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Date : 20130320

Référence : 2013 CAF 85

 

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

Dossiers : A‑117‑12

A‑118‑12

A‑122‑12

A‑125‑12

A‑126‑12

A‑127‑12

 

ENTRE :

1392644 ONTARIO INC., S/N CONNOR HOMES

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

 

Dossiers : A‑120‑12

A‑128‑12

 

 

ENTRE :

 

1324455 ONTARIO INC.

appelante

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 31 janvier 2013

Jugement rendu à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 20 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                      LA JUGE GAUTHIER

 


Date : 20130320

Référence : 2013 CAF 85

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

Dossiers : A‑117‑12

A‑118‑12

A‑122‑12

A‑125‑12

A‑126‑12

A‑127‑12

ENTRE :

1392644 ONTARIO INC., S/N CONNOR HOMES

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

Dossiers : A‑120‑12

A‑128‑12

 

ENTRE :

 

1324455 ONTARIO INC.

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE MAINVILLE

[1]               La Cour est saisie de huit appels formés contre huit jugements rendus par le juge D’Arcy, de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la Cour de l’impôt), appels qu’elle a instruits ensemble sur la base d’un dossier commun. Le juge de la Cour de l’impôt a prononcé verbalement par téléconférence, le 20 mars 2012, un exposé unique des motifs pour les huit jugements. Ces motifs n’ont pas été publiés.

 

[2]               Le juge de la Cour de l’impôt a rejeté les appels respectivement formés par les deux appelantes contre des décisions par lesquelles le ministre du Revenu national (le ministre) avait conclu que des personnes déterminées occupaient chez elles des emplois ouvrant droit à pension au sens du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8, et assurables au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23.

 

FAITS ET PROCÉDURES

[3]               L’appelante 1392644 Ontario Inc., s/n Connor Homes (Connor Homes), est titulaire d’une licence de la province de l’Ontario l’autorisant à gérer des foyers d’accueil et des foyers collectifs où elle fournit des services à des enfants atteints de troubles graves de comportement et de développement. La prestation de ces services est assurée par de nombreuses personnes que Connor Homes a recrutées à cette fin, notamment des travailleurs auprès des enfants et des jeunes, des travailleurs sociaux, et des psychologues et thérapeutes agréés.

 

[4]               Mesdames Rollie Allaire, Jodi Greer et Zoe Fulton comptent parmi les personnes ainsi recrutées par Connor Homes.

 

[5]               Pendant la période en cause, Mme Allaire assurait des services aux foyers d’accueil en qualité de surveillante de secteur aussi bien que de travailleuse auprès des enfants et des jeunes. Lorsqu’elle est entrée au service de Connor Homes, elle a signé un contrat daté du 7 juillet 2008. Ce contrat stipulait qu’elle remplirait la fonction de technicienne de services à l’enfance en tant qu’entrepreneur indépendant, qu’elle serait rémunérée suivant un taux horaire de 14 $ et qu’elle devrait facturer son temps. Le contrat prévoyait en outre qu’elle recevrait des montants forfaitaires de 150 $ pour les relèves de nuit et de 300 $ pour les relèves de week‑end, ainsi que certaines indemnités de transport. La durée du contrat était indéterminée, mais Mme Allaire pouvait le résilier sur préavis de 14 jours, et Connor Homes en tout temps pour [traduction] « motif valable ». Le même contrat comprenait aussi une clause selon laquelle Mme Allaire, à titre d’entrepreneur indépendant, n’avait [traduction] « pas droit à des avantages sociaux et assum[ait] la responsabilité de verser toutes les contributions nécessaires, notamment les cotisations au Régime de pensions du Canada et à l’assurance‑emploi, et les impôts provinciaux et fédéraux ». On y lisait aussi : [traduction] « le présent contrat n’a pour effet de restreindre d’aucune façon la liberté garantie à l’entrepreneur indépendant (aux entrepreneurs indépendants) d’exercer toute autre activité professionnelle à son (leur) propre compte ».

 

[6]               Madame Allaire remplissait aussi la fonction de surveillante de secteur chez Connor Homes. Pour cette fonction, elle était rémunérée suivant un taux journalier, multiplié par le nombre d’enfants pensionnaires des foyers de son secteur. Elle touchait sa rémunération sur présentation de factures mensuelles. Connor Homes la considérait comme un entrepreneur indépendant quand elle agissait à titre de surveillante de secteur.

