Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20130426

Dossier : A‑268‑11

Référence : 2013 CAF 112

 

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

 

ROBERT MEREDITH et BRIAN ROACH

(représentant tous les membres de la Gendarmerie royale du Canada)

 

intimés

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 avril 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                 LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE NADON

                                                                                                                           LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20130426

Dossier : A‑268‑11

Référence : 2013 CAF 112

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

 

ROBERT MEREDITH et BRIAN ROACH

(représentant tous les membres de la Gendarmerie royale du Canada)

 

intimés

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Table des matières (par numéros de paragraphe)

Aperçu                                                                                                                                        1‑10

Les questions en litige en appel                                                                                                    11

Les faits                                                                                                                                     12‑34

La décision de la Cour fédérale                                                                                              35‑42

Les dispositions législatives applicables                                                                                  43‑48

Examen des questions en litige                                                                                                        

i.          Quelle doit être la portée du présent appel?                                                  49‑59

ii.         Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision visée par l’appel?    60

iii.        La juge a‑t‑elle commis une erreur en examinant de concert la constitutionnalité de la décision du Conseil du Trésor et de la Loi sur le contrôle des dépenses plutôt qu’en procédant à des analyses contextuelles distinctes?                                        61‑67

iv.        Quel était le lien entre la décision du Conseil du Trésor et la Loi sur le contrôle des dépenses?                                                                                                          68‑69

v.         La Loi sur le contrôle des dépenses a‑t‑elle porté atteinte au droit d’association que tirent de l’alinéa 2d) de la Charte les intimés?

a)         Principes juridiques applicables                                                              70

B.C. Health Services                                                                             71‑72

Fraser                                                                                                    73‑74

b)         Facteurs contextuels importants                                                              75

La nature des activités associatives de la GRC                                 76‑82

L’objet de la Loi sur le contrôle des dépenses et son effet sur les membres de la GRC                                                                                                      83‑85

c)         Application des principes juridiques                                                86‑100

vi.        L’article premier de la Charte                                                                           101

Conclusion                                                                                                                            102‑103


LA JUGE DAWSON

Aperçu

[1]               Le 26 juin 2008, le Conseil du Trésor a annoncé des augmentations salariales pour les membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) relativement aux années 2008 à 2010 inclusivement. Ces hausses visaient à couvrir les augmentations économiques et les ajustements au marché décrits de façon plus détaillée plus loin dans les présents motifs.

 

[2]               En août 2007, le monde est entré dans une grande crise financière qui a atteint un état critique à la fin de 2008 et au début de 2009 et qui a abouti à la plus grave récession mondiale depuis la Grande Dépression.

 

[3]               En conséquence, en octobre 2008, le Secrétariat du Conseil du Trésor a recommandé un certain nombre d’options au gouvernement canadien. L’une d’elles consistait à imposer des limites aux augmentations salariales à accorder aux employés de l’administration fédérale. Le gouvernement a accepté cette recommandation. Il a demandé à ses négociateurs de négocier des conventions collectives avec les employés de l’administration fédérale selon les limites proposées et ordonné la rédaction d’une loi qui viserait les cas où la convention collective ne respecterait pas les limites proposées en ce qui a trait aux augmentations salariales.

 

[4]               Le 11 décembre 2008, le Conseil du Trésor a proposé la modification de la rémunération globale de la GRC qui avait été précédemment approuvée. Cette modification a eu pour effet de réduire de 2 % à 1,5 % les augmentations économiques précédemment approuvées pour 2009 et 2010 et d’annuler l’ajustement au marché de 1,5 % pour 2009. Toute augmentation salariale pour 2011 serait limitée à 1,5 %.

 

[5]               En réponse, les intimés ont engagé devant la Cour fédérale une instance par représentation par laquelle ils ont sollicité, au nom de tous les membres de la GRC, l’annulation de la décision du 11 décembre 2008 du Conseil du Trésor (décision du Conseil du Trésor) et un jugement déclaratoire portant que celle‑ci était contraire à l’alinéa 2d) de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte).

 

[6]               La Loi d’exécution du budget de 2009 a reçu la sanction royale le 12 mars 2009. L’article 393 de cette loi prévoyait l’édiction de la Loi sur le contrôle des dépenses, L.C. 2009, ch. 2, (LCD). En résumé, en ce qui concerne la GRC, la LCD prescrivait les limites aux augmentations salariales de la GRC que le Conseil du Trésor avait précédemment accordées dans sa décision.

 

[7]               Après l’édiction de la LCD, les intimés ont demandé l’autorisation de modifier leur avis de demande afin de mettre en cause la LCD. L’autorisation a été accordée et la demande a été modifiée de façon à mettre en cause non seulement la décision du Conseil du Trésor, mais également les dispositions de la LCD s’y rapportant. Les intimés n’ont pas modifié leur demande afin de solliciter une mesure à l’égard de cette dernière loi.

 

[8]               Par des motifs publiés sous la référence 2011 CF 735, 392 F.T.R. 25, une juge de la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire et déclaré que la décision du Conseil du Trésor était contraire à l’alinéa 2d) de la Charte. De l’avis de la juge, cette violation de l’alinéa 2d) n’était pas sauvegardée par l’article premier de la Charte. Au paragraphe 148 de ses motifs, la juge a également dit que les articles 16, 35, 38, 43, 46 et 49 de la LCD étaient contraires à l’alinéa 2d) de la Charte et que cette violation n’était pas sauvegardée par l’article premier. Malgré cette conclusion, la juge a refusé dans son jugement original d’accorder une mesure relativement à la LCD. Elle a réitéré cette position lors d’une requête en réexamen que le procureur général a subséquemment présentée conformément à l’article 397 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

 

[9]               Tel qu’il est expliqué ci‑dessous, cette position a donné lieu à un différend entre les parties au sujet de la portée de l’appel interjeté devant la Cour d’appel fédérale du jugement de la Cour fédérale. Le procureur général appelant soutient que la LCD demeure pleinement en vigueur et que sa constitutionnalité n’est pas en cause dans le présent appel, et ce, parce que le jugement porté en appel n’accorde aucune mesure à l’égard de cette loi. Les intimés répondent que la LDC ne demeure pas pleinement en vigueur, parce que l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que la Constitution du Canada « rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit ». De l’avis des intimés, la juge a décidé, au paragraphe 148 de ses motifs, que les articles 16, 35, 38, 43, 46 et 49 de la LCD étaient contraires à l’alinéa 2d) de la Charte.

 

[10]           Par les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que la constitutionnalité des dispositions attaquées de la LCD qui touchent les intimés était en cause devant la Cour fédérale et dans le présent appel. Je conclus également conclu que la juge a commis une erreur en amalgamant la décision du Conseil du Trésor et la LCD. En droit, elle était tenue d’effectuer des analyses contextuelles distinctes au sujet de la validité de l’une et de l’autre. Enfin, je conclus que la LCD ne portait pas atteinte au droit d’association des intimés et qu’elle a eu pour effet de rendre théorique la décision du Conseil du Trésor. Compte tenu de ces conclusions, j’accueillerais l’appel et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens selon les précisions données au paragraphe 103 des présents motifs.

 

Les questions en litige en appel

[11]           Les questions à trancher dans le présent appel interjeté du jugement de la Cour fédérale sont les suivantes :

i.                    Quelle doit être la portée du présent appel?

ii.                  Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision visée par l’appel?

iii.                La juge a‑t‑elle commis une erreur en examinant de concert la constitutionnalité de la décision et de la Loi sur le contrôle des dépenses plutôt qu’en procédant à des analyses contextuelles distinctes?

iv.                Quel était le lien entre la décision du Conseil du Trésor et la Loi sur le contrôle des dépenses?

v.                  La Loi sur le contrôle des dépenses a‑t‑elle porté atteinte au droit d’association que tirent de l’alinéa 2d) de la Charte les intimés?

vi.                Dans l’affirmative, cette violation est‑elle sauvegardée par l’article premier de la Charte?

 

Les faits

[12]           Les faits sont bien exposés dans la décision de la Cour fédérale. L’exposé qui suit vise à établir la toile de fond des questions que la Cour d’appel fédérale doit trancher.

 

[13]           La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, exclut les membres de la GRC de son champ d’application (paragraphe 2(1)). C’est plutôt le Conseil du Trésor qui fixe la solde et les allocations des membres sans processus de négociation collective.

 

[14]           Le Programme des représentants des relations fonctionnelles (PRRF) est le mécanisme formel par lequel les membres de la GRC poursuivent leurs objectifs collectifs. Le PRRF a été créé en 1988, conformément à l’article 96 du Règlement sur la GRC, afin de représenter les intérêts de tous les membres au sujet des questions liées aux relations de travail. Les représentants des relations fonctionnelles présentent des observations au commissaire de la GRC au sujet de la solde et des avantages des membres par l’entremise du Conseil de la solde, tel qu’il est décrit ci‑dessous. Les deux intimés, Robert Meredith et Brian Roach, sont membres de l’exécutif national du PRRF.

 

[15]           Avant la mise sur pied du Conseil de la solde, le commissaire s’adressait à l’occasion au Conseil du Trésor pour solliciter une augmentation salariale pour les membres de la GRC.

