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Date : 20120411

Dossier : A‑344‑11

Référence : 2012 CAF 109

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

appelante

(défenderesse)

 

et

 

ASTRAZENECA CANADA, INC.

ASTRAZENECA UK LIMITED et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

(demanderesses et défendeur)

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 27 mars 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 avril 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LA JUGE SHARLOW

LA JUGE DAWSON


Date : 20120411

Dossier : A‑344‑11

Référence : 2012 CAF 109

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

appelante

(défenderesse)

 

et

 

ASTRAZENECA CANADA, INC.

ASTRAZENECA UK LIMITED et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

(demanderesses et défendeur)

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

Introduction

[1]               La Cour statue sur l’appel interjeté par Mylan Pharmaceuticals ULC (Mylan) d’une décision de la Cour fédérale, publiée à 2011 CF 1023, par laquelle le juge Rennie (le juge de première instance) a fait droit à la demande présentée par AstraZeneca Canada Inc. et AstraZeneca UK Limited (AstraZeneca) en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, en vue d’obtenir une ordonnance d’interdiction.

 

[2]               Dans son ordonnance, le juge de première instance a interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité autorisant Mylan à vendre au Canada sa version du médicament anastrozole jusqu’à l’expiration, le 24 octobre 2012, du brevet canadien n1337420 (le brevet 420), lequel vise le composé anastrozole.

 

[3]               Dans son avis d’allégation, Mylan alléguait que la vente de sa version générique de l’anastrozole ne contreferait pas le brevet 420, étant donné que le brevet 420 est invalide pour cause d’absence d’utilité et d’évidence. Mylan ne conteste plus le brevet au motif que l’invention est évidente. Le juge de première instance a estimé qu’AstraZeneca avait démontré que l’avis d’allégation de Mylan n’était pas fondé.

 

[4]               Le présent appel a principalement pour objet l’interprétation d’une phrase du mémoire descriptif du brevet 420. Il est toutefois utile d’identifier d’entrée de jeu deux des revendications du brevet. La revendication 14 vise une composition pharmaceutique qui comprend une quantité efficace d’anastrozole, et la revendication 15 vise l’utilisation de l’anastrozole comme inhibiteur de l’enzyme aromatase. Aucune de ces revendications n’est en litige dans le présent appel.

 

[5]               Un inhibiteur de l’aromatase empêche la conversion des androgènes en œstrogènes, ce qui réduit la disponibilité des œstrogènes circulants dans l’organisme. La réduction des œstrogènes a une importance particulière dans le traitement de certaines formes de cancer du sein qui dépendent des œstrogènes pour leur croissance.

 

[6]               Il est acquis aux débats que l’anastrozole est un composé nouveau et utile et qu’il est brevetable selon l’article 2 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4. Il est également acquis aux débats que le 15 juin 1998, date de dépôt du brevet canadien, le brevet 420 démontrait que l’anastrozole inhibait l’aromatase, comme l’indique la revendication 14 du brevet, et que l’invention était donc utile.

 

[7]               Le critère de l’utilité auquel il faut répondre lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis est peu exigeant. L’inventeur n’a pas l’obligation de faire une telle promesse. Toutefois, lorsque le mémoire descriptif exprime une promesse, l’invention qui ne fait pas ce que le brevet promet manque d’utilité au sens de l’article 2 (Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Limited, [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 525 (Consolboard); Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, 85 C.P.R. (4th) 413 au paragraphe 76 (Eli Lilly)).

 

[8]               La question en litige dans le présent appel concerne l’interprétation de la phrase soulignée dans le paragraphe suivant du mémoire descriptif du brevet :

[traduction] Divers composés connus possèdent une activité anti‑aromatase, le plus important sur le plan clinique étant l’aminogluthétimide [AG]. L’[AG] a cependant l’inconvénient d’agir sur d’autres aspects du métabolisme des stéroïdes et d’être par conséquent associé à des effets secondaires indésirables. La présente invention a pour objet particulier de fournir des inhibiteurs de l’aromatase qui exercent moins d’effets secondaires indésirables que l’[AG].

