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Date : 20120614

Dossier : A‑499‑11

Référence : 2012 CAF 179

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

 

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET
ÉDITEURS DE MUSIQUE

 

appelante

et

 

IIC ENTERPRISES LTD.

FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE DE CHEETAH’S NIGHTCLUB

 

intimée

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 15 mai 2012.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 14 juin 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                               LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                    LE JUGE MAINVILLE

 


Date : 20120614

Dossier : A‑499‑11

Référence : 2012 CAF 179

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

 

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET
ÉDITEURS DE MUSIQUE

 

appelante

et

 

IIC ENTERPRISES LTD.

FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE DE CHEETAH’S NIGHTCLUB

 

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE SHARLOW

[1]               La question soulevée dans l’appel est de savoir si une société de gestion, qui choisit de recouvrer des dommages‑intérêts préétablis en vertu du paragraphe 38.1(4) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, relativement aux redevances qui lui sont dues en Colombie‑Britannique, peut réclamer les intérêts avant jugement conformément au paragraphe 1(1) de la Court Order Interest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 79, à compter de la date où les redevances sont payables. Un protonotaire et un juge de la Cour fédérale ont répondu par la négative. Je ne suis pas de cet avis et j’accueillerais l’appel.

Les faits

[2]               L’appelante, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), est une société de gestion. Elle possède ou gère les droits d’exécution publique au Canada, et le droit d’autoriser ces exécutions publiques, pour ce qui est des œuvres les plus populaires couramment utilisées au Canada. En vertu d’un tarif approuvé par la Commission du droit d’auteur et publié dans la Gazette du Canada (Tarif 3.C), la SOCAN avait le droit de percevoir des redevances auprès des licenciés pour les années civiles 2005 à 2010. Les redevances pour chacune de ces années étaient payables au 31 janvier de l’année suivante.

 

[3]               Pendant les années 2005 à 2010 inclusivement, l’intimée, IIC Enterprises Ltd. (IIC), était une licenciée soumise au tarif 3.C. Elle exploitait une boîte de nuit à Kelowna en Colombie‑Britannique appelée « Cheetah’s Nightclub » où elle présentait au public des prestations d’œuvres musicales sous forme de musique enregistrée qui incluait des œuvres faisant partie du répertoire de la SOCAN. IIC a versé une partie des redevances dues pour l’année 2005, puis a omis d’effectuer les paiements de celles‑ci au cours des années suivantes. Au 1er février 2011, les redevances impayées s’élevaient à 20 383,37 $.

 

[4]               Le 23 février 2011, la SOCAN a déposé une déclaration devant la Cour fédérale en vue d’obtenir jugement contre IIC pour le recouvrement des redevances impayées, plus les intérêts avant jugement et les dépens. Suivant la déclaration, la demande de redevances impayées trouve son fondement dans le paragraphe 68.2(1) de la Loi sur le droit d’auteur, qui est rédigé comme suit :

68.2 (1) La société de gestion peut, pour la période mentionnée au tarif homologué, percevoir les redevances qui y figurent et, indépendamment de tout autre recours, le cas échéant, en poursuivre le recouvrement en justice.

68.2 (1) Without prejudice to any other remedies available to it, a collective society may, for the period specified in its approved tariff, collect the royalties specified in the tariff and, in default of their payment, recover them in a court of competent jurisdiction.

 

 

 

[5]               La déclaration rappelle également que la SOCAN peut choisir comme solution de rechange de réclamer des dommages‑intérêts préétablis en vertu du paragraphe 38.1(4) de la Loi sur le droit d’auteur. Afin de comprendre cette disposition, il convient d’examiner l’intégralité de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur, qui est rédigé comme suit :

38.1. (1) Sous réserve du présent article, le titulaire du droit d’auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou l’ordonnance qui met fin au litige, choisir de recouvrer, au lieu des dommages‑intérêts et des profits visés au paragraphe 35(1), des dommages‑intérêts préétablis dont le montant, d’au moins 500 $ et d’au plus 20 000 $, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence, pour toutes les violations – relatives à une œuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d’auteur – reprochées en l’instance à un même défendeur ou à plusieurs défendeurs solidairement responsables.

