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Date : 20130301

 

Dossiers : A‑115‑12

A‑116‑12

 

Référence : 2013 CAF 63

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

 

 

ENTRE :

 

Dossier : A‑115‑12

 

 

NAUTICAL DATA INTERNATIONAL, INC.

 

appelante

et

 

C‑MAP USA INC. ET DOE CO.

 

intimées

 

et

 

 

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

titulaire du droit d’auteur, mise en cause

conformément au paragraphe 36(2) de la Loi sur le droit d’auteur


ET ENTRE :

 

Dossier : A‑116‑12

 

NAUTICAL DATA INTERNATIONAL, INC.

 

appelante

et

 

NAVIONICS INC. et DOE CO.

 

intimées

 

et

 

 

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

titulaire du droit d’auteur, mise en cause

conformément au paragraphe 36(2) de la Loi sur le droit d’auteur

 

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 6 décembre 2012.

 

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er mars 2013.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LES JUGES NADON ET SHARLOW

 

Y A SOUSCRIT :                                                                                           LA JUGE DAWSON

 


Date : 20130301

 

Dossiers : A‑115‑12

A‑116‑12

 

Référence : 2013 CAF 63

 

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

 

 

ENTRE :

 

Dossier : A‑115‑12

 

NAUTICAL DATA INTERNATIONAL, INC.

 

appelante

et

 

 

C‑MAP USA INC. et DOE CO.

 

intimées

 

et

 

 

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

titulaire du droit d’auteur, mise en cause

conformément au paragraphe 36(2) de la Loi sur le droit d’auteur


ET ENTRE :

 

Dossier : A‑116‑12

 

NAUTICAL DATA INTERNATIONAL, INC.

 

appelante

et

 

 

NAVIONICS INC. et DOE CO.

 

intimées

 

et

 

 

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

titulaire du droit d’auteur, mise en cause

conformément au paragraphe 36(2) de la Loi sur le droit d’auteur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LES JUGES NADON ET SHARLOW.

[1]               Nautical Data International Inc. (NDI) a engagé devant la Cour fédérale des actions contre C‑Map USA Inc. et Navionics Inc. pour violation de droit d’auteur. Ces actions, qui portaient sur les mêmes droits d’auteur, ont été instruites ensemble. C‑Map et Navionics ont présenté conjointement une requête en jugement sommaire en rejet des deux actions. Au moment où la requête a été entendue, la seule question non résolue était celle de savoir si NDI avait ou non qualité pour poursuivre C‑Map et Navionics aux termes de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. 42, pour certains actes commis entre le 24 juin 2001 et le 30 mars 2007 à l’égard de ce que les parties ont désigné comme étant « les œuvres du SHC ». Par une ordonnance rendue le 3 avril 2012, le juge Zinn a accueilli la requête en jugement sommaire et rejeté les actions (2012 CF 300). NDI interjette maintenant appel de cette ordonnance. Par les motifs exposés ci‑après, nous sommes d’avis d’accueillir l’appel.

 

[2]               Les faits constants de la présente affaire sont bien résumés par le juge Zinn aux paragraphes 3 à 6 de ses motifs, lesquels sont reproduits ci‑après :

 

[3] Le Service hydrographique du Canada (le SHC), un organisme gouvernemental fédéral du Secteur des sciences du ministère des Pêches et des Océans, produit des cartes hydrographiques sur support papier contenant des données qui appartiennent au Canada et qui sont mises à jour par le SHC (les œuvres du SHC). Le SHC produit également des cartes électroniques de navigation en format vectoriel S‑57 contenant des données qui appartiennent au Canada et qui sont mises à jour par le SHC (les œuvres additionnelles du SHC).

[4] En 1993, NDI a conclu avec le SHC un accord portant sur les données utilisées pour produire ces cartes de navigation. En 1998 et 2000, le SHC et NDI ont mis à jour leur accord. L’accord entre NDI et le SHC sera appelé, dans les présents motifs, l’Accord, ou la Licence.

