Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20221205


Dossier : A-215-20

Référence : 2022 CAF 210

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

LE JUGE LOCKE

 

ENTRE :

MÉDICAMENTS NOVATEURS CANADA, CORPORATION ABBVIE, AMGEN CANADA INC., ASTELLAS PHARMA CANADA, INC., ASTRAZENECA CANADA INC., BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO., ELI LILLY CANADA INC., HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE, IPSEN BIOPHARMACEUTICALS CANADA, INC., LEO PHARMA CANADA INC., LUNDBECK CANADA INC., NOVARTIS PHARMA CANADA INC., NOVO NORDISK CANADA INC., OTSUKA CANADA PHARMACEUTICAL INC., PFIZER CANADA ULC, SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et TAKEDA CANADA INC.

appelantes

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

et

L’ORGANISATION CANADIENNE DES MALADIES RARES

intervenante

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, les 28 février et 1er mars 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

MOTIFS CONCORDANTS :

LA JUGE WOODS


Date : 20221205


Dossier : A-215-20

Référence : 2022 CAF 210

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

MÉDICAMENTS NOVATEURS CANADA, CORPORATION ABBVIE, AMGEN CANADA INC., ASTELLAS PHARMA CANADA, INC., ASTRAZENECA CANADA INC., BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO., ELI LILLY CANADA INC., HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE, IPSEN BIOPHARMACEUTICALS CANADA, INC., LEO PHARMA CANADA INC., LUNDBECK CANADA INC., NOVARTIS PHARMA CANADA INC., NOVO NORDISK CANADA INC., OTSUKA CANADA PHARMACEUTICAL INC., PFIZER CANADA ULC, SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et TAKEDA CANADA INC.

appelantes

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

et

L’ORGANISATION CANADIENNE DES MALADIES RARES

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

A. Introduction

[1] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, les appelantes ont contesté certaines parties d’un règlement (DORS/2019-298) qui modifie le Règlement sur les médicaments brevetés, DORS/94-688 (dans sa version modifiée). Dans leur contestation, les appelantes ont affirmé que certaines parties du règlement étaient invalides parce qu’elles dépassaient la portée du pouvoir de réglementation prévu dans la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4.

[2] Les modifications apportées au règlement ont, entre autres, une incidence sur la façon dont le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés détermine si le prix d’un médicament breveté est excessif aux termes de l’article 85 de la Loi sur les brevets. Les modifications du règlement :

  • 1)prévoient de nouveaux facteurs à prendre en compte par le Conseil;

  • 2)précisent une nouvelle façon pour le Conseil de calculer le prix des médicaments (les remises et les réductions sont pertinentes); et

  • 3)modifient la liste des pays de comparaison pour lesquels des renseignements sur les prix doivent être déposés.

[3] Lorsque cette affaire a été portée devant notre Cour, ces trois éléments étaient en litige. Toutefois, quelques mois après l’audience devant notre Cour, le gouverneur en conseil a abrogé les points 1) et 2) : DORS/2022-162. Le point 3) n’a pas été abrogé. Il demeure en vigueur.

[4] Devant cette Cour, les parties conviennent que la contestation des points 1) et 2) est maintenant sans objet et ne devrait pas être entendue. Ils conviennent également que notre Cour devrait se prononcer sur la contestation du point 3), plus précisément la contestation de l’article 6 du règlement DORS/2019-298 qui édicte le point 3).

[5] La Cour est d’accord avec les parties. Leur thèse est conforme aux principes énoncés dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, [1989] A.C.S. no 14 (QL).

[6] La Cour fédérale a conclu que la décision du gouverneur en conseil d’adopter l’article 6 du règlement DORS/2019-298 – qui modifie la liste des pays de comparaison – était raisonnable et que, par conséquent, l’article était valide : 2020 CF 725 (le juge Manson).

