Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211102


Dossier : A-179-20

Référence : 2021 CAF 213

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

CANADA RNA BIOCHEMICAL INC.

appelante

et

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 20 octobre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20211102


Dossier : A-179-20

Référence : 2021 CAF 213

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

CANADA RNA BIOCHEMICAL INC.

appelante

et

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

I. Aperçu

[1] L’appelante interjette appel du jugement rendu par la Cour fédérale (2020 CF 668, sous la plume du juge McHaffie), qui a rejeté sa demande de contrôle judiciaire. L’appelante sollicitait l’annulation de la décision du ministre de la Santé (ministre), un intimé en l’espèce, qui a refusé de lui délivrer une licence de mise en marché (licence) en application du Règlement sur les produits de santé naturels, DORS/2003-196, (Règlement). Pour les motifs que j’expose ci-après, je rejetterais l’appel.

[2] Canada RNA Biochemical Inc. (C-RNA) a demandé que lui soit délivrée une licence visant des capsules de lumbrokinase administrées par voie orale, de marque Boluoke. Ce produit ne contient qu’un seul ingrédient médicinal, la lumbrokinase – une enzyme dérivée des lombrics. La lumbrokinase a des propriétés « fibrinolytiques », ce qui signifie qu’elle favorise la dégradation des caillots de sang ou qu’elle en empêche la formation. Dans sa demande de licence de mise en marché, C-RNA a insisté sur les propriétés fibrinolytiques du Boluoke et sur sa capacité à [traduction] « réduire la viscosité sanguine » et à « améliorer la circulation ».

[3] Il est inutile, pour les besoins du présent appel, de décrire l’évolution de la demande de C-RNA au fil du processus d’examen réglementaire. Elle est parfaitement détaillée dans les motifs de la Cour fédérale; il suffit de rappeler que le ministre a conclu, aux termes de l’examen de la demande de licence de l’appelante, que la preuve présentée ne permettait pas de conclure à l’usage sécuritaire de la lumbrokinase. La demande a été rejetée, car les éléments de preuve de C-RNA « ne suffis[ai]ent pas à appuyer l’usage sécuritaire de ce produit dans la sous‑population cible » (motifs de la Cour fédérale, au para. 62).

[4] C-RNA voulait que le ministre reconsidère la demande, ce recours étant prévu au Règlement. Après avoir examiné les observations présentées à l’appui de la demande de réexamen, Santé Canada a maintenu sa décision initiale de refuser de délivrer une licence et a avisé C-RNA de sa décision. Dans cet avis, le ministre insistait sur le fait qu’il est impossible de surveiller adéquatement le risque de saignement interne dans le cas de produits en vente libre.

[5] La Cour fédérale a conclu que le refus de délivrer la licence pour le Boluoke était une décision raisonnable (motifs de la Cour fédérale, au para. 4). Selon elle, la décision est conforme au texte, au contexte et à l’objet du Règlement et témoigne d’une démarche cohérente et raisonnée à l’égard de la preuve sur l’innocuité du produit. La Cour fédérale a également rejeté les prétentions de manquements à l’équité procédurale.

II. Norme de contrôle

[6] Lorsqu’une décision rendue à l’issue d’un contrôle judiciaire est portée en appel, la cour d’appel doit déterminer si la bonne norme de contrôle a été employée et appliquée correctement (Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, au para. 12; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au para. 46).

[7] Pourtant, il n’en découle pas que notre Cour doive faire fi des motifs invoqués par la Cour fédérale pour rejeter la demande (Banque de Montréal c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 189 [BMO]). Lorsque la Cour fédérale semble avoir répondu de manière exhaustive aux arguments invoqués lors du contrôle judiciaire, c’est à l’appelant qu’incombe le fardeau tactique de démontrer que le raisonnement de la Cour fédérale est vicié (BMO, au para. 4). En l’espèce, l’appelante ne s’est pas acquittée de ce fardeau; elle n’a relevé aucune erreur susceptible de révision, ni dans le refus de lui délivrer une licence, ni dans la procédure ayant mené à cette décision. De même, l’appelante n’a relevé aucune erreur dans le raisonnement de la Cour fédérale.

[8] Avant d’examiner les motifs de l’appel soulevés par l’appelante, je me penche sur un nouvel argument soulevé à l’audience et auquel l’intimé ne s’est pas opposé. L’appelante affirme que le ministre ne savait pas si le produit en question devait être considéré comme un médicament ou comme un produit de santé naturel. Cet argument ne peut être retenu, car il est fondé sur une conception erronée de la législation en la matière.

