Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221101


Dossier : A-267-20

Référence : 2022 CAF 185

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY INC. et BTG INTERNATIONAL LTD.

appelantes

et

APOTEX INC.

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 


Date : 20221101


Dossier : A-267-20

Référence : 2022 CAF 185

CORAM :

LE JUGE LOCKE

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY INC. et BTG INTERNATIONAL LTD.

appelantes

et

APOTEX INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LOCKE

[1] La Cour est saisie de l’appel interjeté de deux ordonnances rendues par la Cour fédérale (le juge Michael L. Phelan) peu de temps avant la tenue d’un procès intenté sous le régime de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement). Par la première ordonnance, datée du 16 octobre 2020 et publiée sous la référence 2020 CF 974, la Cour fédérale a accueilli la requête de l’intimée Apotex Inc. (Apotex) en prorogation de délai pour déposer un addenda au rapport de son expert, Robert Nam. Par la deuxième ordonnance, datée du 23 octobre 2020, sans référence, la Cour fédérale a autorisé la modification de la demande reconventionnelle d’Apotex. L’addenda et la demande modifiée soulèvent de nouvelles allégations d’Apotex selon lesquelles les revendications se rapportant au brevet en litige (brevet canadien no 2 661 422 (le brevet 422)) qui n’avaient pas été invoquées contre Apotex sont invalides pour cause d’évidence.

[2] Il convient de mentionner que l’addenda et la modification ont précédé le déroulement du procès et que la Cour fédérale a finalement conclu, dans une décision distincte (2021 CF 7), que l’ensemble des revendications se rapportant au brevet 422 étaient invalides pour cause d’évidence. Cette décision a été contestée dans une instance distincte (2022 CAF 184).

I. Question préliminaire

[3] Une question préliminaire porte sur l’article 6.11 du Règlement, aux termes duquel il faut déposer une requête en autorisation à notre Cour pour porter en appel une « ordonnance interlocutoire rendue lors d’une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) ou lors d’une demande reconventionnelle faite en vertu du paragraphe 6(3) ». Cette requête doit être déposée au plus tard dix jours après la date de l’ordonnance portée en appel. Il ne fait aucun doute que les ordonnances portées en appel en l’espèce sont interlocutoires et qu’il n’y a pas eu de requête en autorisation. De plus, les mémoires des faits et du droit présentés par les parties sont muets sur la question de la requête en autorisation. Il semble que les parties aient tout simplement négligé de traiter de cette question.

[4] Le 30 octobre 2020, peu après le dépôt de l’avis d’appel, j’ai accepté par voie de directive la délivrance d’un avis d’appel même s’il portait sur les deux ordonnances de la Cour fédérale. Il se peut que les parties aient cru que la Cour donnait ainsi son autorisation au titre de l’article 6.11. Ce n’était pas le cas. L’autorisation doit être accordée par la Cour, alors qu’une directive émane d’un juge siégeant seul. Le paragraphe 16(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, dispose que les « demandes d’autorisation d’appel à la Cour d’appel fédérale [...] sont entendu[e]s par au moins trois juges de cette cour, siégeant ensemble ».

[5] À défaut d’une demande d’autorisation en bonne et due forme présentée dans les délais, je refuserais d’accorder l’autorisation d’interjeter appel et de statuer sur l’appel. Cependant, après avoir entendu les parties et examiné les questions litigieuses, j’explique ma conclusion selon laquelle, même si l’appel avait été autorisé, je le rejetterais sur le fond.

