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Date : 20130214

Dossier : A‑366‑12

Référence : 2013 CAF 36

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

DWIGHT W. GASKIN

demandeur

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

et

COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE

défenderesses

 

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 6 février 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 février 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                               LE JUGE WEBB

 

 


Date : 20130214

Dossier : A‑366‑12

Référence : 2013 CAF 36

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

DWIGHT W. GASKIN

demandeur

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

et

COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE

défenderesses

                

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la décision datée du 20 juillet 2012 de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) [décision de 2012]. Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle (2012 CRTFP 76), la Commission a rejeté la plainte de M. Gaskin fondée sur les articles 133 et 147 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2 (le Code), dans laquelle il alléguait que la décision de l’Agence du revenu du Canada (ARC) de licencier le demandeur le 31 octobre 2011 était une mesure de représailles constituant une violation des droits à la santé et à la sécurité au travail que lui garantit la partie II du Code.

 

[2]               La situation de M. Gaskin n’était pas nouvelle pour la Commission. Dans la décision de 2012, la Commission souligne que « les faits se rapportant aux raisons pouvant avoir entraîné les prétendues représailles […] demeurent les mêmes que les faits déjà considérés et ayant fait l’objet de la décision rendue précédemment par la [Commission] » en 2008 (au paragraphe 9). Dans la décision de 2008, qui est publiée à 2008 CRTFP 96, la plainte de M. Gaskin a également été rejetée. La principale différence entre les deux instances réside dans l’événement qui a déclenché les plaintes : en 2008, cet événement était la décision de l’ARC de radier le nom de M. Gaskin de la liste des employés en congé de maladie à compter du 8 août (parce qu’il avait épuisé ses crédits de congé de maladie), tandis qu’en 2012, il s’agissait de son licenciement.

 

[3]               Afin de mieux comprendre la position de M. Gaskin, il convient de présenter un bref aperçu de la partie II du Code, qui concerne la santé et la sécurité au travail. Cette partie a pour objet « de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par [les dispositions de ladite partie] » (voir l’article 122.1). À un moment donné au cours de l’automne 2007, M. Gaskin a invoqué l’article 128 pour refuser de travailler, soutenant qu’il était victime de violence à son travail et que son milieu de travail était dangereux (page 200 du dossier du demandeur). À l’époque où M. Gaskin a formulé ces allégations, il avait des problèmes personnels et familiaux liés à l’exercice de son droit de garde et de visite de ses enfants. Il a en outre demandé la tenue d’une enquête au sujet de la conduite criminelle à laquelle certaines personnes se seraient livrées. M. Gaskin estime que les superviseurs auxquels il a fait part de ses préoccupations concernant le bien‑être de ses enfants, le mode de vie de la mère de ceux‑ci et d’autres difficultés auxquelles il s’est heurté au cours des procédures qui se sont déroulées devant la division de la famille de la Cour supérieure n’ont rien fait pour l’aider, notamment pour ce qui est d’aviser les autorités concernées. En conséquence, il soutient que l’employeur ne s’est pas acquitté de l’obligation contractuelle et légale qui lui incombait de le protéger et de protéger ses enfants. Il affirme que ce « manque de protection » constitue une violation des obligations et responsabilités de l’État selon le droit national et international. Le refus de travailler de M. Gaskin se fonde sur ces allégations, et constitue l’essentiel de sa plainte en matière de santé et de sécurité au travail.

 

[4]               M. Gaskin affirme qu’après avoir déposé sa plainte fondée sur la partie II du Code il a fait l’objet de mesures de représailles, soit la cessation de son congé de maladie prolongé en 2008 et son licenciement en 2011. Il ajoute que l’employeur ne pouvait prendre ces mesures avant que sa plainte ait fait l’objet d’une enquête exhaustive et que tous ses recours aient été épuisés, [traduction] « y compris selon la procédure relevant du droit national et les mécanismes de plainte et de communication relevant du droit international » (mémoire du demandeur, au paragraphe 16).