 

[16]           En 1996, le commissaire de la GRC alors en place a créé le Conseil de la solde de la GRC, qui a été chargé de régler les questions relatives à l’insatisfaction entourant le processus qui servait à déterminer la solde et les allocations des membres de la GRC. Le Conseil de la solde est composé de cinq membres : deux représentants des membres, deux représentants de la direction et un président impartial. Les deux représentants des membres sont le président du Comité de la solde et des avantages du PRRF et un spécialiste externe en matière de rémunération, que le commissaire nomme sur l’avis du PRRF. À l’exception du président du Comité de la solde et des avantages du PRRF, le commissaire nomme tous les membres du Conseil de la solde.

 

[17]           Le Conseil de la solde présente des recommandations au commissaire au sujet de la solde, de la rémunération et des autres conditions de travail des membres de la GRC et de certains membres civils. Il travaille sur la base du consensus et de la collaboration. Ses membres collaborent à l’élaboration d’un régime de rémunération approprié et soumettent leur recommandation au commissaire.

 

[18]           Le commissaire peut, à son gré, accepter ou rejeter la recommandation du Conseil de la solde. Si le commissaire accepte la recommandation, il l’achemine au ministre responsable de la GRC qui, à son tour, peut la présenter au Conseil du Trésor. Le Conseil du Trésor n’est pas tenu de retenir la recommandation du commissaire. L’article 22 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R‑10, autorise le Conseil du Trésor à établir la solde et les indemnités versées aux membres de la GRC.

 

[19]           Il n’y a pas de négociation directe entre le Conseil de la solde ou les représentants du PRRF et le Conseil du Trésor. Il n’y a pas non plus de convention collective, ou autre entente, entre le Conseil de la solde ou le PRRF, d’une part, et le Conseil du Trésor, d’autre part. Les décisions du Conseil du Trésor sont communiquées par le Secrétariat du Conseil du Trésor à l’administrateur général de l’institution concernée en vue de leur mise en œuvre. La communication se fait généralement par lettre.

 

[20]           Comme je l’ai déjà expliqué, le Conseil du Trésor a d’abord annoncé, le 26 juin 2008, les augmentations salariales suivantes pour la GRC relativement aux années 2008 à 2010 (inclusivement) :

Année

Augmentation économique

Ajustement au marché

Augmentation totale

2008

2 %

1,32 %

3,32 %

2009

2 %

1,5 %

3,5 %

2010

2 %

0 %

2 %

 

[21]           Le Conseil du Trésor a également convenu en même temps de doubler la solde de service et d’augmenter de 1,5 % l’indemnité versée aux moniteurs de formation pratique. La solde de service est un montant forfaitaire versé chaque année aux membres de la GRC en fonction du nombre d’années de service. Ce régime de rémunération était conforme à la recommandation du Conseil de la solde.

 

[22]           Après l’annonce de juin 2008, l’économie canadienne a été menacée par la situation économique mondiale, qui se détériorait rapidement. En octobre 2008, le Secrétariat du Conseil du Trésor a proposé au gouvernement trois options visant à lui permettre de réduire ses dépenses :

1.                  imposer le gel de la dotation relativement à l’embauche de nouveaux employés;

2.                  suspendre les promotions et les mouvements à la hausse à l’intérieur des catégories salariales;

3.                  geler ou limiter les augmentations de salaire.

 

[23]           Le gouvernement a choisi la troisième option, soit limiter les augmentations salariales.

 

[24]           Le 17 novembre 2008, le Conseil du Trésor a informé le commissaire que les membres ne recevraient pas le deuxième ajustement au marché de 1,5 % qui devait être payé le 1er janvier 2009 et que, par la suite, les augmentations prévues pour les années 2009, 2010 et 2011 se limiteraient à 1,5 %. Aucun changement n’a été apporté aux augmentations précédemment annoncées de la solde de service et de l’indemnité des moniteurs de formation pratique. Le secrétaire du Conseil du Trésor a recommandé que le commissaire informe le Conseil de la solde et discute avec celui‑ci pour fixer la manière d’aviser les membres de ces changements. Pour des raisons qui ne sont pas expliquées dans le dossier, le commissaire n’a pas accepté cette recommandation.

 

[25]           En conséquence, aucune négociation ou discussion n’a eu lieu avec la GRC ou les membres de celle‑ci au sujet des changements susmentionnés.

 

[26]           Le 27 novembre 2008, le ministre des Finances a publié un Énoncé économique et financier (Énoncé) dans lequel il a annoncé publiquement les restrictions précises touchant les augmentations de salaire qui avaient été précédemment communiquées au commissaire.

 

[27]           Entre temps, le président du Comité de la solde et des avantages du PRRF avait joint le sous‑commissaire pour savoir si l’augmentation de salaire des membres de la GRC serait touchée. Le 28 novembre 2008, malgré la rencontre tenue le 17 novembre 2008, le commissaire a fait parvenir un bulletin dans lequel il a souligné qu’il ne savait pas si la GRC serait touchée par la restriction relative aux augmentations de salaire. Le PRRF, le Conseil de la solde et les membres de la GRC ont été informés de la décision du Conseil du Trésor le 12 décembre 2008, le lendemain de la date à laquelle celle‑ci a été prise.

 

[28]           Le Conseil du Trésor n’a nullement consulté le Conseil de la solde ou les représentants du PRRF avant d’arriver à sa décision.

 

[29]           Après avoir été mis au courant de la décision du Conseil du Trésor, les membres du PRRF et du Conseil de la solde ont tenté de rencontrer différents ministres et députés afin de discuter de la restriction touchant les augmentations de salaire. Bien que les représentants aient rencontré séparément le ministre de la Sécurité publique et le président du Conseil du Trésor, la décision du Conseil du Trésor est demeurée inchangée. Le président du Conseil du Trésor n’a pas voulu discuter de la décision du Conseil du Trésor ou de la LCD.

 

[30]           Le 6 février 2009, la LCD a été déposée au Parlement et a reçu la sanction royale le 12 mars 2009.

 

[31]           Le 11 février 2009, le Conseil de la solde a présenté au président du Conseil du Trésor une proposition révisée au sujet des salaires et des allocations. Cette proposition n’a pas été acceptée, parce que certains de ses éléments étaient incompatibles avec la LCD.

 

[32]           Le 4 mars 2009, le commissaire a présenté au Conseil de la solde une lettre de mission par laquelle il lui demandait d’examiner la façon d’accroître les allocations existantes afin de promouvoir les initiatives de transformation concernant la GRC, conformément à l’article 62 de la LCD. Le Conseil de la solde s’est acquitté sa mission et, le 9 juin 2009, sa recommandation a été acceptée en partie par le Conseil du Trésor.

 

[33]           Le Conseil du Trésor a approuvé deux changements. Premièrement, il a augmenté la solde de service versée aux membres réguliers jusqu’au grade de surintendant inclusivement. La solde de service a été augmentée de 0,5 % à 1,5 % par tranche de cinq années de service, jusqu’à un maximum de 10,5 % pour 35 années de service. Une solde de service a également été offerte pour la première fois à certains fonctionnaires civils. Deuxièmement, la Politique d’indemnité d’intervention opérationnelle, destinée à remplacer l’ancienne politique d’indemnité de disponibilité, a été approuvée. La nouvelle politique prévoyait le versement d’une rémunération supplémentaire aux membres devant être en disponibilité en dehors des heures de travail.

 

[34]           Ces allocations pouvaient être accordées conformément à l’article 62 de la LCD, reproduit plus loin dans les présents motifs.

 

La décision de la Cour fédérale

[35]           Après avoir exposé en détail les faits et énoncé les dispositions pertinentes de la LCD ainsi que les questions en litige, la juge s’est penchée sur la première question, qu’elle a formulée comme suit : « La décision du 12 décembre 2008 par laquelle le Conseil du Trésor a réduit les augmentations de salaire prévues pour les membres de la GRC et les dispositions attaquées de la LCD vont‑elles à l’encontre de l’alinéa 2d) de la Charte? » (motifs, paragraphe 48).

 

[36]           La juge a d’abord relevé : « Le travail du Conseil de la solde ne peut être considéré comme un processus équivalant tout à fait à la négociation collective. Néanmoins, c’est le seul mécanisme formel qui permet aux membres de la GRC de poursuivre collectivement des objectifs liés à la rémunération avec leur employeur […] » (motifs, paragraphe 72).

 

[37]           Se fondant une jurisprudence de la Cour suprême du Canada, Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3, la juge a conclu que le processus du Conseil de la solde est important et doit bénéficier de la protection prévue à l’alinéa 2d) de la Charte. Elle a rejeté l’argument du procureur général selon lequel la jurisprudence Fraser exige que l’association véritable en vue de réaliser des objectifs liés au travail soit impossible pour qu’il y ait atteinte à l’alinéa 2d) (motifs, paragraphes 76 et 77). La juge a formulé la question à trancher comme suit : « La LCD et la décision du Conseil du Trésor rendent‑elles de fait impossible au Conseil de la solde de présenter des observations au nom des membres de la GRC et de les voir prises en compte de bonne foi? » (motifs, paragraphe 79).

 

[38]           La juge a mis l’accent sur les répercussions de la décision du Conseil du Trésor sur le processus de négociation (motifs, paragraphe 89). Elle a ensuite conclu que les répercussions de la décision du Conseil du Trésor en l’espèce étaient similaires à celles qui ont été examinées dans l’affaire Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391 (B.C. Health Services) (motifs, paragraphe 83).

 

[39]           La juge a ensuite conclu son analyse comme suit :

82. Eu égard à la preuve présentée, il appert que la décision prise par le Conseil du Trésor en décembre 2008 laissait présager l’adoption de la LCD. En d’autres termes, la LCD a donné un effet légal au contenu de la décision prise le 11 décembre 2008.