 

38.1. (1) Subject to this section, a copyright owner may elect, at any time before final judgment is rendered, to recover, instead of damages and profits referred to in subsection 35(1), an award of statutory damages for all infringements involved in the proceedings, with respect to any one work or other subject‑matter, for which any one infringer is liable individually, or for which any two or more infringers are liable jointly and severally, in a sum of not less than $500 or more than $20,000 as the court considers just.

(2) Dans les cas où le défendeur convainc le tribunal qu’il ne savait pas et n’avait aucun motif raisonnable de croire qu’il avait violé le droit d’auteur, le tribunal peut réduire le montant des dommages‑intérêts préétablis jusqu’à 200 $.

 

(2) Where a copyright owner has made an election under subsection (1) and the defendant satisfies the court that the defendant was not aware and had no reasonable grounds to believe that the defendant had infringed copyright, the court may reduce the amount of the award to less than $500, but not less than $200.

 

(3) Dans les cas où plus d’une œuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur sont incorporés dans un même support matériel, le tribunal peut, selon ce qu’il estime équitable en l’occurrence, réduire, à l’égard de chaque œuvre ou autre objet du droit d’auteur, le montant minimal visé au paragraphe (1) ou (2), selon le cas, s’il est d’avis que même s’il accordait le montant minimal de dommages‑intérêts préétablis le montant total de ces dommages‑intérêts serait extrêmement disproportionné à la violation.

 

(3) Where

 

(a) there is more than one work or other subject‑matter in a single medium, and

 

(b) the awarding of even the minimum amount referred to in subsection (1) or (2) would result in a total award that, in the court’s opinion, is grossly out of proportion to the infringement,

 

the court may award, with respect to each work or other subject‑matter, such lower amount than $500 or $200, as the case may be, as the court considers just.

 

(4) Si le défendeur n’a pas payé les redevances applicables en l’espèce, la société de gestion visée à l’article 67 – au lieu de se prévaloir de tout autre recours en vue d’obtenir un redressement pécuniaire prévu par la présente loi – ne peut, aux termes du présent article, que choisir de recouvrer des dommages‑intérêts préétablis dont le montant, de trois à dix fois le montant de ces redevances, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence.

 

(4) Where the defendant has not paid applicable royalties, a collective society referred to in section 67 may only make an election under this section to recover, in lieu of any other remedy of a monetary nature provided by this Act, an award of statutory damages in a sum of not less than three and not more than ten times the amount of the applicable royalties, as the court considers just.

 

(5) Lorsqu’il rend une décision relativement aux paragraphes (1) à (4), le tribunal tient compte notamment des facteurs suivants :

 

(5) In exercising its discretion under subsections (1) to (4), the court shall consider all relevant factors, including

 

a) la bonne ou mauvaise foi du défendeur;

 

b) le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle‑ci;

 

 

c) la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question.

 

(a) the good faith or bad faith of the defendant;

 

(b) the conduct of the parties before and during the proceedings; and

 

 

 

(c) the need to deter other infringements of the copyright in question.

 

(6) Ne peuvent être condamnés aux dommages‑intérêts préétablis :

 

a) l’établissement d’enseignement ou la personne agissant sous l’autorité de celui‑ci qui a fait les actes visés aux articles 29.6 ou 29.7 sans acquitter les redevances ou sans observer les modalités afférentes fixées sous le régime de la présente loi;

 

b) l’établissement d’enseignement, la bibliothèque, le musée ou le service d’archives, selon le cas, qui est poursuivi dans les circonstances prévues à l’article 38.2;

 

c) la personne qui commet la violation visée à l’alinéa 27(2)e) ou à l’article 27.1 dans les cas où la reproduction en cause a été faite avec le consentement du titulaire du droit d’auteur dans le pays de production.