 

 

[9]               Bien que cela n’ait pas d’incidence sur l’issue du présent appel, j’ajouterais, par souci d’exhaustivité, que l’anastrozole s’est révélé un traitement clinique très efficace contre le cancer du sein œstrogéno‑dépendant et est un grand succès commercial pour AstraZeneca. Tout en étant un puissant inhibiteur de l’aromatase, il est beaucoup moins toxique que les inhibiteurs de l’aromatase des générations précédentes, y compris l’AG, à cause de ses effets très sélectifs.

 

Thèse de Mylan

[10]           Mylan affirme que la phrase soulignée dans l’extrait susmentionné constitue une promesse que l’anastrozole provoque moins d’effets secondaires indésirables que l’AG, premier inhibiteur de l’aromatase utilisé dans le traitement du cancer du sein. Ce médicament de première génération inhibait efficacement l’aromatase. Cependant, comme il n’était pas sélectif, l’AG inhibait d’autres enzymes nécessaires au bon fonctionnement du corps. L’un des objectifs de la recherche pharmaceutique dans les années 1980 était de découvrir un inhibiteur de l’aromatase qui soit à la fois puissant et sélectif en ce qui concerne les enzymes qu’il inhibe.

 

[11]           Mylan soutient qu’en date du 15 juin 1988, les inventeurs de l’anastrozole n’avaient pas démontré que l’anastrozole provoquait moins d’effets secondaires que l’AG. En tout état de cause, l’utilité du brevet sur le plan des effets secondaires n’était pas suffisamment divulguée dans le brevet. Comme cette promesse du brevet n’avait pas été démontrée, l’invention n’avait pas d’utilité et l’allégation que le brevet était invalide était donc fondée.

 

[12]           Mylan a fait valoir devant la Cour fédérale que, suivant la promesse du brevet, l’anastrozole possédait une utilité thérapeutique pour le traitement du cancer du sein. En conséquence, étant donné qu’il n’avait pas été démontré que l’anastrozole provoquait moins d’effets secondaires que l’AG, cette promesse était sans fondement et l’allégation d’invalidité de Mylan était par conséquent fondée.

 

[13]           Le juge de première instance a estimé qu’aucune promesse de ce type n’avait été faite et il a donc rejeté cet argument. Tant dans son mémoire des faits et du droit (au paragraphe 30) que lors des débats, Mylan a expliqué que son argument relatif à l’absence d’utilité reposait uniquement sur le fait que la promesse suivant laquelle l’anastrozole comporterait moins d’effets secondaires que l’AG n’avait pas été remplie. Son avocat affirme par conséquent qu’il n’est pas nécessaire que la Cour examine la question de savoir si le brevet comporte une promesse quant à l’utilité thérapeutique.

 

Thèse d’AstraZeneca

[14]           En ce qui concerne l’interprétation de la phrase contestée du mémoire descriptif, AstraZeneca fait valoir que l’« objet de l’invention » concerne le but à long terme visé par l’invention ou l’objectif vers lequel elle tend. Il ne s’agit pas d’une promesse suivant laquelle l’anastrozole avait déjà atteint cet objectif à la date du dépôt, mais seulement d’un espoir de l’atteindre éventuellement. L’allégation de Mylan n’était donc pas fondée, dans la mesure où elle affirmait que le brevet était invalide pour cause d’absence d’utilité, étant donné que le brevet ne démontrait pas qu’en date du 15 juin 1988, l’anastrozole comportait moins d’effets secondaires que l’AG.

 

[15]           Quoi qu’il en soit, soutient AstraZeneca, même si Mylan a raison de dire que, correctement interprété, le brevet promet que l’anastrozole produit moins d’effets secondaires que l’AG, il avait été démontré à la date de dépôt du brevet 420 que l’anastrozole était un inhibiteur enzymatique sélectif et qu’il entraînait donc moins d’effets secondaires indésirables que l’AG. Par conséquent, l’invention avait une utilité parce qu’elle remplissait ses promesses.