II. Décisions de la Cour fédérale portées en appel

[6] Dans la première ordonnance qui a été portée en appel, la Cour fédérale souligne à bon droit le critère associé à la prorogation de délai, énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur Général) c. Hennelly 1999 CanLII 8190 (C.A.F.). Le principe de ce critère est d’assurer le règlement du différend qui oppose les parties. Les facteurs suivants doivent être pris en compte : (i) l’existence d’une intention constante de poursuivre la demande; (ii) le bien-fondé de la demande; (iii) l’absence ou l’existence de préjudice occasionné en raison du délai; (iv) l’absence ou l’existence d’une explication raisonnable justifiant le délai. Selon la Cour fédérale, la plupart des facteurs favorisaient le dépôt de l’addenda, et seul le facteur du bien-fondé nécessitait une analyse plus détaillée.

[7] Selon la Cour fédérale, l’évidence des revendications se rapportant au brevet 422 non invoquées contre Apotex ne ressortait pas de la demande reconventionnelle initiale. Cependant, la Cour fédérale a conclu que les actes de procédure d’Apotex démontraient une intention de traiter des revendications non invoquées. La Cour fédérale a également conclu que le fait de signifier l’addenda aux appelantes plusieurs mois auparavant avait mis ces dernières au courant de l’intention d’Apotex. La Cour fédérale a conclu qu’il était dans l’intérêt de la justice d’autoriser le dépôt de l’addenda afin de s’assurer qu’elle disposerait d’un dossier complet et adéquat pour trancher. Elle a également suggéré, sans l’ordonner, la modification de la demande reconventionnelle pour que soient précisées les questions en litige. En outre, la Cour fédérale a donné l’autorisation visée à l’alinéa 279a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, dans la mesure nécessaire, pour le dépôt d’un témoignage d’expert sur une question non définie dans l’acte de procédure.

[8] La Cour fédérale a de plus examiné l’argument des appelantes selon lequel l’alinéa 6(3)a) du Règlement interdit les demandes reconventionnelles alléguant l’invalidité de revendications non invoquées dans le cadre d’une action prévue au paragraphe 6(1) du Règlement. Elle a fait remarquer que cet argument s’apparente à une requête en radiation d’un acte de procédure et qu’il aurait fallu le soulever des mois auparavant. Elle a conclu qu’une requête en prorogation de délai ne convenait pas pour ce faire, et a accordé la prorogation de délai sans interdire aux appelantes de soulever de nouveau la question au procès.

[9] La deuxième ordonnance portée en appel a suivi le dépôt par l’intimée de l’ébauche de la demande modifiée à la Cour en vue d’obtenir des directives à cet égard. Après avoir reçu les observations des appelantes qui s’opposaient à la demande modifiée, la Cour fédérale a simplement autorisé cette dernière sans motiver sa décision.

III. Discussion

A. Première ordonnance : prorogation de délai

[10] Les appelantes opposent à la prorogation de délai un seul motif, à savoir le bien-fondé de l’addenda. Premièrement, les appelantes affirment que la demande reconventionnelle initiale n’alléguait pas l’évidence des revendications non invoquées. Il ne convient donc pas d’examiner l’addenda par suite de la modification de la demande, car il s’agit d’une cible mouvante. Les appelantes soulignent qu’Apotex, dans sa défense et sa demande reconventionnelle initiale, alléguait l’invalidité du brevet 422 dans son ensemble pour cause de divulgation insuffisante et de non-brevetabilité. Or, en soulevant l’invalidité pour d’autres motifs, y compris l’évidence, elle a mentionné des revendications invoquées. Deuxièmement, selon les appelantes, l’alinéa 6(3)a) du Règlement ne permet pas les demandes reconventionnelles alléguant l’invalidité de revendications non invoquées dans le cadre d’une action prévue au paragraphe 6(1) du Règlement.

[11] À mon avis, aucun de ces arguments ne justifie l’annulation de la première ordonnance. Je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans l’examen par la Cour fédérale de la requête en prorogation de délai pour le dépôt d’un témoignage d’expert, et ce même si l’addenda n’était pas bien étayé par la demande reconventionnelle avant qu’elle soit modifiée. La Cour fédérale a appliqué le bon critère juridique (celui de l’arrêt Hennelly) et a vérifié que les questions à trancher au procès étaient bien énoncées. Je ne suis pas convaincu que l’addenda ne soit pas bien fondé. De plus, toute lacune, s’il en est, dans l’argument voulant que la Cour fédérale puisse déterminer la validité des revendications non invoquées dans le cadre d’une action intentée en application du paragraphe 6(1) n’est qu’une considération et ne justifie pas à elle seule le refus de la prorogation.