 

[5]               De l’avis de M. Gaskin, si une enquête en matière de santé et de sécurité au travail avait été tenue et qu’un rapport en bonne et due forme avait été établi après sa plainte, les choses se seraient passées différemment. Au cours de l’audience relative à la présente demande, il a semblé que M. Gaskin demandait à la Cour d’appel fédérale d’intervenir, notamment parce que la Commission a commis deux erreurs : en premier lieu, en omettant d’ordonner à l’employeur d’enquêter et de faire rapport sur la plainte du demandeur en matière de santé et de sécurité au travail et, en second lieu, en faisant connaître sa décision avant la publication de ce rapport. J’aimerais examiner ces prétentions avant d’en arriver à la décision visée par le présent contrôle.

 

[6]               La partie II énonce les procédures à suivre une fois qu’une plainte en matière de santé et de sécurité au travail a été déposée. En termes simples, les plaintes fondées sur la partie II sont renvoyées aux agents de santé et de sécurité au travail à des fins d’enquête (article 129). Les décisions de ces agents peuvent être portées en appel devant le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) pour être examinées par des agents d’appel désignés par le ministre du Travail. Le Tribunal exerce les fonctions d’un tribunal administratif et, bien que ses décisions soient définitives et exécutoires, elles peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F‑7. Tel n’est pas le scénario qui explique la présence des parties devant la Cour d’appel fédérale. Nous ne siégeons pas en appel d’une décision de la Cour fédérale portant sur le processus décisionnel visant à répondre aux préoccupations de M. Gaskin en matière de santé et de sécurité au travail. Nous procédons plutôt au contrôle d’une décision de la Commission au sujet des allégations relatives aux représailles que l’ARC aurait fait subir à M. Gaskin à la suite de sa plainte liée à la santé et à la sécurité au travail et déposée en application des articles 133 et 147 du Code. La Commission a, à bon droit, été saisie de cette plainte, le paragraphe 133(1) du Code étant ainsi libellé :

 

133. (1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

 

 

[Je souligne.]

133. (1) An employee, or a person designated by the employee for the purpose, who alleges that an employer has taken action against the employee in contravention of section 147 may, subject to subsection (3), make a complaint in writing to the Board of the alleged contravention.

 

[Emphasis added.]

 

 

[7]               Par conséquent, je conclus que M. Gaskin a tort lorsqu’il allègue que la Commission [traduction] « a omis d’exercer sa compétence et de s’acquitter de l’obligation d’agir que lui impose la loi » (demande de contrôle judiciaire, à l’alinéa d)).

 

[8]               Cela étant dit, j’en arrive à la décision de 2012, dont nous sommes à bon droit saisis. Bien que l’avis de demande de M. Gaskin comporte de nombreuses allégations imprécises fondées sur des points de droit très variés, j’ai relevé deux questions à analyser : 1) la question de savoir si la Commission a privé M. Gaskin de son droit à l’application régulière de la loi et commis une erreur en concluant qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience de vive voix pour trancher les points en litige dans la plainte; 2) la question de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que la plainte a) ne démontrait pas l’existence à première vue d’un motif justifiant l’exercice d’un droit protégé par l’article 147 du Code et b) était sans objet, en raison de la décision de 2008 de la Commission.

 

L’équité procédurale

 

[9]               Dans sa demande, M. Gaskin soutient que la Commission l’a privé de son droit à l’application régulière de la loi et à une audience équitable. Selon l’article 41 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2, la Commission peut décider des demandes dont elle est saisie sans tenir d’audience. Dans la présente affaire, la Commission a estimé qu’il était possible de statuer sur celle‑ci au vu du dossier. Je ne vois pas en quoi cette décision a privé M. Gaskin de la possibilité de présenter sa cause et d’obtenir une décision à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 28), d’autant plus que la plainte en cause en l’espèce semble être identique à celle qui a été examinée en 2008, si ce n’est des circonstances sous‑jacentes à la décision de l’employeur.

 

[10]           Dans ses motifs, la Commission a expliqué sa décision de ne pas tenir d’audience et mentionné qu’elle avait examiné tous les documents se trouvant au dossier, de même que la décision rendue en 2008. Elle a également précisé que, bien qu’il ait été invité à répondre à la demande de la défenderesse en vue d’obtenir un rejet sommaire de la plainte, M. Gaskin n’a présenté aucune réplique (décision de 2012, au paragraphe 3).