 

La décision de la Cour fédérale

[16]           Le juge de première instance a retenu l’interprétation du mémoire descriptif proposée par AstraZeneca et a par conséquent conclu que l’allégation de Mylan suivant laquelle le brevet 420 était invalide pour absence d’utilité n’était pas fondée. Le juge s’est appuyé sur les principes d’interprétation suivants pour traiter la question de l’interprétation de la promesse du brevet.

 

[17]           Le juge de première instance a d’abord expliqué que la Cour doit considérer le brevet dans son ensemble ainsi que la formulation précise des revendications (au paragraphe 88). En deuxième lieu, la promesse doit être interprétée en se plaçant du point de vue de la personne versée dans l’art (ou personne compétente dans le domaine), par exemple la personne qui possède un diplôme de médecine ou un doctorat dans un domaine pertinent, ainsi que deux ou trois ans d’expérience en recherche pharmaceutique et en mise au point de médicaments. Troisièmement, le brevet doit être interprété en tenant compte tenu de l’état de la science au moment du dépôt du brevet (au paragraphe 89). Quatrièmement, pour interpréter le brevet, il ne faut être ni indulgent ni dur, mais chercher plutôt une interprétation qui assure que l’inventeur d’une invention utile ne soit pas privé de protection (au paragraphe 88) (Consolboard, aux pages 520 et 21).

 

[18]           Le juge de première instance a, à titre subsidiaire, estimé que, si l’interprétation que Mylan faisait du mémoire descriptif était correcte, il n’avait pas été démontré, dans le brevet, qu’en date du 15 juin 1988 l’anastrozole provoquait moins d’effets secondaires que l’AG. Par conséquent, selon cette interprétation du brevet, l’allégation d’absence d’utilité était fondée.

 

[19]           Je ne suis pas convaincu que le juge de première instance a commis une erreur dans son interprétation de la promesse du brevet. Il n’est donc pas nécessaire que je formule d’observations au sujet de sa conclusion suivant laquelle, dans la mesure où le brevet promet que l’anastrozole provoque moins d’effets secondaires que l’AG, il est invalide pour absence d’utilité étant donné qu’il ne fait référence à aucune étude démontrant que tel est le cas. J’estime qu’il convient de remettre l’examen de cette question à une autre occasion.

 

Analyse

[20]           Norme de contrôle – Comme l’interprétation d’un brevet, y compris de son mémoire descriptif, est une question de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Eli Lilly au paragraphe 80). Toutefois, s’agissant de l’appréciation des éléments de preuve – concernant, par exemple, l’état des connaissances scientifiques à l’époque en cause et la façon dont la personne raisonnable versée dans l’art interpréterait le brevet – à laquelle s’est livré le juge pour tirer sa conclusion au sujet de l’interprétation du brevet, la norme de contrôle est celle de l’erreur manifeste et dominante.

 

[21]           Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur de droit? – Tout en précisant qu’elle n’est pas en désaccord avec le cadre d’interprétation adopté par le juge de première instance pour interpréter la promesse du brevet 420, Mylan affirme que le juge a commis une erreur de droit en accordant trop d’importance à certains facteurs et pas assez à d’autres. Je vais examiner les erreurs qui, selon Mylan, entacheraient le raisonnement du juge.

 

[22]           Par souci de commodité, je reproduis ici la seule phrase, sur les 55 pages du brevet, sur laquelle s’appuie Mylan pour établir que non seulement l’anastrozole inhibe l’aromatase, mais qu’il entraîne également moins d’effets secondaires que l’AG.

[traduction] La présente invention a pour objet particulier de fournir des inhibiteurs de l’aromatase qui exercent moins d’effets secondaires indésirables que l’[AG].

 

 

[23]           On se souviendra que la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si les mots « [l]a présente invention a pour objet » signifie que l’anastrozole provoque moins d’effets secondaires que l’AG, comme Mylan le soutient ou si, comme le prétend AstraZeneca, ils signifient que c’est l’objectif que l’invention vise sans pour autant promettre qu’il a été atteint.

