphe 97(2) pour le dépôt au Conseil de toute plainte concernant l'entente de règlement.

 

[17]           En juillet 2009, trois des plaignants ont formé un comité directeur dans le but d'examiner les mesures que pourraient prendre les apprentis techniciens qui n'avaient pas droit au versement de salaire rétroactif en vertu de l'entente de règlement. De juillet 2009 à avril 2010, le comité directeur a posé des gestes afin de déterminer la nature des réclamations de salaire rétroactif, de compiler des documents, et d'identifier et de repérer d'autres apprentis techniciens n'ayant pas droit au versement de salaire rétroactif. En avril 2010, le comité a retenu les services d'un avocat, lequel a rapidement pris des mesures pour entamer une plainte fondée sur l'article 37 et demander une prorogation de délai.

 

[18]           Le Conseil n'a pas demandé au STT de présenter des observations en réponse à la plainte, et n'a pas convoqué d'audience. Dans une décision du 29 juin 2010, le Conseil a refusé la demande de prorogation de délai, et a fourni des motifs écrits justifiant sa décision (2010 CCRI 526, no 28089‑C). L'analyse du Conseil est ainsi rédigée :

16 Le paragraphe 97(2) du Code prévoit un délai de 90 jours pour déposer des plaintes de pratique déloyale de travail :

 

97.(2)     Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon le Conseil, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte.

 

17 Avant 1999, le Conseil n'était pas en mesure de proroger ce délai, bien qu'il ait toujours eu le pouvoir discrétionnaire de décider que, si le plaignant « a eu ou [...] aurait dû avoir connaissance », il pouvait déposer une plainte.

 

18 Lors des modifications au Code entrées en vigueur le 1er janvier 1999, le législateur avait ajouté l'alinéa 16m.1) afin de conférer au Conseil le pouvoir discrétionnaire de proroger des délais, tels que ceux s'appliquant aux plaintes fondées sur l'article 37 :

 

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

 

[...]

 

m.1) proroger les délais fixés par la présente partie pour la présentation d'une demande.

 

19 Le Conseil ne dispensera pas systématiquement une partie de l'obligation de respecter le délai de 90 jours prévu pour déposer une plainte de pratique déloyale de travail. Le législateur a toujours souligné l'importance du fait que le Conseil devait être saisi sans délai des questions de relations de travail. Les éventuelles parties intimées ont le droit de savoir si elles doivent conserver les éléments de preuve et, par ailleurs, se préparer en vue d'une plainte déposée en vertu du Code.

 

20 Il peut sembler inéquitable que des profanes aient à agir rapidement pour déposer des plaintes liées aux relations de travail, mais le paragraphe 97(2) s'applique pareillement aux syndicats et aux employeurs.

 

21 Le Conseil n'exercera pas son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 16m.1) de manière à rendre illusoire l'intention du législateur d'obliger les parties à déposer promptement leurs plaintes liées aux relations de travail.

 

22 Néanmoins, le Conseil examinera la possibilité de proroger les délais dans des circonstances impérieuses, tel le cas où la santé d'un plaignant l'aurait empêché de déposer sa plainte en temps opportun (voir Louise Galarneau, 2003 CCRI 239). En général, le Conseil examinera la longueur du délai ainsi que sa justification.

 

23 En l'espèce, M. Torres a eu ou aurait dû avoir connaissance, à la suite de la correspondance du STT et de la conversation téléphonique du 9 juillet 2009, du fait qu'une décision définitive avait été prise quant à son droit au salaire rétroactif. Le délai de 90 jours aurait expiré le 10 octobre 2009.

 

24 La plainte a été déposée plus de six mois après l'expiration de ce délai.

 

25 Bien que M. Torres et les plaignants aient pu, de bonne foi, penser qu'il était préférable de déposer une seule plainte afin d'y inclure le plus de plaignants possible, il ne s'agit pas du genre de justification qui convaincra le Conseil d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 16m.1) pour excuser les neuf mois qui se sont écoulés entre le début du délai et le dépôt de la plainte.