 

[7]               Mesdames Greer et Fulton étaient également au service de Connor Homes, avec qui chacune d’elles a signé un contrat en tant que travailleuse auprès des enfants et des jeunes. Ces contrats, respectivement datés du 5 janvier 2007 et du 15 mai 2008, ressemblent beaucoup (sans y être identiques) à celui qu’a passé Mme Allaire avec la même société. Les tâches de Mme Greer en tant que travailleuse auprès des enfants et des jeunes comprenaient principalement la prestation de services de relève, ainsi que de cours de soutien aux enfants confiés à ses soins. Ces tâches s’ajoutaient à sa fonction principale (décrite plus loin), qui était celle de surveillante de secteur. Mme Fulton, quant à elle, remplissait la fonction de travailleuse auprès des enfants et des jeunes dans les foyers d’accueil; à ce titre, elle surveillait les enfants le matin et le soir, les aidait à faire leurs devoirs, contrôlait leurs activités, préparait leurs repas, veillait à leur hygiène et les occupait de diverses manières.

 

[8]               Connor Homes appartient à Robert et Elaine Connor. Leur fils, M. Sean Connor, gère l’appelante 1324455 Ontario Inc. (Connor Group Homes), qui assure des services à Connor Homes. Connor Group Homes a aussi passé un contrat avec Mme Jodi Greer, de qui il a été question plus haut, contrat qui réglait l’activité de celle‑ci en tant que surveillante de secteur pour les foyers d’accueil gérés par Connor Homes. En cette qualité, Mme Greer [traduction] « élaborait des plans de soins, examinait des demandes de fonds, participait à des réunions de l’Aide à l’enfance, et engageait des parents de famille d’accueil, ainsi que des travailleurs auprès des enfants et des jeunes, en jouant de plus le rôle de gestionnaire de crises » (motifs du juge de la Cour de l’impôt, paragraphe 20). Son contrat avec Connor Group Homes, daté du 1er février 2007, stipulait qu’elle travaillerait pour cette société en tant qu’entrepreneur indépendant pour une période de cinq ans (qui devait donc prendre fin le 1er février 2012). Il lui était cependant permis de résilier le contrat sur préavis de 60 jours, tandis que Connor Group Homes pouvait y mettre fin en tout temps pour [traduction] « motif valable ». Le contrat prévoyait qu’elle serait rémunérée suivant un taux journalier, multiplié par le nombre d’enfants pensionnaires des foyers d’accueil ou des foyers collectifs confiés à sa surveillance. Elle touchait sa rémunération sur présentation de factures mensuelles. Ce contrat comprenait une clause de non‑concurrence. Il stipulait en outre que, comme entrepreneur indépendant, elle assumait [traduction] « les frais entraînés par la prestation de ces services, sauf entente préalablement négociée avec Connor Group Homes ».

 

[9]               L’Agence du revenu du Canada a conclu que Mmes Allaire, Greer et Fulton avaient occupé des emplois assurables et ouvrant droit à pension chez Connor Homes pendant les périodes respectives du 15 juillet 2008 au 25 octobre 2009, du 8 février 2009 au 12 février 2010 et du 1er janvier au 22 mai 2009. Elle a en outre conclu que Mme Greer avait aussi occupé un emploi assurable et ouvrant droit à pension chez Connor Group Homes du 8 février 2009 au 12 février 2010. Le ministre a confirmé toutes ces décisions.

 

[10]           Les appelantes ont attaqué les décisions susdites devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

LES MOTIFS DU JUGE DE LA COUR DE L’IMPÔT

[11]           Après avoir exposé les faits, le juge de la Cour de l’impôt rappelle que celle‑ci a a déjà rendu trois décisions sur des questions semblables mettant en cause des techniciens de services à l’enfance employés par Connor Homes, soit : 1392644 Ontario Inc. s/n Connor Homes c. M.R.N., 2003 CCI 816; 1392644 Ontario Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), [2004] A.C.I. no 214 (QL); et 1392644 Ontario Inc. s/n Connor Homes c. M.R.N., 2006 CCI 521. Dans toutes ces décisions, la Cour de l’impôt a conclu que les techniciens de services à l’enfance en question étaient des employés de Connor Homes et non des entrepreneurs indépendants. Le juge de la Cour de l’impôt constate ensuite qu’aucun élément produit devant lui ne tend à prouver que la nature des activités de Connor Homes ait changé depuis ces décisions.

 

[12]           Après avoir examiné les preuves produites devant lui sous le rapport du critère formulé dans Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1986] 3 C.F. 553 (Wiebe Door), le juge de la Cour de l’impôt conclut que Connor Homes aussi bien que Connor Group Homes exerçaient un degré élevé de contrôle sur les travailleuses intéressées, que celles‑ci n’avaient pas la possibilité d’accroître leur revenu en réduisant leurs frais ou en produisant plus, et qu’on exigeait peu d’elles sur le plan de l’outillage, soit principalement la possession d’un téléphone portable et l’accès à un ordinateur.

 

[13]           En outre, il rejette les arguments des appelantes fondés sur l’intention des parties. Les clauses du contrat qualifiant les travailleuses d’entrepreneurs indépendants, constate‑t‑il, ne cadrent pas avec les modalités réelles de la relation contractuelle.

