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Date : 20130513

Dossier : A-415-12

A-414-12

A-413-12

 

Référence : 2013 CAF 128

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

A-415-12

ENTRE :

GROUPE HONCO INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

A-414-12

ENTRE :

9069-4654 QUÉBEC INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

A-413-12

ENTRE :

GESTION PAUL LACASSE INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 10 avril 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 mai 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                      LA JUGE GAUTHIER

 



Date : 20130513

Dossier : A-415-12

A-414-12

A-413-12

 

Référence : 2013 CAF 128

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

A-415-12

ENTRE :

GROUPE HONCO INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

A-414-12

ENTRE :

9069-4654 QUÉBEC INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

A-413-12

ENTRE :

GESTION PAUL LACASSE INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

Introduction

 

[1]               Il s’agit de trois appels qui furent joints par ordonnance de cette Cour en date du 14 novembre 2012. Ils concernent tous un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (CCI) (2012 CCI 305) par lequel le juge Boyle (le Juge) a, sur preuve commune, rejeté les appels formés par les trois sociétés appelantes (Groupe Honco) à l’encontre de la cotisation établie pour chacune d’elle pour l’année d’imposition 2004.

 

[2]               La seule question que devait décider la CCI était celle de savoir si la règle anti-évitement se retrouvant au paragraphe 83(2.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (la Loi) s’appliquait en l’instance.

 

 

83 (2.1) Malgré le paragraphe (2), le dividende versé par une société sur une action de son capital-actions qui serait, sans le présent paragraphe, un dividende en capital est réputé, pour l’application de la présente loi — à l’exception de la partie III et sauf pour le calcul du compte de dividendes en capital de la société — reçu par l’actionnaire et versé par la société comme dividende imposable, et non comme dividende en capital, et l’alinéa (2)b) ne s’applique pas à ce dividende si l’actionnaire a acquis l’action — ou une action qui lui est substituée — par une opération, ou dans le cadre d’une série d’opérations, dont un des principaux objets consistait à recevoir ce dividende.

 

 

[Je souligne.]

83(2.1) Notwithstanding subsection 83(2), where a dividend that, but for this subsection, would be a capital dividend is paid on a share of the capital stock of a corporation and the share (or another share for which the share was substituted) was acquired by its holder in a transaction or as part of a series of transactions one of the main purposes of which was to receive the dividend,

*                      (athe dividend shall, for the purposes of this Act (other than for the purposes of Part III and computing the capital dividend account of the corporation), be deemed to be received by the shareholder and paid by the corporation as a taxable dividend and not as a capital dividend; and

*                      (b) paragraph 83(2)(b) does not apply in respect of the dividend.

 

[Emphasis added.]

 

 

[3]               En l’espèce, le Juge a conclu à une série d’opérations incluant, entre autres, l’achat des actions d’une société non liée, 9072-7207 Québec inc. (Ancienne Supervac) par 9069-4654 Québec inc., une filiale du Groupe Honco, à laquelle je référerai comme étant la Nouvelle Supervac. Il a aussi conclu que l’un des objets principaux de cette série d’opérations était de permettre l’acquisition du compte de dividendes en capital de l’Ancienne Supervac. Conformément au paragraphe 83(2.1) précité, il en découlait que tout dividende versé était réputé reçu par l’actionnaire et versé par la société comme un dividende imposable plutôt que comme un dividende en capital. De là, les présents pourvois.

[4]               En appel devant nous, les appelantes soutiennent tout d’abord que le Juge a commis une erreur en concluant à une série d’opérations. Les opérations retenues par le Juge se seraient tenues sur une période de temps trop longue pour qu’on puisse y voir une série au sens de la Loi et de l’affaire Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721 [Copthorne]. Mais si elles avaient tort sur ce point, les appelantes ajoutent que le Juge aurait dû examiner les opérations intéressant l’Ancienne Supervac bien avant celle du 17 novembre 1999 qui constate l’achat des actions de cette dernière par la Nouvelle Supervac. De plus, les appelantes soutiennent que le Juge s’est mal dirigé en droit en concluant que l’acquisition du compte de dividendes en capital était un « objet principal ». Enfin, le Juge aurait erré en droit et en faits en leur imposant un fardeau de preuve accru et en concluant qu’elles n’avaient pas réfuté les hypothèses de fait du ministre dont, plus particulièrement, celle selon laquelle

 

[La Nouvelle Supervac] a acquis les actions de [l’Ancienne Supervac] dans le but de bénéficier du compte de dividende en capital de [celle-ci] (Réponse modifiée à l’avis d’appel, faits tenus pour acquis par le ministre, dossier d’appel, volume 1, page 149 au paragraphe 109x)).