 

[11]           J’adopte ici le raisonnement que notre Cour a suivi dans l’arrêt Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98, au paragraphe 9, dans lequel elle a conclu que « la juridiction de révision ne saurait exercer ce pouvoir discrétionnaire à la place de la Commission. L’intervention judiciaire pour cause de manquement à l’équité procédurale n’est justifiée que lorsque la tenue d’une audience est nécessaire pour donner aux parties une possibilité raisonnable de présenter efficacement leurs prétentions ou pour répondre à celles de la partie adverse. » La cause de M. Gaskin ne satisfait pas à ces exigences.

 

L’article 147 du Code et le caractère théorique

 

[12]           L’article 147 du Code interdit à l’employeur de prendre des mesures de représailles contre l’employé qui a exercé un droit lié à la santé et à la sécurité au travail protégé par le Code :

 

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

 

 

a)  soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

 

b)  soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

 

c)  soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

 

[Je souligne.]

147. No employer shall dismiss, suspend, lay off or demote an employee, impose a financial or other penalty on an employee, or refuse to pay an employee remuneration in respect of any period that the employee would, but for the exercise of the employee’s rights under this Part, have worked, or take any disciplinary action against or threaten to take any such action against an employee because the employee

 

(a)  has testified or is about to testify in a proceeding taken or an inquiry held under this Part;

 

 

(b)  has provided information to a person engaged in the performance of duties under this Part regarding the conditions of work affecting the health or safety of the employee or of any other employee of the employer; or

 

 

(c)  has acted in accordance with this Part or has sought the enforcement of any of the provisions of this Part.

 

[Emphasis added.]

 

 

[13]           La Commission a décidé que le demandeur n’avait pas établi qu’il existait une apparence de droit suffisante quant à l’exercice d’un droit protégé par l’article 147 du Code. Elle a souligné qu’en 2008, elle avait conclu que les alinéas 147a) et b) ne s’appliquaient pas à M. Gaskin. La seule question qui se posait était de savoir si les mesures prises par l’ARC constituaient au sens de l’alinéa 147c) des mesures de représailles résultant du fait que le plaignant exerçait un droit conféré par l’article 128 du Code de refuser de travailler en raison de ses préoccupations en matière de santé et de sécurité. À la lumière de la preuve, elle a conclu que le demandeur n’exerçait pas un droit valide de refuser de travailler et que les mesures de l’ARC ne pouvaient être considérées comme des mesures de représailles.

 

[14]           Dans la présente affaire, la Commission a conclu que la décision de licencier le plaignant s’inscrivait dans le prolongement de la décision de lui accorder un congé de maladie sans solde. Étant donné que M. Gaskin n’a pas invoqué de nouveaux arguments ou de nouveaux motifs et qu’il ne se fonde pas sur le nouvel exercice d’un droit protégé par la loi faisant en sorte que la plainte s’inscrive dans les paramètres énoncés à l’article 147, les conclusions de la décision précédente s’appliquaient à la présente affaire et la question était sans objet.

 

[15]           Après avoir examiné attentivement le dossier, je suis d’avis que la Commission pouvait raisonnablement arriver à la conclusion qu’elle a tirée en se fondant sur la décision de 2008, dans laquelle elle avait exposé en détail les faits entourant le différend et le droit applicable. Le demandeur ne satisfaisait pas aux conditions d’exercice des droits conférés par le Code de refuser de travailler et n’a jamais communiqué avec l’ARC au sujet de son statut ou de son intention de retourner au travail.

 

[16]           Bien que M. Gaskin ait formulé de nombreuses plaintes contre son employeur, elles demeurent imprécises et ne font pas état du danger qui l’empêchait de s’acquitter de ses responsabilités au lieu de travail. Effectivement, au cours de l’audition de la présente demande, M. Gaskin n’a pu démontrer le lien entre le danger invoqué et son employeur, exception faite de l’obligation qui aurait incombé à l’ARC de se mêler de sa vie personnelle et de le protéger ainsi que ses enfants.

 

Conclusion

 

[17]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Gaskin avec dépens.

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

           K. Sharlow »

 

« Je suis d’accord

           Wyman W. Webb »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑366‑12

 

INTITULÉ :                                                  DWIGHT W. GASKIN c.
AGENCE DU REVENU DU CANADA ET COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                        LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 14 février 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dwight W. Gaskin

 

POUR LUI‑MÊME

 

Anne‑Marie Duquette

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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