 

(i)         Importante excessive accordée aux définitions que donnent les dictionnaires

[24]           Le juge de première instance explique (au paragraphe 132) que le sens ordinaire du mot anglais « object » [objet] indique que ce terme s’entend d’un objectif à atteindre. Il cite l’acception suivante que l’Oxford English Dictionary (3e éd., version en ligne) donne du mot « object » [objet] :

[traduction] But, objectif, ou fin; ce sur quoi porte un processus ou ce à quoi il tend.

 

 

[25]           Mylan invoque deux arguments. En premier lieu, le juge de première instance a, selon elle, accordé une importance exagérée à la définition que le dictionnaire donne du mot « object » [objet] alors qu’il aurait dû chercher à savoir ce que ce mot signifie dans le contexte du droit des brevets. L’avocat a fait référence à divers arrêts, dont l’arrêt Amfac Foods Inc. c. Irving Pulp & Paper, Ltd. (1986), 12 C.P.R. (3d) 193 (C.A.F.) à la page 199, dans lesquels la Cour s’est fondée sur une clause relative à l’objet pour préciser la portée d’une invention. S’appuyant sur cette jurisprudence, l’avocat a soutenu que l’« objet de l’invention » était à toutes fins utiles une expression juridique technique faisant partie de la définition de l’invention.

 

[26]           Je ne suis pas de cet avis. Il n’est pas exigé que les brevets comportent une clause décrivant ce en quoi consiste l’objet de l’invention. Lorsqu’une telle clause figure dans un brevet, sa signification dépend du contexte, et notamment du libellé de la clause en question et des liens entre celle‑ci et les autres clauses du brevet. D’ailleurs, à l’audiene, l’avocat a admis que les clauses relatives à l’objet ne devaient pas nécessairement être interprétées comme énonçant la promesse de l’invention.

 

[27]           En second lieu, l’avocat de Mylan affirme que le juge de première instance n’a fait référence qu’à certains des synonymes ou des définitions que les dictionnaires proposent pour le mot « object » [objet] et qu’il a notamment passé sous silence le mot « purpose » [objectif], qui renvoie à ce que l’invention fait. À mon avis, ce type d’analyse sémantique fouillée des motifs du juge de première instance ne fait pas avancer le débat. Je suis convaincu, après les avoir considérées dans leur ensemble, que le juge de première instance a accordé relativement peu de poids aux définitions des dictionnaires pour en arriver à sa conclusion que le brevet ne promet pas que l’anastrozole entraîne moins d’effets secondaires que l’AG. Voici, à titre d’illustration, ce qu’il dit, au paragraphe 139 :

 

En résumé, lorsqu’on l’interprète en tenant compte du brevet dans son ensemble, le libellé non ambigu du brevet ne permet pas de penser qu’il promet que le médicament visé comportera moins d’effets secondaires indésirables. J’accepte l’argument d’AstraZeneca suivant lequel ce ne sont pas toutes les déclarations que l’on trouve dans un brevet au sujet des avantages qui peuvent être considérés comme une promesse. Un objectif n’est pas nécessairement une promesse. Le troisième paragraphe du brevet 420 parle d’un objectif à long terme, d’un avantage que l’on espère que l’invention comportera.

 

 

[28]           À mon avis, les motifs du juge de première instance montrent plutôt qu’il s’est fondé sur des définitions et des synonymes tirés de dictionnaires pour confirmer que, dans son sens courant, le mot anglais « object » [objet] était compatible avec le sens qu’il attribuait à ce mot en raison d’autres facteurs, en l’occurrence, le témoignage du docteur Dowsett, qu’il analyse aux paragraphes 40 à 42 de ses motifs, ainsi que l’examen qu’il a fait du brevet, pris dans son ensemble.