 

 

[5]               Je suis d’avis que les appels devraient être rejetés. Je propose de traiter des sujets suivants :

 

a.       Les normes de contrôle applicables en l’espèce;

b.      La série d’opérations et le paragraphe 83(2.1) de la Loi;

c.       L’objet principal au sens du paragraphe 83(2.1) de la Loi; et

d.      Le fardeau de preuve des appelantes et les conclusions de fait du Juge.

 

 

Les faits pertinents

 

[6]               Les faits à considérer pour statuer sur les questions en litige ne sont pas contestés et se résument comme suit : Paul Lacasse est l’actionnaire principal qui contrôle le Groupe Honco. En 1997, Groupe Honco s’engage à livrer à l’Ancienne Supervac, une société entièrement contrôlée par Eddy Bédard, un bâtiment clés en main d’une valeur de 600 000 $. L’Ancienne Supervac fabrique des camions-citernes sous vide à haute pression, une spécialisation nécessitant une certification particulière de l’American Society of Mechanical Engineers [ASME]. Avant la fin de la construction, l’Ancienne Supervac éprouve de sérieuses difficultés financières laissant présager qu’elle ne pourra s’acquitter de sa dette envers le Groupe Honco. Il est donc convenu entre MM. Lacasse et Bédard qu’il n’y aura pas transfert du nouveau bâtiment à l’Ancienne Supervac, mais que celle-ci l’occupera plutôt comme locataire. Durant cette même période, un diagnostic de cancer du pancréas en phase terminale est posé à l’endroit de monsieur Bédard.

 

[7]               À la fin de 1998, il est évident que l’Ancienne Supervac ne peut rentabiliser ses opérations et que ses recherches pour trouver de nouveaux investisseurs ont été vaines. C’est alors que Paul Lacasse, inquiet de ne pouvoir récupérer les sommes dues pour la nouvelle construction, propose dans une lettre du 28 décembre que la Nouvelle Supervac achète tout le stock de l’Ancienne Supervac et prenne à bail la totalité des actifs de celle-ci. Il y est aussi prévu que les actionnaires de l’Ancienne Supervac devront s’engager à vendre leurs actions dès qu’elles seront libérées (lettre du 28 décembre 1998, dossier d’appel, volume 4 à la page 699). Quelques semaines plus tard, soit le 13 janvier 1999, la Nouvelle et l’Ancienne Supervac concluent un contrat de location d’actifs et option d’achat d’actions (ibidem à la page 700). Paul Lacasse assume dorénavant la gestion de l’inventaire et des travaux en cours de l’Ancienne Supervac qui redevient rentable sous sa gouverne.

 

[8]               Le 19 mai 1999, Eddy Bédard décède. L’Ancienne Supervac est bénéficiaire de polices   d’assurance-vie. Le capital-décès qui lui est versé est porté au crédit de son compte de dividendes en capital. Le produit de ces polices d’assurance servira, entre autres, à rembourser les créanciers de l’Ancienne Supervac après le décès de M. Bédard et à verser un dividende à la conjointe de ce dernier, Annette Légaré.

 

[9]               Le 7 octobre 1999, la Nouvelle Supervac acquiert les actifs de l’Ancienne Supervac. Enfin, le 17 novembre 1999, elle acquiert aussi la totalité des actions de l’Ancienne Supervac. Au même moment, l’Ancienne Supervac ratifie le transfert à Paul Lacasse de la seule action privilégiée de catégorie A cédée à Annette Légaré par la Succession Eddy Bédard le 26 octobre 1999 (dossier d’appel, volume 5 aux pages 859 et 992). Il faut savoir que selon les termes constitutifs de l’Ancienne Supervac, cette action privilégiée de catégorie A, originalement émise par la société à Eddy Bédard pour fins d’assurance, donnait droit à son détenteur de recevoir un dividende à même le compte de dividendes en capital de la société advenant qu’un produit d’assurance-vie soit versé à cette dernière (Statuts de constitution de l’Ancienne Supervac, dossier d’appel, volume 5 à la page 1006, clause 3.5).