 

[14]           En conséquence, il conclut que les trois travailleuses intéressées occupaient chacune un emploi assurable et ouvrant droit à pension, et il rejette les appels.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE DANS LE PRÉSENT APPEL

[15]           Les appelantes soutiennent que le juge de la Cour de l’impôt a commis les erreurs suivantes : 1) il a accordé du poids aux conclusions de fait tirées dans d’autres décisions de la Cour canadienne de l’impôt; 2) il a omis de prendre en considération et mal appliqué le critère servant à établir si le travailleur est employé ou entrepreneur indépendant, en particulier en n’attribuant pas le poids voulu à l’intention des parties telle qu’exprimée dans les contrats qu’elles ont signés.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[16]           La jurisprudence est bien fixée : la norme de contrôle applicable aux appels formés contre des décisions de la Cour canadienne de l’impôt est celle que fixe l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. La première question en litige formulée ci‑dessus soulève des points de droit et d’équité procédurale, et ressortit donc à la norme de la décision correcte. La seconde question soulève à la fois un point de droit (c’est‑à‑dire la détermination du critère applicable), qu’il faut examiner suivant la norme de la décision correcte, et des points de fait, ainsi que des points mélangés de fait et de droit (c’est‑à‑dire l’application aux faits du critère adéquat), à examiner selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[17]           La définition pertinente, aux fins du présent appel, de l’emploi assurable sous le régime de la Loi sur l’assurance‑emploi est énoncée à l’alinéa 5(1)a) de cette loi, qui se lit comme suit :

 (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

            a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 (1) Subject to subsection (2), insurable employment is

 

 

            (a) employment in Canada by one or more employers, under any express or implied contract of service or apprenticeship, written or oral, whether the earnings of the employed person are received from the employer or some other person and whether the earnings are calculated by time or by the piece, or partly by time and partly by the piece, or otherwise;

 

 

[18]           L’alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada dispose qu’ouvre droit à pension, entre autres emplois, l’emploi au Canada qui n’est pas un emploi excepté. Le terme « emploi » est défini au paragraphe 2(1) de cette loi, tandis que son paragraphe 6(2), qui n’est pas pertinent en l’espèce, énumère les emplois exceptés.

 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« emploi » L’état d’employé prévu par un contrat de louage de services ou d’apprentissage, exprès ou tacite, y compris la période d’occupation d’une fonction.

 

 (1) In this Act,

 

 

“employment” means the state of being employed under an express or implied contract of service or apprenticeship, and includes the tenure of an office;

 

 (1) Ouvrent droit à pension les emplois suivants :

 

            a) l’emploi au Canada qui n’est pas un emploi excepté;

 

 (1) Pensionable employment is

 

 

            (a) employment in Canada that is not excepted employment;

 

 

ANALYSE

            L’attribution de poids aux conclusions de fait d’autres jugements

[19]           Les appelantes soutiennent que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en accordant du poids aux conclusions de fait tirées dans des appels antérieurs concernant la qualification de l’activité professionnelle d’autres techniciens de services à l’enfance de Connor Homes. En effet, expliquent‑elles, a) ces conclusions de fait ne peuvent absolument pas valoir pour Connor Group Homes, et b) le critère approprié doit être appliqué aux faits particuliers de chaque espèce.

 

[20]           J’admets que le juge du fond n’est pas lié par les conclusions de fait d’un autre juge du fond, puisque chaque affaire doit être décidée sur la base des preuves produites. Cela dit, lorsqu’une même partie a soumis à plusieurs reprises des faits semblables à l’examen de juges différents et que ceux‑ci en ont tous tiré les mêmes conclusions, le juge du fond n’est certainement pas malvenu de le relever. Évidemment, le juge du fond n’est pas lié par les conclusions des autres juges, mais la partie qui souhaite le voir tirer une conclusion différente des mêmes faits ou de faits semblables doit expliquer d’une manière ou d’une autre pourquoi les conclusions des juges précédents ne sont pas applicables à l’espèce considérée ou devraient être écartées.

 

[21]           Dans la présente instance, le juge de la Cour de l’impôt a noté avec raison que les faits relatifs aux activités de Connor Homes étaient pour l’essentiel les mêmes que ceux qu’avaient déjà examinés trois autres juges de la même Cour; voir le paragraphe 42 de ses motifs. Il a également constaté l’absence de différences de fait importantes entre Connor Homes et Connor Group Homes sous le rapport des activités, les opérations de la seconde étant intégrées dans celles de la première; voir les paragraphes 11, 20 et 22 de ses motifs.

 

[22]           Connor Homes n’a produit aucun élément tendant à prouver que les faits de la présente espèce sont différents, ni expliqué pourquoi le juge de la Cour de l’impôt aurait dû écarter les conclusions de ces autres juges, fondées sur des faits pour l’essentiel identiques, aux fins de l’instance portée devant lui. Le juge de la Cour de l’impôt a néanmoins examiné et apprécié les preuves dont il disposait, et tiré ses propres conclusions de celles‑ci. Ces conclusions se sont avérées être les mêmes que celles des trois autres juges de la même Cour qui avaient étudié les pratiques d’emploi de Connor Homes avant lui. On ne peut certainement pas déclarer lesdites conclusions viciées simplement parce que les juges y ont abouti tous les quatre.