 

(6) No statutory damages may be awarded against

 

(a) an educational institution or a person acting under its authority that has committed an act referred to in section 29.6 or 29.7 and has not paid any royalties or complied with any terms and conditions fixed under this Act in relation to the commission of the act;

 

(b) an educational institution, library, archive or museum that is sued in the circumstances referred to in section 38.2; or

 

 

(c) a person who infringes copyright under paragraph 27(2)(e) or section 27.1, where the copy in question was made with the consent of the copyright owner in the country where the copy was made.

 

(7) Le choix fait par le demandeur en vertu du paragraphe (1) n’a pas pour effet de supprimer le droit de celui‑ci, le cas échéant, à des dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs.

 

(7) An election under subsection (1) does not affect any right that the copyright owner may have to exemplary or punitive damages.

 

[6]               Étant donné que la SOCAN est une société de gestion, tout choix qu’elle souhaite faire de recouvrer des dommages‑intérêts préétablis doit être conforme au paragraphe 38.1(4), lequel prévoit le recouvrement de tels dommages‑intérêts « au lieu […] de tout autre recours en vue d’obtenir un redressement pécuniaire prévu par la présente loi ». La Loi sur le droit d’auteur prévoit un certain nombre de recours en vue d’obtenir un « redressement pécuniaire », au sens du paragraphe 38.1(4). L’un de ces recours est prévu au paragraphe 68.2(1), soit le fondement de la réclamation de la SOCAN contre IIC pour redevances impayées.

 

[7]               La déclaration a été signifiée à IIC, qui n’a pas déposé d’avis de comparution. Pour cette raison, toutes les procédures devant la Cour fédérale se sont déroulées ex parte.

 

[8]               Le 15 août 2011, la SOCAN a déposé un avis de requête visant l’obtention d’un jugement par défaut. Dans cette requête, la SOCAN dit qu’elle a choisi de recouvrer des dommages‑intérêts préétablis en vertu du paragraphe 38.1(4). Elle réclame un montant qui équivaut à sept fois le montant des redevances impayées, plus les intérêts avant jugement à un taux annuel de 3 %, et des dépens de 3 000 $.

 

[9]               La requête a été entendue par un protonotaire. Celui‑ci a décidé (2011 CF 1088) que IIC était passible de payer les redevances impayées au montant réclamé, et que la SOCAN avait le droit de faire un choix en vertu du paragraphe 38.1(4). Après avoir pris en considération les facteurs pertinents, il a décidé qu’un multiple de six serait approprié. En outre, il a établi les dépens au total de 3 360 $ (y compris la TVH), les intérêts avant jugement à un taux annuel de 2,5 % à partir du 23 février 2011 (date à laquelle la déclaration a été déposée), et les intérêts sur le jugement à un taux annuel de 3 %.

 

[10]           Le protonotaire a refusé d’accorder des intérêts avant jugement à compter de la date à laquelle la cause d’action a pris naissance. Il a expliqué pourquoi aux paragraphes 25 et 26 de ses motifs :

[25] Selon la SOCAN, la cause d’action relative aux droits de licence de chaque année a pris naissance le 1er février de chaque année, car les droits de licence provisoires qui s’appliquaient à chacune des années étaient à payer le 31 janvier de l’année en question, mais ils ne l’ont pas été. Cela est possible, mais les dommages‑intérêts préétablis sont attribués « au lieu [...] de tout autre recours en vue d’obtenir un redressement pécuniaire » prévu par la Loi sur le droit d’auteur. En optant pour des dommages‑intérêts préétablis, la SOCAN a essentiellement renoncé à son droit de poursuivre sa réclamation concernant les droits de licence provisoires, ainsi que les intérêts applicables. En bref, la SOCAN ne peut avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre.

 

[26] Quoi qu’il en soit, pour les motifs qui suivent, je ne suis pas disposé à accorder des intérêts avant jugement pour la période précédant la délivrance de la déclaration. Premièrement, la SOCAN n’a pas établi qu’elle possède un droit contractuel ou légal d’exiger des intérêts sur des droits de licence en souffrance. Deuxièmement, la SOCAN a considérablement tardé à engager la présente action en vue de recouvrer des droits de licence remontant à 2006. Troisièmement, la demande de dommages‑intérêts préétablis n’a été faite et n’a été concrétisée qu’au moment où l’instance a été engagée.