 

26 Si le Conseil avait reçu une multitude de plaintes dans le délai prévu, il aurait pu les réunir, étant donné la similarité des faits. De même, il aurait pu proposer de faire avancer un dossier représentatif, compte tenu de la similarité des faits, dans le but de déterminer l'issue de l'ensemble des dossiers.

 

27 Par conséquent, le Conseil refuse de proroger le délai de 90 jours prévu au paragraphe 97(2) du Code. La plainte est rejetée.

 

 

[19]           Les plaignants n'ont pas demandé au Conseil d'exercer son pouvoir de réexamen. Ils ont présenté une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour pour solliciter une ordonnance annulant la décision du Conseil et lui renvoyant leur plainte afin qu'il statue sur son bien-fondé, ou, subsidiairement, une ordonnance enjoignant au Conseil de réexaminer la demande de prorogation de délai.

 

(3) Analyse

(a) Les motifs justifiant une demande de contrôle judiciaire et la norme de contrôle

[20]           Les motifs généraux exposés dans l'avis de demande de contrôle judiciaire ont été circonscrits dans le mémoire des faits et du droit des plaignants, et précisés davantage lors de l'audience. Au début, les parties ne s'entendaient pas sur la norme de contrôle applicable, mais au moment de l'audience, toutes les parties ont convenu que la norme de contrôle était celle de la décision raisonnable. Je suis d'accord que la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision raisonnable, parce que la décision visée par le contrôle en est une concernant l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire (voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 53).

 

[21]           La contestation par les plaignants de la décision du Conseil repose entièrement sur l'affirmation que la décision prise de ne pas proroger le délai pour déposer la plainte était déraisonnable. Le STT et Telus adoptent la position contraire. Cependant, avant de se pencher sur ce débat, il est nécessaire d'examiner la question préliminaire soulevée par le STT, soit celle de savoir si notre Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser d'entendre la présente demande, ou refuser aux plaignants la mesure de redressement qu'ils recherchent au motif qu'ils n'ont pas exercé un autre recours approprié.

 

(b) La question de savoir si les plaignants avaient un autre recours approprié

[22]           Le STT fait valoir que le droit des plaignants de demander au Conseil d'exercer le pouvoir de réexamen qui lui est conféré en vertu de l'article 18 du Code constitue un autre recours approprié. Le Conseil n'est pas d'accord, parce que son processus de réexamen n'est pas une procédure d'appel prévue par la loi ou une procédure équivalente. Les demandeurs souscrivent à la position exprimée par le Conseil.

 

[23]           Les observations écrites du Conseil ont été déposées quatre jours seulement avant la date de l'audience. Le STT a traité verbalement des observations présentées par le Conseil, mais il a également eu l'occasion de soumettre des observations écrites additionnelles concernant cette question, ce qu'il a fait. Les plaignants ont aussi eu le droit de soumettre des observations en réponse, ce qu'ils ont fait.

 

[24]           La position du STT est en partie fondée sur la thèse indiscutable suivant laquelle le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de refuser d'accorder une mesure de redressement en vertu du droit administratif à un demandeur demandant un contrôle judiciaire qui ne s'est pas prévalu d'un autre recours approprié. Le STT invoque également une jurisprudence qui précise les facteurs dont le tribunal peut tenir compte pour statuer sur la question de savoir si un processus d'appel établi par la loi constitue un autre recours approprié : Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, et Nancy Greene's Cahilty Lodge Ltd. c. Thompson Nicola (Regional District), [1996] B.C.J. no 547 (QL) (C.S. C.‑B.). Toutefois, aucune de ces décisions ne traite d'une situation qui, de près ou de loin, ressemble à l'espèce. À mon avis, il serait exagéré d'interpréter cette jurisprudence comme appuyant la thèse voulant que le pouvoir de réexamen prévu à l'article 18 du Code constitue un autre recours approprié.