 

(ii)        Contexte du brevet

[29]           Après avoir examiné le brevet dans son intégralité, le juge de première instance a fait observer que, abstraction faite de la phrase du mémoire descriptif où il était question de « l’objet de l’invention », le brevet ne contenait aucune indication que l’anastrozole comportait moins d’effets secondaires que l’AG. Contrairement à l’énoncé concernant l’objet de l’invention, les revendications visant l’anastrozole et ses effets inhibiteurs sur l’aromatase sont précises et spécifiques. Par exemple, la revendication 13 vise [traduction] « le composé [anastrozole] », et la revendication 15 vise « l’utilisation du composé [l’anastrozole] comme inhibiteur de l’enzyme aromatase ».

 

[30]           Il est par ailleurs admis que le brevet 420 serait valide s’il ne revendiquait que l’anastrozole et ses effets inhibiteurs sur l’aromatase. Il n’était donc pas nécessaire que le brevet promette aussi moins d’effets secondaires que l’AG. Même si des tests, non divulgués par AstraZeneca, avaient été réalisés et montraient que l’anastrozole était sélectif, une promesse à cet égard dans le brevet serait totalement gratuite et ne pourrait que fournir aux concurrents un autre motif de contester la validité du brevet.

 

[31]           Mylan réfute ces arguments en affirmant que le mot « fournir », qui figure dans la clause relative à l’objet, est utilisé ailleurs dans le brevet en lien avec les revendications du brevet. Ainsi, en affirmant que [traduction] « la présente invention a pour objet particulier de fournir des inhibiteurs de l’aromatase qui exercent moins d’effets secondaires indésirables que [l’AG] », la clause définissant l’objet devrait, selon l’avocat de Mylan, être interprétée comme une promesse.

 

[32]           Je ne suis pas de cet avis. J’estime que cette interprétation microscopique des clauses du brevet est erronée. Le fait qu’un mot ordinaire comme « fournir » soit utilisé dans des phrases décrivant les revendications du brevet ne signifie pas que ce même mot employé dans d’autres phrases doive être interprété comme évoquant une promesse du brevet.

 

[33]           Je suis d’accord avec le juge de première instance pour dire que l’examen du brevet dans son ensemble appuie la conclusion qu’à la différence des revendications explicites du brevet, la clause définissant l’objet parlait d’un objectif à long terme, d’un avantage que l’on souhaitait que l’invention comporte. À mon avis, le fait que les effets secondaires ne soient mentionnés nulle part ailleurs dans le brevet est révélateur.

 

(iii)       État des connaissances existantes

[34]           L’état des connaissances scientifiques à la date de dépôt du brevet canadien est un aspect important du contexte dans lequel un brevet doit être interprété. Mylan allègue que, dans les années 1980, l’inconvénient majeur des inhibiteurs de l’aromatase alors utilisés pour traiter le cancer du sein œstrogéno‑dépendant était que leurs effets inhibiteurs n’étaient pas sélectifs. En particulier, l’AG, le médicament le plus utilisé dans le traitement de ce type de cancer, avait comme effet indésirable d’inhiber la synthèse du cortisol. Le cortisol est essentiel à la réaction de stress de l’organisme, et un déficit en cortisol peut être fatal.

 

[35]           En 1988, les scientifiques tentaient de découvrir un composé qui aurait une action sélective sur l’aromatase et qui n’aurait donc pas cet effet secondaire. Par conséquent, affirme Mylan, une personne raisonnable versée dans l’art interpréterait l’énoncé du brevet 420 selon lequel l’« objet particulier » de l’anastrozole est de fournir des inhibiteurs de l’aromatase qui provoquent moins d’effets secondaires indésirables que l’[AG] comme une promesse qu’AstraZeneca avait découvert ce que l’industrie cherchait, c’est‑à‑dire un composé qui ne provoquerait pas les effets secondaires de l’AG. Un composé qui ne produirait pas moins d’effets secondaires que l’AG ne serait ni commercialement ni cliniquement utile.