 

 

 

[11]           Le jugement du protonotaire est daté du 21 septembre 2011. Il est rédigé comme suit :

1. La défenderesse paiera à la demanderesse des dommages‑intérêts préétablis, conformément à la Loi sur le droit d’auteur, d’un montant de 122 300,22 $, soit six fois les droits de licence provisoires de 20 383,37 $ (TPS/TVH incluses) que doit la défenderesse à la demanderesse en vertu du Tarif 3.C pour les années 2005 à 2011.

 

2. La défenderesse paiera à la demanderesse des intérêts avant jugement simples au taux de 2,5 % sur le montant mentionné ci‑dessus au paragraphe 1, relativement à la période qui s’étend du 23 février 2011 jusqu’à la date du jugement.

 

3. La défenderesse paiera sans délai à la demanderesse ses dépens afférents à la présente requête, lesquels sont fixés par la présente à 3 000 $ plus la TVH, soit un montant total de 3 360 $.

 

 

4. Le présent jugement portera intérêt au taux de 3,0 % par année à compter de la date à laquelle il sera rendu.

 

 

[12]           La SOCAN a interjeté appel du paragraphe 2 du jugement devant un juge de la Cour fédérale conformément à l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Le juge a souscrit à la décision du protonotaire et a rejeté l’appel (2011 CF 1399). La SOCAN en appelle maintenant à la Cour.

 

[13]           À l’audition du présent appel, l’avocat de la SOCAN a été prié de fournir des observations écrites additionnelles sur certains points. Celles‑ci ont été reçues et prises en considération.

 

Analyse

[14]           La SOCAN fait valoir que, par l’application combinée du paragraphe 36(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, et du paragraphe 1(1) de la Court Order Interest Act, le protonotaire était tenu d’accorder des intérêts avant jugement sur les dommages‑intérêts préétablis pour chacune des années 2005 à 2010 inclusivement à compter de la date à laquelle la cause d’action relative aux redevances de l’année visée a pris naissance.

 

[15]           La SOCAN soutient que sa cause d’action pour des dommages‑intérêts préétablis a pris naissance en Colombie‑Britannique à la même date que la cause d’action pour le recouvrement des redevances impayées, qui était pour chaque année le 1er février de l’année suivante, soit la journée qui suit le paiement des redevances exigibles. Il s’agit de la date à laquelle tous les faits qui s’étaient produits ont donné à la SOCAN le droit de poursuivre IIC pour les redevances impayées ou pour obtenir des dommages‑intérêts préétablis : voir Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, au paragraphe 27. Je suis d’accord et je constate que ni le protonotaire ni le juge dans cette affaire n’ont exprimé d’opinion contraire.

 

[16]           Selon les calculs de la SOCAN, le montant des intérêts avant jugement qui aurait dû être accordé en application du paragraphe 1(1) de la Court Order Interest Act, compte tenu du taux de 2,5 % établi par le protonotaire, s’élève à 8 995,89 $. Je n’ai aucune raison de douter de l’exactitude des calculs de la SOCAN, en supposant que le paragraphe 1(1) s’applique. Je me penche maintenant sur cette question.

 

[17]           Incidemment, je note qu’il existe une jurisprudence selon laquelle la common law reconnaît au tribunal la compétence inhérente d’accorder des intérêts avant jugement dans certaines circonstances : voir Banque d’Amérique du Canada c. Société de Fiducie Mutuelle, 2002 CSC 43, [2002] 2 R.C.S. 601. En l’espèce, toutefois, la demande de la SOCAN ne repose pas sur la common law. Elle repose uniquement sur le paragraphe 36(1) de la Loi sur les Cours fédérales et le paragraphe 1(1) de la Court Order Interest Act. Par conséquent, sa recevabilité doit être déterminée en fonction de ces dispositions uniquement.

