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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120724

Dossier : A-391-11

Référence : 2012 CAF 210

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL                       

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

GUILDE DE LA MARINE MARCHANDE DU CANADA

demanderesse

et

SECTION LOCALE 847

DE LA FRATERNITÉ INTERNATIONALE DES TEAMSTERS

défenderesse

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec) le 20 juin 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 24 juillet 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                                           LA JUGE TRUDEL

 

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120724

Dossier : A-391-11

Référence : 2012 CAF 210

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL                       

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

GUILDE DE LA MARINE MARCHANDE DU CANADA

demanderesse

et

SECTION LOCALE 847

DE LA FRATERNITÉ INTERNATIONALE DES TEAMSTERS

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MAINVILLE

[1]               La Guilde de la marine marchande du Canada (la Guilde) sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 23 septembre 2001 numéro de référence 2011 CCRI 605 (la décision) par laquelle le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a conclu que la Guilde a enfreint le sous-alinéa 95i)(i) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code), lorsqu’elle a déposé des accusations portées en vertu de ses statuts contre trois de ses membres relativement à la participation de ces derniers à une campagne infructueuse de la section locale 847 de la Fraternité internationale des Teamsters (les Teamsters) qui visait à remplacer la Guilde à titre d’agent négociateur d’ingénieurs navals et d’électriciens qui travaillent pour Upper Lakes Shipping Limited (l’unité de négociation).

 

[2]               Bien que la Guilde ait relevé de nombreuses questions dans sa demande, la principale question que soulève la présente instance est de savoir si les Teamsters, un syndicat rival, avaient la qualité requise pour déposer une plainte contre la Guilde.

 

Contexte

[3]               La Guilde est accréditée conformément au Code à titre d’agent négociateur pour l’unité de négociation. En septembre 2010, les Teamsters ont présenté dans le délai prescrit par le Code une demande d’accréditation pour être l’unité de négociation en remplacement de la Guilde. Trois membres de la Guilde ont appuyé activement les Teamsters en distribuant des documents d’information aux membres de l’unité de négociation et en les incitant à choisir les Teamsters. Le Conseil a ordonné la tenue d’un scrutin de représentation au sein des membres de l’unité de négociation. Le 16 novembre 2010, il a été constaté que la Guilde avait remporté le scrutin. Elle demeure à ce jour l’agent négociateur accrédité pour l’unité de négociation.

 

[4]               Le 28 décembre 2010, des accusations ont été portées en vertu des statuts de la Guilde contre les trois membres relativement à leur participation visant à soutenir la tentative de maraudage des Teamsters. Le 2 février 2011, des avis d’audience disciplinaire sous les statuts de la Gilde ont été transmis aux trois membres.

 

[5]               Le 22 février 2011, les Teamsters ont réagi en adressant au Conseil une plainte de pratiques déloyales de travail fondée sur le paragraphe 97(1) du Code dans laquelle ils alléguaient qu’il y avait eu violation des alinéas 95f), 95g) et 95i) et de l’article 96 du Code.

 

[6]               Les Teamsters ont sollicité diverses mesures de redressement dans leur plainte, notamment : a) le retrait des accusations de nature disciplinaire portées contre les trois membres et l’annulation des mesures disciplinaires pouvant découler de ces accusations; b) l’affichage et l’envoi par la poste, à l’intention des membres de la Guilde, d’avis les informant de leur droit d’appuyer le syndicat de leur choix sans crainte de représailles; et c) une ordonnance accréditant les Teamsters à titre d’agent négociateur ou, subsidiairement, une ordonnance prévoyant la tenue d’un scrutin de représentation pour l’unité de négociation.

 

[7]               La Guilde a tenu ses audiences disciplinaires. Le 14 mars 2011, son comité disciplinaire a jugé que les trois membres seraient suspendus de la Guilde jusqu’au 31 décembre 2011. Le comité disciplinaire de la Guilde a également infligé une amende de 1 800 $ que chaque membre avait le choix de payer au lieu de purger la suspension. Deux des membres ont payé l’amende. Tous trois ont cependant continué le processus d’appel interne prévu par les statuts de la Guilde. Le conseil national de la Guilde a rejeté ces appels internes en juin 2011.

 

Les dispositions pertinentes du Code

[8]               Les dispositions du Code qui sont pertinentes pour les besoins du présent contrôle judiciaire sont les suivantes :

 (1) L’employé est libre d’adhérer au syndicat de son choix et de participer à ses activités licites.