[5] En vertu de la Licence, le SHC fournissait les données brutes et les sources de données servant à l’élaboration des œuvres du SHC et des œuvres additionnelles du SHC, pour conversion en cartes électroniques et mises à jour électroniques. Après que le SHC avait vérifié l’exactitude de ses cartes électroniques, NDI les reproduisait dans une diversité de supports numériques (les œuvres de NDI), pour lesquels NDI concédait une licence directement aux utilisateurs finaux, et indirectement aux utilisateurs finaux par l’intermédiaire de distributeurs, de titulaires à valeur ajoutée et de revendeurs.

[6] Les défenderesses vendent des cartes hydrographiques électroniques en données exclusives et sur supports multimédias pour utilisation dans leurs équipements. Plus précisément, elles produisent des cartes vectorielles électroniques et des systèmes d’établissement de cartes pour utilisation dans la navigation maritime, aéronautique, et terrestre. Elles avouent utiliser les œuvres du SHC pour produire leurs cartes numériques et reconnaissent que le SHC est habilité à produire des cartes hydrographiques au Canada.

 

[3]               Comme il ressort de cet extrait, les parties utilisent l’expression « les œuvres du SHC » pour désigner les cartes hydrographiques sur support papier produites par le Service hydrographique du Canada, que je désignerai pour plus de commodité comme « la Couronne ». Seules les œuvres du SHC – les cartes hydrographiques sur support papier – sont visées par la présente procédure. Le droit d’auteur sur les œuvres du SHC appartient à la Couronne. L’information (les « données du SHC ») contenue dans les œuvres du SHC est détenue et mise à jour par la Couronne.

 

[4]               Les droits de NDI qui font l’objet du différend en l’espèce sont contenus dans un accord – la Licence – dont les conditions sont énoncées dans un document intitulé [traduction] « Accord consolidé Canada‑NDI – Version 1.3 modifiée le 21 janvier 2002, pour la commercialisation et la distribution de cartes électroniques et d’autres produits hydrographiques numériques ». Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

[traduction]

[ATTENDUS]

1.

Le Service hydrographique du Canada (SHC) du ministère des Pêches et des Océans détient le pouvoir exclusif au Canada de produire des cartes hydrographiques des eaux territoriales canadiennes. Le SHC a la charge de fournir des cartes hydrographiques qui répondent aux normes réglementaires sur la sécurité de la navigation, et de fournir un approvisionnement adéquat de ces cartes conformément au Règlement sur les cartes marines et les publications nautiques (1995), pris au titre de la Loi sur la marine marchande du Canada.

2.

Le SHC produit des cartes hydrographiques sur support papier et les vend par l’entremise d’un réseau de détaillants autorisés au Canada et à l’étranger.

3.

Le SHC entend ajouter à ses cartes classiques sur support papier des cartes électroniques de navigation et d’autres produits en données numériques; à cette fin, il a développé et continue de développer des méthodologies et des normes conçues pour produire ces produits.

4.

Le Canada détient les droits exclusifs sur les cartes sur support papier et les produits en données numériques produits par le SHC.

5.

Le SHC entend répondre à ses besoins en matière de commercialisation et de distribution de ses produits en données numériques au moyen de contrats de concession de licence.

6.

NDI entend acquérir les droits de commercialisation et de distribution des cartes électroniques et autres produits en données numériques du SHC et coopérer avec le SHC pour la production et le contrôle de la qualité de ces produits.

 

[…]

Définitions

 

[…]

 

« CEN » Carte électronique de navigation conforme aux normes de l’OMI.

 

« Données du SHC » Toutes les données appartenant au Canada et tenues à jour par le SHC.

 

« Mise à jour de produit » Fichier numérique fondé sur des données du SHC (y compris les produits certifiés du SHC), dont la liste définitive […] sera convenue par les parties et énoncée à l’annexe 1, et contenant les données nécessaires à la mise à jour d’un produit correspondant.