 

[18]           L’article 36 de la Loi sur les Cours fédérales traite de l’intérêt avant jugement dans le cas des jugements de la Cour fédérale. Le paragraphe 36(1) prévoit que, lorsque le fait générateur est survenu dans une province, les intérêts avant jugement sont accordés conformément aux règles de droit de cette province. Lorsque le fait générateur est survenu à l’extérieur d’une province ou dans plusieurs provinces, les intérêts avant jugement sont accordés conformément aux paragraphes 36(2) à (5). Le paragraphe 36(6) prévoit qu’aucun intérêt avant jugement ne peut être accordé pour une période antérieure à la date d’entrée en vigueur de l’article 36. Le paragraphe 36(7) prévoit que l’article 36 ne s’applique pas aux procédures en matière de droit maritime canadien.

 

[19]           Dans le présent cas, la cause d’action a pris naissance en Colombie‑Britannique après que l’article 36 de la Loi sur les Cours fédérales soit entré en vigueur, et ne concerne pas le droit maritime canadien. Par conséquent, le paragraphe 36(1) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique. Il est rédigé comme suit :

36. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi fédérale, et sous réserve du paragraphe (2), les règles de droit en matière d’intérêt avant jugement qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale et dont le fait générateur est survenu dans cette province.

36. (1) Except as otherwise provided in any other Act of Parliament, and subject to subsection (2), the laws relating to prejudgment interest in proceedings between subject and subject that are in force in a province apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

 

 

 

[20]           En l’espèce, le fait générateur de l’action de la SOCAN relève du paragraphe 36(1) de la Loi sur les Cours fédérales, à moins qu’une autre loi fédérale ne comporte une disposition contraire.

 

[21]           La Loi sur le droit d’auteur ne dit rien à propos des intérêts avant jugement. Et je n’ai pu trouver aucune autre loi fédérale qui puisse éventuellement être interprétée comme empêchant l’octroi d’intérêts avant jugement sur une condamnation pécuniaire en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. Il s’ensuit que, dans la présente affaire, le paragraphe 36(1) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique. Le droit de la SOCAN aux intérêts avant jugement doit donc être établi par la loi de la Colombie‑Britannique.

 

[22]           Les intérêts avant jugement sont assujettis à la partie 1 de la Court Order Interest Act de la Colombie‑Britannique. La partie I est brève. Elle est rédigée comme suit (je souligne) :

[traduction]

1. (1) Sous réserve de l’article 2, le tribunal ajoute à tout jugement pécuniaire un montant d’intérêt calculé sur le montant à payer, et ce, au taux que le tribunal estime approprié dans les circonstances, entre la date à laquelle la cause d’action a pris naissance et la date de l’ordonnance.

(2) Par dérogation au paragraphe (1), lorsque l’ordonnance consiste en tout ou en partie en des dommages‑intérêts particuliers, les intérêts calculés sur cette somme doivent l’être à compter de la fin de chaque période de 6 mois au cours de laquelle ces dommages particuliers ont été subis jusqu’à la date de l’ordonnance sur le plein montant des dommages particuliers subis

a) au cours de la période de 6 mois suivant immédiatement la date à laquelle la cause d’action a pris naissance et

b) au cours de toute période subséquente de 6 mois.

(3) Aux fins du calcul des intérêts en vertu du paragraphe (2), et malgré le paragraphe (2), si la date de l’ordonnance survient

a) avant une date postérieure de 6 mois à la date à laquelle la cause d’action a pris naissance ou

b) après la fin d’une période de 6 mois, mais avant la fin de la période subséquente de 6 mois,

l’intérêt est calculé à partir de la date à laquelle les dommages‑intérêts particuliers ont été subis jusqu’à la date de l’ordonnance.

(4) Si une partie d’une ordonnance correspond à une perte de revenu découlant d’une lésion corporelle ou d’un décès et que l’un ou plusieurs paiements ont été effectués avant la date de l’ordonnance pour remplacer une partie ou la totalité de la perte de revenu, fournir une indemnisation, dédommager ou offrir une protection à cet égard ou pour toute autre fin liée à la perte de revenu, le montant de la perte de revenu à partir duquel l’intérêt

 

peut être calculé en vertu de cet article est réduit du montant de chaque paiement à compter de la date de réception du paiement.