 

[25]           Dans Harelkin, un comité de la faculté a enjoint à un étudiant d'abandonner ses études. La loi intitulée The University of Regina Act, 1974 (Loi de 1974 sur l'Université de Regina), S.S. 1973‑74, ch. 119, prévoyait un appel à un comité du conseil de l'université. L'appel de l'étudiant devant ce comité a été rejeté. La loi prévoyait un nouvel appel à un comité du sénat de l'université. L'étudiant n'a pas interjeté appel devant le comité du sénat et il a plutôt présenté une demande de contrôle judiciaire. La Cour suprême du Canada (à la majorité de quatre juges contre trois) a conclu que la demande de réparation de l'étudiant fondée sur le contrôle judiciaire devait être rejetée parce qu'il devait au préalable se prévaloir de son droit d'appel au comité du sénat, lequel constituait un autre recours approprié pour un certain nombre de raisons. Premièrement, la procédure d'appel était équitable en ce sens que l'étudiant aurait eu un droit suffisant de présenter une preuve (dont de nouveaux éléments de preuve) et d'être entendu. Deuxièmement, le comité du sénat avait le pouvoir d'annuler la décision du conseil de l'université, d'instruire l'affaire de novo et de rendre une décision sur le fond. Troisièmement, le processus d'appel convenait davantage à l'étudiant et à l'université, eu égard au coût et à la célérité, qu'un contrôle judiciaire.

 

[26]           L'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui portait sur des demandes de contrôle judiciaire visant des évaluations foncières établies par deux bandes indiennes. Dans chaque cas, il s'agissait de déterminer si les immeubles dont l'assujettissement à l'impôt était recherché, soit une voie ferrée traversant une réserve et l'emprise au‑dessus de la voie ferrée, où des câbles optiques avaient été posés, étaient des « immeubles situés dans la réserve », ce qui était le fondement légal permettant l'imposition. Les règlements sur l'impôt foncier adoptés par les bandes prévoyaient des appels à des commissions qu'elles avaient établies, et un appel à la Cour fédérale concernant les questions de droit. La Cour fédérale a annulé les demandes de contrôle judiciaire au motif que le processus d'appel établi par la loi constituait un autre recours approprié. Cette décision a été infirmée par la Cour d'appel fédérale, et la Cour suprême du

 

Canada a maintenu la décision de la Cour d'appel fédérale (à la majorité de cinq juges contre quatre).

 

[27]           Bien que les cinq juges de la majorité soient arrivés à la même conclusion, c'est en s'appuyant sur trois motifs différents qu'ils y sont parvenus. Deux des cinq juges ont conclu que même si des facteurs permettaient de conclure que le processus d'appel établi par la loi représentait un autre recours approprié, le tribunal d'appel manquait d'indépendance institutionnelle, ce qui constituait un facteur suffisant en soi pour statuer que le processus d'appel n'était pas un autre recours approprié. Deux autres des cinq juges ont estimé que le tribunal d'appel n'avait pas compétence pour trancher la question de droit fondamentale de savoir si certains immeubles étaient situés dans la réserve. Enfin, un juge était d'avis que la Cour fédérale aurait dû trancher cette question de droit fondamentale lors d'un contrôle judiciaire parce que cette Cour constituait le dernier échelon du processus d'appel établi par la loi et qu'elle aurait été appelée à trancher cette question de droit fondamentale de toute façon.