 

 Il est interdit à tout syndicat et à quiconque agit pour son compte :

[…]

*                   f) d’expulser un employé du syndicat ou de le suspendre, ou de lui refuser l’adhésion, en lui appliquant d’une manière discriminatoire les règles du syndicat relatives à l’adhésion;

*                    

*                   g) de prendre des mesures disciplinaires contre un employé ou de lui imposer une sanction quelconque en lui appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline du syndicat;

*                    

*                   […]

*                  i) de faire des distinctions injustes à l’égard d’une personne en matière d’emploi, de condition d’emploi ou d’adhésion à un syndicat, d’user de menaces ou de coercition à son encontre ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre, pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

*                   

*   (i) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie, ou peut le faire,

*   […]

 Il est interdit à quiconque de chercher, par des menaces ou des mesures coercitives, à obliger une personne à adhérer ou à s’abstenir ou cesser d’adhérer à un syndicat.

*        (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute personne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit, une plainte reprochant :

*                 a) soit à un employeur, à quiconque agit pour le compte de celui-ci, à un syndicat, à quiconque agit pour le compte de celui-ci ou à un employé d’avoir manqué ou contrevenu […] aux articles 94 ou 95;

*                 b) soit à une personne d’avoir contrevenu à l’article 96.

 

[…]

(4) Sous réserve du paragraphe (5), la plainte reprochant à un syndicat ou à une personne agissant pour son compte d’avoir violé les alinéas 95f) ou g) ne peut être présentée que si les conditions suivantes ont été observées :

*                 a) le plaignant a suivi la procédure — présentation de grief ou appel — établie par le syndicat et à laquelle il a pu facilement recourir;

 

*                 b) le syndicat a :

*             (i) soit statué sur le grief ou l’appel d’une manière que le plaignant estime inacceptable,

*              

*             (ii) soit omis de statuer, dans les six mois qui suivent la date de première présentation du grief ou de l’appel;

*                  

*                 c) la plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant était habilité au plus tôt à le faire conformément aux alinéas a) et b).

(5) Le Conseil peut, sur demande, statuer sur les plaintes visées au paragraphe (4) bien qu’elles n’aient pas fait l’objet du recours prévu s’il est convaincu :

 

*                 a) soit que les faits donnant lieu à la plainte sont tels qu’il devrait être statué sur la plainte sans retard;

*                  

*                 b) soit que le syndicat n’a pas donné au plaignant la possibilité de recourir facilement à une procédure de grief ou d’appel.

 

 (1) Every employee is free to join the trade union of their choice and to participate in its lawful activities.

 

 No trade union or person acting on behalf of a trade union shall

*                   (f) expel or suspend an employee from membership in the trade union or deny membership in the trade union to an employee by applying to the employee in a discriminatory manner the membership rules of the trade union;

*                   (g) take disciplinary action against or impose any form of penalty on an employee by applying to that employee in a discriminatory manner the standards of discipline of the trade union;

*                  

*                   (i) discriminate against a person with respect to employment, a term or condition of employment or membership in a trade union, or intimidate or coerce a person or impose a financial or other penalty on a person, because that person

 

 

*   (i) has testified or otherwise participated or may testify or otherwise participate in a proceeding under this Part,

*  

 No person shall seek by intimidation or coercion to compel a person to become or refrain from becoming or to cease to be a member of a trade union.

 

*        (1) Subject to subsections (2) to (5), any person or organization may make a complaint in writing to the Board that

*                 (a) an employer, a person acting on behalf of an employer, a trade union, a person acting on behalf of a trade union or an employee has contravened or failed to comply with … section 94 or 95; or

*                 (b) any person has failed to comply with section 96.

*                  

 

(4) Subject to subsection (5), no complaint shall be made to the Board under subsection (1) on the ground that a trade union or any person acting on behalf of a trade union has failed to comply with paragraph 95(f) or (g) unless

*                 (a) the complainant has presented a grievance or appeal in accordance with any procedure that has been established by the trade union and to which the complainant has been given ready access;

*                 (b) the trade union

*             (i) has dealt with the grievance or appeal of the complainant in a manner unsatisfactory to the complainant, or

*             (ii) has not, within six months after the date on which the complainant first presented their grievance or appeal pursuant to paragraph (a), dealt with the grievance or appeal; and

*                 (c) the complaint is made to the Board not later than ninety days after the first day on which the complainant could, in accordance with paragraphs (a) and (b), make the complaint.