2. Le tribunal n’accorde pas d’intérêts en vertu de l’article 1

a) sur la partie d’une ordonnance qui correspond à la perte pécuniaire survenant après la date de l’ordonnance

b) si les parties s’entendent sur la question des intérêts

c) sur les intérêts ou sur les dépens

d) si le créancier renonce par écrit au droit de toucher des intérêts ou

e) sur la partie d’une ordonnance qui représente des dommages‑intérêts non pécuniaires découlant d’une lésion corporelle ou d’un décès.

3. Si une ordonnance est obtenue par défaut en vertu d’une loi ou des règles de procédure civile de la Cour suprême (Supreme Court Civil Rules), le greffier du tribunal peut exercer les pouvoirs et les fonctions du tribunal et s’en acquitter en vertu de la présente partie.

4. Si une partie consigne une somme au tribunal en règlement d’une demande et qu’une autre partie n’accepte pas la somme et obtient une ordonnance pour un montant équivalant ou inférieur à la somme consignée au tribunal, le tribunal, malgré l’article 1, accorde des intérêts uniquement si la date de la consignation au tribunal correspondait à la date de l’ordonnance.

5. Les intérêts ajoutés à une ordonnance de paiement en vertu de la présente partie sont compris dans l’ordonnance aux fins d’une exécution forcée.

6. La présente partie ne s’applique pas à une cause d’action qui a pris naissance avant le 1er juin 1974.

 

 

 

[23]           Un jugement adjugeant des dommages‑intérêts préétablis en vertu du paragraphe 38.1(4) de la Loi sur le droit d’auteur constitue un « jugement pécuniaire » au sens du paragraphe 1(1) de la Court Order Interest Act de la Colombie‑Britannique. La jurisprudence des tribunaux de la Colombie‑Britannique enseigne que, lorsque le paragraphe 1(1) s’applique, l’octroi d’intérêts avant jugement à compter de la date à laquelle la cause d’action a pris naissance est obligatoire (sous réserve des exceptions prévues au paragraphe 1(2), au paragraphe 1(4), ou à l’article 2) : voir, par exemple, Gould v. Royal Trust Corp. of Canada, 2010 BCSC 16. Aucune de ces exceptions ne s’applique à la présente affaire.

 

[24]           Le protonotaire a interprété le choix de la SOCAN de recouvrer des dommages‑intérêts préétablis au lieu des redevances impayées comme une renonciation implicite à son droit d’obtenir des intérêts avant jugement sur les redevances impayées, ce qui je suppose renvoyait à l’alinéa 2d) de la Court Order Interest Act. En règle générale, une partie n’est pas réputée avoir renoncé par écrit à son droit à moins que l’écrit qui emporterait renonciation soit explicite, ou suffisamment explicite dans son intention qu’il serait déraisonnable de le caractériser autrement que comme une renonciation à un droit en vertu de la loi. Dans la présente affaire, le choix de recouvrer des dommages‑intérêts préétablis est nécessairement une renonciation au droit à un jugement pour recouvrer les redevances impayées, mais il ne peut raisonnablement être considéré comme une preuve de l’intention de la SOCAN de renoncer à tout autre droit en vertu de la loi. À mon avis, le protonotaire a commis une erreur en considérant que la SOCAN, en optant pour des dommages‑intérêts préétablis, avait renoncé à son droit d’obtenir des intérêts avant jugement en vertu de la Court Order Interest Act.

 

[25]           Je conclus que la SOCAN a droit dans la présente affaire à l’intérêt avant jugement sur les dommages‑intérêts préétablis adjugés par le protonotaire, à compter de la date à laquelle la cause d’action a pris naissance. En vertu du paragraphe 1(1) de la Court Order Interest Act, le tribunal n’a pas le pouvoir discrétionnaire de choisir une autre période pour laquelle les intérêts avant jugement sont payables.