 

[10]           En conformité de cette clause, Annette Légaré reçoit un dividende de 186 000 $ versé en deux temps : tout d’abord 150 000 $ payables le 30 octobre 1999 (voir la résolution du conseil d’administration de l’Ancienne Supervac du 29 octobre 1999, dossier d’appel, volume 5 à la page 887 et s.); puis 36 000 $ payables après l’acquisition des actions ordinaires de l’Ancienne Supervac par la Nouvelle Supervac (voir la résolution du conseil d’administration de l’Ancienne Supervac du 31 octobre 1999, dossier d’appel, volume 5 à la page 894 et s.). Je reviendrai sur le versement de ce dividende à Annette Légaré plus tard.

 

[11]           Le 1er janvier 2001, il y a fusion de l’Ancienne et de la Nouvelle Supervac afin que les pertes fiscales de celle-là puissent profiter à celle-ci. La déductibilité de ces pertes a tout d’abord été refusée par l’Agence du revenu du Canada (ARC), donnant lieu, le 1er novembre 2002, à la production d’un avis d’opposition de la part de la Nouvelle Supervac. Finalement, en décembre 2003, les motifs d’opposition de la Nouvelle Supervac ont été acceptés par l’ARC. Selon les appelantes, c’est dans le cadre d’une conversation téléphonique entre l’ARC et les comptables de la Nouvelle Supervac les informant de cette décision qu’aurait été soulevée, pour la première fois, l’existence d’un compte de dividendes en capital issu de l’Ancienne Supervac. Ce compte se chiffrait à près de 947 084 $.

 

[12]           En 2004, la Nouvelle Supervac exerce le choix de déclarer un dividende en capital en faveur de son actionnaire Groupe Honco, lequel, à son tour, déclare un dividende en faveur de son actionnaire Gestion Paul Lacasse Inc. Cette dernière société exerce alors le choix de payer un dividende en capital à Paul Lacasse (voir formulaire T2054 signé le 20 décembre 2004, dossier d’appel, volume 5 à la page 974).

 

 

[13]           En mars 2007, s’appuyant sur le paragraphe 83(2.1) précité, le ministre émet pour chacune des appelantes un avis de cotisation concluant que le dividende reçu n’en était pas un en capital puis ratifie ces avis antérieurs suite à l’examen des avis d’opposition déposés par elles (pour le Groupe Honco, voir dossier d’appel, volume 5 à la page 947 et s.; pour la Nouvelle Supervac, voir ibidem à la page 940 et s.; pour Gestion Paul Lacasse inc., voir ibidem à la page 979 et s.).

 

[14]           Ces faits relatés, je passe maintenant à l’examen des questions en litige.

 

Les normes de contrôle applicables en l’instance

 

[15]           Les conclusions de droit du Juge sont sujettes à la norme de la rectitude. Ses conclusions mixtes de droit et de fait ou de faits seront maintenues en l’absence d’une erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235) [Housen].

 

La série d’opérations et le paragraphe 83(2.1) de la Loi

 

[16]           Tel que mentionné précédemment, les appelantes nient qu’il y ait en l’instance une série d’opérations. Prenant appui sur Copthorne, leur procureur argue que trop de temps s’est écoulé entre les différentes opérations pour qu’on puisse conclure à une série. Au cas où ses clientes auraient tort, il ajoute que la série commence dès 1997 alors que Paul Lacasse et Eddy Bédard négocient la construction d’un bâtiment pour l’Ancienne Supervac (mémoire des faits et du droit des appelantes au paragraphe 14 et s.). Le Juge aurait donc eu tort de mettre l’emphase sur l’achat des actions de l’Ancienne Supervac par la Nouvelle Supervac.

 

[17]           Je ne suis pas convaincue que l’affaire Copthorne soit aussi utile aux appelantes qu’elles ne le laissent entendre. Tout d’abord, Copthorne s’intéressait à une cotisation fondée sur la règle générale anti-évitement retrouvée à l’article 245 de la Loi et non à la règle anti-évitement spécifiquement énoncée au paragraphe 83(2.1) sur lequel sont fondées les cotisations visant les appelantes. De plus, Copthorne enseigne que le temps écoulé entre la série d’opérations et l’opération liée peut parfois constituer un facteur pertinent, tout comme les évènements qui surviennent entre elles. Copthorne ne prescrit pas un délai de déchéance faisant en sorte que l’existence d’une série soit strictement dictée par une condition temporelle. C’est en fonction des faits qui lui sont propres que chaque affaire doit être examinée (Copthorne au paragraphe 47).