 

[36]           Je ne suis pas d’accord avec cet argument. Selon moi, le fait que l’industrie pharmaceutique cherchait une solution à un problème particulier n’aurait pas amené la personne versée dans l’art à croire nécessairement que l’« objet particulier » de l’anastrozole était de résoudre l’un des problèmes les plus pressants de la recherche à l’époque. Il est aussi possible de donner une autre interprétation à la clause relative à l’objet, à savoir qu’elle indique simplement que le but est de résoudre le problème, mais sans promesse de réussite.

 

[37]           De plus, même si l’anastrozole n’était pas commercialement ou cliniquement utile s’il ne provoquait pas moins d’effets secondaires que l’AG, il est acquis aux débats que l’anastrozole était brevetable en tant que composé nouveau et utile et en tant qu’inhibiteur de l’aromatase. Il serait logique de chercher à obtenir la protection que confère un brevet pour l’anastrozole sur ce fondement pour le cas où l’anastrozole s’avérerait sélectif, étant donné qu’AstraZeneca avait de bonnes raisons de croire au moment du dépôt du brevet 420 au Canada qu’il le serait en raison du résultat des tests sur les effets secondaires chez les rats mâles in vivo (ESM) qui avaient été menés avant 1988, mais qui n’étaient pas divulgués dans le brevet 420.

 

(iv)       Les témoignages d’expert

[38]           L’intention subjective de l’inventeur compte relativement peu lorsqu’il s’agit d’interpréter les clauses d’un brevet. Ce qui importe beaucoup plus c’est la manière dont la personne à qui le brevet s’adresse – la personne raisonnable versée dans l’art – l’interpréterait (Consolboard, à la page 521; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725, 46 C.P.R. (4th) 244, au paragraphe 28). Les deux parties ont fait entendre des témoins experts, qui ont témoigné au sujet de la question de l’utilité. L’expert de Mylan était le docteur Coombes, un médecin qui est également professeur d’oncologie et qui a participé à la mise au point d’inhibiteurs de l’aromatase. Il a expliqué qu’à son avis la personne versée dans l’art interpréterait la clause du brevet 420 relative à l’objet comme promettant moins d’effets secondaires que l’AG.

 

[39]           Le docteur Hartmann était l’expert d’AstraZeneca en matière d’évidence. Il est professeur de pharmacie chimique et de chimie des médicaments et il a fait des travaux sur les inhibiteurs de l’aromatase pour le traitement du cancer du sein. Il semble qu’il était d’avis que la personne versée dans l’art interpréterait la clause définissant l’objet du brevet 420 comme affirmant que l’anastrozole comporterait moins d’effets secondaires. La personne versée dans l’art interpréterait la clause définissant l’objet du brevet comme une affirmation que les inhibiteurs de l’aromatase provoquent moins d’effets secondaires. Le juge de première instance en a pris acte dans ses motifs (au paragraphe 124).

 

[40]           L’expert d’AstraZeneca sur la question de l’utilité était le docteur Dowsett, un professeur d’endocrinologie biochimique dont les recherches portaient presque exclusivement sur le cancer du sein. Le juge de première instance a retenu le témoignage du docteur Dowsett suivant lequel la personne raisonnable versée dans l’art qui lirait la clause relative à l’objet du brevet 420 l’interpréterait comme une simple déclaration quant à l’objectif visé par les inventeurs et non comme une promesse que l’anastrozole permettait d’atteindre cet objectif.

 

[41]           Mylan affirme que la conclusion du juge de première instance sur la façon dont la personne versée dans l’art interpréterait la promesse du brevet n’est confirmée par aucun des témoignages des experts entendus. En effet, selon Mylan, le juge n’aurait pas remarqué que le docteur Dowsett a admis, lors de son contre‑interrogatoire, que la clause définissant l’objet du brevet amènerait la personne versée dans l’art à interpréter le brevet 420 comme comportant la promesse que l’invention provoque moins d’effets secondaires.

 

[42]           Je ne suis pas de cet avis. L’appréciation de la déposition d’un témoin à laquelle procède le juge des faits ne peut être remise en question en appel que si ce dernier a commis une erreur manifeste et dominante (Halford c. Seed Hawk Inc., 2006 CAF 275, 54 C.P.R. (4th) 130, au paragraphe 11).