83. Bien que les dispositions de la LCD soient différentes de celles qui ont été examinées dans Health Services, les répercussions des deux textes législatifs sont sensiblement les mêmes. Premièrement, les deux textes confirment la décision du Conseil du Trésor de mettre fin à une entente antérieure et, deuxièmement, ils restreignent la façon de traiter une question donnée dans des ententes ultérieures.

84. Le défendeur fait valoir que le processus du Conseil de la solde n’est pas touché et que seuls les résultats du processus ont été limités. À son avis, l’augmentation de la solde de service prouve que le Conseil de la solde demeure en mesure de représenter la GRC pour ce qui est des questions salariales.

85. Il appert clairement de la preuve au dossier que les initiatives de transformation, comme l’augmentation de la solde de service, constituaient le seul aspect de la rémunération de la GRC dont les représentants du Conseil du Trésor étaient prêts à discuter avec le Conseil de la solde et les RRF après la décision de décembre 2008 et l’adoption de la LCD.

86. À mon avis, cet engagement restreint démontre que le Conseil du Trésor a exclu la question de l’examen et refusé de négocier de bonne foi. L’annulation unilatérale d’une entente antérieure porte également atteinte aux droits que reconnaît l’alinéa 2d) : voir Confédération des syndicats nationaux c. Québec.

[…]

90. Dans la présente affaire, le processus du Conseil de la solde est fortement entravé. Le Conseil de la solde a travaillé pendant plus d’un an pour élaborer ses recommandations afin que le Conseil du Trésor mette en place un régime d’augmentations de salaire acceptable. La décision du Conseil du Trésor et le texte législatif ont eu pour effet d’annuler unilatéralement ce régime, de sorte que le processus du Conseil de la solde n’a nullement été pris en compte.

91. Les fonctions du Conseil de la solde consistent en bonne partie à présenter des recommandations au sujet des salaires des membres de la GRC. L’établissement d’une faible augmentation de salaire pour une période de trois ans est un indice clair du fait que la question a été exclue des discussions et des consultations. Cette mesure élimine à toutes fins utiles pour une période de trois ans le processus du Conseil de la solde concernant l’établissement des salaires.

92. La décision du Conseil du Trésor et la LCD ont rendu de fait impossible pour le Conseil de la solde de présenter des observations au nom des membres de la GRC et de les voir prises en compte de bonne foi. À mon avis, il s’agit là d’une entrave substantielle qui constitue une violation de l’alinéa 2d) de la Charte.

 

[40]           Dans ses motifs, la juge n’a pas examiné séparément la décision du Conseil du Trésor et la LCD, ni n’a effectué une analyse distincte de la validité constitutionnelle de chacune d’elles.

 

[41]           La juge a ensuite recherché si la violation de l’alinéa 2d) était sauvegardée par l’article premier de la Charte. Après avoir appliqué les facteurs que la Cour suprême du Canada avait consacré par la jurisprudence R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, [1986] A.C.S. no 7, elle a répondu par la négative à cette question, parce que le procureur général n’avait pas établi : (1) qu’un lien rationnel existait entre la réduction des augmentations salariales et un objectif urgent et réel (motifs, paragraphes 121 à 127), (2) que l’atteinte découlant de la mesure unilatérale et de l’indifférence totale à l’égard du processus du Conseil de la solde n’était pas une atteinte minimale (motifs, paragraphes 128 à 131) et (3) que les effets préjudiciables de la LCD l’emportaient sur ses effets bénéfiques, de sorte que la mesure n’était pas proportionnelle (motifs, paragraphe 132).

 

[42]           La juge a rejeté la thèse selon laquelle la décision du Conseil du Trésor constituait une rupture de contrat, parce que le Conseil du Trésor était expressément autorisé à modifier le contrat en vertu de l’article 22 de la Loi sur la GRC (motifs, paragraphes 144 à 147). La conclusion de la juge sur cette question n’est pas attaquée dans le présent appel.

 

Les dispositions législatives applicables

[43]           L’alinéa 2(1)d) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique exclut les membres de la GRC de son champ d’application :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

Sauf à la partie 2, personne employée dans la fonction publique, à l’exclusion de toute personne :

 

. . .

 

d) qui est membre ou gendarme auxiliaire de la Gendarmerie royale du Canada, ou y est employée sensiblement aux mêmes conditions que ses membres;

2. (1) The following definitions apply in this Act.

“employee”, except in Part 2, means a person employed in the public service, other than:

 

[…]

 

(d) a person who is a member or special constable of the Royal Canadian Mounted Police or who is employed by that force under terms and conditions substantially the same as those of one of its members;

 

[44]           L’article 22 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada accorde au Conseil du Trésor le pouvoir d’établir la solde à verser aux membres de la GRC.

22. (1) Le Conseil du Trésor établit la solde et les indemnités à verser aux membres de la Gendarmerie.

22. (1) The Treasury Board shall establish the pay and allowances to be paid to members.

 

[45]           Voici les extraits pertinents de la Loi sur le contrôle des dépenses :

16. Malgré toute convention collective, décision arbitrale ou condition d’emploi à l’effet contraire, mais sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les taux de salaire des employés sont augmentés, ou sont réputés l’avoir été, selon le cas, selon les taux figurant ci‑après à l’égard de toute période de douze mois commençant au cours d’un des exercices suivants :

 

a) l’exercice 2006‑2007, un taux de deux et demi pour cent;

b) l’exercice 2007‑2008, un taux de deux et trois dixièmes pour cent;

c) l’exercice 2008‑2009, un taux de un et demi pour cent;

d) l’exercice 2009‑2010, un taux de un et demi pour cent;

e) l’exercice 2010‑2011, un taux de un et demi pour cent.

 

. . .

 

35. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent aux articles 36 à 54.

 

« condition d’emploi » Toute condition d’emploi s’appliquant aux employés.

 

 

« employé » Tout employé non représenté par un agent négociateur ou exclu d’une unité de négociation.

 

 

(2) Pour l’application des articles 36 à 54, sont des conditions d’emploi établies celles qui émanent unilatéralement de l’employeur ou celles convenues par celui‑ci et les employés.

 

. . .

 

38. S’agissant de conditions d’emploi établies avant le 8 décembre 2008, les règles suivantes s’appliquent :

 

 

a) l’article 16 ne s’applique pas à l’égard de toute période commençant au cours des exercices 2006‑2007 ou 2007‑2008;

 

b) en ce qui concerne toute période de douze mois commençant au cours de l’un ou l’autre des exercices 2008‑2009, 2009‑2010 et 2010‑2011, l’article 16 s’applique uniquement à l’égard de toute période commençant le 8 décembre 2008 ou après cette date, et toute disposition des conditions d’emploi prévoyant, pour une période donnée, une augmentation des taux de salaire supérieure à celle qui est prévue à cet article pour cette période est inopérante ou réputée n’être jamais entrée en vigueur, et est réputée prévoir l’augmentation prévue au même article pour cette période.

 

. . .

 

43. Sous réserve des articles 51 à 54 :

 

a) aucune condition d’emploi établie après la date d’entrée en vigueur de la présente loi ne peut prévoir de restructuration des taux de salaire au cours de toute période commençant au cours de la période de contrôle;

 

 

b) toute condition d’emploi établie au cours de la période allant du 8 décembre 2008 à la date d’entrée en vigueur de la présente loi et prévoyant une restructuration des taux de salaire au cours de toute période commençant au cours de la période de contrôle est inopérante ou réputée n’être jamais entrée en vigueur;

 

 

 

c) toute condition d’emploi établie avant le 8 décembre 2008 et prévoyant une restructuration des taux de salaire au cours de toute période commençant au cours de la période allant du 8 décembre 2008 au 31 mars 2011 est inopérante ou réputée n’être jamais entrée en vigueur.

 

 

 

. . .

 

46. Est inopérante ou réputée n’être jamais entrée en vigueur toute disposition de conditions d’emploi établies avant le 8 décembre 2008 prévoyant, à l’égard de toute période commençant au cours de la période allant du 8 décembre 2008 au 31 mars 2011, une augmentation des montants ou des taux de toute rémunération additionnelle applicable, avant la première période qui commence le 8 décembre 2008 ou après cette date, aux employés régis par ces conditions d’emploi.

 

 

 

. . .

 

49. Est inopérante ou réputée n’être jamais entrée en vigueur toute disposition de conditions d’emploi établies avant le 8 décembre 2008 prévoyant, à l’égard de toute période commençant au cours de la période allant du 8 décembre 2008 au 31 mars 2011, une rémunération additionnelle qui est nouvelle par rapport à celle applicable, avant la première période qui commence le 8 décembre 2008 ou après cette date, aux employés régis par ces conditions d’emploi.

 

 

 

 

. . .

 

62. Malgré les articles 44 à 49, le Conseil du Trésor peut créer une nouvelle allocation applicable aux membres de la Gendarmerie royale du Canada ou modifier le montant ou le taux d’une allocation qu’ils reçoivent s’il estime qu’une telle mesure est indispensable à la mise en œuvre de toute initiative de transformation relative à cet organisme.

16. Despite any collective agreement, arbitral award or terms and conditions of employment to the contrary, but subject to the other provisions of this Act, the rates of pay for employees are to be increased, or are deemed to have been increased, as the case may be, by the following percentages for any 12‑month period that begins during any of the following fiscal years:

 

 

(a) the 2006–2007 fiscal year, 2.5%;

 

(b) the 2007–2008 fiscal year, 2.3%;

 

(c) the 2008–2009 fiscal year, 1.5%;

 

(d) the 2009–2010 fiscal year, 1.5%; and

(e) the 2010–2011 fiscal year, 1.5%.