III. Régime législatif

[9] Le Règlement est pris en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F‑27 (la LAD). Ce cadre réglementaire a pour objet de permettre à la population canadienne de se procurer des produits de santé naturels sécuritaires, efficaces et de haute qualité, ainsi que de réglementer ces produits d’une manière proportionnelle au risque qu’ils présentent.

[10] Il existe une interdépendance entre le Règlement et le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870. La définition de « produit de santé naturel » dans le Règlement exclut explicitement les drogues mentionnées aux annexes C et D de la LAD, et le paragraphe 2(2) du Règlement dispose qu’une substance qui doit être vendue sur ordonnance ne peut être considérée comme un produit de santé naturel (motifs de la Cour fédérale, au para. 17). De même, une drogue qui figure sur la Liste des drogues sur ordonnance est présumée être exclue du champ d’application du Règlement (motifs de la Cour fédérale, au para. 18; Règlement sur les aliments et drogues, art. C.01.040.3).

[11] Outre ces distinctions légales, les évaluations et analyses menées au titre de chacun de ces régimes sont « différent[e]s tant sur le plan juridique que sur le plan opérationnel » (Canada (Santé) c. The Winning Combination Inc., 2017 CAF 101, au para. 8 [Winning Combination]).

[12] Un produit de santé naturel se définit comme une substance d’origine naturelle (ou son duplicat synthétique) mentionnée à l’annexe 1 du Règlement, qui est fabriquée, vendue ou présentée comme pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie ou d’un désordre (Règlement, art. 1). L’annexe 1 énumère notamment des produits d’origine animale ou dérivés d’animaux. Les produits de santé naturels sont des produits en vente libre destinés à être pris de façon autonome par les consommateurs, sans surveillance ou sous la surveillance limitée d’un praticien. Ils sont donc forcément vendus sans ordonnance, ainsi qu’il est mentionné; toute substance exigeant une ordonnance est assujettie au Règlement sur les aliments et drogues.

[13] Par conséquent, l’argument voulant que le ministre ne savait pas quel régime réglementaire devait s’appliquer à l’examen de la demande visant le Boluoke est sans fondement. La lumbrokinase est une enzyme dérivée d’un animal; cette substance relève donc clairement de l’annexe 1 du Règlement et du processus d’examen qui y est prévu à l’égard des produits de santé naturels.

IV. Fardeau

[14] Plusieurs des observations de l’appelante laissent entendre qu’il incombe au ministre de prouver qu’une substance n’est pas sécuritaire ou efficace. Il s’agit là d’une interprétation erronée du régime réglementaire. C’est au demandeur de licence qu’il incombe de démontrer à la satisfaction du ministre que son produit est à la fois sécuritaire et efficace.

[15] Aux termes du Règlement, c’est au demandeur de licence de convaincre le ministre que le produit qu’il propose est sécuritaire et efficace et qu’il le serait dans les circonstances ou les conditions dans lesquelles il serait utilisé; en l’occurrence en vente libre. Le ministre n’est pas tenu de délivrer une licence du seul fait que des éléments de preuve démontrent l’innocuité et l’efficacité d’un produit; la preuve doit démontrer, à la satisfaction du ministre, que le produit est sécuritaire et efficace. Rien n’oblige le ministre à trancher en faveur d’un demandeur, même en présence d’éléments de preuve contradictoires sur l’innocuité et l’efficacité. Or, il faut formuler une importante réserve : les motifs du refus doivent être rationnellement étayés par l’analyse scientifique, les critères réglementaires et les politiques pertinentes (comp. avec Winning Combination).

[16] L’application et les objets de ce régime, les étapes du processus décisionnel ainsi que le mécanisme de reconsidération prévus dans le Règlement ont été décrits en détail par notre Cour dans l’arrêt Winning Combination, et la Cour fédérale les expose dans ses motifs.

[17] L’article 5 du Règlement précise les renseignements que doit comporter la demande de licence de mise en marché. Une modification à la version anglaise de l’alinéa 5g) apportée après la demande de licence de mise en marché en l’espèce a remplacé le terme « supports » par le terme « demonstrates » en ce qui concerne l’innocuité et l’efficacité du produit.