 

Le critère applicable pour déterminer si le travailleur est employé ou entrepreneur indépendant

[23]           La question fondamentale à laquelle il faut répondre pour déterminer si une personne donnée travaille comme employé ou comme entrepreneur indépendant est trompeusement simple : il s’agit de savoir si elle assure les services en question en tant que personne travaillant à son compte; voir 1671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2011 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983 (Sagaz), paragraphe 47.

 

[24]           Comme l’on remarque depuis quelques années sur le marché du travail une tendance à l’accroissement du rôle de l’impartition et des contrats à court terme, cette question a gagné en importance et a donné lieu à de nombreux contentieux devant la Cour canadienne de l’impôt. De plus, la qualification de l’activité professionnelle d’une personne détermine directement son droit à prestations sous le régime de la Loi sur l’assurance‑emploi, et influe considérablement sur sa situation au regard du Régime de pensions du Canada, de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), et de diverses autres dispositions législatives.

 

[25]           Pourtant, tant la jurisprudence que la doctrine qui se sont prononcées à ce sujet font observer que le critère susdit, bien que simple en théorie, se révèle souvent très difficile à appliquer avec un quelconque degré de certitude, partiellement en raison de la nature factuelle de la question et de la constante variabilité de l’environnement professionnel; voir Sagaz, paragraphe 46; Joanne Magee, « Whose Business Is It? », 45(3) Canadian Tax Journal 584 (1997); Lara Friedlander, « What has Tort Law Got to Do with It? Distinguishing Between Employees and Independent Contractors », 51(4) Canadian Tax Journal 1467 (2003); Kurt Wintermute, « A Worker’s Status as Employee or Independent Contractor », 2007 Canadian Tax Foundation conference report, 34; et Alain Gaucher, « A Worker’s Status as Employee or Independent Contractor », 1999 Canadian Tax Foundation conference report, 33.

 

[26]           Les décisions de principe sur cette question sont l’arrêt Wiebe Door de notre Cour et l’arrêt Sagaz de la Cour suprême du Canada.

 

[27]           Le juge MacGuigan a effectué dans l’affaire Wiebe Door un examen approfondi de la jurisprudence pertinente. Il a ainsi cité le critère à quatre volets énoncé par lord Wright par l’arrêt Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 (C.P.), [1946] 3 W.W.R. 748 – ces quatre volets étant le contrôle, la propriété des instruments de travail, les possibilités de profit et les risques de pertes –, ainsi que le critère dit de l’intégration, défini par lord Denning par l’arrêt Stevenson Jordan and Harrison, Ltd. c. Macdonald, [1952] 1 The Times L.R. (C.A.).

 

[28]           Le juge MacGuigan a reformulé le critère de l’intégration en précisant qu’il ne jouait que du point de vue du travailleur, et il en a considérablement limité l’utilisation. Chose importante, cependant, le juge MacGuigan a consacré le principe que, s’il n’existe pas de critères particuliers propres à trancher la question, « il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles » (Wiebe Door, page 563). Il a conclu qu’il n’y a en fait qu’un seul critère : « Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l’ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu’il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé ci‑dessus “l’ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations”, et ce, même si je reconnais l’utilité des quatre critères subordonnés » (ibid., page 562). Essentiellement, il s’agit de répondre à la question « À qui appartient l’entreprise? » (ibid, p. 563)

 

[29]           Le juge Major, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sagaz, a approuvé la démarche proposée par le juge MacGuigan par l’arrêt Wiebe Door, ajoutant que « [l]a question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte » (Sagaz, paragraphe 47). Aux fins de décider cette question, aucun facteur particulier ne joue de rôle dominant, et aucune formule fixe n’est applicable. Les facteurs à prendre en considération peuvent donc varier selon les faits de l’espèce, et la liste doit en rester ouverte. Néanmoins, certains facteurs sont habituellement pertinents, à savoir le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur, ainsi que les points de savoir si ce dernier fournit son propre outillage, s’il engage lui‑même ses assistants, s’il gère et assume des risques financiers, et s’il peut escompter un profit de l’exécution de ses tâches.

 

[30]           Parallèlement au critère formulé par les arrêts Wiebe Door et Sagaz, s’est fait jour ces dernières années une autre tendance jurisprudentielle qui accorde un poids substantiel à l’intention déclarée des parties; voir Wolf c. La Reine, 2002 D.T.C. 6053 (C.A.F.) (Wolf); et Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 87, [2007] 1 R.C.F. 35 (Royal Winnipeg Ballet). Cette tendance n’a pas été sans susciter de critiques; voir Dean Lang et Sharon Lang c. M.R.N., 2007 CCI 547, 2007 D.T.C. 1754, où le juge en chef Bowman exprime un certain mécontentement devant le manque de clarté et de cohérence qu’il semble attribuer à la jurisprudence de notre Cour sur cette question.