 

 

[…]

 

35. (1) The following definitions apply in sections 36 to 54.

 

“employee” means an employee who is not represented by a bargaining agent or who is excluded from a bargaining unit.

 

“terms and conditions of employment” means terms and conditions of employment that apply to employees.

 

(2) For the purposes of sections 36 to 54, terms and conditions of employment are considered to be established if they are established by an employer acting alone or agreed to by an employer and employees.

 

[…]

 

38. With respect to any terms and conditions of employment established before December 8, 2008 that provide for increases to rates of pay

 

(a) section 16 does not apply in respect of any period that began during the 2006–2007 or 2007–2008 fiscal year; and

 

(b) for any 12‑month period that begins during any of the 2008–2009, 2009–2010 and 2010–2011 fiscal years, section 16 applies only in respect of periods that begin on or after December 8, 2008 and any provisions of those terms and conditions of employment that provide, for any particular period, for increases to rates of pay that are greater than those referred to in section 16 for that particular period are of no effect or are deemed never to have had effect, as the case may be, and are deemed to be provisions that provide for the increases referred to in section 16.

 

[…]

 

43. Subject to sections 51 to 54,

 

(a) no provision of terms and conditions of employment established after the day on which this Act comes into force may provide for the restructuring of rates of pay during any period that begins during the restraint period;

 

(b) any provision of terms and conditions of employment established during the period that begins on December 8, 2008 and ends on the day on which this Act comes into force that provides for the restructuring of rates of pay during any period that begins during the restraint period is of no effect or is deemed never to have had effect, as the case may be; and

 

(c) any provision of terms and conditions of employment established before December 8, 2008 that provides for the restructuring of rates of pay during any period that begins during the period that begins on December 8, 2008 and ends on March 31, 2011 is of no effect or is deemed never to have had effect, as the case may be.

 

[…]

 

46. If any terms and conditions of employment established before December 8, 2008 contain provisions that, for any period that begins in the period that begins on December 8, 2008 and ends on March 31, 2011, provide for an increase to the amount or rate of any additional remuneration that applied to the employees governed by those terms and conditions of employment immediately before the first period that began on or after December, 8, 2008, those provisions are of no effect or are deemed never to have had effect, as the case may be.

 

[…]

 

49. If any terms and conditions of employment established before December 8, 2008 contain, in relation to any employees, a provision that provides, for any period that begins in the period that begins on December 8, 2008 and ends on March 31, 2011, for any additional remuneration that is new in relation to the additional remuneration that applied to the employees governed by those terms and conditions of employment immediately before the first period that began on or after December 8, 2008, that provision is of no effect or is deemed never to have had effect, as the case may be.

 

[…]

 

62. Despite sections 44 to 49, the Treasury Board may change the amount or rate of any allowance, or make any new allowance, applicable to members of the Royal Canadian Mounted Police if the Treasury Board is of the opinion that the change or the new allowance, as the case may be, is critical to support transformation initiatives relating to the Royal Canadian Mounted Police.

 

[46]           L’alinéa 2d) de la Charte garantit la liberté d’association :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

 

. . .

 

d) liberté d’association.

2. Everyone has the following fundamental freedoms:

 

[…]

 

(d) freedom of association.

 

[47]           Le paragraphe 24(1) de la Charte prévoit un recours pour toute personne victime de violation de ses droits :

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

24. (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charte, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.

 

[48]           Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 dispose :

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

52. (1) The Constitution of Canada is the supreme law of Canada, and any law that is inconsistent with the provisions of the Constitution is, to the extent of the inconsistency, of no force or effect.

 

Examen des questions en litige

i.          Quelle doit être la portée du présent appel?

 

[49]           Comme je l’ai expliqué précédemment, il y a controverse entre les parties sur la question de savoir si la constitutionnalité de la LCD est en litige dans le présent appel.

 

[50]           Le procureur général soutient que les dispositions de la LCD demeurent pleinement en vigueur, parce que la Cour fédérale est restée muette dans son jugement à l’égard de la validité de cette loi. Selon le procureur général, les intimés ont contesté la décision du Conseil du Trésor et les dispositions de la LCD ensemble, comme si elles constituaient une seule et même restriction, et la juge en a fait tout autant. Les intimés n’ont sollicité aucune mesure en vertu du paragraphe 52(1) de la Charte. Ils ont plutôt demandé un jugement aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte, soit un jugement annulant la décision du Conseil du Trésor. Ils ont fait valoir que, étant donné qu’elle est inconstitutionnelle, la LCD n’a aucun effet sur la possibilité d’obtenir une mesure en vertu du paragraphe 24(1).

 

[51]           Les intimés répondent que la juge a clairement conclu que les articles 16, 35, 38, 43, 46 et 49 de la LCD étaient contraires à l’alinéa 2d) de la Charte. Invoquant une jurisprudence Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, au paragraphe 28, les intimés soutiennent que l’application du paragraphe 52(1) de la Charte a eu pour effet de rendre inopérantes les dispositions en question depuis leur promulgation et qu’aucune déclaration formelle d’invalidité n’était nécessaire. Les intimés ajoutent que, étant donné que la décision du Conseil du Trésor est annulée, la seule décision salariale valable sur le plan constitutionnel pour les années 2008 à 2011 est la décision originale datée du 28 juin 2008. Aucune autre ordonnance ou mesure n’était nécessaire pour atteindre ce résultat.

 

[52]           Les deux paragraphes des motifs du jugement de la juge qui constituent la source de cette controverse sont les paragraphes 148 et 150 :

148.     À mon avis, la décision que le Conseil du Trésor a prise le 11 décembre 2008 ainsi que les articles 16, 35, 38, 43, 46 et 49 de la LCD vont à l’encontre de l’alinéa 2d) de la Charte et cette violation n’est pas sauvegardée par l’article premier.

 

[…]

 

150.     Les demandeurs ne sollicitent aucune réparation au sujet des dispositions de la LCD. En conséquence, je refuse d’ordonner une réparation à cet égard. De plus, la décision du Conseil du Trésor ne constitue pas une violation de contrat et ne donne pas ouverture à une demande de dommages‑intérêts.

 

[53]           Afin de régler ce différend, je relève d’abord, comme la juge l’a fait au paragraphe 82 de ses motifs, que la décision du Conseil du Trésor laissait présager l’adoption de la LCD. En fait, la LCD a donné un effet légal au contenu de la décision du Conseil du Trésor.

 

[54]           Plus précisément, le 27 novembre 2008, le ministre des Finances a publié son Énoncé, par lequel il a proposé des mesures visant à renforcer la stabilité du régime financier et à soutenir l’économie. Ainsi, l’Énoncé prévoyait des mesures ayant pour but de renforcer le système financier, d’accorder un allègement temporaire aux personnes âgées détenant des fonds enregistrés de revenu de retraite, d’améliorer l’accès au crédit pour les entreprises canadiennes et de limiter la hausse importante anticipée des coûts du Programme de péréquation fédéral. En ce qui concerne la rémunération du secteur public, l’Énoncé prévoyait ce qui suit :

Rémunération appropriée dans le secteur public

 

Une autre exigence de la gestion financière responsable consiste à accorder des augmentations salariales abordables dans le secteur public. Depuis le début de l’année, la croissance des salaires a été plus forte dans le secteur public que dans le secteur privé. Le gouvernement estime qu’une croissance plus modérée de la rémunération dans le secteur public est de mise dans les circonstances actuelles. Conscients de la situation, certains des plus importants agents négociateurs du secteur public ont fait preuve de leadership en concluant des ententes de principe qui prévoient des augmentations salariales raisonnables pour leurs membres et abordables pour le gouvernement.

 

Comme il est mentionné dans le discours du Trône, le gouvernement mettra de l’avant des dispositions législatives afin d’assurer la prévisibilité de la rémunération dans le secteur public fédéral durant la période de difficultés économiques que nous vivons actuellement.

 

Aux termes de ces dispositions législatives, les hausses salariales annuelles pour l’administration publique fédérale et les députés seront fixées à 2,3 % pour 2007‑2008 et à 1,5 % pour les trois exercices suivants, dans le cas des groupes qui négocient actuellement de nouvelles conventions collectives. Ces taux s’appliqueront également aux hauts fonctionnaires ainsi qu’aux députés, aux ministres et aux sénateurs. Pour ce qui est des groupes dont la convention vise déjà l’exercice 2008‑2009, le taux de 1,5 % s’appliquera pour le reste de la période de trois ans, à compter de la date anniversaire de la convention collective. De plus, la loi aura pour effet de suspendre jusqu’à la fin de 2010‑2011 le droit de grève pour des motifs liés aux salaires.

 

[55]           Peu après la publication de l’Énoncé, le Parlement a été prorogé, de sorte que la loi visant la mise en œuvre des mesures exposées dans l’Énoncé, y compris la limite touchant la rémunération du secteur public, n’a été déposée à la Chambre des communes que lors du budget de janvier 2009.

[56]           Lorsqu’elle a été édictée, la LCD prescrivait la même limite touchant la rémunération des membres de la GRC que celle qui était prévue dans la décision du Conseil du Trésor. En conséquence, la décision du Conseil du Trésor peut être considérée comme une mesure provisoire facilitante qui excluait le versement d’augmentations salariales aux fonctionnaires de la GRC le 1er janvier 2009, lequel paiement aurait été incompatible avec les dispositions législatives prévues sur le contrôle des dépenses.

