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Date : 20120625

Dossier : A‑238‑11

Référence : 2012 CAF 193

 

CORAM :      LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

GEORGE EDWARD BOULOS

 

demandeur

et

 

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 19 juin 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 juin 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                              LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LA JUGE DAWSON

                                                                                                                         LE JUGE STRATAS

 


Date : 20120625

Dossier : A‑238‑11

Référence : 2012 CAF 193

 

CORAM :      LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE STRATAS

 

 

ENTRE :

GEORGE EDWARD BOULOS

 

demandeur

et

 

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE GAUTHIER

[1]               M. George Edward Boulos a travaillé pour l’Agence du revenu du Canada (l’employeur) au poste de vérificateur en impôt sur le revenu et en taxe d’accise entre novembre 2001 et le 24 septembre 2008. À compter de 2005, une série d’événements l’ont amené à déposer six griefs contre l’employeur. Ayant perdu confiance en son agent négociateur exclusif, l’Alliance de la fonction publique du Canada (l’AFPC), M. Boulos s’occupe maintenant seul de ses griefs.

 

[2]               La demande dont la Cour est saisie en l’espèce n’a pas trait au bien-fondé de ces griefs, mais plutôt à la plainte que M. Boulos a déposée contre l’AFPC en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la Loi), dans laquelle il allègue une pratique déloyale au sens de l’article 185 de la Loi, plus précisément que l’AFPC, y compris le Syndicat des employé(e)s de l’impôt qui en fait partie et avec lequel il a traité au début, a fait montre de négligence grave et de mauvaise foi lorsqu’elle a fait enquête sur ses dossiers de grief et les a analysés et lorsqu’elle l’a ensuite représenté avant qu’il ne décide de le faire lui-même.

 

[3]               La plainte a été rejetée par un membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) et M. Boulos demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de 27 pages rendue par la Commission. M. Boulos fait valoir :

 

         que la Commission n’a pas examiné de façon appropriée toute la preuve relative à son allégation selon laquelle la négligence grave de l’AFPC a eu une incidence sur la question de la contestation de la compétence soulevée par l’employeur dans le grief no 008‑1241‑70043979. En conséquence, la Commission n’a pas rendu une ordonnance réparatrice qui aurait empêché toute décision défavorable concernant cette objection;

 

         que la Commission a été partiale;

 

         que la Commission n’a pas veillé à ce que certains renseignements sensibles contenus dans les observations de l’AFPC restent confidentiels jusqu’à ce que tous ses griefs aient été débattus.

 

[4]               Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par la Commission sur le devoir de représentation juste d’un agent négociateur est celle de la raisonnabilité [Syndicat des services du grain (SIDM-Canada) c. Friesen, 2010 CAF 339, 414 N.R. 171, au paragraphe 31, McAuley c. Chalk River Technicians and Technologists Union, 2011 CAF 156, 420 N.R. 358, au paragraphe 13].

 

[5]               Au cours de l’audience, M. Boulos a soutenu que la Cour devait d’abord s’intéresser aux différents défauts et lacunes des motifs qui, à son avis, démontraient que la Commission avait manqué à l’équité procédure (partialité) ou que sa décision était déraisonnable.

 

[6]               La Cour a compris également que M. Boulos lui demandait en outre d’examiner la raisonnabilité de la conclusion de la Commission seulement en ce qui avait trait à la conduite de l’AFPC qui pouvait avoir une incidence sur la question de la contestation de la compétence soulevée dans son grief no 008‑1241‑70043979 (cette question n’a pas encore été tranchée).

 

[7]               Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a confirmé que, lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, la cour de révision doit examiner notamment « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel ».

 

[8]               Pour qu’une décision soit raisonnable, il faut que les motifs permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi le décideur l’a rendue et de déterminer si elle appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. C’est tout ce qu’exige la norme de la raisonnabilité, à tout le moins en ce qui concerne les motifs. Ces derniers n’ont pas à être exhaustifs. Ils doivent être lus en tenant compte de l’ensemble du dossier, et ils peuvent être complétés par le dossier.

 

[9]               Adoptant l’approche exigée par la Cour suprême du Canada et ayant examiné les motifs avec soin en tenant compte des observations et de la preuve présentées à la Commission, je saisis bien pourquoi celle-ci a rejeté l’allégation du demandeur selon laquelle la défenderesse avait commis une erreur grave par négligence en ne présentant par les arguments exactement comme il l’aurait voulu relativement à la question de la compétence. Selon la Commission, la décision de mettre en relief certaines questions ou certains faits à l’exclusion des autres relevait du droit de la défenderesse de prendre des décisions de fond et techniques relativement aux griefs dans la mesure où elle n’agissait pas de façon arbitraire ou discriminatoire ni de mauvaise foi.