[7] Pour les motifs suivants, je souscris aux arguments de la Cour fédérale. Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

B. Analyse

1) La thèse générale des appelantes

[8] Les appelantes soutiennent que la modification apportée à la liste des pays de comparaison dans le règlement va à l’encontre des objectifs appropriés de l’article 85 de la Loi sur les brevets et des objectifs appropriés sous-jacents à la Loi sur les brevets elle-même, tels qu’ils sont définis par les limites du pouvoir fédéral sur les brevets au paragraphe 91(22) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[9] Ainsi, les appelantes soutiennent que la décision du gouverneur en conseil d’adopter l’article 6 du règlement DORS/2019-298 est déraisonnable. En conséquence, les appelantes nous demandent de radier l’article 6. Si nous faisons cela, la liste des pays de comparaison qui existait auparavant serait rétablie.

2) Article 85 de la Loi sur les brevets

[10] Pour évaluer l’argument des appelantes, nous devons d’abord examiner l’article 85 de la Loi sur les brevets. Le pouvoir fondamental du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés est de déterminer, selon les termes de l’article 85, « si le prix d’un médicament vendu sur un marché canadien est excessif ».

[11] Le paragraphe 85(1) énonce cinq facteurs que le Conseil doit examiner. Ces facteurs figurent dans cinq alinéas du paragraphe 85(1) :

a) « le prix de vente du médicament sur un tel marché »;

b) « le prix de vente de médicaments de la même catégorie thérapeutique sur un tel marché »;

c) « le prix de vente du médicament et d’autres médicaments de la même catégorie thérapeutique à l’étranger »;

d) « les variations de l’indice des prix à la consommation »;

e) « tous les autres facteurs précisés par les règlements d’application du présent paragraphe ».

Si et seulement si, après avoir examiné ces critères, le Conseil se trouve dans l’incapacité de décider si un prix est excessif ou non, il peut également examiner « les coûts de réalisation et de mise en marché [et] tous les autres facteurs […] qu’il estime pertinents » au para. 85(2).

3) Quels sont les pays étrangers visés par l’alinéa 85(1)c)?

[12] Depuis l’entrée en vigueur du Règlement sur les médicaments brevetés en 1994, les brevetés doivent fournir des renseignements sur « le prix départ usine accessible au public de chaque forme posologique, de chaque concentration et de chaque format d’emballage dans lesquels le médicament a été vendu à chaque catégorie de clients dans chacun de ces pays », conformément à ce qui est indiqué dans une annexe du Règlement. Les prix pratiqués dans ces pays de comparaison sont ceux que le Conseil examine en vertu de l’alinéa 85(1)c).

[13] De 1994 jusqu’à la modification en litige en l’espèce, les pays de comparaison étaient l’Allemagne, la France, l’Italie, la Suède, la Suisse, le Royaume-Uni et les États-Unis.

[14] La modification en litige en l’espèce modifie la liste des pays de comparaison : Australie, Belgique, France, Allemagne, Italie, Japon, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suède et Royaume-Uni. Comme on peut aisément le constater, cette liste s’est allongée et les États-Unis et la Suisse ont été retirés de la liste.

4) Le pouvoir de réglementation prévu au paragraphe 101(1) de la Loi sur les brevets

[15] Le paragraphe 101(1) de la Loi sur les brevets donne au gouverneur en conseil le pouvoir de promulguer et de modifier des règlements. L’alinéa 101(1)a) permet au gouverneur en conseil de préciser « les renseignements [...] à fournir au Conseil » pour que celui-ci puisse s’acquitter de son mandat. Pour faire bonne mesure, l’alinéa 101(1)d) permet au gouverneur en conseil de définir des facteurs d’application de l’article 85.

[16] Toutes les parties reconnaissent que le paragraphe 101(1), lu littéralement, appuie l’adoption d’un règlement exigeant que les brevetés soumettent des renseignements sur leurs prix pertinents dans certains pays afin que le Conseil puisse tenir compte du facteur mentionné à l’alinéa 85(1)c), à savoir « le prix de vente du médicament et d’autres médicaments de la même catégorie thérapeutique à l’étranger ». De fait, les pays énumérés dans le règlement deviennent des pays de comparaison à prendre en compte en vertu de l’alinéa 85(1)c).