[18] La modification visait à harmoniser la version anglaise à la version française (Règlement correctif visant certains règlements (ministère de la Santé), DORS/2018-69, Gazette du Canada, partie II, vol. 152, no 8, aux pp. 755-779). La version française était plus uniforme, et les termes « montrant » ou « démontrer » figuraient aux alinéas 5g), 11(2)c), 17(1)b) et 17(2)a). Avant 2018, l’alinéa 5g) était la seule de ces dispositions, dans la version anglaise, où figurait le terme « supports », plutôt que le terme « demonstrates » employé dans les trois autres dispositions. Cette modification a donc permis d’harmoniser les deux versions du Règlement.

[19] Ainsi qu’il est indiqué à l’alinéa 5g), il est question des renseignements montrant l’innocuité et l’efficacité du produit :

Demande

5 La demande de licence de mise en marché est présentée au ministre et comporte les renseignements et documents suivants :

[…]

g) les renseignements montrant l’innocuité et l’efficacité du produit lorsqu’il est utilisé selon les conditions d’utilisation recommandées.

Licence Application

5 An application for a product licence shall be submitted to the Minister and shall contain the following information and documents:

(g) information that demonstrates the safety and efficacy of the natural health product when it is used in accordance with the recommended conditions of use.

[20] L’article 7 du Règlement définit dans quelles circonstances le ministre délivre une licence de mise en marché :

Délivrance et modification

7 Le ministre délivre ou modifie la licence de mise en marché si les conditions suivantes sont réunies :

a) le demandeur présente au ministre une demande conforme à l’article 5 ou au paragraphe 11(2), selon le cas;

b) le demandeur fournit au ministre les renseignements complémentaires ou les échantillons demandés en vertu de l’article 15;

c) le demandeur ne fait pas de déclaration fausse ou trompeuse dans sa demande;

d) la délivrance ou la modification de la licence ne risque pas de causer un préjudice à la santé de l’acheteur ou du consommateur.

Issuance and Amendment

7 The Minister shall issue or amend a product licence if

(a) the applicant submits an application to the Minister that is in accordance with section 5 or subsection 11(2), as the case may be;

(b) the applicant submits to the Minister all additional information or samples requested under section 15;

(c) the applicant does not make a false or misleading statement in the application; and

(d) the issuance or amendment of the licence, as the case may be, is not likely to result in injury to the health of a purchaser or consumer.

[21] Pour qu’une licence soit délivrée, l’alinéa 7a) exige que la demande soit « conforme à l’article 5 ». Par conséquent, pour satisfaire à l’alinéa 7a), le demandeur doit également se conformer à l’article 5 – c’est-à-dire que le ministre doit être convaincu que le demandeur n’a pas simplement présenté des renseignements sur l’innocuité et l’efficacité, mais que les éléments de preuve montrent que le produit est sécuritaire et efficace lorsqu’il est employé selon les conditions d’utilisation recommandées.

[22] À mon avis, le mot « supports », dans la version anglaise, ne constitue pas une norme moins rigoureuse que celle exigée par le mot « demonstrates » aux fins de délivrance d’une licence de mise en marché. Bien que le mot puisse évoquer une norme différente, ni le contexte ni l’objet n’appuient la conclusion voulant que le gouverneur en conseil entendait autoriser la délivrance de licences à l’égard de produits naturels destinés à la consommation humaine en regard d’une norme d’innocuité moins rigoureuse. Pareille conclusion irait à l’encontre du contexte et de l’objet du régime de réglementation.

[23] Qui plus est, les lois doivent être interprétées de façon harmonieuse, en veillant à ce qu’en l’absence d’une intention contraire des termes semblables soient interprétés de la même manière dans des circonstances analogues (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au para. 10). La modification qui a par la suite été apportée afin d’harmoniser la terminologie avec celle des autres dispositions du Règlement sur les PSN confirme cette interprétation.

[24] L’interdépendance entre les alinéas 7a) et 7d) joue également pour la délivrance de nouvelles licences, car ces dispositions exigent non seulement que le produit soit efficace, mais aussi qu’il ne risque pas de causer de préjudice à la santé. Comme le souligne la Cour fédérale, les considérations en matière d’innocuité et d’efficacité sont réunies à l’alinéa 5g) dans le cadre de l’analyse risques-avantages, alors que l’alinéa 7d) confirme que, même si cette analyse penche en faveur de la délivrance, aucune licence n’est délivrée si le produit risque de causer un préjudice. En résumé, le demandeur doit montrer non seulement que son produit ne risque pas de causer de préjudice à la santé (alinéa 7d)), mais aussi qu’il est sans danger lorsqu’il est utilisé selon les conditions d’utilisation recommandées (alinéas 5g) et 7a)).