 

[18]           Sur la foi des faits mis en preuve, le Juge a conclu que

 

… l’acquisition des actions de l’Ancienne Supervac et la déclaration du dividende en capital … font partie de la même série d’opérations … étant donné que, au moment de la déclaration du dividende et au moment où s’est fait le choix d’en faire un dividende en capital, la Nouvelle Supervac prenait en considération ou aurait pris en considération l’existence de son compte de dividendes en capital, qui avait été acquis avec les actions de l’Ancienne Supervac (motifs du Juge au paragraphe 15).

 

 

[19]           Il s’agit là d’une conclusion de faits qu’étaye amplement la preuve. Au moment de l’acquisition des actions de l’Ancienne Supervac, le 17 novembre 1999, l’existence du compte de dividendes en capital de l’Ancienne Supervac était connue des appelantes et de Paul Lacasse. Référant à la trame factuelle précédemment exposée, il ne saurait en être autrement. Je référerai plus précisément à la preuve lors de mon analyse portant sur le fardeau de la preuve.

 

[20]           Quant à l’argument selon lequel le Juge aurait erré en ne reculant pas plus loin dans le temps et en mettant l’emphase sur le contrat d’achat des actions et la déclaration statutaire (le formulaire T2054), il est selon moi sans fondement. Tout d’abord, l’hypothèse de fait du ministre reproduite ci-haut l’invitait à le faire, puis la question du compte de dividendes en capital ne se soulevait qu’en raison de la signature de ce contrat d’achat d’actions, incluant l’unique action privilégiée de catégorie A émise par l’Ancienne Supervac au moment de sa constitution.

 

L’objet principal

 

[21]           Au paragraphe 19 de ses motifs, le Juge accepte l’affirmation des appelantes selon laquelle les objets principaux en cause étaient de :

 

a.       permettre au Groupe Honco de recouvrer ses coûts de construction de la structure de Supervac;

 

b.      permettre, par l’acquisition des actions de l’Ancienne Supervac, que l’entreprise de la Nouvelle Supervac soit exploitée comme partie intégrante du Groupe Honco sans la nécessité d’obtenir une nouvelle certification de l’ASME;

 

c.       permettre, par l’acquisition des actions de l’Ancienne Supervac, la fusion de la Nouvelle Supervac et l’Ancienne Supervac, pour créer la Nouvelle Supervac, donnant ainsi la possibilité de déduire les pertes fiscales de l’Ancienne Supervac des revenus de la Nouvelle Supervac.

 

[22]           Les appelantes nous invitent cependant à constater que les opérations en cause n’ont aucun lien avec le compte de dividendes en capital (mémoire des faits et du droit des appelantes au paragraphe 49). Elles posent les questions suivantes : À partir de « combien d’objets » dans une série de transactions, un « objet » perd-t-il son qualificatif de « principal »? S’il y a déjà trois objets principaux, peut-il y en avoir un quatrième? À mon avis, poser cette question ouvre la porte à un faux débat.

 

[23]           Le paragraphe 83(2) de la Loi, retrouvé à la sous-section h, intitulée Les sociétés résidant au Canada et leurs actionnaires, énonce les règles qui s’appliquent à un dividende en capital lorsque vient le moment de calculer le revenu des actionnaires d’une société. De manière générale, le compte de dividendes en capital est destiné à permettre à une société privée de distribuer à ses actionnaires les sommes exemptes d’impôt qu’elle encaisse, sans que celles-ci deviennent imposables entre les mains des actionnaires. Le paragraphe 83(2.1) impose une restriction à ce principe général « si l’actionnaire a acquis l’action … par une opération, ou dans le cadre d’une série d’opérations, dont un des principaux objets consistait à recevoir ce dividende ».

