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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20130327

Dossier : A‑323‑12

Référence : 2013 CAF 89

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

M. ROBERT DOCHERTY

appelant

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

intimé

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 19 mars 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 mars 2013.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE GAUTHIER

                                                                                                                    LE JUGE MAINVILLE

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20130327

Dossier : A‑323‑12

Référence : 2013 CAF 89

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

M. ROBERT DOCHERTY

appelant

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE PELLETIER

[1]               La Cour est saisie d'un appel d'une décision rendue par le juge Phelan de la Cour fédérale, Docherty c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 723, [2012] A.C.F. no 701 (QL).

 

[2]               L'affaire découle de l'application de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 (la Loi). Le 8 novembre 2010, un fonctionnaire de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a demandé à M. Docherty, qui était sur le point de prendre un vol vers l'étranger à l'aéroport international Pearson, s'il avait avec lui 10 000 $ ou plus en espèces. M. Docherty a déclaré qu'il avait des espèces, mais d'une valeur inférieure à 10 000 $. Il a présenté les espèces; il y avait un montant de 9 880 dollars américains et de 335 dollars canadiens. Après avoir appliqué ce qu'elle estimait être le taux de change approprié, l'ASFC est arrivée à un montant total dépassant légèrement le seuil de 10 000 $. L'ASFC a saisi les espèces et, comme le permet le paragraphe 18(2) de la Loi, a conclu qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que les espèces étaient des produits de la criminalité. Au moment de la saisie, les espèces ont été confisquées au profit de Sa Majesté, comme le prévoit l'article 23 de la Loi.

 

[3]               La personne qui désire contester une conclusion portant qu'elle a contrevenu à l'article 12 de la Loi parce qu'elle a omis de déclarer qu'elle avait en sa possession des espèces d'une valeur de 10 000 $ ou plus peut demander au ministre de rendre une décision en vertu de l'article 25 de la Loi. Si le ministre décide qu'elle a omis de faire une déclaration, la personne peut contester cette décision en intentant une action devant la Cour fédérale conformément à l'article 30 de la Loi.

 

[4]               Si le ministre juge qu'il y a eu contravention à l'article 12, il peut, conformément à l'article 29 de la Loi, prendre l'une des trois mesures suivantes :

a)         restituer les espèces au propriétaire, avec ou sans la pénalité réglementaire;

b)         restituer la pénalité versée en application du paragraphe 18(2) de la Loi;

c)         confirmer la confiscation des espèces au profit de Sa Majesté, sous réserve de certaines exceptions non applicables en l'espèce.

 

[5]               La décision rendue par le ministre conformément à l'article 29 est susceptible de contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 : voir Tourki c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CAF 186, [2008] 1 R.C.F. 331, au paragraphe 18.

 

[6]               En l'espèce, M. Docherty a exercé son droit de demander au ministre, en vertu de l'article 25, de décider s'il y avait effectivement eu contravention à l'article 12. Le ministre (par l'intermédiaire de son représentant) a conclu qu'il y avait eu contravention (la décision fondée sur l'article 27) et a confirmé la confiscation des espèces au profit de Sa Majesté (la décision fondée sur l'article 29).

 

[7]               Dans sa lettre du 29 juillet 2011, le représentant du ministre a énoncé les motifs précédant la saisie des espèces ainsi que ceux confirmant leur confiscation. En réponse à l'allégation de M. Docherty selon laquelle les fonds provenaient d'un héritage, reçu en 1993, d'un proche vivant aux États‑Unis, le représentant du ministre a souligné que M. Docherty n'était pas en mesure d'établir de lien entre les fonds et l'héritage. M. Docherty a affirmé que les fonds lui avaient été fournis par sa fille, ce à quoi le représentant du ministre a répondu que M. Docherty n'avait présenté aucun document tendant à établir comment sa fille avait pu accéder à cette somme. Plus particulièrement, le représentant du ministre a accordé peu d'importance à la déclaration solennelle faite par la fille de M. Docherty, qui affirmait ce qui suit : [TRADUCTION] « En novembre 2010, j'ai donné des fonds américains à mon père, Robert Docherty, pour qu'il puisse chercher à faire l'acquisition de biens‑fonds au Costa Rica. » Selon le représentant du ministre, cette déclaration avait peu de poids, puisqu'elle avait été faite après le fait et dans le but de contester la confiscation. Enfin, le représentant du ministre a tenu compte du fait que les fonds ne provenaient pas d'un compte bancaire, mais plutôt d'un endroit sûr non dévoilé.

 

[8]               Monsieur Docherty n'a pas contesté la décision fondée sur l'article 27 en intentant une action devant la Cour fédérale. Il a plutôt déposé une demande de contrôle judiciaire dans laquelle il conteste la décision fondée sur l'article 27 et celle fondée sur l'article 29.