 

[57]           Étant donné que la décision du Conseil du Trésor et la LCD ont donné à la même issue, pour que les intimés puissent réclamer les augmentations de juin 2008, ils doivent attaquer la validité de la LCD (et demander l’annulation de la décision du Conseil du Trésor). Il s’ensuit que la constitutionnalité des dispositions attaquées de la LCD qui touchent les intimés était en litige devant la Cour fédérale et l’est aussi dans le présent appel. Lorsque les intimés ont modifié leur avis de demande pour mettre en cause la LCD, la Cour fédérale devait rechercher si les dispositions de cette loi qui avait pour effet d’abaisser les augmentations salariales précédemment annoncées pour les membres en 2009 et 2010 et de plafonner toute augmentation de salaire pour 2011 portaient atteinte au droit d’association que tiraient de l’alinéa 2d) de la Charte les intimés.

 

[58]           Cette conclusion est compatible avec le texte de l’avis d’appel du procureur général, selon lequel l’appel concerne le jugement dans lequel la Cour fédérale [traduction] « a conclu que décision du 11 décembre 2008 par laquelle le Conseil du Trésor a limité les augmentations de salaire à accorder aux membres de la GRC, ainsi que les articles 16, 35, 38, 43, 46 et 49 de la Loi sur le contrôle des dépenses, allaient à l’encontre de l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés ». Le procureur général soutient notamment que la juge a commis une erreur :

b)                  en examinant ensemble la constitutionnalité de la décision du Conseil du Trésor et de la Loi sur le contrôle des dépenses plutôt qu’en menant des analyses contextuelles distinctes;

 

c)                  en omettant d’effectuer une analyse constitutionnelle approfondie de la Loi sur le contrôle sur les dépenses, eu égard à la portée, au champ d’application et aux objectifs de l’ensemble de cette loi.

 

[59]           Le procureur général a expressément soulevé dans le présent appel la question de savoir si la LCD portait atteinte au droit d’association des intimés et a présenté des observations sur cette question. En conséquence, l’effet de la LCD sur les intimés est une question valablement portée en appel en l’espèce.

 

ii.         Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision visée par l’appel?

 

[60]           La norme de contrôle à appliquer aux conclusions de droit de la juge est celle de la norme de la décision correcte. Par ailleurs, les conclusions de fait et les conclusions mélangées de fait et de droit de la juge sont susceptibles de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

 

iii.        La juge a‑t‑elle commis une erreur en examinant de concert la constitutionnalité de la décision du Conseil du Trésor et de la LCD plutôt qu’en procédant à des analyses contextuelles distinctes?

 

[61]           L’alinéa 2d) de la Charte protège les droits des employés de s’associer en vue d’atteindre des objectifs relatifs au milieu de travail. Le gouvernement peut porter atteinte à ce droit d’association garanti en adoptant un texte de loi qui n’est pas conforme à l’alinéa 2d). Il peut également porter atteinte à l’alinéa 2d) par sa conduite en tant qu’employeur. Dans la présente affaire, les intimés soutiennent que le gouvernement fédéral a porté atteinte à l’alinéa 2d) à la fois en adoptant un texte de loi non conforme, la LCD, et en rendant la décision du Conseil du Trésor en qualité d’employeur.

 

[62]           La juge a formulé la première question à trancher comme suit : « La décision […] par laquelle le Conseil du Trésor a réduit les augmentations de salaire prévues pour les membres de la GRC et les dispositions attaquées de la LCD vont‑elles à l’encontre de l’alinéa 2d) de la Charte? » Tel qu’il est mentionné plus haut, la juge n’a, à aucun moment de son analyse, examiné séparément et sur une base contextuelle la décision attaquée que le gouvernement a prise en qualité d’employeur et la mesure attaquée qu’il a prise par l’adoption de la LCD.

 

[63]           Comme nous le verrons de façon plus détaillée plus loin, pour décider si l’alinéa 2d) a été violé, « [d]ans tous les cas, une analyse contextuelle et factuelle s’impose et il faut se demander s’il y a eu ou s’il surviendra vraisemblablement des effets négatifs importants sur le processus de négociation collective volontaire menée de bonne foi entre les employés et l’employeur » (B.C. Health Services, au paragraphe 92).

 

[64]           Compte tenu de l’obligation d’effectuer une analyse contextuelle, ainsi qu’en a décidé la Cour suprême du Canada par l’arrêt B.C. Health Services, j’estime que la juge a commis une erreur de droit en amalgamant la décision du Conseil du Trésor et la LCD comme si elles constituaient ensemble une seule restriction touchant la liberté d’association des intimés. Chacune appelait une analyse contextuelle distincte.

 

[65]           De plus, des mesures différentes sont prévues à l’égard des mesures gouvernementales et dispositions législatives inconstitutionnelles, ce qui renforce ce point de vue. L’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 exige que les lois incompatibles avec la Charte soient déclarées inopérantes, mais uniquement les dispositions incompatibles des lois en question. Selon les circonstances, une loi peut être annulée, faire l’objet d’une interprétation atténuée ou d’une correction qui introduit des éléments. Toute mesure de cette nature doit être conçue avec soin. De plus, l’article 24 de la Charte permet au juge d’accorder une réparation convenable et juste à toute personne victime de violation ou de négation des droits qu’elle tire de la Charte (Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, 139 N.R. 1, au paragraphe 25). En conséquence, vu l’éventail des mesures possibles, il est nécessaire d’effectuer une analyse distincte de la constitutionnalité de la décision du Conseil du Trésor et de la LCD.

 

[66]           Afin d’illustrer le problème créé par l’examen simultané de la décision du Conseil du Trésor et de la LCD, il convient de signaler que la juge n’a mené aucune analyse contextuelle des dispositions de cette loi qui, à son avis, étaient contraires à l’alinéa 2d) de la Charte. Ainsi, il est difficile de savoir pourquoi la totalité de l’article 16 de la LCD a été jugée contraire à l’alinéa 2d) alors que seulement trois des cinq paragraphes de cette disposition visaient les faits de la présente affaire. La juge n’explique pas non plus en quoi les définitions énoncées au paragraphe 35(1) de la LCD sont contraires à l’alinéa 2d) de la Charte. Étant donné que seules les dispositions incompatibles d’une loi doivent être déclarées inopérantes, une analyse contextuelle des dispositions attaquées s’imposait.

 

[67]           En conséquence, il est nécessaire de réexaminer la question de savoir si la décision du Conseil du Trésor ou la LCD violait les droits que tirent de l’alinéa 2d) de la Charte les intimés. Avant de procéder à cette analyse, il convient toutefois de souligner le lien entre la décision du Conseil du Trésor et la LCD.

 

iv.        Quel était le lien entre la décision du Conseil du Trésor et la LCD?

 

[68]           La LCD a donné un effet légal à la substance de la décision du Conseil du Trésor. En conséquence, au cours des débats, les avocats des parties ont convenu qu’une conclusion selon laquelle les dispositions attaquées de la LCD sont valides rendrait théorique la question de la validité de la décision du Conseil du Trésor.

 

[69]           Par conséquent, j’examinerai d’abord la validité constitutionnelle des dispositions attaquées de la LCD qui touchent les intimés.

 

v.         La LCD a‑t‑elle porté atteinte au droit d’association que tirent de l’alinéa 2d) de la Charte les intimés?

 

            a)         Principes juridiques applicables

[70]           La Cour suprême du Canada a examiné le champ d’application et la portée de l’alinéa 2d) de la Charte à l’occasion de l’affaire B.C. Health Services et, plus récemment, de l’affaire Fraser. Je débute mon analyse en passant en revue les principes que la Cour suprême du Canada a consacrés par ces deux arrêts.

 

L’arrêt B.C. Health Services

[71]           L’affaire B.C. Health Services, le différend portait sur la validité d’une loi régissant les relations entre les employeurs du secteur de la santé et les syndicats accrédités auprès d’eux. Cette loi avait pour effet d’invalider d’importantes dispositions des conventions collectives alors en vigueur et d’exclure toute véritable négociation collective sur certaines questions. La majorité de la Cour suprême du Canada a conclu que certaines dispositions de la loi en question étaient invalides, parce qu’elles étaient contraire à l’alinéa 2d) de la Charte.

 

[72]           Voici quelques principes importants que la majorité a consacrés :

i.                    L’alinéa 2d) de la Charte protège la capacité des syndiqués de participer en groupe à la négociation collective des questions fondamentales relatives au milieu de travail. Si le gouvernement entrave de façon substantielle l’exercice de ce droit, il méconnaît l’alinéa 2d) de la Charte (motifs, paragraphe 19).

 

ii.                  L’alinéa 2d) ne protège pas les objectifs particuliers que les employés cherchent à atteindre par cette activité associative. Il protège le processus de réalisation de ces objectifs. Les employeurs du secteur public sont tenus de rencontrer les employés pour discuter avec eux. De plus, l’alinéa 2d) restreint le pouvoir de légiférer en matière de négociation collective (motifs, paragraphe 89).

 

iii.                L’alinéa 2d) n’offre une protection que contre les « entraves substantielles » à l’activité associative. Il suffit que la loi ou l’acte de l’État décourage la poursuite collective d’objectifs communs. L’État doit s’abstenir d’empêcher un syndicat d’exercer une véritable influence sur les conditions de travail par l’entremise d’un processus de négociation collective menée de bonne foi (motifs, paragraphe 90).