 

[28]           Dans l'affaire Cahilty Lodge, un constructeur a présenté à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique une demande de contrôle judiciaire visant le refus d'un inspecteur municipal des bâtiments de délivrer un permis de construire pour un hôtel parce que la hauteur des mezzanines prévues contrevenait à la limite établie par le code provincial du bâtiment. La demande de contrôle judiciaire portait aussi sur un deuxième refus faisant suite à une nouvelle demande de permis présentée par le constructeur qui invoquait des dispositions du code du bâtiment portant sur les « équivalents ». La loi applicable établissait une [TRADUCTION] « commission d'appel du code du bâtiment » ayant compétence pour décider des questions d'interprétation ou d'application du code du bâtiment. La Cour a conclu qu'un renvoi à la commission constituait un autre recours approprié au regard de la question des équivalents, et elle a rejeté cette partie de la demande de contrôle judiciaire présentée par le constructeur. Toutefois, la Cour a aussi conclu qu'un renvoi à la commission ne constituait pas un autre recours approprié dans le cas de la question concernant la limite de hauteur parce que, dans une décision antérieure portant sur cette même question, la commission avait rejeté la thèse du constructeur, de telle sorte qu'un renvoi à la commission sur ce point aurait été inopportun et futile. La Cour a tranché la question de la hauteur à l'encontre du constructeur parce qu'elle a jugé que la décision de l'inspecteur des bâtiments n'était pas manifestement déraisonnable.

 

[29]           Dans chacune de ces décisions, la question à trancher était celle de savoir si un processus d'appel établi par la loi représentait un autre recours approprié. Dans chaque cas, le requérant avait le droit légal d'interjeter appel à une juridiction d'appel différente du décideur initial. Comme je l'ai déjà indiqué, aucune de ces décisions ne peut appuyer la thèse voulant que le droit d'une partie de demander à un décideur initial de réexaminer sa décision, en vertu de l'article 18 du Code ou d'une disposition analogue, constitue un autre recours approprié.

 

[30]           Pour déterminer si un processus établi par la loi représente un autre recours approprié, un des facteurs importants qu'il convient de prendre en compte est la manière dont le pouvoir prévu par la loi est susceptible d'être exercé compte tenu du poids de la décision initiale. Par exemple, un droit d'appel établi par la loi pourrait constituer un recours solide si l'appel doit être entendu

par un organisme distinct du décideur initial dont le mandat est d'examiner l'affaire de novo. Dans un tel cas, on pourrait affirmer que le poids de la décision initiale est faible. Par ailleurs, un décideur expérimenté à qui a été conféré le pouvoir de réexaminer ses propres décisions sera souvent enclin à exercer ce pouvoir de façon relativement modérée, de sorte que le poids de la décision initiale sera probablement important. À mon avis, cela tendrait à réfuter l'argument voulant que le pouvoir de réexamen représente un autre recours approprié.

 

[31]           Le pouvoir de réexamen du Conseil fait manifestement partie de la dernière catégorie. Le Conseil déclare lui‑même que sa jurisprudence se conforme systématiquement au principe général suivant lequel ses décisions sont définitives et que son pouvoir de réexamen doit être exercé avec retenue, de sorte que le réexamen constitue plus l'exception que la norme : Canadien national, [1975] 1 Can. LRBR 327, Société Radio‑Canada, 92 CLLC 16,036, 591992 B.C. Ltd., 2001 CCRI 140, no 21762‑C, Wholesale Delivery Service (1972) Ltd., [1979] 1 Can. LRBR 90, Brink's Canada Limited, 2002 CCRI 204, no 23064‑C, Ted Kies, 2008 CCRI 413, no 26826‑C, British Columbia Maritime Employers Association et DP World (Canada) Inc., 2008 CCRI 424, no 26946‑C, Cynthia Jay D'Angelo, 2009 CCRI 460, no 27465‑C, et 3329003 Canada Inc. et Trentway‑Wagar Inc., 2010 CCRI 521, no 27971‑C.