 

[31]           C’est ainsi que dans l’affaire Wolf, le juge Décary a attribué un poids important au fait que les parties aient passé leur contrat de services en postulant que le travailleur était un entrepreneur indépendant. Il a décidé que, en l’absence de tout élément tendant à prouver le contraire sans ambiguïté, l’intention expresse des parties devrait l’emporter lorsqu’il s’agit d’établir si la relation professionnelle est une relation d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant, ajoutant que, « [d]e nos jours, quand un travailleur décide de garder sa liberté pour pouvoir signer un contrat et en sortir pratiquement quand il le veut, lorsque la personne qui l’embauche ne veut pas avoir de responsabilités envers un travailleur si ce n’est le prix de son travail et lorsque les conditions du contrat et son exécution reflètent cette intention, le contrat devrait en général être qualifié de contrat de service » (Wolf, paragraphe 120).

 

[32]           L’idée exposée par le juge Décary dans la décision Wolf selon laquelle il convient d’accorder un poids substantiel à l’intention des parties a été reprise et clarifiée dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet, lequel portait sur un appel formé par le Royal Winnipeg Ballet contre une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt avait conclu que les danseurs qu’il engageait étaient des employés. Il n’y avait pas de contrat écrit spécifiant que les danseurs étaient des entrepreneurs indépendants, mais il ressortait à l’évidence des preuves que telle était l’intention de toutes les parties et qu’elles agissaient toutes en conséquence, comme en témoignait par exemple l’enregistrement des danseurs aux fins de la TPS. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt avait cependant considéré l’intention des parties comme dénuée de pertinence, estimant qu’elle ne devenait pertinente que dans le cas où le critère applicable en priorité ne produisait pas de solution décisive. Après avoir examiné les décisions Wiebe Door, Sagaz et Wolf, la juge Sharlow a conclu qu’il faut toujours prendre en considération la manière dont les parties qualifient leur relation, et que « [l]e juge aurait dû examiner les facteurs de l’arrêt Wiebe Door à la lumière de ce témoignage non contredit et se demander si, dans l’ensemble, les faits étaient compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des travailleurs indépendants, comme les parties le pensaient, ou s’ils étaient davantage compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des employés » (Royal Winnipeg Ballet, paragraphe 64). La juge Desjardins a souscrit à cette approche, tandis que le juge Evans a émis une opinion dissidente.

 

[33]           Par conséquent, la jurisprudence de Royal Winnipeg Ballet enseigne que le premier point à prendre en considération est celui de savoir s’il y a chez les parties une entente ou une intention commune touchant leur relation. Lorsque l’on constate une telle intention commune, qu’elle soit d’établir une relation de client à entrepreneur indépendant ou d’employeur à employé, il convient d’appliquer le critère consacré par la jurisprudence Wiebe Door en examinant les facteurs voulus à la lumière de cette intention afin d’établir si, tout bien pesé, les faits pertinents cadrent avec celle‑ci et la confirment. Il faut cependant se rappeler les précisions apportées par la juge Sharlow au paragraphe 61 de l’arrêt Royal Winnipeg Ballet :

Je souligne, une fois de plus, que cela ne veut pas dire que les affirmations que font les parties quant à la nature juridique de leur contrat sont concluantes. Cela ne veut pas dire non plus que les déclarations que font les parties quant à leurs intentions doivent nécessairement amener le tribunal à conclure que leurs intentions ont été concrétisées. Pour paraphraser la juge Desjardins (au paragraphe 71 des motifs principaux de l’arrêt Wolf), lorsqu’il est prouvé que les modalités du contrat, examinées dans le contexte factuel approprié, ne reflètent pas la relation juridique que les parties affirment avoir souhaité établir, alors il ne faut pas tenir compte de leur intention déclarée. [Non souligné dans l’original.]

 

[34]           L’application de la méthode consacrée par la jurisprudence Royal Winnipeg Ballet semble avoir abouti à certaines difficultés; voir City Water International Inc. c. Canada, 2006 CAF 350, 355 N.R. 77; Combined Insurance Company of America c. Canada (Revenu national), 2007 CAF 60, 359 N.R. 60; Kilbride c. Canada, 2008 CAF 335, [2009] 4 C.T.C. 114, 2009 D.T.C. 5002; et les critiques formulées par le juge en chef Bowman dans la décision Dean Lang et Sharon Lang c. M.R.N., précitée.