 

« OHI » Organisation hydrographique internationale.

 

« OMI » : Organisation maritime internationale.

 

[…]

 

« Produit » Tout produit en données numériques fondé sur des données du SHC (y compris les produits certifiés du SHC), dont la liste définitive […] sera convenue par les parties et énoncée à l’annexe 1, et comprenant notamment mais non exclusivement :

                     les cartes en format vectoriel, comme les CEN;

                     les cartes matricielles, comme une version matricielle d’une carte format papier du SHC et toute copie d’une telle version.

 

« Produits certifiés du SHC » Tout produit dont le SHC certifie la conformité aux normes applicables à ses produits de données.

 

« SHC » Le Service hydrographique du Canada, Secteur des sciences du ministère des Pêches et des Océans.

 

[…]

2. LICENCE

2.1

Sous réserve des droits réservés énoncés aux paragraphes 2.4 et 2.5 ci‑après, le Canada concède à NDI un droit et une licence uniques et mondiaux (la Licence) l’autorisant à utiliser les données du SHC pour réaliser des produits et des mises à jour de produits, pour intégrer ces produits à d’autres produits ou services (pour autant que les produits ainsi intégrés ne portent en aucune façon atteinte à l’accessibilité ou à la fiabilité des produits ou des mises à jour de produits) et pour distribuer ces produits directement ou par l’intermédiaire de parties tierces à qui une sous‑licence est concédée conformément aux dispositions du présent Accord. Sous réserve des dispositions du présent Accord, le SHC n’aura pas le droit de distribuer les produits ou les mises à jour de produits à quiconque.

2.2

Il est interdit à NDI de transférer à d’autres parties des données du SHC, des produits et des mises à jour de produits à moins que ces parties se soient vu concéder la sous‑licence appropriée par NDI, conformément à l’annexe 3 : Licence d’utilisateur final, à l’annexe 4 : Licence de revendeur à valeur ajoutée, ou à tout autre type d’accord de distribution conclu avec une tierce partie et approuvé par NDI et le SHC. Tout accord de sous‑licence est désigné ci‑après comme une « licence de NDI », et tout titulaire d’une sous‑licence est désigné ci‑après comme un « licencié de NDI ». Le transfert de données et de produits de données est réputé avoir eu lieu aux termes de l’Accord révisé chaque fois qu’une tierce partie a accès à ces données et produits de données.

2.3

La Licence ne peut être cédée par NDI sans que le SHC en ait préalablement donné l’autorisation par écrit.

2.4

Le SHC peut fournir les données du SHC, les produits qui sont certifiés par le SHC et les mises à jour de produits qui sont certifiées par le SHC directement, à des fins non commerciales, à tout ministère ou organisme fédéral ou provincial du Canada, à toute université canadienne ou autre institution d’enseignement, à toute administration hydrographique avec laquelle le SHC a conclu des accords bilatéraux, ou, dans le cas d’une situation de crise nationale, au sens de la Loi sur les mesures d’urgence, à toute autre partie tierce. Le SHC mettra tout en œuvre pour faire en sorte que toutes les demandes portant sur les données du SHC, les produits du SHC et les mises à jour de produits du SHC soient acheminées par l’entremise de NDI.

2.5

Dans l’éventualité d’une situation de crise nationale, au sens de la Loi sur les mesures d’urgence, et sur avis écrit du SHC, NDI cessera immédiatement, dans la mesure et aux conditions précisées dans l’avis, la distribution des données du SHC, des produits certifiés du SHC ou des mises à jour de produits qui sont certifiées par le SHC. NDI ne renouvellera pas, à moins d’un avis écrit du SHC, la distribution des données du SHC, des produits certifiés du SHC ou des mises à jour de produits qui sont certifiées par le SHC. Dans le présent paragraphe, l’avis sera émis par le directeur général du SHC ou par l’un des agents de supervision du directeur général du SHC.