 

[32]           Qu'il y a une différence, dans le présent contexte, entre un processus d'appel établi par la loi et un pouvoir de réexamen conféré par la loi apparaît comme une évidence compte tenu des propos tenus par le juge LeBel et le juge Binnie, de la Cour suprême du Canada, s'exprimant respectivement au nom des juges majoritaires et des juges minoritaires, dans Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221. Au paragraphe 57, le juge LeBel a écrit ce qui suit (non souligné dans l'original) :

57. L'omission de l'appelante de demander un nouvel examen a également été abordée devant notre Cour. Toutefois, même la Commission a admis que, dans les circonstances, un nouvel examen ne constituait pas un préalable obligatoire au contrôle judiciaire. En l'espèce, cela aurait pu constituer une bonne tactique qui aurait peut‑être permis de tirer des renseignements de la Commission au sujet de son processus de consultation, mais les principes applicables au contrôle judiciaire n'exigeaient pas l'usage ou l'épuisement de ce recours particulier. Il va sans dire que, dans certains cas, l'omission de demander un nouvel examen pourrait constituer un facteur qu'une cour de juridiction supérieure devrait prendre en considération pour déterminer s'il y a lieu d'accorder un redressement dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

 

Et le juge Binnie a écrit ce qui suit au paragraphe 94 :

94. La Cour divisionnaire a également blâmé l'appelante d'avoir omis de demander un nouvel examen par la Commission aux termes du par. 114(1) de la Loi. Apparemment, la cour n'a pas aimé la réplique quelque peu triomphale de l'avocat de l'appelante selon laquelle la Commission avait été [TRADUCTION] « pris[e] la main dans le sac », ni le fait qu'il n'était pas prêt à lui donner la possibilité de se sortir de cet embarras. Même si la requête en nouvel examen constituait une option, elle n'équivalait pas à un appel interne pour les fins de l'argument fondé sur [TRADUCTION] « l'épuisement des recours administratifs ». La position que la Commission a fait valoir avec ingéniosité et insistance en l'espèce reflète sans aucun doute ce que la formation aurait dit lors d'un nouvel examen, à savoir l'affirmation que Consolidated‑Bathurst a sanctionné la procédure adoptée dans la présente affaire.

 

 

[33]           Il ressort des propos du juge LeBel que lorsque le tribunal se demande s'il convient d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder un redressement de droit administratif, l'omission de demander le réexamen ne constitue pas un obstacle à une demande de contrôle judiciaire, bien que cela puisse être un facteur pertinent pour décider d'accorder ou non un redressement de droit administratif. Le juge Binnie n'était pas en désaccord, ajoutant que le réexamen n'équivaut pas à un appel interne.

 

[34]           Le STT n'a cité aucune décision où l'omission de solliciter un réexamen en vertu de l'article 18 du Code a empêché l'exercice d'un recours de droit administratif. Le Conseil lui‑même a porté à l'attention de la Cour la seule affaire de cette nature qu'il connaissait : Murphy c. Association canadienne des employés en télécommunications, 2010 CAF 113. Le Conseil a fait valoir que la décision Murphy est erronée et qu'elle ne devait pas être suivie. Le STT a soutenu que notre Cour était liée par la décision Murphy.

 

[35]           Comme l'espèce, la décision Murphy concernait une plainte déposée au Conseil en vertu de l'article 37 du Code. La plainte était fondée sur le fait qu'une lettre d'entente entre le syndicat et l'employeur avait été exclue de la convention collective. La lettre d'entente établissait un comité mixte employeur‑syndicat ayant le mandat de revoir et de reclassifier divers postes en fonction de leurs caractéristiques et descriptions de travail. Parce que la lettre d'entente était exclue de la convention collective, les griefs découlant de la reclassification des postes examinés par le comité n'étaient pas assujettis à l'arbitrage.

 

[36]           Le travail du comité a eu comme effet de réduire la rémunération de M. Murphy, qui a déposé une plainte au Conseil en vertu de l'article 37 du Code. Premièrement, M. Murphy s'est plaint que son syndicat avait illégalement privé ses membres du recours à la procédure de règlement des griefs. Le Conseil a rejeté cet aspect de la plainte compte tenu de son raisonnement dans deux autres plaintes semblables. Siégeant en révision judiciaire, notre Cour a statué que la décision du Conseil était raisonnable en ce qui concernait ce motif de plainte.