 

iv.                Le droit de négociation collective demeure un droit à portée restreinte. Étant donné que le droit protégé concerne un processus, il ne garantit pas l’atteinte de résultats quant au fond de la négociation ou à ses effets économiques. Il confère le droit de participer à un processus général de négociation collective et non le droit de revendiquer un modèle particulier de relations du travail. Enfin, l’atteinte au droit doit être substantielle au point de constituer une entrave au processus même qui permet aux syndiqués de poursuivre leurs objectifs en s’engageant dans de véritables négociations avec l’employeur (motifs, paragraphe 91).

 

v.                  Agir de mauvaise foi ou annuler de façon unilatérale des modalités négociées, sans véritables discussions et consultations, peut aussi grandement saper le processus de négociation collective. Dans tous les cas, l’analyse contextuelle et factuelle s’impose (motifs, paragraphe 92).

 

vi.                De façon générale, pour déterminer si la mesure gouvernementale en cause constitue une atteinte substantielle, il faut examiner deux questions. D’abord, il faut rechercher l’importance que les aspects touchés revêtent pour le processus de négociation collective et, plus particulièrement, la mesure dans laquelle la capacité des syndiqués d’agir d’une seule voix en vue de réaliser des objectifs communs est compromise. Puis, l’on doit étudier l’impact de la mesure sur le droit collectif à une consultation et à une négociation menées de bonne foi (motifs, paragraphe 93).

vii.              Si les aspects touchés n’ont pas de répercussions importantes sur le processus de négociation collective, la mesure n’est pas contraire à l’alinéa 2d) (motifs, paragraphe 94).

 

viii.            Dans le cas du premier examen, les lois qui invalident unilatéralement des stipulations d’importance significative que prévoient les conventions collectives en vigueur risquent d’interférer de manière substantielle dans l’activité de négociation collective (motifs, paragraphe 96).

 

ix.                En ce qui a trait au deuxième examen, la question essentielle qui se pose est de savoir si la mesure législative ou la conduite de l’État respecte l’obligation de consulter et de négocier de bonne foi (motifs, paragraphe 97).

 

x.                  Pour déterminer si des dispositions législatives empiètent sur le droit collectif à une consultation et à une négociation menées de bonne foi, il faut tenir compte des circonstances de leur adoption. Une situation d’urgence est susceptible d’influer sur le contenu et les modalités de l’obligation de négocier de bonne foi (motifs, paragraphe 107).

 

L’arrêt Fraser

[73]           La question qui se posait dans l’affaire Fraser était de savoir si la loi créant un régime de relations de travail distinct pour les travailleurs du secteur agricole respectait la liberté d’association garantie par l’alinéa 2d) de la Charte. Les travailleurs agricoles ont demandé une loi plus ferme pour protéger leur activité associative. La majorité de la Cour suprême du Canada a conclu que, correctement interprétée, la loi attaquée ne portait pas atteinte à la liberté d’association des travailleurs.

 

[74]           La majorité a énoncé les principes suivants :

i.                    La jurisprudence B.C. Health Services traduisait l’application des principes précédemment consacrés par la jurisprudence Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016. L’arrêt Dunmore enseigne que les demandeurs doivent établir qu’il leur est essentiellement impossible d’exercer leur liberté d’association (motifs, paragraphe 34).

 

ii.                  La loi ou la mesure de l’État qui rend impossible la réalisation d’objectifs collectifs a pour effet de restreindre la liberté d’association en la privant de sens. Dans tous les cas, la question demeure celle de savoir si la loi ou la mesure gouvernementale contestée rend impossible l’action collective visant la réalisation d’objectifs liés au travail (motifs, paragraphe 46).

 

iii.                C’est l’activité associative qui est protégée, et non un processus ou un résultat particulier. Ce qu’il faut démontrer, c’est qu’une loi ou une action de l’État rend impossible en l’entravant substantiellement l’exercice véritable du droit d’association (motifs, paragraphe 47).

 

iv.                Bien compris, l’arrêt B.C. Health Services n’a pas décidé que  le non-respect d’une convention collective est contraire à l’alinéa 2d). Les juges majoritaires dans cet arrêt ont décidé que « l’annulation unilatérale de clauses contractuelles importantes dont l’État avait convenu ou dont il avait coordonné la conclusion, de pair avec l’exclusion dans les faits de toute négociation collective ultérieure, compromet l’exercice du droit de s’associer garanti à l’alinéa 2d) » (motifs, paragraphe 76).

 

v.                  La question essentielle à trancher était de savoir si la loi attaquée rendait de fait impossible l’association véritable en vue de réaliser des objectifs liés au travail (motifs, paragraphe 98).

 

b)         Facteurs contextuels importants

[75]           Tel qu’il est mentionné plus haut, par l’arrêt B.C. Health Services, la Cour suprême du Canada a insisté sur la nécessité d’utiliser une approche contextuelle pour analyser le contenu du droit d’association. Je me penche donc ci‑après sur les éléments que je considère comme les facteurs contextuels les plus importants : la nature de l’activité associative dont bénéficient les fonctionnaires de la GRC, l’objet de la LCD et les effets de cette loi sur les fonctionnaires de la GRC.

 

La nature de l’activité associative des membres de la GRC

[76]           À l’occasion de l’affaire Delisle c. Canada (Sous‑procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989, 244 N.R. 33, la Cour suprême du Canada a recherché si l’exclusion des fonctionnaires de la GRC de la portée de l’actuelle Loi sur les relations de travail de la fonction publique était contraire à l’alinéa 2d) de la Charte. La majorité a répondu par la négative à cette question, au motif que l’alinéa 2d) ne conférait pas le droit de participer à un régime législatif particulier et que les fonctionnaires de la GRC avaient le droit de former, et avaient effectivement formé, des associations d’employés indépendantes. L’alinéa 2d) jouerait de manière à empêcher la direction de la GRC de s’ingérer dans la formation de telles associations.

 

[77]           Plus récemment, à l’occasion de l’affaire Mounted Police Association of Ontario c. Canada (Attorney General), 2012 ONCA 363, 111 O.R. (3d) 268 (autorisation d’interjeter appel accordée, [2012] C.S.C.R. no 350), la Cour d’appel de l’Ontario a été saisie de la question de savoir si le droit à la négociation collective prévu à l’alinéa 2d) :

 

i)                    garantissait aux membres de la GRC le droit d’être représentés par une association de leur choix dans le cadre de leurs relations avec leur employeur;

 

ii)                  exigeait que le mécanisme d’examen des préoccupations collectives des membres soit structurellement indépendant de la direction.

 

[78]           La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le régime actuel ne rendait pas de fait impossible l’exercice véritable, par les fonctionnaires de la GRC, de leur droit d’association garanti par l’alinéa 2d) de la Charte, pour les raisons suivantes :

 

i)                    les fonctionnaires de la GRC peuvent former des associations volontaires;

 

ii)                  une étroite collaboration existe entre les représentants des relations fonctionnelles et la direction de la GRC en ce qui a trait à la poursuite des objectifs collectifs;

 

iii)                une entité appelée Fond de recours juridique aide les fonctionnaires qui ont des problèmes d’emploi.

 

[79]           La Cour d’appel de l’Ontario a conclu son analyse comme suit :

[traduction]

135.      Par les motifs exposés plus haut, je conclus qu’il n’est pas de fait impossible pour les fonctionnaires de la GRC d’agir collectivement pour atteindre les objectifs liés au travail. Il s’ensuit que les membres des associations intimées ne peuvent revendiquer un droit dérivé de négociation collective fondé sur l’alinéa 2d). Par conséquent, le gouvernement n’est nullement assujetti à l’obligation constitutionnelle de prendre des mesures positives, au sens de l’enseignement des arrêts Haig, Delisle, CLA et Dunmore, pour faciliter l’exercice de la liberté d’association que l’alinéa 2d) reconnaît aux fonctionnaires de la GRC. Il n’existe aucune condition qui doit nécessairement être réalisée de façon à imposer à l’employeur l’obligation de reconnaître les associations intimées et de négocier avec elles afin de rendre possible une association véritable avec leurs membres.

 

136.     En raison de la conclusion selon laquelle les membres des associations intimées ne peuvent revendiquer le droit dérivé à la négociation collective, les principales réserves du juge des requêtes ne sont pas pertinentes. Le juge a estimé que l’impossibilité pour les fonctionnaires de la GRC de former une association indépendante « à des fins de négociation collective » constituait la principale source de la violation de l’alinéa 2d). Comme l’enseigne la jurisprudence Delisle, les fonctionnaires de la GRC ont la liberté de former des associations d’employés indépendantes. Il ressort par ailleurs de la jurisprudence Fraser que leur capacité de s’associer n’est pas limitée au point où ils peuvent revendiquer le droit dérivé de négocier collectivement. Le droit constitutionnel de former une association indépendante à des fins de négociation collective, s’il existe, constituerait un aspect du droit dérivé à la négociation collective et n’est pas soulevé en l’espèce.

 

[80]           Les intimés n’ont pas élevé de controverse quant à la constitutionnalité du PRRF dans leur demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et cette question n’est pas non plus soulevée dans le présent appel.

 

[81]           Afin de bien comprendre les effets de la LCD sur les intimés et les autres fonctionnaires de la GRC, il est nécessaire de passer en revue les principales caractéristiques du régime actuel des relations de travail de la GRC :

 

i)                    Le PRRF a été mis sur pied pour représenter les intérêts des fonctionnaires de la GRC. Les représentants des relations fonctionnelles présentent des observations au commissaire au sujet de la solde et des avantages par l’entremise du Conseil de la solde.