 

[35]           En ce qui concerne les travailleurs des foyers ontariens pour enfants, au moins un juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu, en se fondant sur la jurisprudence Wolf, que l’intention des parties telle qu’énoncée dans leur contrat devrait l’emporter; voir Woodcock Youth Centre Limited c. M.R.N., 2007 CCI 443; et Unison Treatment Homes for Youth c. M.R.N., 2007 CCI 447. Néanmoins, comme le juge Evans l’a pertinemment observé dans son opinion dissidente de l’arrêt Royal Winnipeg Ballet, le point de vue des cocontractants sur la nature juridique de leur contrat est inévitablement intéressé, leurs positions de négociation sont souvent inégales, et la qualification juridique qu’ils donnent au contrat ne devrait pas avoir de conséquences sur les tiers qui invoquent la responsabilité du fait d’autrui.

 

[36]           Cependant, la démarche consacrée par la jurisprudence Royal Winnipeg Ballet, bien comprise, met tout simplement l’accent sur le principe notoire selon lequel toute personne a le droit d’organiser ses affaires et ses relations comme bon lui semble. Les rapports des parties à un contrat sont généralement régis par lui. Les parties peuvent donc fixer dans leur contrat leurs obligations et responsabilités respectives, les modalités de la rémunération des services à fournir et toutes sortes d’autres aspects de leurs rapports. Cependant, l’effet juridique ainsi produit, c’est‑à‑dire l’effet juridique du contrat en tant que celui‑ci crée une relation d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant, n’est pas une question que les parties peuvent décider par une simple stipulation. Autrement dit, il ne suffit pas d’énoncer dans le contrat que le travailleur assure ses services en tant qu’entrepreneur indépendant pour que ce soit effectivement le cas.

 

[37]           Étant donné que la qualification de la relation professionnelle a des conséquences juridiques et pratiques importantes et d’une portée considérable, qui intéressent entre autres le droit de la responsabilité délictuelle (la responsabilité du fait d’autrui), les programmes sociaux (l’admissibilité et les cotisations), les relations de travail (la syndicalisation) et la fiscalité (l’enregistrement aux fins de la TPS et la situation au regard de la Loi de l’impôt sur le revenu), on ne peut simplement laisser les parties décider à leur seul gré si elles sont liées par une relation d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant. La situation juridique d’entrepreneur indépendant ou d’employé ne se détermine donc pas seulement sur la base de l’intention déclarée des parties. Cette détermination doit aussi se fonder sur une réalité objective et vérifiable.

 

[38]           C’est pourquoi les arrêts Wolf et Royal Winnipeg Ballet exposent une méthode en deux étapes pour l’examen de la question centrale, telle que l’ont définie les arrêts Sagaz et Wiebe Door, qui est d’établir si l’intéressé assure, ou non, les services en tant que personne travaillant à son compte.

 

[39]           La première étape consiste à établir l’intention subjective de chacune des parties à la relation. On peut le faire soit d’après le contrat écrit qu’elles ont passé, soit d’après le comportement effectif de chacune d’elles, par exemple en examinant les factures des services rendus, et les points de savoir si la personne physique intéressée s’est enregistrée aux fins de la TPS et produit des déclarations d’impôt en tant que travailleur autonome.

 

[40]           La seconde étape consiste à établir si la réalité objective confirme l’intention subjective des parties. Comme le rappelait la juge Sharlow au paragraphe 9 de l’arrêt TBT Personnel Services Inc. c. Canada, 2011 CAF 256, 422 N.R. 366, « il est également nécessaire d’examiner les facteurs exposés dans Wiebe Door afin de déterminer si les faits concordent avec l’intention déclarée des parties ». Autrement dit, l’intention subjective des parties ne peut l’emporter sur la réalité de la relation telle qu’établie par les faits objectifs. À cette seconde étape, on peut aussi prendre en considération l’intention des parties, ainsi que les modalités du contrat, puisqu’elles influent sur leurs rapports. Ainsi qu’il est expliqué au paragraphe 64 de l’arrêt Royal Winnipeg Ballet, les facteurs applicables doivent être examinés « à la lumière de » l’intention des parties. Cela dit, cependant, la seconde étape est une analyse des faits pertinents aux fins d’établir si le critère des arrêts Wiebe Door et de Sagaz est, ou non, rempli, c’est‑à‑dire si la relation qu’ont nouée les parties est, sur le plan juridique, une relation de client à entrepreneur indépendant ou d’employeur à employé.

 

[41]           La question centrale à trancher reste celle de savoir si la personne recrutée pour assurer les services le fait, concrètement, en tant que personne travaillant à son compte. Comme l’expliquent aussi bien les arrêts Wiebe Door que Sagaz, aucun facteur particulier ne joue de rôle dominant, et il n’y a pas de formule fixe qu’on puisse appliquer, dans l’examen qui permet de répondre à cette question. Les facteurs à prendre en considération varient donc selon les faits de l’espèce. Néanmoins, les facteurs que spécifient les arrêts Wiebe Door et Sagaz  sont habituellement pertinents, ces facteurs étant le degré de contrôle exercé sur les activités du travailleur, ainsi que les points de savoir si ce dernier fournit lui‑même son outillage, engage ses assistants, gère et assume des risques financiers, et peut escompter un profit de l’exécution de ses tâches.