[17] Mais les appelantes affirment qu’en l’espèce, compte tenu de l’ensemble du contexte, le gouverneur en conseil a agi de manière déraisonnable. Il a choisi certains pays afin de faire avancer un programme ou de remplir un objectif de manière contraire à l’article 85 et à la Loi sur les brevets. Selon les appelantes, le gouverneur en conseil a agi au-delà du pouvoir de réglementation prévu au paragraphe 101(1) de la Loi sur les brevets, tel que façonné par les limites du pouvoir fédéral sur les brevets prévus au paragraphe 91(22) de la Loi constitutionnelle de 1867. Plus précisément, elles affirment que le gouverneur en conseil poursuit indûment l’objectif de réglementer ou de contrôler les prix ou de fixer des prix raisonnables – ce qui n’est pas autorisé par l’article 85 de la Loi sur les brevets, ce que seules les provinces peuvent faire – plutôt que de contrôler les prix excessifs découlant de l’abus des pouvoirs de monopole accordés par les brevets.

5) Jurisprudence concernant l’objet de l’article 85 et le pouvoir de surveillance du Conseil en matière de prix excessifs

[18] La question de la portée appropriée de l’article 85 a été un domaine fertile en litiges. Il existe une multitude de décisions. Heureusement, il nous suffit de prendre les plus importantes d’entre elles et de les appliquer à l’espèce.

[19] Très récemment, notre Cour a analysé ces décisions et a conclu ce qui suit :

Selon plusieurs sources faisant autorité, les dispositions de la Loi sur les brevets, relatives aux prix excessifs ont pour objet de contrôler les abus de droits de brevets, et non de contrôler le caractère raisonnable des prix, de réglementer les prix ou de protéger les consommateurs de manière générale : Médicaments novateurs Canada c. Canada (Procureur général), 2020 CF 725, 174 C.P.R. (4th) 333 [décision Médicaments novateurs Canada], par. 76 à 89; Canada (Procureur général) c. Sandoz Canada Inc., 2015 CAF 249, 390 D.L.R. (4th) 691, par. 26; ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (1996), T-2541-95, le 15 février 1996, 108 F.T.R. 190, 66 C.P.R. (3d) 45 [décision ICN Pharmaceuticals, Inc.], conf. par l’arrêt [1997] 1 CF 32, 119 F.T.R 70, (C.A.); Manitoba Society of Seniors Inc. v. Canada (Attorney-General) (1991), 70 Man. R. (2nd) 141, 77 D.L.R. (4th) 485 (MBQB) [arrêt Manitoba Society of Seniors Inc.], par. 19 à 21. Dans un arrêt, la Cour suprême évoque occasionnellement et de manière souple le fait que ces dispositions peuvent avoir pour objet de protéger les consommateurs et elle invoque certains discours de politiciens à cet effet : Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3 [arrêt Celgene]. Elle limite toutefois cet objet aux besoins précis de la lutte contre les abus de brevet : par. 28 et 29, citant la décision ICN Pharmaceuticals, Inc. Si les dispositions de la Loi sur les brevets fédérale relatives aux prix excessifs avaient pour objet l’établissement de prix raisonnables, la réglementation des prix et la protection des consommateurs en général, leur constitutionnalité serait mise en doute : voir, par exemple, les décisions Médicaments novateurs Canada et Merck Canada Inc. c. Procureur général du Canada, 2020 QCCS 4541.

(Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 157, 185 C.P.R. (4th) 83 au para. 49; voir aussi l’arrêt Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3). En résumé, la réglementation pure des prix ou la fixation des prix n’est pas valable; le contrôle des prix excessifs l’est en revanche.

6) L’objet de l’article 6 du règlement D.O.R.S./2019-298 : la modification de la liste des pays de comparaison

[20] Le Procureur général soutient que la liste des pays de comparaison a été modifiée afin de moderniser les outils que le Conseil utilise pour repérer les prix excessifs. Le procureur général note que la liste des pays de comparaison n’a pas été modifiée depuis 1994. Mais, selon le procureur général, les circonstances ont changé au cours du quart de siècle qui s’est écoulé depuis.

[21] Le procureur général soutient que la nécessité du changement a été reconnue pour la première fois dans un plan stratégique en 1994. Et des documents ultérieurs montrent que tant le Conseil que Santé Canada ont reconnu que les outils permettant de repérer les prix excessifs ne sont plus adaptés à la tâche.