 (5) The Board may, on application to it by a complainant, determine a complaint in respect of an alleged failure by a trade union to comply with paragraph 95(f) or (g) that has not been presented as a grievance or appeal to the trade union, if the Board is satisfied that

*                 (a) the action or circumstance giving rise to the complaint is such that the complaint should be dealt with without delay; or

                        (b) the trade union has not given the complainant ready access to a grievance or appeal procedure.

 

La décision du Conseil

[9]               Le Conseil a analysé sa jurisprudence sur les plaintes de discrimination portées contre les membres d’un syndicat qui avaient participé à des activités de maraudage et il a rejeté le raisonnement exposé dans James Carbin (1984), 59 di 109; 85 CLLC 16,013, décision qu’il avait rendue en 1984, adoptant plutôt le raisonnement exprimé dans Paul Horsley et autres (1991), 84 di 201, 15 CLRBR (2d) 141, décision qu’il avait rendue en 1991, et dans Nathalie Beaudet-Fortin (1997), 105 di 98, 40 CLRBR (2d) 161, décision prononcée en 1997. Dans ces deux dernières décisions, le Conseil reconnaît clairement que les membres d’un syndicat ont le droit d’être protégés contre les représailles lorsqu’ils exercent leur droit légal de changer d’agent négociateur. Le Conseil a estimé que ce raisonnement correspondait davantage à l’objet de l’article 95, particulièrement de l’alinéa 95i) du Code : paragraphes 13 à 17 de la décision.

 

[10]           Le Conseil a également rejeté les objections que la Guilde avait soulevées en vertu des paragraphes 95(4) et (5) du Code, alléguant l’irrecevabilité de la plainte. Le Conseil a souligné que ces dispositions ne s’appliquaient pas aux cas de non-respect du sous-alinéa 95i)(i) du Code; et vu qu’il avait conclu que la plainte était justifiée au regard de ce sous-alinéa, il n’était pas nécessaire qu’il se prononce sur la recevabilité : par. 19 à 21 et 23 de la décision.

 

[11]           Le Conseil a également rejeté l’objection que la Guilde avait soulevée, alléguant que les Teamsters n’avaient pas la qualité nécessaire pour déposer la plainte au nom des trois individus en cause; le Conseil a ajouté que généralement, il n’exigeait pas qu’un syndicat fournisse des déclarations confirmant que celui-ci représente chacun des individus nommés dans une plainte : par. 22 de la décision.

 

[12]           En conséquence, le Conseil a ordonné que toute sanction infligée aux trois individus soit annulée et que toute amende payée soit remboursée. Il a également ordonné à la Guilde de transmettre par la poste une copie de sa décision à tous les employés faisant partie de l’unité de négociation. Il a toutefois refusé d’accréditer les Teamsters ou d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation.

 

Analyse

[13]           La Guilde conteste la décision du Conseil pour divers motifs qui peuvent être résumés comme suit : a) les Teamsters n’ont pas la qualité requise pour déposer la plainte en vertu du Code; b) la plainte était prématurée; et c) le Conseil a mal interprété ou mal appliqué le sous-alinéa 95i)(i) du Code.

 

[14]           Les deux derniers motifs justifiant le contrôle peuvent être rejetés sommairement.

 

[15]           L’argument portant sur la recevabilité de la plainte est dénué de fondement puisque le Conseil a autorisé la plainte en s’appuyant sur le sous-alinéa 95i)(i) du Code, auquel les paragraphes 97(4) et (5) du Code ne s’appliquent pas.

 

[16]           Le sous-alinéa 95i)(i) du Code interdit à tout syndicat d’imposer « une sanction pécuniaire ou autre [à une personne] pour [avoir] participé […] à une procédure prévue » par la partie I du Code. Compte tenu que la Guilde a reconnu à l’audience tenue devant notre Cour que la demande d’accréditation des Teamsters constituait une procédure prévue par le Code, et que les trois individus visés se sont vus infliger une amende ou ont été suspendus par la Guilde pour avoir participé à cette procédure, je n’arrive pas à comprendre comment le Conseil aurait mal interprété ou mal appliqué le sous-alinéa 95i)(i). Le fait pour le Conseil d’avoir appliqué le raisonnement qu’il avait tenu dans Paul Horsley et autres, ci-dessus, et Nathalie Beaudet-Fortin, ci-dessus, ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle puisque ce raisonnement est parfaitement compatible avec le sous-alinéa 95i)(i). Ces décisions reconnaissent le droit fondamental des individus d’adhérer au syndicat de leur choix, le droit des membres d’un syndicat de changer d’agent négociateur de la manière prévue par le Code et en conformité avec les délais qu’il prévoit, ainsi que le droit de ces individus de ne pas subir de sanctions disciplinaires ou d’être autrement pénalisés pour avoir exercé ces droits.