 

[24]           L’expression « l’un des principaux objets » est sans ambiguïté et laisse entendre qu’un contribuable puisse avoir plus d’un motif principal lorsqu’il acquiert des actions. Avec égards, il me semble que le procureur des appelantes ignore l’objet et l’esprit du paragraphe 83(2.1) de la Loi lorsqu’il tente de nous convaincre que le mot « principal » ne se prête pas à la possibilité qu’il y ait plus de deux ou trois motifs expliquant une opération ou une série d’opérations. Adoptant cette interprétation, tout contribuable n’aurait qu’à alléguer deux ou trois motifs principaux vraisemblables et crédibles sous-tendant une opération ou une série d’opérations pour se mettre à l’abri de la règle anti-évitement.  L’intention de recevoir un dividende en capital constituerait « le motif de trop » qui ne saurait donner ouverture à l’application du paragraphe 83(2.1) simplement parce qu’il céderait le pas aux autres motifs avancés par le contribuable. Je ne puis souscrire à cette interprétation. Le fait que le contribuable ait avancé des motifs pour lesquels il est intervenu à une opération ou série d’opérations n’empêche aucunement une conclusion selon laquelle l’un des motifs principaux, généralement non dénoncé par le contribuable, est l’obtention d’un avantage fiscal.

 

[25]           Pour avoir gain de cause en l’espèce, les appelantes avaient une tâche, celle de démontrer au Juge que l’acquisition du compte de dividendes en capital et la réception de dividendes libres d’impôt n’était pas l’un des objets principaux de l’achat des actions de l’Ancienne Supervac. Le Juge a conclu qu’elles ne s’étaient pas acquittées de leur fardeau, pas plus qu’elles n’avaient réussi à réfuter l’hypothèse de fait du ministre. Je suis d’accord avec lui pour les motifs que j’expose dans le cadre du dernier point de mon analyse.

 

Le fardeau de preuve

 

[26]           Il est bien connu qu’en matière fiscale, la norme de preuve est la prépondérance des possibilités. Tel que l’enseigne l’affaire Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336 aux paragraphes 92-96, le contribuable a la charge initiale de « démolir » les présomptions exactes sur lesquelles le ministre s’est fondé pour établir sa cotisation. Le contribuable s’acquitte de son fardeau en établissant au moins une preuve prima facie. Ce n’est que si cette condition est remplie que le fardeau passe au ministre qui doit alors réfuter la preuve du contribuable et établir le bien-fondé de ses présomptions selon la prépondérance des probabilités.

 

[27]           Une preuve considérée comme suffisante pour établir un fait jusqu’à preuve du contraire constitue une preuve prima facie. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une preuve concluante, « le fardeau de la preuve imposé au contribuable ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement » considérant « qu’il s’agit de l’entreprise du contribuable » (Voitures Orly Inc. c. Canada, 2005 CAF 425 au paragraphe 20; Amiante Spec. Inc. c. Canada, 2009 CAF 139 aux paragraphes 23 et 24). En l’espèce, les appelantes soutiennent qu’elles ont démontré « que les principaux objets de la transaction consistaient en autre chose que celui de recevoir un dividende » (mémoire des faits et du droit des appelantes au paragraphe 8). Elles font remarquer qu’elles étaient dans la situation plutôt inusitée d’avoir à prouver « l’inexistence d’une intention » (ibidem).

 

[28]           Les appelantes reprochent plus particulièrement au Juge d’avoir écrit que lorsqu’il « s’agit d’établir l’intention en particulier, l’existence d’une preuve corroborante contemporaine sous formes d’écrits ou de témoignages de tiers revêt une importance un peu plus grande » (motifs du Juge au paragraphe 29). Les appelantes voient dans ce passage une erreur du Juge en ce qu’il leur aurait imposé un fardeau trop lourd. Considérant les motifs du Juge dans leur ensemble, je conclus que ce motif de reproche est sans fondement.

 

[29]           Ultimement, la question de savoir si les appelantes s’étaient acquittées de leur fardeau, comme l’indique la CCI, se devait d’être tranchée suivant la prépondérance de l’ensemble de la preuve (ibidem au paragraphe 18) [non souligné dans l’original]. Après avoir entendu les témoins de part et d’autre, le Juge a résumé leur témoignage respectif, puis noté, entre autres, de nombreuses lacunes dans la preuve orale et documentaire des appelantes qui auraient pu être comblées si les personnes ayant connaissance des faits pertinents avaient été appelées à la barre ou certains documents déposés en preuve. Il était en droit de faire ce constat.