 

[37]           Deuxièmement, M. Murphy s'est plaint que son syndicat n'avait pas communiqué suffisamment de renseignements à ses membres avant la ratification de la convention collective. Le syndicat a reconnu que le Conseil n'avait pas explicitement examiné cet aspect de la plainte, mais il a soutenu qu'il l'avait fait implicitement. Siégeant en révision judiciaire, notre Cour a été encline à convenir que le Conseil avait implicitement examiné cet aspect de la plainte. La Cour a cependant souligné (au paragraphe 7 de la décision Murphy) que « concernant la question qu'il soulève relativement à l'examen d'un aspect de la plainte que le Conseil n'aurait pas fait, le demandeur aurait dû se prévaloir du recours administratif qu'est le réexamen offert à l'article 18 du Code ».

 

[38]           Le STT soutient que le principe sous-jacent à la deuxième question soulevée dans la décision Murphy est que le pouvoir de réexamen en vertu de l'article 18 est tellement intégré au processus administratif du Conseil que l'omission de l'invoquer porte un coup fatal à toute demande de contrôle judiciaire d'une décision du Conseil. Je n'interprète pas la décision Murphy comme étayant un tel énoncé. Le Conseil affirme lui-même que son pouvoir de réexamen ne doit pas être considéré comme une procédure d'appel prévue par la loi et que l'omission de l'invoquer n'empêche pas de solliciter un contrôle judiciaire.

 

[39]           La Cour n'explique pas son raisonnement concernant la deuxième question soulevée dans Murphy, mais je déduis qu'il se fonde sur deux hypothèses. La première est que lorsqu'une décision du Conseil est contestée par voie de demande de contrôle judiciaire, la mesure de redressement la plus favorable qu'un demandeur puisse espérer est une ordonnance enjoignant au Conseil de réexaminer la plainte. La deuxième est que si le Conseil avait réellement négligé de prendre en compte un aspect de la plainte, il pourrait fort bien corriger cet oubli, sur demande, sans être tenu de le faire en vertu d'une ordonnance. Considérée sous cet angle, la décision Murphy est un exemple du genre de situations que le juge LeBel évoquait dans l'arrêt Ellis‑Don; un poids considérable a été accordé à l'omission de M. Murphy de solliciter le réexamen lorsqu'il a été déterminé que rien ne justifiait un recours de droit administratif dans les circonstances particulières de cette affaire.

 

[40]           Les faits en l'espèce sont bien différents de ceux dans Murphy. En l'espèce, la jurisprudence du Conseil, telle qu'elle est résumée dans ses observations, indique qu'il est peu probable que le Conseil réexamine la décision de refuser de proroger le délai.

 

[41]           Pour ces motifs, je conclus que la Cour ne serait pas justifiée de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire ni de refuser d'accorder un recours de droit administratif du simple fait que les plaignants ont omis de demander au Conseil d'exercer son pouvoir de réexamen.

 

(c) La décision du Conseil de refuser de proroger le délai était‑elle raisonnable?

[42]           J'examinerai maintenant la deuxième question d'importance soulevée dans la présente demande, soit l'examen du bien-fondé de la décision du Conseil. La question à trancher est de savoir s'il était raisonnable pour le Conseil de refuser de proroger le délai à l'égard des plaintes. Je conclus par l'affirmative pour les motifs qui vont suivre.

 

[43]           D'après mon analyse des motifs du Conseil, son refus de proroger le délai était fondé sur la prise en compte, à la lumière des faits non contestés, de quatre facteurs généraux. Je résume ces facteurs de la façon suivante : (1) le délai établi par la loi est une question de droit et se justifie par des considérations de principe, c'est‑à‑dire encourager les parties à agir de façon expéditive dans le but de promouvoir la certitude et d'éviter que les autres parties soient lésées; (2) le Conseil ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à accorder automatiquement une prorogation de délai parce qu'en agissant de la sorte, il porterait atteinte au principe justifiant l'existence du délai; (3) par ailleurs, le Conseil devrait exercer son pouvoir discrétionnaire dans des situations particulièrement impérieuses, après avoir pris en compte les motifs justifiant le retard et sa durée; (4) habituellement, les non‑initiés (qui, à mon avis, comprennent les personnes non représentées par avocat) devraient être assujettis aux mêmes normes que les syndicats et les employeurs.