 

[17]           Il reste à savoir si les Teamsters ont la qualité requise pour déposer la plainte. Les parties reconnaissent que rien dans le dossier n’indique que les trois individus visés ont donné leur autorisation pour intenter la plainte. En conséquence, la Guilde soutient que la décision du Conseil soulève pour la première fois la question de savoir si un syndicat a qualité pour déposer une plainte en vertu du Code à l’égard d’une mesure disciplinaire infligée au membre d’un syndicat rival. La Guilde ajoute que les Teamsters n’étaient aucunement touchés par les procédures disciplinaires internes de la Guilde, ni avaient-ils un intérêt à l’égard de ces procédures autre qu’un excès de zèle dans l’espoir de réaliser des gains politiques dans le cadre de prochains exercices de maraudage. La Guilde craint que si la décision du Conseil demeure inchangée, elle aurait pour effet d’exposer tous les syndicats à une avalanche de plaintes de la part de syndicats rivaux. La Guilde soutient également que cette question relative à la qualité pour agir touche à la compétence et qu’en conséquence, elle devrait être examinée selon la norme de la décision correcte.

 

[18]           Le juge Fish a récemment décrit aux paragraphes 35 et 36 de l’arrêt Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616, le cadre analytique qui s’applique pour établir la norme de contrôle :

[35]  La décision d’un tribunal administratif est assujettie à la norme de la décision correcte si elle soulève une question de « droit générale “à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre” »; une « question touchant véritablement à la compétence »; ou une question portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents (Dunsmuir [c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190], par. 58-61; Smith [c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] R.C.S. 160], par. 26; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, par. 62, le juge LeBel).

[36]  En revanche, la norme de la raisonnabilité l’emporte généralement lorsque la décision du tribunal administratif touche aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique; lorsque les faits et le droit s’entrelacent et ne peuvent être facilement dissociés; ou lorsque le tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une « loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » (Dunsmuir, par. 51 et 53-54; Smith, par. 26).

 

[19]           La question de savoir si un syndicat a la qualité requise pour déposer une plainte en vertu du Code n’est pas, à mon avis, une « question touchant véritablement à la compétence », mais plutôt une question qui porte sur l’interprétation du Code dans le contexte de conclusions de fait qui s’entrelacent et qui ne peuvent être facilement dissociées. Bien comprise, la question relative à la qualité que doit avoir un syndicat pour déposer une plainte en vertu du paragraphe 97(1) du Code doit être examinée par la Cour selon la norme de la raisonnabilité.

 

[20]           La notion de qualité pour agir est simple, quoiqu’il puisse être difficile de l’appliquer à une situation donnée. La notion exige que seuls ceux qui possèdent un intérêt réel et légitime dans une affaire peuvent intenter une procédure judiciaire ou administrative, ou recevoir avis de la procédure et y participer pleinement. Il y a intérêt réel et légitime lorsque les droits légaux ou les obligations d’une partie sont en cause, ou lorsque l’issue de la procédure lui porte directement atteinte : La compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Ltée. c. M.R.N. [No. 1], [1976] 2 C.F. 500, aux p. 506 à 507. Pour une analyse plus détaillée et complète, voir Thomas A. Cromwell, Locus Standi : A Commentary on the Law of Standing in Canada (Toronto : Carswell, 1986).

 

[21]           L’examen de la qualité pour agir comporte donc nécessairement qu’on se penche sur les intérêts et les droits d’une partie afin de vérifier si la procédure pourrait porter atteinte à ces intérêts ou ces droits. Cet exercice exige un examen de la situation factuelle ayant entraîné l’atteinte reprochée ainsi qu’un examen des droits légaux pouvant être touchés. Dans le contexte des relations de travail visé par la présente instance, l’examen de la qualité pour agir requiert que le Conseil décide si le fait de ne pas donner suite à la plainte porterait atteinte aux intérêts des Teamsters prévus par le Code, ou toucherait aux droits que le Code leur confère. À mon avis, il s’agit précisément du genre de question dont la réponse relève davantage du Conseil en vertu du Code. En conséquence, j’examinerai la question de la qualité pour agir selon la norme de la raisonnabilité.