 

[9]               La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Docherty. Elle a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour examiner la décision selon laquelle il y avait eu contravention à l'article 12 de la Loi (la décision fondée sur l'article 27) parce que M. Docherty n'avait pas intenté une action comme l'exige l'article 30 de la Loi. Malgré tout, le juge a examiné les observations de M. Docherty à cet égard et a conclu qu'elles n'étaient pas convaincantes.

 

[10]           La Cour fédérale a conclu que la norme de contrôle de la décision du représentant du ministre de refuser d'annuler la confiscation était celle de la décision raisonnable, suivant la décision de notre Cour dans Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, [2009] 2 R.C.F. 576, au paragraphe 25. La Cour a jugé que la preuve présentée au représentant du ministre par M. Docherty ne permettait pas d'établir que les fonds provenaient d'une source légitime. Plus particulièrement, la décision de la Cour canadienne de l'impôt résultant de l'appel qu'avait interjeté sa fille à l'égard d'une cotisation selon l'avoir net n'a pas convaincu la Cour fédérale. La Cour a jugé que la décision donnait à penser que l'héritage avait été utilisé pour faire l'acquisition de biens‑fonds. La Cour fédérale a aussi rejeté l'allégation de M. Docherty selon laquelle le représentant du ministre a fait montre de partialité parce qu'il n'a pas enquêté sur les allégations de partialité et de parjure formulées contre différents fonctionnaires de l'ASFC. Il semble y avoir une certaine confusion dans le dossier en ce qui concerne le taux de change utilisé par l'ASFC, mais cette confusion n'étaye pas les allégations de partialité et de parjure. Il n'y a rien à ajouter sur cette question.

 

[11]           En conséquence, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Docherty.

 

[12]           Monsieur Docherty interjette maintenant appel devant notre Cour. Comme premier motif d'appel, il invoque que le juge de la Cour fédéral a fait montre de partialité en parlant de sa cupidité. Selon M. Docherty, ce commentaire n'était pas nécessaire et démontrait que le juge n'était pas impartial. En l'espèce, la valeur morale de la raison pour laquelle M. Docherty a exporté du Canada des espèces d'une valeur aussi près que possible du maximum permis n'était pas pertinente quant aux questions soulevées devant la Cour. En faisant ce commentaire, le juge de la Cour fédérale a provoqué l'allégation de partialité, remettant ainsi inutilement en question l'impartialité à laquelle les parties sont en droit de s'attendre de la part de la Cour. Cela étant dit, il faut plus qu'une simple tournure maladroite pour étayer une allégation de partialité. Ce motif d'appel est rejeté.

 

[13]           Devant notre Cour, M. Docherty a procédé à un examen approfondi de la preuve relative au taux de change applicable dans le but de nous convaincre qu'il pouvait bénéficier du taux de change qu'il avait utilisé « dans le cours normal de ses activités à cette date », pour reprendre les termes du Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d'espèces et d'effets, DORS/2002‑412, à l'alinéa 2(2)b). Si l'on applique le taux retenu par M. Docherty, il transportait alors moins de 10 000 $ en espèces et n'était pas assujetti à l'exigence en matière de déclaration prévue à l'article 12. Je suis d'accord avec la Cour fédérale pour dire que celle‑ci n'a pas été dûment saisie de la question de la légalité de la décision fondée sur l'article 27 lors de la demande de contrôle judiciaire : voir Tourki, précité, aux paragraphes 17 et 18.

 

[14]           Cela peut sembler être un cas de rigidité procédurale pour M. Docherty, mais le fait est que le législateur a expressément prévu que la contestation du bien‑fondé d'une décision relative à une contravention à l'article 12 doit être introduite par voie d'action. La Cour a le pouvoir discrétionnaire de s'assurer qu'aucune instance n'est rejetée parce qu'elle aurait dû être introduite par un autre acte introductif d'instance (voir l'article 57 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106), mais ce pouvoir est assujetti à l'article 63 des Règles, qui oblige la Cour à respecter le choix du législateur quant à la forme du document introductif dans certains cas. Ce motif d'appel est également rejeté.

 

[15]           En conséquence, la seule décision dûment présentée à la Cour fédérale était celle fondée sur l'article 29, soit la décision du représentant du ministre de refuser d'annuler la confiscation en vertu de l'article 29. À cet égard, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : voir Sellathurai, précité, au par. 25.

 

[16]           Il ressort de la correspondance échangée entre la direction des recours de l'ASFC et M. Docherty que la préoccupation constante de l'ASFC était de s'assurer que les fonds saisis de M. Docherty provenaient d'une source légitime. On a demandé certains renseignements à M. Docherty et on lui a donné la possibilité de fournir tout autre renseignement qu'il jugeait pertinent. En fin de compte, le représentant du ministre n'était pas convaincu que les fonds provenaient d'une source légitime et, par conséquent, la possibilité qu'il s'agît de produits de la criminalité ne pouvait pas être exclue. Compte tenu de la preuve dont il disposait, sa décision était raisonnable et ne devrait pas être modifiée.