 

[44]           Le Conseil a aussi examiné explicitement l'importance du retard (9 mois) et sa cause. Il est arrivé à la conclusion que la cause principale était une croyance sincère mais erronée des plaignants selon laquelle le Conseil préférerait une seule plainte présentée par plusieurs plaignants et déposée en retard à une multitude de plaintes individuelles déposées à temps. Toutefois, le Conseil a noté qu'il avait suffisamment de moyens de procédure pour traiter un grand nombre de plaintes.

 

[45]           Les plaignants ne laissent pas entendre que le Conseil a mal compris la cause du retard. Toutefois, ils soutiennent qu'il était déraisonnable pour le Conseil de ne pas accorder une attention spéciale au fait que les plaignants n'ont pas eu d'avocat pour la majeure partie de cette période de neuf mois. Ils soulignent que leur inexpérience relative entraînait des obstacles difficiles à surmonter, aussi bien pour rassembler les renseignements qui, croyaient‑ils, auraient été nécessaires à étayer leur plainte que pour évaluer les procédures du Conseil et les voies par lesquelles une multitude de plaintes pouvait être gérée efficacement.

 

[46]           Une décision est raisonnable si elle est suffisamment justifiée et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. C'est ce qui ressort de l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. À mon avis, le dossier ne dévoile pas que la décision du Conseil, c'est‑à‑dire de ne pas proroger le délai en l'espèce, était déraisonnable.

 

[47]           Il est vrai que le Conseil n'a pas fait preuve de compassion relativement aux difficultés que devaient résoudre les plaignants alors qu'ils faisaient face à une situation qui leur était peu familière et qu'ils voulaient faire en sorte que leur plainte, une fois présentée, puisse être traitée efficacement. Toutefois, ces conditions difficiles ne donnaient aux plaignants aucun droit juridique leur permettant d'obtenir que le Conseil exerce son pouvoir discrétionnaire en leur faveur. À mon avis, la décision du Conseil de refuser la prorogation de délai appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et était donc raisonnable. J'estime que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

 

(4) Conclusion

[48]           Je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. En ce qui concerne les plaignants et le STT, je n'adjugerais aucuns dépens étant donné le succès partagé. Telus a demandé des dépens dans son mémoire des faits et du droit, mais ses observations n'ont rien ajouté à celles présentées par le STT et sa demande a été retirée lors de l'audience. Le Conseil n'a pas demandé de dépens.

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            M. Nadon j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Robert M. Mainville j.c.a »

 

 

 

Traduction certifiée conforme.

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A-268-10

 

INTITULÉ :                                                               Eduardo Buenaventura Jr. et al. c.

                                                                                    Syndicat des travailleurs(euses) en télécommunications, Telus Communications Inc. et Conseil canadien des relations industrielles

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                       Le 29 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    La juge Sharlow

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 Le juge Nadon

                                                                                    Le juge Mainville

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 1er mars 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Allan McDonell, c.r.

Dwight Harbottle

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Shona Moore, c.r.

 

 

 

Alan Hamilton, c.r.

Stephanie Gutierrez

 

POUR LE DÉFENDEUR,

Syndicat des travailleurs(euses) en télécommunications

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

Telus Communications Inc.

 

David J. Demirkan

 

POUR L'INTERVANT

Conseil canadien des relations industrielles

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harbottle & Co.

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Moore Edgar Olson

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

 

Farris, Vaughan, Wills & Murphy, LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR,

Syndicat des travailleurs(euses) en télécommunications

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

Telus Communications Inc.

 

Services juridiques

Conseil canadien des relations industrielles

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'INTERVENANT,

Conseil canadien des relations industrielles

 

 

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