 

L’application du critère

[42]           Dans la présente espèce, le juge de la Cour de l’impôt semble avoir suivi l’ordre inverse des opérations, examinant à la fin de son analyse l’intention des parties telle que l’expriment leurs contrats respectifs. La première étape de l’analyse doit toujours être de déterminer l’intention des parties puis, en deuxième lieu, d’examiner sous le prisme de cette intention la question de savoir si leurs rapports, concrètement, révèle des rapports d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant. Cependant, étant donné les faits de la présente espèce, l’inversion des étapes de l’analyse par le juge de la Cour de l’impôt ne suffit pas en soi à vicier sa décision puisque les preuves, vues dans leur ensemble, vont dans le sens de ses conclusions.

 

[43]           Dans tous les appels dont nous sommes ici saisis, les appelantes ont rédigé des contrats stipulant que les parties avaient pour intention commune que les travailleuses intéressées assurent leurs services en tant qu’entrepreneurs indépendants, contrats que celles‑ci ont signés toutes les trois. Mme Allaire a déclaré au fisc le revenu afférent à son contrat comme revenu gagné en tant que travailleuse autonome, et, bien que les preuves ne l’établissent pas avec certitude pour ce qui concerne les deux autres travailleuses, elles ont probablement fait de même. Étant donné ces éléments de preuve, et en l’absence de toute allégation de contrainte ou de supercherie, il faut conclure que toutes les parties avaient pour intention que les travailleuses assurent leurs services à Connor Homes et à Connor Group Homes à titre d’entrepreneurs indépendants. La question que devait trancher le juge de la Cour de l’impôt était donc de savoir si cette intention contractuelle était confirmée par la réalité, c’est‑à‑dire si l’effet juridique du contrat était, effectivement, une relation de client à entrepreneur indépendant, ou plutôt une relation d’employeur à employé.

 

[44]           Or, les faits de l’espèce ne cadrent pas avec l’intention déclarée des parties de nouer une relation de client à entrepreneur indépendant. L’examen de ces faits ne me permet pas de penser que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que les intéressées n’assureraient pas leurs services aux appelantes en tant que personnes travaillant à leur propre compte. En effet, si l’on considère le degré élevé de contrôle exercé par les appelantes sur l’exécution de leurs tâches, les limites de leurs possibilités de profit, et l’absence de risques financiers comme d’investissements de quelque importance, les trois intéressées intervenaient essentiellement comme employées des appelantes.

 

[45]           Premièrement, il ressort à l’évidence du dossier que les appelantes exerçaient un degré élevé de contrôle sur la nature et les modalités d’exécution des tâches remplies par les intéressées. Connor Homes a rédigé et distribué son propre manuel des politiques et procédures, fondé sur les exigences de la législation provinciale des services à l’enfance et à la famille. Ce manuel définissait et fixait les procédures régissant la prestation des services dans les foyers. Il a été remis aux intéressées, qu’elles exercent des fonctions de surveillance de secteur ou de première ligne auprès des enfants et des jeunes. De plus, leurs contrats respectifs prévoyaient pour les intéressées l’obligation de se conformer en tout temps aux politiques et aux règles de conduite énoncées dans ce manuel. (Témoignage de Robert Connor, dossier d’appel, volume 2, page 175, lignes 18 à 24, et pages 191 et 192, lignes 20 à 25 et 1 à 20.)

 

[46]           En plus d’appliquer le manuel, les appelantes contrôlaient aussi le travail des intéressées au jour le jour. Elles leur fixaient des tâches administratives et les obligeaient à assister à des réunions du personnel pour discuter des procédures opérationnelles, des calendriers de travail et des événements quotidiens de la vie des foyers. Les appelantes donnaient aussi conseils et instructions aux intéressées concernant la gestion des situations difficiles avec les clients, aussi bien que les activités de commercialisation à exercer pour leur compte. (Témoignage de Rollie Allaire, dossier d’appel, volume 2, page 414, ligne 15, à page 416, ligne 19; Zoe Fulton, page 509, lignes 10 à 16; et Jodi Greer, pages 463 et 464, lignes 6 à 25 et 1 à 17.)

 

[47]           Le degré de contrôle exercé par les appelantes sur le travail des intéressées était assimilable à celui qu’exerce un employeur, et qui plus est, il a été reconnu en première instance qu’elles remplissaient en fait les mêmes tâches que les employées des appelantes (témoignage de Robert Connor, dossier d’appel, volume 2, page 207, lignes 9 à 17).