 

[43]           À mon avis, lorsqu’on la replace dans le contexte de l’ensemble de son contre‑interrogatoire, le sens de l’admission qu’aurait faite le docteur Dowsett est loin d’être clair. En fait, immédiatement avant et après qu’il ait tenu les propos en question, le docteur Dowsett déclare catégoriquement que, selon lui l’« objet de l’invention » s’entend de l’objectif qu’elle vise.

 

[44]           Il était donc raisonnablement loisible au juge de première instance de fonder sa conclusion sur le témoignage explicite du docteur Dowsett suivant lequel la clause définissant l’objet du brevet énonçait l’objectif à long terme, de provoquer moins d’effets secondaires, et sur le fait que le docteur Dowsett n’était pas certain [traduction] « que le brevet indique effectivement que c’est ce à quoi les inventeurs ont abouti ». Le juge de première instance n’a donc pas commis d’erreur justifiant l’infirmation de cette décision en appréciant la preuve et en préférant le témoignage du docteur Dowsett (au paragraphe 125).

 

(v)        Incohérence interne des motifs du juge de première instance

[45]           Mylan affirme que le juge de première instance a commis une erreur en déduisant, du fait qu’aucune description d’essais cliniques n’y figurait, que le brevet ne pouvait pas promettre quelque chose qui n’était démontrable que par des essais cliniques. L’avocat soutient que le juge de première instance a ainsi confondu l’interprétation du brevet – la première étape de l’analyse – avec la question de savoir si cette promesse était réalisée. À titre connexe, Mylan affirme que le juge de première instance a fait des affirmations contradictoires sur la question de savoir s’il était nécessaire de procéder à des essais cliniques pour démontrer que l’anastrozole provoquait moins d’effets secondaires.

 

[46]           À mon avis, aucun de ces arguments ne justifie l’intervention de notre Cour relativement à la décision du juge de première instance. Même si, comme Mylan le soutient, le juge de première instance semble à certains moments, dans l’interprétation du brevet, tirer des inférences de l’absence d’essais cliniques, il ressort de la lecture de l’ensemble de ses motifs que ce facteur n’a joué qu’un rôle négligeable pour l’amener à conclure que le brevet 420 ne promettait pas que l’anastrozole entraîne moins d’effets secondaires que l’AG.

 

[47]           Il n’y avait pas non plus de confusion dans l’esprit du juge de première instance en ce qui concerne la nécessité d’essais cliniques pour démontrer que l’invention comporte moins d’effets secondaires. Il ressort clairement de ses motifs qu’il comprenait que les tests ESM suffisaient pour démontrer que l’anastrozole était sélectif et qu’il n’entraînait pas le principal effet secondaire indésirable de l’AG, en l’occurrence, la déficience en cortisol. Il était également conscient du fait qu’il était nécessaire de procéder à des essais cliniques pour démontrer que l’anastrozole provoquait d’autres effets secondaires, par exemple des éruptions cutanées.

 

Dispositif

[48]           Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord »

            K. Sharlow, j.c.a.

 

« Je suis d’accord »

            Eleanor R. Dawson, j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑344‑11

 

 

INTITULÉ :                                                   MYLAN PHARMACEUTICALS ULC c.
ASTRAZENECA CANADA INC., ASTRAZENECA UK LIMITED et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 27 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LES JUGES SHARLOW ET DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 11 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Bradley White

Vincent M. de Grandpré

 

POUR L’APPELANTE

 

J. Sheldon Hamilton

Colin B. Ingram

 

 

POUR LES INTIMÉES,

ASTRAZENECA CANADA INC. et ASTRAZENECA UK LIMITED

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler, Hoskin et Harcourt, SRL

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

 

Smart et Biggar

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉS,

ASTRAZENECA CANADA INC. et ASTRAZENECA UK LIMITED

 

 

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