[12] En ce qui concerne l’alinéa 6(3)a) du Règlement, il est analysé dans les appels interjetés de la décision rendue par la Cour fédérale à la suite du procès. En l’espèce, il suffit de dire que l’analyse de l’alinéa 6(3)a) n’étaye pas forcément l’interprétation des appelantes. À mon avis, le libellé de l’alinéa 6(3)a) se prête à plus d’une interprétation, et les parties n’ont invoqué aucune jurisprudence sur l’interprétation de cette disposition. De plus, la Cour fédérale n’avait pas à se prononcer sur l’interprétation de l’alinéa 6(3)a) dans le cadre d’une requête en prorogation de délai. Vu l’absence de jurisprudence pertinente, il était loisible à la Cour fédérale d’accorder la prorogation de délai pour le dépôt de l’addenda et d’autoriser les parties à plaider la question au procès. Je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans cette décision.

B. Deuxième ordonnance : modification de la demande reconventionnelle

[13] À mon avis, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en autorisant la modification de la demande reconventionnelle. Même si la Cour fédérale n’a pas motivé sa deuxième ordonnance, il est évident à la lecture de la première que la Cour était en faveur de la modification pour que la Cour soit saisie en bonne et due forme des questions soulevées dans l’addenda.

[14] Comme il est mentionné dans l’analyse concernant la première ordonnance, les appelantes affirment que la modification n’était pas autorisée au motif que l’alinéa 6(3)a) du Règlement n’autorise pas les demandes reconventionnelles soulevant l’invalidité de revendications non invoquées dans le cadre d’une action intentée en application de l’article 6. Comme je le dis plus haut, l’alinéa 6(3)a) se prête à différentes interprétations. Les appelantes reconnaissent que la modification d’un acte de procédure qui n’est pas voué à l’échec est généralement autorisée pour permettre au tribunal de statuer sur les véritables questions en litige, à condition qu’il n’en résulte aucune injustice. Or, je n’en vois pas. Je ne partage pas l’avis des appelantes, selon qui il est évident et manifeste que la demande modifiée n’énonce aucune cause d’action valable. La Cour fédérale était en droit d’autoriser la modification.

[15] Les appelantes affirment également que la Cour fédérale a commis une erreur en examinant la requête d’Apotex en modification de la demande reconventionnelle en l’absence d’une requête officielle, comme le prescrivait la Cour fédérale dans son avis à la communauté juridique et aux parties au sujet des demandes informelles en redressement interlocutoire, daté du 27 août 2017; cet argument avait déjà été plaidé devant la Cour fédérale. Cependant, rien n’indique que l’avis était censé supplanter le pouvoir discrétionnaire conféré au juge pour la gestion d’une instance. Aucun manquement à l’équité ne découle du fait que la procédure entière, à savoir le dépôt de la modification proposée par Apotex, les observations sollicitées des appelantes sur ce point et le prononcé de l’ordonnance, a eu lieu en un seul jour. La question était simple et avait déjà été anticipée dans l’ordonnance qui a autorisé l’addenda.

IV. Conclusion

[16] Je rejetterais le présent appel avec dépens.

« George R. Locke »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

K. A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-267-20

 

INTITULÉ :

JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY INC. et BTG INTERNATIONAL LTD. c. APOTEX INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 septembre 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Peter Wilcox

Stephanie Anderson

 

Pour les appelantes

 

Andrew Brodkin

Jenene Roberts

Kirby Cohen

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belmore Neidrauer LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.