 

[22]           Lorsqu’un syndicat présente une plainte fondée sur le paragraphe 97(1) du Code dans laquelle il sollicite des mesures de redressement en réponse aux représailles exercées contre les individus qui l’ont aidé dans une procédure d’accréditation par ailleurs légitime, il est raisonnable pour le Conseil de conclure que ce syndicat a le pouvoir de présenter la plainte au nom de ces individus, à moins qu’une preuve contraire ne soit présentée. Cela vaut peu importe si représailles sont la conséquence des mesures prises par l’employeur ou par le syndicat rival.

 

[23]           Comme l’a fait remarquer le Conseil au paragraphe 22 de sa décision, il reçoit souvent des plaintes de pratique déloyale de travail déposées par un syndicat qui allègue qu’un employeur a pris des mesures illicites contre certains employés qui appuyent le syndicat. Dans ces cas, le Conseil n’exige pas normalement que le syndicat plaignant prouve qu’il représente chacun des employés nommés dans la plainte. Il semble que cette approche soit celle qu’ont adoptée de nombreux conseils des relations de travail. En effet, les syndicats sont présumés avoir le pouvoir de déposer de telles plaintes au nom des personnes touchées, et ils ont en outre eux-mêmes clairement intérêt à ce qu’il soit statué sur ces plaintes : voir Royal Homes Limited, [1992] O.L.R.D. no 744 (QL), au par. 102.

 

[24]           La Guilde n’a donné aucune raison impérieuse expliquant pourquoi il y aurait lieu d’adopter une approche différente lorsque la plainte porte sur une mesure disciplinaire illicite qu’un syndicat prend contre un individu qui appuie un autre syndicat dans le cadre d’une campagne d’accréditation par ailleurs légitime. Dans de telles circonstances, il y a lieu de présumer que, pour les besoins de la plainte, l’individu est représenté par le syndicat qu’il a appuyé pendant le processus d’accréditation, compte tenu de l’intérêt vital qu’a ce syndicat à l’égard de la plainte et du fait que cet intérêt correspond à celui de l’individu en cause.

 

[25]           Qui plus est, s’il est vrai que la Guilde a soulevé devant le Conseil la question portant sur la qualité que devaient avoir les Teamsters pour représenter les personnes en cause, elle n’a été abordée que superficiellement (par. 22 de la décision). Ainsi que l’a fait remarquer l’avocat de la défenderesse pendant l’instruction de la demande, il aurait été possible de fournir l’autorisation requise si on avait insisté davantage.

 

[26]           Quoi qu’il en soit, un syndicat a un intérêt propre à faire en sorte que les personnes qui l’ont aidé dans le cadre d’une campagne d’accréditation légitime ne subissent pas de représailles de la part de l’employeur ou d’un syndicat rival. Dans de tels cas, le syndicat a l’intérêt distinct de veiller à ce que les individus qui l’appuient ne soient pas pénalisés, puisque cela pourrait influer sur les procédures d’accréditation à venir que le syndicat intentera contre d’autres rivaux potentiels.

 

[27]           En outre, je ne retiens pas l’argument de l’avalanche de plaintes invoqué par la Guilde. La décision du Conseil se limite aux plaintes présentées par un syndicat défait à l’égard des représailles prises par un syndicat rival après une campagne d’accréditation par ailleurs légitime en conformité avec le Code. Cela ne signifie pas que des syndicats rivaux peuvent en tout temps et en toute circonstance déposer des plaintes les uns contre les autres en vertu du Code pour contester le traitement réservé à leurs membres respectifs.

 

[28]           Par conséquent, je conclus que la décision du Conseil d’autoriser la poursuite de la plainte des Teamsters était raisonnable compte tenu des circonstances de l’espèce.

 

[29]           Pour les motifs énoncés ci-dessus, je rejetterais avec dépens la demande de contrôle judiciaire présentée par la Guilde.

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOCKET:                                                                             A-391-11

 

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION DU 23 SEPTEMBRE 2001, RÉFÉRENCE 2011 CCRI 605, PRONONCÉE PAR LE CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES.

 

INTITULÉ :                                                                          Guilde de la marine marchande du Canada c. Section locale 847 de la Fraternité internationale des Teamsters

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 20 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE NOËL

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 24 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

John O’Connor

POUR LA DEMANDERESSE

 

Howard Goldblatt

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Langlois Gaudreau O’Connor, S.E.N.C.

Québec (Québec)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sack Goldblatt Mitchell LLP

Toronto, Ontario

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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