 

[48]           En outre, les appelantes limitaient de diverses manières les possibilités de gains des intéressées. La rémunération de celles‑ci était fixée soit à un taux horaire déterminé en fonction des crédits budgétaires prévus par le ministère pour les travailleurs auprès des enfants et des jeunes, soit à un taux journalier par enfant pour les surveillantes de secteur (témoignage de Robert Connor, dossier d’appel, page 224, lignes 14 à 23, page 227, lignes 10 à 12, et page 247, lignes 15 à 20). S’il est vrai que les intéressées conservaient en théorie la faculté de gagner plus ou moins en travaillant plus ou moins d’heures, le contrôle exercé par les appelantes sur leurs calendriers et horaires de travail avait pour effet de les empêcher de jouir de cette faculté en pratique. Le fait est que les appelantes décidaient de la nature de leurs horaires, tout comme elles programmaient leurs heures de travail concrètes, qui pouvaient équivaloir à une semaine normale de 40 heures (témoignage de Rollie Allaire, dossier d’appel, volume 2, page 394, lignes 3 à 12, et page 409, lignes 17 à 25; et témoignage de Zoe Fulton, page 516, lignes 18 à 25). Il est vrai que les intéressées étaient libres de refuser certains horaires de travail qui leur étaient proposés, mais cette possibilité ressemblait de près à celle offerte aux employés du secteur des services qui peuvent dans certaines limites adapter leur horaire de travail à leur horaire personnel.

 

[49]           Les intéressées n’avaient pas à prendre de risques financiers, pas plus qu’à contracter d’emprunts ou à faire d’investissements, que ce soit pour des immobilisations, l’achat d’outillage spécial ou la constitution d’un capital d’exploitation. On exigeait seulement de chacune qu’elle puisse recevoir des appels sur un téléphone portable et ait accès à un ordinateur, exigences que doivent aujourd’hui remplir de nombreux employés et qui ne sauraient à elles seules permettre d’interpréter la relation comme un contrat de services.

 

[50]           Dans la présente instance, les appelantes ont insisté sur le fait que les intéressées devaient utiliser leurs propres voitures pour se rendre sur les lieux de leur travail et, à l’occasion, transporter certains des enfants confiés à leurs soins. C’est là, soutiennent les appelantes, un facteur qu’on aurait dû prendre en considération pour établir si les intéressées étaient des entrepreneurs indépendants. L’importance de l’utilisation professionnelle de leurs voitures par les travailleuses est, certes, un facteur dont le juge de la Cour de l’impôt aurait dû tenir compte dans son analyse. Cependant, l’analyse ne peut se fonder sur ce seul facteur; c’est plutôt, comme on l’a vu plus haut, l’ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations que l’on doit prendre en considération.

 

[51]           Considérée globalement, la réalité de cet arrangement où les tâches des intéressées étaient dictées par des manuels et exécutées sous la surveillance des appelantes, où ces dernières fixaient les taux de rémunération et les horaires de travail, et où les travailleuses n’avaient pas à prendre de risques ni à faire d’investissements importants, ne suffit pas à définir le rapport juridique liant les parties comme une relation de client à entrepreneur indépendant.

 

[52]           Il ressort à l’évidence des preuves prises dans leur ensemble que le rapport de droit entre les appelantes et les travailleuses intéressées correspondait à une relation d’employeur à employé plutôt qu’à une relation de client à entrepreneur indépendant. Il ressort en effet on ne peut plus clairement des preuves que, quelles qu’aient été les modalités de son contrat, aucune des personnes physiques en cause n’exploitait d’entreprise indépendante à son propre compte. Elles travaillaient plutôt toutes les trois comme employées des entreprises des appelantes et pour le compte de celles‑ci.

 

[53]           Par conséquent, les appelantes ne m’ont pas convaincu que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante en concluant de son appréciation des preuves que les personnes physiques intéressées occupaient chacune un emploi assurable et ouvrant droit à pension. Je rejetterais donc les appels, avec un seul mémoire de dépens dont la charge serait répartie également entre Connor Homes et Connor Group Homes.

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Gauthier »

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                  A‑117‑12

                                                                        A‑118‑12

                                                                        A‑122‑12

                                                                        A‑125‑12

                                                                        A‑126‑12

                                                                        A‑127‑12

                                                                        A‑120‑12

                                                                        A‑128‑12

 

APPEL DU JUGEMENT RENDU PAR LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT LE 21 MARS 2012 DANS LES DOSSIERS NOS 2010‑050, 2010‑951, 2011‑237, 2010‑949, 2010‑948, 2011‑239, 2011‑242 ET 2011‑241

 

INTITULÉ :                                                  CONNOR HOMES c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 31 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE PELLETIER

                                                                        LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 20 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Louise R. Summerhill

POUR L’APPELANTE

 

Deborah Horowitz et Ashleigh Akalehiywot

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aird & Berlis LLP

POUR L’APPELANTE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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