 

[26]           L’utilisation d’un multiplicateur pour les dommages‑intérêts préétablis donne lieu à un jugement qui dépasse le montant des redevances dues. Du point de vue du licencié soumis au tarif 3.C, ce résultat peut paraître sévère, mais c’est le but visé par les considérations qui sous‑tendent le paragraphe 38.1(4) de la Loi sur le droit d’auteur. Il se peut que, dans certaines circonstances, l’ajout obligatoire de l’intérêt avant jugement au montant total des dommages‑intérêts à compter de la date à laquelle les redevances étaient exigibles représente un avantage inattendu déraisonnable pour la société de gestion et un fardeau excessif équivalent pour le débiteur. Toutefois, il existe deux moyens d’atténuer la sévérité éventuelle de l’absence de pouvoir judiciaire discrétionnaire.

 

[27]           Premièrement, le défendeur peut recourir à l’article 4 de la Court Order Interest Act. Celui‑ci prévoit que, dans certaines circonstances, le défendeur peut éviter l’intérêt avant jugement en consignant un paiement au tribunal en règlement de la demande.

 

[28]           Deuxièmement, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de fixer le taux d’intérêt approprié. À cet égard, les tribunaux de la Colombie‑Britannique ont établi que le paragraphe 1(1) de la Court Order Interest Act exige l’attribution d’intérêts avant jugement sur les dommages‑intérêts punitifs, mais le juge peut établir le taux d’intérêt alors applicable à un taux nominal : voir J.L.M. v. P.H. (1998), 109 B.C.A.C. 165. Par analogie, le tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire de déterminer le taux d’intérêt sur les dommages‑intérêts préétablis à un taux d’intérêt annuel qui combine un taux d’intérêt normal sur les redevances impayées, et un taux moins élevé sur le reste.

 

[29]           En l’espèce, le protonotaire a établi que le multiplicateur pour les dommages‑intérêts préétablis devait être de six et que le taux annuel de l’intérêt avant jugement devait correspondre à 2,5 %. Le dossier ne justifie pas que la Cour modifie le multiplicateur ou le taux d’intérêt fixé par le protonotaire, et je m’abstiendrais de le faire.

 

[30]           Comme mentionné plus haut, la SOCAN a déterminé que le montant de l’intérêt avant jugement à un taux d’intérêt annuel de 2,5 % à compter de la date à laquelle la cause d’action a pris naissance serait de 8 995,89 $. La SOCAN a le droit de recouvrer des intérêts avant jugement pour ce montant

 

Conclusion

[31]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel et j’infirmerais le jugement du juge de la Cour fédérale. Prononçant le jugement qui aurait dû être rendu, j’accueillerais l’appel fondé sur l’article 51 des Règles et je modifierais le paragraphe 2 du jugement du protonotaire,

comme suit :  

2. La défenderesse paiera à la demanderesse des intérêts avant jugement d’un montant de 8 995,89 $.

 

 

 

[32]           La SOCAN a demandé les dépens devant notre Cour et devant la Cour fédérale.  En règle générale, la partie qui a gain de cause dans une instance devant notre Cour a droit aux dépens. Toutefois, le présent appel est inhabituel en ce que IIC n’a pris aucune part à l’instance et que le principal objectif de la SOCAN dans le présent appel est d’établir un principe qui aura des

 

 

 

conséquences sur l’ensemble de ses demandes présentées en Colombie‑Britannique. Elle a atteint cet objectif, mais, dans les circonstances, je n’adjugerais pas de dépens.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

          J.D. Denis Pelletier. j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

         Robert M. Mainville, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑499‑11

 

INTITULÉ :                                                  SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE c. IIC ENTERPRISES LTD., FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE DE CHEETAH’S NIGHTCLUB

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 15 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   (LES JUGES PELLETIER ET MAINVILLE)

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 14 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher S. Wilson

Esther Jeon

 

POUR L’APPELANTE

 

S.O.

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bull, Housser & Tupper LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR L’APPELANTE

 

 

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