[25] Comme l’indique le régime réglementaire, la décision de délivrer une licence n’est prise que si le ministre est convaincu que le produit est sûr et efficace lorsqu’il est employé conformément aux conditions d’utilisation prévues. En l’espèce, le ministre n’était pas convaincu qu’il en était ainsi du produit de l’appelante. Cette décision était fondée sur un dossier de preuve bien étoffé, et l’appelante n’a recensé aucun aspect du processus d’examen réglementaire qui pourrait être considéré comme déraisonnable.

V. Équité procédurale

[26] L’appelante prétend que la Cour fédérale a commis une erreur en examinant les questions d’équité procédurale selon la norme de la décision raisonnable. Si c’était le cas, il s’agirait d’une erreur susceptible de révision. Or, il n’en est rien; la Cour fédérale a signalé que nombre des arguments invoqués par l’appelante avaient été caractérisés à tort comme des manquements à l’équité procédurale, alors qu’il s’agissait, en fait, d’observations contestant la décision au fond à évaluer selon la norme de la décision raisonnable (au para. 94). Le juge a compris la distinction à établir entre, d’une part, la norme de contrôle qui devait s’appliquer à la décision et, d’autre part, l’obligation pour la cour de déterminer si cette décision avait été rendue d’une manière respectant l’équité procédurale.

[27] Après avoir pris en compte les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 1999 CanLII 699 (CSC), la Cour fédérale a déterminé que le degré d’équité procédurale dont pouvait bénéficier l’appelante se situait à « l’extrémité médiane inférieure de la gamme », et elle s’est ensuite attachée à voir si l’équité procédurale avait été accordée à celle-ci. En l’espèce, la Cour fédérale a expressément suivi les directives énoncées par notre Cour dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, selon lesquelles « [l]a cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » et « [t]enter de caser la question de l’équité procédurale dans une analyse relative à la norme de contrôle applicable est [...] un exercice non rentable » (aux para. 54 et 55; Demitor c. Westcoast Energy Inc. (Spectra Energy Transmission), 2019 CAF 114, au para. 26).

[28] La Cour fédérale n’a pas appliqué la norme de la décision raisonnable pour déterminer si l’appelante avait bénéficié de l’équité procédurale.

VI. Défaut de solliciter des observations

[29] La Cour fédérale a entendu la demande avant que la Cour suprême du Canada rende sa décision dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 [Vavilov]. La Cour fédérale s’est donc fondée sur le cadre défini dans l’arrêt Dunsmuir pour déterminer la norme de contrôle applicable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir]). L’appelante affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en n’autorisant pas les parties à présenter des observations sur les effets de l’arrêt Vavilov sur la demande de contrôle judiciaire.

[30] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900 [Société canadienne des postes], le juge Rowe applique les critères définis dans l’arrêt Vavilov pour déterminer la norme de contrôle, même si les parties avaient présenté leurs observations selon le cadre établi dans l’arrêt Dunsmuir. Le juge Rowe conclut à l’absence d’injustice découlant de l’application du cadre défini dans l’arrêt Vavilov, si on obtient ainsi le même résultat que selon l’arrêt Dunsmuir (Société canadienne des postes, au para. 24).

[31] Tel est le cas en l’espèce. L’appelante n’a pas indiqué, et encore moins démontré, que l’application du cadre défini dans l’arrêt Vavilov donnerait ouverture à l’application d’une norme de contrôle différente de celle applicable selon l’arrêt Dunsmuir. Nous notons par ailleurs que, si l’appelante estimait que l’arrêt Vavilov était pertinent, elle aurait pu en informer la Cour par l’intermédiaire du greffe, ce qu’elle n’a pas fait.

VII. Les manquements précis à l’équité procédurale

[32] L’appelante mentionne que la décision de Santé Canada de consulter un hématologue de l’extérieur au sujet de la possibilité d’établir un plan de surveillance post-commercialisation pour la lumbrokinase constitue une violation de son droit à l’équité procédurale. L’hématologue a conclu qu’il était difficilement réalisable pour les praticiens de déterminer si une activité fibrinolytique excessive chez les utilisateurs contribuerait à un risque de saignement. L’argument voulant qu’il s’agisse d’un manquement à l’équité procédurale est dénué de fondement.