 

[30]           Tout d’abord, comme nous l’a rappelé la Cour suprême du Canada dans Housen au paragraphe 18 :

 

Le juge de première instance est celui qui est le mieux placé pour tirer des conclusions de fait, parce qu'il a l'occasion d'examiner la preuve en profondeur, d'entendre les témoignages de vive voix et de se familiariser avec l'affaire dans son ensemble. Étant donné que le rôle principal du juge de première instance est d'apprécier et de soupeser d'abondantes quantités d'éléments de preuve, son expertise dans ce domaine et sa connaissance intime du dossier doivent être respectées.

 

 

[31]           De plus, lorsqu’il s’agit d’établir l’objet ou l’intention, on ne doit pas supposer que les tribunaux se satisferont des déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l’objet subjectif d’une transaction donnée (Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695 au paragraphe 68).

 

[32]           Le Juge pouvait certes tirer une inférence négative de l’absence de témoins-clé ou de documents pertinents tels les états financiers modifiés de l’Ancienne Supervac (motifs du Juge au paragraphe 23; Diaz c. Canada, 2013 CAF 11 au paragraphe 3).

 

[33]           Enfin, il se dégage du jugement dans son ensemble que le Juge avait bien compris les questions en litige et qu’il s’est appliqué à y répondre à la lumière des faits mis en preuve et acceptés par lui et des règles de preuve et de droit applicables. Je n’y décèle aucune erreur justifiant notre intervention.

 

[34]           En définitive, le Juge n’a pas donné foi à la thèse des appelantes jugeant « … remarquable, surprenant, et peut-être commode [que monsieur Lacasse, un] homme d’affaires expérimenté, qui avait monté plusieurs entreprises et en avait acquis au moins une autre, qui était aidé par un cabinet d’avocats externe et un cabinet externe de comptables agréés, et qui :

 

a.       était au courant de la maladie en phase terminale de monsieur Bédard,

 

b.      était au courant du fait que l’Ancienne Supervac avait une police d’assurance sur la vie de monsieur Bédard,

 

c.       avait en main, à l’époque où les actions de l’Ancienne Supervac ont été acquises à la suite de la levée de l’option, des états financiers indiquant que le produit d’une assurance-vie avait été reçu et qu’un dividende en capital avait été versé aux anciens actionnaires de l’Ancienne Supervac au cours de cette même période, et

 

d.      projetait, de recueillir l’avantage que représentaient les comptes de perte fiscale de l’Ancienne Supervac,

 

ait pu ne pas constater la disponibilité du compte restant de dividendes en capital de l’Ancienne Supervac. » (motifs du juge, au paragraphe 28).

[Souligné dans l’original.]

 

 

[35]           La preuve au dossier permettait au Juge de tirer cette conclusion. Rappelons-nous que Paul Lacasse avait suggéré qu’il n’avait jamais entendu parler du compte de dividendes en capital avant décembre 2003 (voir l’étape 15 du tableau des événements importants déposé à l’audition de ces appels). Mieux encore, il ne savait pas ce qu’était un compte de dividendes en capital. Pourtant, la preuve documentaire démontrait clairement que le 16 novembre 1999, soit la veille de l’exécution de la convention de vente d’actions, l’Ancienne Supervac, déjà sous la gouverne de monsieur Lacasse, avait exercé son « choix concernant un dividende en capital en vertu du paragraphe 83(2) » relativement au dividende de 36 000 $ dû à madame Légaré (formulaire de Revenu Canada T-2054, dossier d’appel, volume 5 à la page 891). On inscrivait sur le formulaire que le solde du compte de dividendes en capital immédiatement avant le déboursé en faveur de madame Légaré se chiffrait à 797 084 $. Ce même chiffre se retrouvait aussi aux états non vérifiés des résultats et du déficit de l’Ancienne Supervac pour l’exercice terminé le 31 octobre 1999 sous la rubrique « Autres revenus et dépenses – Produits de police d’assurance-vie » (dossier d’appel, volume 5 à la page 871). Également, Paul Lacasse intervenait à la convention comme principal actionnaire de la Nouvelle Supervac afin de garantir solidairement, avec l’Ancienne Supervac, l’engagement de rembourser le dividende demeurant dû à Annette Légaré (convention d’achat d’actions, dossier d’appel, volume 5 à la page 850).

 

[36]           Enfin, je note que le Juge avait aussi conclu au paragraphe 9 de ses motifs que Paul Lacasse n’avait jamais relaté que monsieur Bédard et lui « n’avaient jamais évoqué l’existence de la police d’assurance-vie ou la possibilité que le produit éventuel de l’assurance-vie soit distribué sans impôt aux actionnaires …  ».