 

ii)                  Le Conseil de la solde fonctionne selon les principes de consensus et de collaboration. Les membres du Conseil de la solde s’efforcent d’élaborer un régime de rémunération acceptable qui est recommandé au commissaire.

 

iii)                Le commissaire est libre d’accepter ou de rejeter la recommandation, en tout ou en partie.

 

iv)                Si le commissaire appuie la recommandation, il l’achemine au ministre responsable de la GRC.

 

v)                  Le ministre présente ensuite une présentation officielle au Conseil du Trésor.

 

vi)                Le Conseil du Trésor décide à son tour s’il convient de réviser la solde et les avantages des fonctionnaires de la GRC et, le cas échéant, la façon de le faire.

 

[82]           Les conclusions qui suivent se dégagent des faits exposés plus haut :

 

i)                    Les représentants des relations fonctionnelles jouent un rôle consensuel et un rôle de collaboration dans les délibérations du Conseil de la solde.

 

ii)                  Le Conseil de la solde ne joue qu’un rôle indirect dans la détermination des salaires et avantages des membres de la GRC. Il présente des recommandations non contraignantes au commissaire et ne négocie pas avec celui‑ci.

 

iii)                Il n’y a aucune consultation ou négociation directe entre le Conseil de la solde et le décideur, soit le Conseil du Trésor. Le Conseil du Trésor n’est pas tenu de consulter le Conseil de la solde (ou les représentants des relations fonctionnelles) lorsqu’il n’appuie pas une recommandation de celui‑ci.

 

iv)                Il n’existe aucune entente, collective ou autre, entre l’employeur et l’entité représentant les membres. Il n’y a pas non plus d’accord concernant les conditions d’emploi des membres ou le maintien des conditions précédemment approuvées.

 

L’objet de la LCD et ses effets sur les fonctionnaires de la GRC

[83]           La LCD doit être examinée quant à son objet au regard de la situation économique qui prévalait au cours de la période qui a mené à son adoption. Le procureur général a présenté l’affidavit de Paul Rochon, le sous‑ministre adjoint principal, Direction de la politique économique et fiscale du ministère des Finances. M. Rochon n’a pas été contre‑interrogé au sujet de son affidavit.

 

[84]           M. Rochon a décrit la crise financière, sans précédent quant à sa gravité et à sa portée, qui a débuté en août 2007 et a atteint un état critique à la fin de 2008 et au début de 2009. Voici les principaux éléments de son témoignage :

i)                    La crise financière mondiale a été provoquée par l’effondrement du marché de l’immobilier aux États‑Unis au cours de l’été de 2007.

 

ii)                  En septembre et octobre 2008, la crise s’est considérablement intensifiée, alimentée par la faillite ou la quasi‑faillite de grandes institutions financières des États‑Unis et de l’Europe.

 

iii)                En octobre 2008, la détérioration rapide de la situation économique, tant aux États‑Unis qu’ailleurs sur la planète, a commencé à toucher sérieusement l’économie canadienne.

 

iv)                En novembre 2008, le Fonds monétaire international (FMI) a publié un rapport dans lequel il a souligné que la crise financière demeurait grave et que les perspectives économiques étaient exceptionnellement incertaines.

 

v)                  Le 27 novembre 2008, le ministre des Finances a publié l’Énoncé selon lequel des déficits budgétaires étaient prévus pour les exercices financiers 2009‑2010, 2010‑2011 et 2011‑2012. Il s’agissait là des trois premiers déficits budgétaires prévus en douze ans. L’Énoncé comportait aussi des propositions de mesures visant à renforcer la stabilité du système financier et à soutenir l’économie devant la détérioration de la situation économique et l’accroissement des risques.

 

vi)                Statistique Canada a fait savoir que l’emploi au Canada avait commencé à chuter en novembre 2008; 70 600 emplois avaient alors été perdus.

 

vii)              Le Secrétariat du Conseil du Trésor a recommandé que l’on restreigne les augmentations de salaire dans la fonction publique. En plus de limiter la croissance des salaires, ces restrictions assureraient la prévisibilité en fixant les estimations du coût de la rémunération versée par le gouvernement. Le gouvernement estimait que cette prévisibilité était cruciale pour la crédibilité du plan d’intervention économique et financier général en cours d’élaboration.

 

viii)            Le gouvernement a retenu la recommandation présentée par le Secrétariat du Conseil du Trésor. Il a donc donné l’ordre que les augmentations de salaire faisant alors l’objet de négociations collectives soient négociées à l’intérieur des limites proposées. Il a également demandé la préparation d’une loi qui s’appliquerait dans les cas où la convention collective ne respecterait pas les limites proposées en ce qui a trait aux augmentations salariales.

 

ix)                La loi proposée, la LCD, aurait pour effet de prescrire les augmentations de salaire maximales pour l’administration publique fédérale ainsi que pour les députés, les ministres et les sénateurs.

 

x)                  La LCD visait trois objectifs :

a.       réduire la pression à la hausse indue sur les salaires dans le secteur privé;

b.      montrer la voie à suivre en faisant preuve de retenue et de respect à l’égard des fonds publics;

c.       gérer la rémunération du secteur public de façon appropriée et prévisible, afin de préserver la stabilité de la situation financière du gouvernement.

 

xi)                Peu après la publication de l’Énoncé, le Parlement fut prorogé. En conséquence, la loi destinée à mettre en œuvre les mesures proposées dans l’Énoncé ne fut pas déposée devant la Chambre des communes.

 

xii)              La situation économique mondiale a continué à se détériorer. En janvier 2009, le FMI a publié une autre mise à jour de ses principales projections selon laquelle la croissance de l’économie mondiale serait limitée à 0,5 %. Le FMI a souligné que, « malgré les actions de grande ampleur engagées par les pouvoirs publics, les tensions demeurent aiguës sur les marchés financiers et brident l’économie réelle » et que « l’interaction pernicieuse entre les secteurs financier et réel fait sentir ses effets ».

 

xiii)            La révision à la baisse répétée des projections de croissance pour 2009 était sans précédent et reflétait l’ampleur et la gravité de la crise économique mondiale qui continuait à sévir.

 

xiv)            Au Canada, le fléchissement de l’emploi qui a débuté en novembre 2008 s’est poursuivi tout au long de l’année 2009. En janvier 2010, 264 000 emplois avaient été perdus.

 

xv)              Le budget du 27 janvier 2009 prévoyait l’injection de 40 milliards de dollars en deux ans sous forme de mesures visant à soutenir l’économie et à favoriser le maintien des emplois existants et la création de nouveaux emplois.

 

xvi)            Le budget de janvier 2009 prévoyait également l’adoption de la plupart des mesures restrictives proposées dans l’Énoncé de novembre 2008, y compris la LCD.

 

xvii)          Toutes ces mesures furent adoptées simultanément par la Loi d’exécution du budget de 2009.

 

xviii)        Aux yeux du gouvernement, il était important que les mesures de stimulation et les mesures relatives aux dépenses soient prises ensemble. À son avis, « il était nécessaire de faire preuve d’audace au moyen des mesures de stimulation et de veiller à ce que la situation financière du gouvernement soit viable une fois la crise terminée. C’est pour favoriser la réalisation de ce dernier objectif qu’il était important d’adopter la LCD et les autres mesures concernant les dépenses ».

 

xix)            La masse salariale du secteur public constitue une dépense fédérale majeure qui représente environ le tiers des charges de programme directes du gouvernement.

 

[85]           Les intimés n’ont pas soutenu que la LCD visait à empêcher ou à entraver l’activité associative. Compte tenu des éléments de preuve présentés par M. Rochon, cet argument ne pouvait tenir la route, à mon sens. La LCD faisait partie d’une série de mesures visant à stabiliser l’économie, à maintenir les emplois et à favoriser la création de nouveaux emplois. C’était là un objet valide. En conséquence, ce qu’il faut savoir, c’est si cette loi a eu pour effet d’entraver substantiellement le droit des fonctionnaires de la GRC de poursuivre leurs activités associatives. Pour répondre à cette question, il faut appliquer aux éléments de preuve les principes juridiques que la Cour suprême du Canada a consacrés et que j’ai résumés.

 

c)         Application des principes juridiques

[86]           Je souligne d’abord que les lois qui entravent sensiblement ou qui invalident des conditions d’emploi en vigueur qui ont été négociées collectivement ne sont pas nécessairement contraires à l’alinéa 2d) : B.C. Health Services, aux paragraphes 92 et 96. Comme la majorité l’a expliqué dans l’arrêt Fraser, au paragraphe 76, les juges majoritaires dans l’arrêt B.C. Health Services n’ont pas conclu que le non‑respect d’une condition d’une convention collective allait en soi à l’encontre de l’alinéa 2d) de la Charte. C’est plutôt l’annulation unilatérale de clauses contractuelles importantes, de pair avec l’exclusion, à toute fin pratique, de toute négociation collective ultérieure, qui a porté atteinte au droit d’association garanti par l’alinéa 2d).

 

[87]           Il s’ensuit que, pour démontrer qu’il y a eu atteinte au droit d’association qu’ils tirent de l’alinéa 2d), les intimés ne peuvent pas se contenter de prouver simplement l’annulation d’augmentations salariales précédemment annoncées, mais doivent prouver que la LCD a rendu, à toute fin pratique, impossible l’exercice de leur liberté d’association pour les fonctionnaires de la GRC.