 

[10]           Après avoir soupesé la preuve, la Commission n’était pas convaincue que la défenderesse avait agi de manière inappropriée. Elle a donc conclu qu’il n’y avait pas eu manquement au devoir de représentation juste. La Commission estimait en outre qu’elle ne devait pas faire d’autres observations sur la validité de la position adoptée par l’AFPC dans le dossier de grief dont elle était saisie étant donné que cette question allait être tranchée par un autre arbitre.

 

[11]           Je ne peux pas convenir que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve pour parvenir à cette conclusion. En premier lieu, il faut présumer que le décideur a soupesé et considéré toute la preuve qui lui a été présentée, à moins que l’on fasse la preuve du contraire : [Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (Q.L.), au paragraphe 1]. En deuxième lieu, une lecture appropriée des motifs de la Commission, plus particulièrement des paragraphes 52 à 55(c), me convainc, lorsque je tiens compte des observations et de la preuve, que la Commission a été réceptive et attentive à la question soulevée relativement à l’objection concernant la compétence dans le grief no 008‑1241‑70043979. Cela ressort particulièrement des remarques qu’elle a faites aux paragraphes 3 et 4 de la décision pour expliquer pourquoi, dans ses motifs, elle a présenté les grandes lignes de la preuve portant sur le bien-fondé des griefs et la stratégie envisagée afin de ne pas compromettre toute discussion ou procédure future d’arbitrage des griefs.

 

[12]           Je rejette le point de vue de M. Boulos selon lequel cette excuse formulée par la Commission pour expliquer pourquoi elle n’a pas traité de la preuve n’est pas convaincante. En fait, compte tenu des observations de M. Boulos concernant la nécessité de garder confidentiels les détails de sa stratégie et ses communications avec la défenderesse (voir, en particulier, la lettre datée du 18 août 2010, à la page 47 du dossier du demandeur) et du fait que la décision de la Commission est nécessairement un document public, il était raisonnable que la Commission adopte cette approche.

 

[13]           En d’autres termes, M.  Boulos ne m’a pas convaincue que la Commission ne pouvait pas tirer la conclusion à laquelle elle est parvenue au regard de l’allégation selon laquelle l’AFPC avait fait montre d’une négligence grave relativement au grief  no 008‑1241‑70043979, vu la preuve dont elle disposait et les règles de droit applicables qui sont énoncées correctement dans la décision et qui sont prévues à l’article 187 de la Loi. En fait, après avoir lu la décision dans son ensemble, je ne peux relever aucune erreur susceptible de contrôle qui justifierait l’intervention de la Cour. La Commission a appliqué les bons principes juridiques et ses conclusions et sa décision finale appartiennent aux issues acceptables.

 

[14]           Pour ce qui est de l’allégation de partialité, elle doit être appréciée à l’aide du critère formulé par la Cour suprême du Canada dans Committee for Justice and Liberty c. Officie national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

 

[15]           La jurisprudence établit clairement qu’une personne raisonnable exigerait une preuve claire au soutien d’une telle allégation [R. c. S (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, 151 D.L.R. (4th) 193, aux paragraphes 48 et 49].

 

[16]           Pour faire cette preuve, M. Boulos a analysé la décision de la Commission paragraphe par paragraphe et a relevé de nombreux éléments pouvant appartenir aux catégories suivantes : (1) signes de partialité, (2) négligence ou dénaturation de la preuve, (3) examen de la plainte hors contexte, (4) erreurs factuelles. À son avis, ces éléments combinés établissaient clairement une crainte raisonnable de partialité.

 

[17]           Il faut se rappeler ici également que le droit n’exige pas que la Commission rédige le type de motifs détaillés et exhaustifs sur lequel M. Boulos semble insister. En outre, comme je l’ai déjà mentionné, la décision ne renferme en soi aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[18]           Il est vrai que le libellé peut cacher des hypothèses partiales, et il y a bien entendu des cas où les tribunaux ont conclu que certains propos percutants comme des commentaires manifestement racistes, des remarques inacceptables au sujet des capacités du représentant non juriste d’un employé ou des railleries inacceptables témoignaient de la partialité du décideur. Je ne suis toutefois pas convaincue, après avoir analysé avec soin les prétentions et les motifs de la Commission, que M. Boulos s’est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait à cet égard.

 

[19]           En fait, j’estime que la preuve ne permet pas de conclure à une crainte raisonnable de partialité. Je ne relève tout simplement aucune connotation négative dans les parties des motifs mises en évidence par M. Boulos. Il n’y a dans la décision aucune remarque diffamatoire ou insultante, contrairement à ce que M. Boulos laisse entendre dans son affidavit. Cela ne veut pas dire que M. Boulos n’a pas été véritablement touché par la décision et que l’affaire n’a pas eu de conséquences très graves sur lui. Malgré la sympathie que m’inspire sa situation, je ne peux conclure que sa plainte n’a pas été examinée et tranchée en toute impartialité.