 

[37]           En conclusion, je ne décèle aucune erreur déterminante dans les conclusions de fait du Juge justifiant notre intervention.

 

[38]           Devant cette Cour, les appelantes ont aussi proposé une seconde question en litige visant la soi-disant erreur du Juge d’examiner l’exception prévue au paragraphe 83(2.3) de la Loi. Selon ce paragraphe, la règle anti-évitement du paragraphe 83(2.1) qui nous concerne ne s’applique pas au dividende versé par une société sur une action de son capital-actions « s’il est raisonnable de considérer que l’objet du versement du dividende consistait à distribuer un montant reçu par la société et inclus dans le calcul de son compte de dividendes en capital » au titre du produit d’une assurance-vie dont la société était bénéficiaire et qu’elle a reçu par suite du décès d’une personne. Après avoir attentivement relu la transcription de l’audition devant la CCI, je fais deux constats : (1) cette question fut annoncée comme argument subsidiaire en début de procès (dossier d’appel, volume 2, page 202 à la ligne 13 et s.); mais (2), lors de son argumentation orale, en chef et en réplique (dossier d’appel, volume 3 à la page 688 et s.), le procureur qui représentait alors les appelantes n’y est jamais revenu, même après que la procureure de l’intimée ait fait ressortir l’omission (dossier d’appel, volume 3 à la page 662) .

 

[39]           De même, le procureur des appelantes a, lors de sa plaidoirie devant la CCI, requis une conclusion subsidiaire toute autre, demandant au Juge « de faire appliquer [le paragraphe 83(2.1) uniquement pour la Nouvelle Supervac], afin d’éviter la cascade des avis de cotisation qui ont eu lieu par la suite » (ibidem à la page 596 et s.). Le Juge discute de cette demande au paragraphe 35 de ses motifs.

 

[40]           Devant de telles circonstances, non contestées par le nouvel avocat des appelantes, il m’est difficile d’avaliser le motif de reproche formulé par elles à l’endroit du Juge. De plus, les appelantes auraient pu demander au Juge par requête un nouvel examen des jugements disposant de leurs appels en vue qu’ils soient modifiés parce que la Cour avait omis de traiter d’une question dont elle aurait dû traiter (articles 168 et 172 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (DORS/90-688a)). Elles ne l’ont pas fait.

 

[41]           En dépit de tout cela, les appelantes soutiennent que notre Cour devrait répondre à la question. Encore une fois, je remarque que la question n’est soulevée que très timidement devant nous, et que seuls les paragraphes 30 et 31 du mémoire des faits et du droit des appelantes lui sont réservés sans aucun développement juridique de l’argument. Vu cela et la conclusion à laquelle j’en arrive, je propose de décliner l’invitation qui nous est faite de nous y attarder.

 

[42]           Par conséquent, je propose de rejeter les appels avec dépens payables conjointement et solidairement par les appelantes mais limités à un seul jeu de dépens devant cette Cour de même que devant la Cour canadienne de l’impôt. Le greffier de la Cour est requis de déposer une copie des présents motifs dans chacun des dossiers (A-415-12; A-414-12; A-413-12).

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d'accord.

           J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

           Johanne Gauthier, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-415-12

 

INTITULÉ :                                                                          Groupe Honco Inc. c.

                                                                                                Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 10 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE PELLETIER

                                                                                                LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 13 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Bourgeois

POUR L’APPELANTE

 

 

Nathalie Labbé

Simon Vincent

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DeGrandpré Chait s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

POUR L’APPELANTE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-414-12

 

INTITULÉ :                                                                          9069-4654 Inc. c.

                                                                                                Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 10 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE PELLETIER

                                                                                                LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 13 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Bourgeois

POUR L’APPELANTE

 

 

Nathalie Labbé

Simon Vincent

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DeGrandpré Chait s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

POUR L’APPELANTE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-413-12

 

INTITULÉ :                                                                          Gestion Paul Lacasse Inc. c.

                                                                                                Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 10 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE PELLETIER

                                                                                                LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 13 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Bourgeois

POUR L’APPELANTE

 

 

Nathalie Labbé

Simon Vincent

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DeGrandpré Chait s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

POUR L’APPELANTE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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