 

[…]

6. DROIT D’AUTEUR

6.1

NDI convient que le droit d’auteur sur les données du SHC, les produits certifiés par le SHC et les mises à jour de produits qui sont certifiées par le SHC est et demeure la propriété du Canada. Si NDI a développé un produit ou une mise à jour de produit, la propriété de ce produit ou de cette mise à jour est cédée au SHC si ceux-ci sont certifiés par le SHC, sous réserve de la réception par NDI d’une rémunération raisonnable du point de vue commercial pour son investissement dans ce développement. NDI veille à ce que, pour tous les produits certifiés du SHC et toutes les mises à jour de produits qui sont certifiées par le SHC, l’avis de droit d’auteur suivant soit inclus en conformité avec les pratiques reconnues de l’industrie en matière d’avis de droit d’auteur relatives aux données publiées et octroyées sous licence :

 

© (année)

Sa Majesté du chef du Canada, Service hydrographique du Canada

Her Majesty in right of Canada, Canadian Hydrographic Service /

 

[5]               Il ressort du paragraphe 2.1 de la Licence que la Couronne fournissait à NDI des données du SHC, et non des œuvres du SHC. Si l’on prend le paragraphe 2.1 au pied de la lettre, NDI ne détient une licence que sur l’utilisation des données du SHC pour réaliser les produits numériques qu’elle vend. Cependant, NDI élève à l’encontre de C‑Map et de Navionics une réclamation en dommages-intérêts pour violation de droit d’auteur sur les œuvres du SHC, qui ne sont pas expressément mentionnées au paragraphe 2.1.

 

[6]               C‑Map et Navionics admettent qu’elles utilisent les œuvres du SHC pour produire leurs propres cartes numériques. Cependant, le fondement de leur requête en jugement sommaire est que, en droit, NDI n’a pas qualité pour leur réclamer des dommages-intérêts en vertu de la Loi sur le droit d’auteur à l’égard des œuvres du SHC, car le droit d’auteur sur les œuvres du SHC appartient exclusivement à la Couronne.

 

[7]               Il n’est pas controversé entre les parties qu’aux termes du paragraphe 36(1) de la Loi sur le droit d’auteur, NDI est autorisée à exercer un recours en son propre nom pour violation du droit d’auteur sur les œuvres du SHC si elle possède un droit ou un titre sur le droit d’auteur de la Couronne en vertu de la Licence. Le paragraphe 36(1) de la Loi sur le droit d’auteur est libellé comme suit :

36. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le titulaire d’un droit d’auteur, ou quiconque possède un droit, un titre ou un intérêt acquis par cession ou concession consentie par écrit par le titulaire peut, individuellement pour son propre compte, en son propre nom comme partie à une procédure, soutenir et faire valoir les droits qu’il détient, et il peut exercer les recours prévus par la présente loi dans toute l’étendue de son droit, de son titre et de son intérêt.

36. (1) Subject to this section, the owner of any copyright, or any person or persons deriving any right, title or interest by assignment or grant in writing from the owner, may individually for himself or herself, as a party to the proceedings in his or her own name, protect and enforce any right that he or she holds, and, to the extent of that right, title and interest, is entitled to the remedies provided by this Act.

 

 

[8]               Il n’est pas non plus controversé entre les parties que NDI ne peut utilement invoquer le paragraphe 36(1) de la Loi sur le droit d’auteur que si les droits que lui confère la Licence répondent à la définition de « licence exclusive » donnée à l’article 2.7 de la Loi sur le droit d’auteur, qui se lit comme suit :

2.7 Pour l’application de la présente loi, une licence exclusive est l’autorisation accordée au licencié d’accomplir un acte visé par un droit d’auteur de façon exclusive, qu’elle soit accordée par le titulaire du droit d’auteur ou par une personne déjà titulaire d’une licence exclusive; l’exclusion vise tous les titulaires.