 

[20]           Pour trancher la question de la confidentialité, il faut la placer en contexte.

 

[21]           Après avoir indiqué qu’il voulait invoquer le privilège relatif au litige à l’égard de certains renseignements concernant la conduite de ses griefs, le demandeur a demandé que la Commission mette en place [traduction] « certaines mesures de contrôle » afin d’éviter la divulgation ou la diffusion des renseignements à l’employeur. La défenderesse s’est opposée à cette demande parce qu’elle manquait de précision, et elle a insisté sur le fait qu’elle ne devait pas l’empêcher de se défendre ou retarder l’instance devant la Commission.

 

[22]           Comme la défenderesse ne s’est pas opposée à une instruction selon laquelle ses observations ne devaient pas être transmises à l’employeur, la Commission lui a ordonné de ne pas communiquer ses observations à l’employeur « pour le moment ». Le 14 septembre 2010, il a été confirmé que la réponse de l’AFPC datée du 28 juillet 2010 ne serait pas divulguée à l’employeur « pour le moment ». Le 28 février 2011, M. Boulos a lui-même déposé des observations complètes qui incluaient la plupart des communications dont on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elles renferment certains des renseignements que l’on prétendait être protégés par le privilège. Il n’a cependant pas demandé à la Commission d’interdire leur divulgation à l’employeur.

 

[23]           À l’audience, les parties n’ont pas pu établir clairement si le public avait eu accès aux renseignements déposés auprès de la Commission avant le 11 mai 2011 (la date de la décision).

 

[24]           Dans sa décision, la Commission ne rend aucune ordonnance additionnelle et ne donne aucune instruction supplémentaire concernant les renseignements mentionnés dans la correspondance de M. Boulos.

 

[25]           Après avoir reçu la décision de la Commission, M. Boulos n’a pas demandé à cette dernière de rendre une ordonnance protégeant les renseignements qu’il prétendait faire l’objet du privilège, notamment les observations de l’AFPC, pendant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

[26]           En août 2011, M. Boulos a déposé son affidavit dans la présente instance, auquel étaient joints non seulement les observations de l’AFPC datées du 28 juillet 2010, mais également tous les renseignements dont on pouvait s’attendre raisonnablement, comme je l’ai mentionné plus haut, à ce qu’ils renferment à tout le moins certains des renseignements que l’on prétendait être protégés par le privilège relatif au litige. M. Boulos n’a pas cherché à obtenir une ordonnance protégeant la confidentialité de ces renseignements devant la Cour. Le public a, de toute façon, eu accès à ces documents et à ces renseignements depuis ce temps.

 

[27]           La preuve ne permet pas de savoir si l’employeur ou une personne agissant en son nom a déjà examiné les documents et les renseignements.

 

[28]           Pourtant, M. Boulos demande à la Cour de déclarer que la Commission a commis une erreur en ne protégeant pas [traduction] « les renseignements » contre leur divulgation à l’employeur après qu’elle a rendu sa décision. Il demande également à la Cour d’ordonner à la Commission de protéger [traduction] « les renseignements » contre leur divulgation inappropriée à l’employeur.

 

[29]           À mon avis, si l’on présume, sans trancher la question, que le privilège relatif au litige protégeait la confidentialité de tout renseignement figurant actuellement dans le dossier public de la Cour, M. Boulos a renoncé à cette confidentialité en ne faisant rien pour la revendiquer et la protéger, par exemple en demandant une ordonnance dans le but de faire sceller le dossier de la Cour.

 

[30]           Maintenant que les renseignements ont été versés au dossier public, sa prétention selon laquelle la Commission aurait dû assurer leur confidentialité n’a plus de raison d’être. Je ne suis pas convaincue que M. Boulos a satisfait au critère établi dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, qui régit l’exercice, par la Cour, de son pouvoir discrétionnaire résiduel d’entendre et de trancher une affaire dépourvue d’intérêt pratique.

 

[31]           Aucune erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour n’a été commise. Par conséquent, je rejetterais la demande avec dépens.

 

 

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

         Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

         David Stratas, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A‑238‑11

 

 

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE D’UN JUGEMENT DE LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE DATÉ DU 13 MAI 2011

 

 

INTITULÉ :                                                  GEORGE EDWARD BOULOS c.
ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR :                                            LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE DAWSON

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

 

COMPARUTIONS :

 

George Edward Boulos

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Andrew Raven

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andrew Raven

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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