 

[17]           Essentiellement, M. Docherty prétendait que les espèces américaines qui lui ont été saisies provenaient d'un héritage reçu en 1993 d'un proche qui habitait aux États‑Unis et que sa fille et lui les ont utilisées dans leur entreprise de champignons sauvages, dont toutes les opérations étaient effectuées en espèces et en argent américain. Monsieur Docherty n'a produit aucun document commercial ou bancaire pour étayer sa position. Il s'est fondé sur une déclaration solennelle dans laquelle sa fille affirmait qu'elle lui avait donné un montant indéterminé en espèces américaines juste avant la saisie et sur une version expurgée d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt dans laquelle sa fille a contesté une cotisation fondée sur l'avoir net. À mon avis, la Cour fédérale a eu raison de conclure que le ministre n'avait pas agi déraisonnablement en refusant de donner à cet élément de preuve l'importance demandée par M. Docherty.

 

[18]           Il ne sert à rien à celui qui doit établir la légitimité des fonds non documentés qui sont en sa possession de présenter une preuve relative à des fonds non documentés en la possession de quelqu'un d'autre. Dans ce contexte, des fonds non documentés s'entendent de fonds dont la source n'est pas établie par un document financier ou tout autre document dont on pourrait s'attendre qu'une personne, surtout une personne qui exploite une entreprise, le conserve à des fins comptables et fiscales. Il y a peut‑être une explication à la présence des fonds trouvés en la possession de M. Docherty qui tende à l'innocenter, mais celui‑ci ne peut pas s'appuyer sur le fait que sa fille avait, elle aussi, des fonds non documentés en sa possession.

 

[19]           Chacun est libre d'organiser ses affaires de manière à laisser la plus petite trace financière permise par les lois fiscales fédérales et provinciales. Le désavantage en est que si quelqu'un est trouvé en possession d'un montant d'argent important dont la source est remise en question, cette personne a bien peu de moyens pour établir la légitimité de ces fonds. Dans le cas des questions que la Loi vise à régler — le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes — l'État a le droit de demander aux personnes qui quittent le Canada une explication raisonnable quant à la source des espèces qui dépassent le montant maximal autorisé. En l'espèce, les explications de M. Docherty n'étaient pas vérifiables et, par conséquent, équivalaient à une absence d'explications. À mon avis, la Cour fédérale avait le droit de conclure que la décision du représentant du ministre était raisonnable.

 

[20]           Cela étant dit, le représentant du ministre s'est maladroitement exprimé à au moins une occasion. Dans sa lettre du 29 juillet 2011 adressée à M. Docherty, il n'a accordé aucune importance à la déclaration solennelle de la fille de M. Docherty parce que [TRADUCTION] « elle avait été faite après le fait et par suite de la mesure d'exécution ». Cela laisse supposer que toutes les explications présentées après le fait n'ont aucune valeur. Si c'est ce que le représentant du ministre voulait dire, c'est déraisonnable et absurde.

 

[21]           Si j'ai bien compris, le représentant du ministre estime que les documents indépendants antérieurs à la saisie qui permettent d'établir la source des fonds saisis sont plus convaincants qu'une explication donnée après le fait. De toute évidence, les explications ne peuvent être données qu'après que la mesure d'exécution a été prise. Le moment où elles sont présentées ne constitue donc pas un motif suffisant pour les rejeter complètement. Les explications intéressées présentées après le fait n'ont pas la même valeur probante que les documents préparés avant la saisie par une partie indépendante dans le cours normal des activités financières. En l'espèce, la déclaration solennelle de la fille de M. Docherty était imprécise et non vérifiable. En contexte, j'estime qu'il s'agit de la raison pour laquelle le représentant du ministre a refusé d'accorder de l'importance à cette déclaration.

 

[22]           En conséquence, je rejetterais l'appel avec dépens.

 

« J. D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

« Je souscris aux présents motifs.

            Johanne Gauthier, j.c.a. »

 

« Je souscris aux présents motifs.

            Robert M. Mainville, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-323-12

 

 

INTITULÉ :                                                  M. Robert Docherty c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         Le 19 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       Le juge Pelletier

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   La juge Gauthier

                                                                        Le juge Mainville

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 27 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Docherty

POUR L'APPELANT

 

Jennifer Dagsvik

Keith Reimer

 

POUR L'INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Docherty

Maple Ridge (Colombie‑Britannique)

 

POUR L'APPELANT

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L'INTIMÉ

 

 

 

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