2.7 For the purposes of this Act, an licence exclusive is an authorization to do any act that is subject to copyright to the exclusion of all others including the copyright owner, whether the authorization is granted by the owner or an exclusive licensee claiming under the owner.

 

 

[9]               Donc, la première question est simple : Est‑ce qu’une disposition de la Licence autorise NDI à faire quoi que ce soit à l’égard des œuvres du SHC protégées par le droit d’auteur, à l’exclusion de tout autre intéressé, y compris la Couronne?

 

[10]           Les actes « visé[s] par un droit d’auteur » sont ceux énumérés à l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur. Il s’agit pour l’essentiel d’actes qui ne peuvent être posés à l’égard d’une œuvre protégée par un droit d’auteur que par le titulaire du droit d’auteur ou avec son consentement (ce qui inclut nécessairement le consentement donné sous forme de licence par le titulaire du droit d’auteur). Voici les extraits pertinents de l’article 3 :

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

3. (1) For the purposes of this Act, “copyright”, in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, and includes the sole right

a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l’œuvre;

(a) to produce, reproduce, perform or publish any translation of the work,

[…]

[…]

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

and to authorize any such acts.

 

 

[11]           Ce qui pose problème pour NDI est que la principale stipulation de la Licence, le paragraphe 2.1, l’autorise à utiliser les données du SHC – l’information –, mais qu’il ne peut y avoir de droits d’auteur sur des informations. Plus important encore, le paragraphe 2.1 n’autorise pas expressément NDI à produire ou reproduire les œuvres du SHC – les cartes hydrographiques sur support papier – dont le droit d’auteur appartient à la Couronne, ni à en faire quoi que ce soit. Les paragraphes 2.2, 2.4 et 2.5 indiquent d’ailleurs que ce sont les données du SHC et non les œuvres du SHC qui constituent l’objet de la Licence. Si on interprétait le paragraphe 2.1 à la lettre et isolément, NDI ne pourrait avoir gain de cause dans la présente action.

 

[12]           Cependant, le paragraphe 2.1 doit être lu au regard du contexte. Et si l’on considère la Licence dans son intégralité, une ambiguïté devient apparente à cause du paragraphe 6.1.

 

[13]           Le paragraphe 6.1 a pour objet la reconnaissance officielle du droit d’auteur de la Couronne, mais il renvoie au droit d’auteur sur les données du SHC. De deux choses l’une : ou bien les parties n’avaient pas conscience que le droit d’auteur ne pouvait pas viser des informations (ce que nous ne présumerions pas), ou elles ont compris qu’implicitement, l’expression « données du SHC » signifiait ou, à tout le moins, englobait nécessairement les œuvres du SHC, même si la définition de « données du SHC » dans la Licence semble restreindre le sens de cette expression aux « données ».

 

[14]           Dans ses déclarations, NDI allègue que la Couronne « est propriétaire » des données du SHC. Cette allégation présente la même ambiguïté. Si NDI entend par là que l’on peut être propriétaire des données de la même façon que l’on peut posséder des biens, il convient de se demander si une telle affirmation est correcte en droit. En général, on ne peut « être propriétaire » de données – de simples informations – comme s’il s’agissait d’un bien. Leur créateur ou la personne qui les a en sa possession peut les garder confidentielles, et l’on peut imposer à des tiers, par contrat ou par une mesure législative, l’obligation juridique de préserver la confidentialité de l’information. Cependant, aucun principe du droit des biens ne pourrait empêcher quiconque d’utiliser les informations présentées dans une carte hydrographique sur support papier accessible au public, même si cette information émane de la Couronne ou est tenue à jour par elle.