 

[88]           Compte tenu des faits de l’espèce, les principes juridiques qui suivent sont ceux qui, à mon avis, doivent nous guider :

i.          L’alinéa 2d) ne protège pas un objectif, résultat ou processus particulier. Il protège le processus de réalisation d’objectifs collectifs (B.C. Health Services, au paragraphe 89, Fraser, au paragraphe 47).

 

ii.         Le droit de négociation collective est un droit de portée restreinte, parce qu’il ne garantit pas l’atteinte de résultats quant au fond de la négociation ou à ses effets économiques. Le droit est également limité, en ce sens que l’atteinte doit être substantielle au point de constituer une entrave au processus même qui permet aux employés de poursuivre leurs objectifs collectifs (B.C. Health Services, au paragraphe 91).

 

iii.        Dans un premier temps, il faut rechercher l’importance que les aspects touchés revêtent pour le processus de négociation collective et, plus particulièrement, la mesure dans laquelle la capacité des syndiqués d’agir d’une seule voix en vue de réaliser des objectifs communs est compromise. Dans un deuxième temps, il faut étudier l’impact de la mesure sur le droit collectif à une consultation et à une négociation menées de bonne foi (B.C. Health Services, au paragraphe 93).

 

iv.        En ce qui a trait au premier examen, « [s]i les aspects touchés n’ont pas de répercussions importantes sur le processus de négociation collective, la mesure n’enfreint pas l’al. 2d) et il se peut effectivement que l’employeur n’ait pas l’obligation de tenir des discussions et des consultations. Il ne sera alors pas nécessaire d’examiner les questions relatives au processus. Par ailleurs, les modifications qui ont une profonde incidence sur la négociation collective ne contreviendront pas non plus à l’al. 2d) si elles préservent le processus de consultation et de négociation menée de bonne foi ». (B.C. Health Services, au paragraphe 94).

 

[89]           En ce qui concerne les effets de la LCD sur le processus par lequel les fonctionnaires de la GRC poursuivent leurs activités associatives, je répète, par souci de commodité, les conclusions énoncées plus haut au paragraphe 82 au sujet du régime des relations de travail de la GRC qui est actuellement en vigueur :

i)          Les représentants des relations fonctionnelles jouent un rôle consensuel et un rôle de collaboration dans les délibérations du Conseil de la solde.

 

ii)                  Le Conseil de la solde ne joue qu’un rôle indirect dans la détermination des salaires et avantages des membres de la GRC. Il présente des recommandations non opposables au commissaire et ne négocie pas avec celui‑ci.

 

iii)                Il n’y a aucune consultation ou négociation directe entre le Conseil de la solde et le décideur, soit le Conseil du Trésor. Le Conseil du Trésor n’est pas tenu de consulter le Conseil de la solde (ou les représentants des relations fonctionnelles) lorsqu’il n’appuie pas une recommandation de celui‑ci.

 

iv)                Il n’existe aucune entente, collective ou autre, entre l’employeur et une entité représentant les membres. Il n’y a pas non plus d’accord concernant les conditions d’emploi des membres ou le maintien des conditions précédemment approuvées.

 

[90]           À mon avis, ces faits permettent d’opérer une distinction entre les faits de la présente affaire et les faits sur lesquels s’est penchée la Cour suprême du Canada dans l’affaire B.C. Health Services. Je conclus que la LCD n’a pas entravé de façon substantielle le processus par lequel les fonctionnaires de la GRC poursuivent leur activité associative, parce qu’elle n’a pas éliminé la possibilité pour eux d’agir collectivement pour réaliser des objectifs liés au travail. Je tire cette conclusion par les motifs exposés ci‑après.

 

[91]           Premièrement, en supposant que la LCD a des répercussions sur un aspect important du processus lié à l’activité associative, la LCD n’a pas entravé de façon substantielle le processus que suivent les fonctionnaires de la GRC pour exercer leur droit d’association. En d’autres termes, la LCD n’a pas rendu impossible la poursuite de leurs activités collectives. L’effet de la LCD n’était pas substantiel au point de saper le processus par lequel l’activité associative était poursuivie, et ce, parce que les membres, plus précisément leurs représentants des relations fonctionnelles, n’ont pas négocié directement avec leur employeur. Ils ont plutôt joué un rôle consensuel et un rôle de collaboration dans les délibérations du Conseil de la solde, lequel, à son tour, a présenté des recommandations non opposables au commissaire de la GRC. Le Conseil du Trésor, qui prend les décisions en dernier ressort, n’était pas tenu de consulter le Conseil de la solde ou les représentants des relations fonctionnelles s’il n’approuvait pas la recommandation en question. La LCD n’a pas annulé les conditions d’une convention collective ni les conditions négociées directement avec l’employeur et acceptées par celui‑ci. La LCD a plutôt modifié des conditions que le Conseil du Trésor était autorisé à fixer.

 

[92]           Deuxièmement, il ressort des mesures prises immédiatement avant et après l’édiction de la LCD que le processus d’association a continué à fonctionner. La LCD n’a pas rendu le processus inutile. En effet, le Conseil de la solde a pu exercer une influence significative sur les conditions de travail de la façon suivante.

 

[93]           Le 4 mars 2009, le commissaire de la GRC a présenté une lettre de mission au Conseil de la solde. Cette lettre renvoyait à l’article 62 de l’actuelle LCD, laquelle était alors à l’étude devant le Parlement dans le cadre de la Loi d’exécution du budget de 2009. L’article 62 permettait au Conseil du Trésor de modifier les allocations à verser aux membres de la GRC ou d’ajouter de nouvelles allocations s’il estimait qu’une telle mesure était « indispensable à la mise en œuvre de toute initiative de transformation relative » à la Gendarmerie royale du Canada. Dans la lettre de mission, le Conseil de la solde était prié [traduction] « d’examiner la façon dont l’accroissement des allocations existantes ou la création de nouvelles allocations pourrait contribuer à régler les questions prioritaires et permettre de promouvoir notre initiative de transformation ».

 

[94]           Le Conseil de la solde a ensuite présenté au commissaire des recommandations accompagnées d’une lettre non datée qui était adressée au ministre responsable. Voici les extraits pertinents de cette lettre :

[traduction

Vous trouverez sous pli notre offre globale concernant les changements qu’il y a lieu d’apporter à la rémunération et aux politiques de la GRC afin d’atténuer les répercussions de la décision du gouvernement de limiter les augmentations de salaire de la GRC à 1,5 % en 2009 et 2010.

 

La liste est divisée en propositions sur des questions pécuniaires et propositions sur des questions non pécuniaires, et la valeur de toutes les propositions concernant des questions pécuniaires est indiquée. Les propositions sont présentées en fonction des priorités de nos membres.

 

Dans l’ensemble, ces propositions représentent une façon de concilier les besoins liés à la politique de restriction économique du gouvernement avec le maintien d’une rémunération équitable pour les membres de la GRC afin qu’il soit possible d’attirer et de conserver suffisamment d’employés compétents s’occupant de la sécurité publique.

 

[95]           Le 9 juin 2009, le Conseil du Trésor a approuvé les deux changements aux allocations des membres de la GRC qui ont été décrits au paragraphe 33 des présents motifs.

 

[96]           Troisièmement, un des traits distinctifs majeurs réside dans le fait qu’aucune activité associative ultérieure du type examiné dans l’affaire B.C. Health Services n’était interdite en l’espèce.

 

[97]           La décision initiale que le Conseil du Trésor a prise le 26 juin 2008 portait sur les augmentations salariales pour les années civiles 2008 à 2010. La seule conséquence postérieure à l’année 2010 de la LCD réside dans la restriction des augmentations salariales à 1,5 % pour l’exercice financier 2010‑2011 (soit pour la période allant du 1er janvier 2011 au 31 mars 2011). À mon avis, la restriction de trois mois applicable à un aspect des conditions de travail des fonctionnaires de la GRC n’a pas rendu de fait impossible pour eux l’exercice de leur liberté d’association à l’avenir.

 

[98]           Quatrièmement, et en dernier lieu, le législateur n’était pas tenu de consulter le Conseil de la solde ou d’autres personnes ou organismes avant d’adopter la LCD (B.C. Health Services, paragraphe 157).

 

[99]           En conséquence, je conclus que la LCD n’a pas porté atteinte au droit d’association que tirent de l’alinéa 2d) de la Charte les intimés.

 

[100]       Comme les parties l’ont admis, cette conclusion rend théorique la question de la validité de la décision du Conseil du Trésor et je ne vois aucune raison d’exercer le pouvoir discrétionnaire dont je dispose afin d’examiner une question qui est théorique.

 

vi.        Article premier de la Charte

 

[101]       Étant donné que je conclus que la LCD ne portait pas atteinte au droit d’association des intimés, il n’est pas nécessaire d’examiner cette question.

 

Conclusion

[102]       Par les motifs exposés, j’accueillerais l’appel et j’annulerais le jugement de la Cour fédérale. Rendant le jugement que la Cour fédérale aurait dû prononcer, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

 

[103]       À mon avis, il n’y a aucune raison de ne pas appliquer le principe selon lequel les dépens suivent l’issue de la cause. L’appelant demande, tant dans l’avis d’appel que dans son mémoire, que l’appel soit « accueilli avec dépens ». En conséquence, j’adjugerais à l’appelant les dépens de l’appel devant la Cour d’appel fédérale.

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            M. Nadon j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑268‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.
ROBERT MEREDITH ET AUTRE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 28 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR :                                            LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE NADON

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 26 avril 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Sanderson Graham

Andrew Gibbs

 

POUR L’APPELANT

 

Christopher Rootham

Alison McEwen

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

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