[33] Les conclusions de l’hématologue ont été communiquées à l’appelante dans un avis de demande de renseignements daté du 13 août 2014. Cet avis exposait les préoccupations de l’hématologue quant à l’innocuité et à l’efficacité du produit, aux facteurs faisant obstacle à la surveillance du produit par les praticiens, ainsi qu’à la nécessité de recueillir davantage d’éléments de preuve cliniques. L’avis invitait l’appelante à soumettre d’autres éléments de preuve issus d’essais cliniques pour étayer l’innocuité et l’efficacité de la lumbrokinase et demandait à C-RNA de présenter des observations sur ces points.

[34] C-RNA a répondu en octobre 2014. Elle a fait valoir que l’hypothèse de l’hématologue selon laquelle la lumbrokinase causait une hyperfibrinolyse était injuste et non fondée et que cette opinion allait à l’encontre d’autres avis d’experts. Elle a présenté quatre avis d’experts pour réfuter les conclusions de l’hématologue. Santé Canada a examiné les nouveaux éléments de preuve, mais les a finalement rejetés et en a expliqué les raisons dans son avis de refus de 2015 : la non-disponibilité du test au Canada ou l’absence de fourchettes de référence adéquates pour prédire les saignements et guider les décisions relatives à la posologie ou à l’abandon du produit (avis de refus, 23 juin 2015, dossier d’appel, aux pp. 1355 et 1356).

[35] J’examine maintenant le deuxième manquement à l’équité procédurale invoqué par l’appelante.

[36] À la suite du premier avis de refus signifié en 2013, Santé Canada et C-RNA ont discuté de la possibilité d’autoriser l’utilisation du Boluoke en tant que produit destiné à un « usage professionnel ». Santé Canada a présenté cette option comme une voie possible pour atténuer les craintes relatives à l’innocuité du produit (avis de demande de renseignements,13 août 2014, dossier d’appel, aux pp. 736-739).

[37] Cette option permettrait de mettre le produit en marché sur une base temporaire, sous la supervision de professionnels de la santé. L’objectif d’une telle option est d’assurer la protection de la santé des consommateurs, tout en offrant la possibilité de recueillir d’autres éléments de preuve sur l’innocuité du produit en vue d’appuyer sa transition vers un produit offert en vente libre. Si, au terme de la période d’usage professionnel, les éléments de preuve ne corroborent pas l’innocuité du produit sans la surveillance d’un professionnel de la santé, le produit est retiré du marché et doit être l’objet d’une licence délivrée en application du Règlement sur les aliments et drogues, à titre de produit sur ordonnance. Cette option ne figure ni dans le règlement ni dans les lignes directrices en matière de politique régissant l’octroi des licences; il s’agit d’une option qui est laissée à la discrétion des fonctionnaires de Santé Canada.

[38] Aucun élément de preuve n’indique que Santé Canada a induit l’appelante en erreur en recommandant, puis en rejetant, cette option. La Cour fédérale a conclu que Santé Canada avait véritablement examiné l’option de limiter la vente de la lumbrokinase aux cas suivis par des professionnels de la santé durant une période limitée, le temps de compiler d’autres données sur l’innocuité et de permettre à l’hématologue externe d’élaborer un plan post-commercialisation prévoyant une supervision par des praticiens pour gérer les risques. Rien n’indique que l’appelante a été induite en erreur, intentionnellement ou autrement, en étant amenée à déposer pour le Boluoke une nouvelle demande qui n’avait aucune chance raisonnable de succès (avis de demande de renseignements, 13 août 2014, dossier d’appel, aux pp. 736 et 737). L’argument voulant qu’il était légitime pour l’appelante de s’attendre à ce que cette option mène à la délivrance d’une licence à l’égard de son produit est sans fondement.

[39] Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel, avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish j.c.a. »

Traduction certifiée conforme


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-179-20

 

INTITULÉ :

CANADA RNA BIOCHEMICAL INC. c. CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ) et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ORGANISÉE PAR LE GREFFE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 octobre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 2 novembre 2021

COMPARUTIONS

Paul H. Starkman

Calvin Zhang

POUR L’APPELANTE

Karen Lovell

Rebecca Sewell

Pour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Starkman Barristers

Markham (Ontario)

POUR L’APPELANTE

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour les intimés

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.