 

[15]           En revanche, la reproduction sous format numérique d’une carte hydrographique sur support papier produite par le SHC pourrait constituer une violation du droit d’auteur dont la Couronne est titulaire aux termes de l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur. Il se peut que les parties signataires de la Licence aient envisagé que les produits que NDI produirait à partir des données du SHC – les informations – seraient nécessairement des copies des œuvres du SHC ou une portion assez substantielle des œuvres du SHC pour constituer une violation du droit d’auteur dont la Couronne est titulaire si la Couronne ne consentait pas à leur reproduction. Sur ces bases, il serait plausible d’interpréter le paragraphe 2.1 comme une autorisation donnée à NDI de reproduire les œuvres du SHC sous une forme numérique. Cette interprétation du paragraphe 2.1 semble conforme à la définition de « produit » figurant dans la Licence, dont l’on peut inférer que NDI pourrait produire des « cartes matricielles » qui seraient des reproductions des cartes sur support papier du SHC.

 

[16]           C’est peut‑être ce que NDI tentait d’expliquer quand elle a soutenu que le paragraphe 2.1 l’autorisait à « intégrer » les œuvres du SHC à ses produits. Le juge Zinn note, au paragraphe 22 de ses motifs, que NDI affirme que trois « droits » lui ont été donnés aux termes de la Licence : « le droit de réaliser, d’intégrer et de distribuer ». Puis, au paragraphe 23, le juge Zinn conclut, sans analyse :

[23] Le SHC ayant permis à NDI de réaliser et d’intégrer les œuvres du SHC qui sont protégées par la Loi sur le droit d’auteur, on doit ensuite se demander si le SHC a promis de ne donner à personne d’autre la permission de réaliser ou d’intégrer les œuvres du SHC pendant la durée de la licence.

Notre interprétation de ce paragraphe est que le juge Zinn a considéré le paragraphe 2.1 de la Licence comme la concession à NDI du droit de produire des copies numériques des œuvres du SHC. Nous n’avons pas la certitude que cette interprétation soit correcte, car, à notre avis, le dossier ne contient pas assez d’éléments de preuve relativement à la matrice factuelle pertinente ayant servi à tirer cette conclusion. Toutefois, pour le moment, nous présumerons qu’elle est correcte.

 

[17]           Ayant interprété le paragraphe 2.1 de la Licence comme il l’a fait, le juge Zinn était tenu de rechercher si les droits concédés à NDI en vertu de cette disposition répondaient aux critères de la définition légale de « licence exclusive » donnée à l’article 2.7 de la Loi sur le droit d’auteur. Comme nous l’avons mentionné précédemment, il est constant que si NDI ne détenait pas une licence exclusive, elle n’a pas qualité pour poursuivre C‑Map et Navionics pour violation de droit d’auteur.

 

[18]           C‑Map et Navionics n’ont pas soutenu que la Couronne aurait pu concéder à une autre partie le droit de produire des copies numériques des œuvres du SHC pendant la durée de la Licence. En conséquence, la question en litige était de savoir si la Licence interdisait à la Couronne de produire elle‑même ces copies numériques.

 

[19]           Le paragraphe 2.1 de la Licence débute par une réserve ([traduction] « [s]ous réserve des droits réservés indiqués aux paragraphes 2.4 et 2.5 »). Toutefois, les paragraphes 2.4 et 2.5 ne réservent à la Couronne aucun droit de produire des copies numériques des œuvres du SHC. Le paragraphe 2.4 donne à la Couronne le droit de fournir les données du SHC et certains produits de NDI à certaines parties, à certaines fins, tandis que le paragraphe 2.5 prévoit la cessation de l’autorisation dans l’éventualité d’une situation de crise nationale.

 

[20]           Aucune autre stipulation de la Licence n’indique expressément que la Couronne s’est réservé le droit de produire des copies numériques des œuvres du SHC, ce va dans le sens de la thèse de NDI portant que l’intention des parties signataires était que la Licence soit une licence exclusive. Cependant, le juge Zinn a conclu le contraire, principalement parce qu’il s’est fondé sur l’interrogatoire préalable d’un fonctionnaire de la Couronne au cours duquel ce dernier avait déclaré que la Couronne ne considérait pas que NDI avait une [traduction] « licence exclusive à l’égard des cartes du SHC sur support papier » et que [traduction] « les cartes sur support papier étaient exclues de la définition de “produits” et de “mise à jour de produits” ».

 

[21]           Nous retenons la thèse de NDI portant que le juge Zinn a commis une erreur de droit en se fondant sur cette preuve pour déterminer l’intention contractuelle des parties (Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, au paragraphe 54). (Nous soulignons aussi que si la déclaration faite lors de l’interrogatoire préalable du fonctionnaire de la Couronne était pertinente, elle tendrait à contredire la conclusion selon laquelle la Licence autorisait NDI à produire des copies numériques des œuvres du SHC – les cartes sur support papier.)

 

[22]           Si l’on met de côté l’interrogatoire préalable du fonctionnaire de la Couronne, seule subsiste la Licence elle‑même comme fondement pour établir si la licence concédée à NDI était exclusive. À notre humble avis, l’absence de toute disposition expresse autorisant la Couronne à produire des copies numériques va dans le sens de la thèse de NDI, à savoir qu’il s’agissait d’une licence exclusive.

 

[23]           Mais cela ne clôt pas la question pour autant. Comme nous l’avons déjà signalé, l’incompatibilité apparente entre les paragraphes 2.1 et 6.1 de la Licence laisse ouverte la question de l’objet de la Licence elle‑même. Autrement dit, on ne sait toujours pas au juste si NDI ne s’est vu concéder que le seul droit d’utiliser les données du SHC (l’information) pour produire ses produits numériques, ou si elle a obtenu le droit de produire des copies numériques des œuvres du SHC. À notre avis, le dossier de la requête en jugement sommaire ne fournit aucune fondement permettant de résoudre cette ambiguïté et, par conséquent, C‑Map et Navionics ne se sont pas acquittées du fardeau de prouver qu’il n’y avait pas véritablement matière à procès. Nous concluons donc que la requête en jugement sommaire aurait dû être rejetée.

 

[24]           Par ces motifs, nous sommes d’avis d’accueillir l’appel avec dépens devant notre Cour et devant la Cour fédérale, d’annuler le jugement frappé d’appel et, rendant le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, de rejeter la requête en jugement sommaire.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

         Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑115‑12

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE PAR LE JUGE ZINN, DE LA COUR FÉDÉRALE, EN DATE DU 3 AVRIL 2012, NO DE DOSSIER T‑1219‑04

 

INTITULÉ :                                                  NAUTICAL DATA INTERNATIONAL, INC. c.
C‑MAP USA INC. ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE NADON

                                                                        LA JUGE SHARLOW

 

Y A SOUSCRIT :                                         LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 1er mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

James Mills 

Chantal Saunders

 

POUR L’APPELANTE

 

Gary Daniel 

Catherine Flood

POUR LES INTIMÉES
C‑MAP USA INC. et DOE CO.

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Blakes, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉES
C‑MAP USA INC. et DOE CO.

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑116‑12

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE PAR LE JUGE ZINN, DE LA COUR FÉDÉRALE, EN DATE DU 3 AVRIL 2012, NO DE DOSSIER T‑1220‑04

 

INTITULÉ :                                                  NAUTICAL DATA INTERNATIONAL, INC. c.
NAVIONICS INC. ET AUTRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE NADON

                                                                        LA JUGE SHARLOW

 

Y A SOUSCRIT :                                         LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 1er mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

James Mills 

Chantal Saunders

 

POUR L’APPELANTE

 

Gary Daniel 

Catherine Flood

 

POUR LES INTIMÉES
NAVIONICS INC. et DOE CO.

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Blakes, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉES
NAVIONICS INC. et DOE CO.

 

 

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