[22] Au centre des observations du procureur général se trouve le résumé de l’étude d’impact de la réglementation présenté à l’appui de la modification : Gazette du Canada, partie II, vol. 153, no 17 aux pp. 5946 à 5996. Le résumé de l’étude d’impact de la réglementation indique que le gouverneur en conseil a modifié la liste parce que, au cours du dernier quart de siècle, les critères originaux utilisés pour sélectionner les pays de comparaison étaient devenus incomplets et erronés. Le gouverneur en conseil a choisi les onze pays de la liste révisée parce qu’ils étaient comparables au Canada à trois égards importants : ils disposent de mesures stratégiques qui limitent l’établissement libre des prix sur le marché libre, leur situation économique et les caractéristiques de leur marché : résumé de l’étude d’impact de la réglementation aux pp. 5953 et 5954; voir aussi les motifs de la Cour fédérale aux para. 155 et 156. De façon plus générale, comme l’a constaté la Cour fédérale (au paragraphe 103), les modifications « mettent à jour l’ensemble d’outils de réglementation et des pouvoirs d’établir des rapports sur des renseignements afin de protéger de manière efficace les consommateurs canadiens contre des médicaments brevetés à un prix excessif ».

[23] Plus précisément, le gouverneur en conseil a retiré les États-Unis et la Suisse de la liste des pays de comparaison parce que, contrairement au Canada, ils ne disposent pas de mesures stratégiques qui limitent l’établissement libre du prix des médicaments brevetés vendus sur le marché libre. De l’avis du gouverneur en conseil, il s’agissait de comparateurs inaptes.

[24] Au vu de tous les éléments de preuve dont elle disposait, la Cour fédérale a conclu que l’adoption d’une liste de onze pays de comparaison ne constitue pas en soi une forme inappropriée de contrôle et de réglementation des prix. Tout ce qui se passe dans le cadre de ce changement est la collecte de renseignements sur les prix de sept à onze pays répertoriés, rien de plus. Le dépôt de renseignements comparatifs pour faciliter la tâche du Conseil dans la détermination du caractère excessif est, en soi, bénin. Si le Conseil utilise par la suite ces renseignements comparatifs pour fixer ou contrôler les prix – plutôt que pour contrôler les prix excessifs – une partie qui s’estime lésée peut établir, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, que le Conseil a outrepassé sa compétence. En bref, la faute n’est pas dans la collecte des renseignements; si une faute est commise, ce sera plus tard, lorsque les renseignements seront mal utilisés.

[25] Je partage l’avis de la Cour fédérale. Ce que le Conseil fait des renseignements comparatifs provenant des onze pays – qu’il les utilise à mauvais escient pour réglementer les prix ou à bon escient pour contrôler les prix excessifs – viendra plus tard. L’obligation de fournir des renseignements sur les prix ne dit rien, en soi, de ce que fera le Conseil. Ainsi que le Conseil l’a déjà indiqué dans l’une de ses décisions, [traduction] « même si une comparaison a été effectuée, il n’est pas obligatoire d’en adopter les conclusions » et on peut en dire autant de l’exigence de soumettre des renseignements sur les prix comme condition préalable à la comparaison : Leo Pharma Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 306, [2007] A.C.F. no 425 (QL) au para. 18, citant le Conseil dans cette décision.

7) Comment évaluer le règlement en litige en l’espèce?

[26] La décision de notre Cour intitulée Portnov c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 171 nous oblige à suivre la méthodologie indiquée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, lorsque nous évaluons une contestation de la validité d’un règlement, et non celle de l’arrêt Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810. Les appelantes ajoutent que l’arrêt Portnov, une décision unanime de notre Cour, lie les futures formations de la Cour. Lors de la plaidoirie, le procureur général n’était pas en désaccord.

[27] Je partage l’avis des appelantes et, par conséquent, j’évaluerai le règlement en suivant la méthodologie indiquée dans l’arrêt Vavilov. En vertu de notre droit concernant le stare decisis horizontal, nous sommes tenus de suivre l’arrêt Portnov à moins que nous soyons persuadés qu’il est manifestement erroné ou que ce précédent peut être écarté : Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, [2002] A.C.F. no 1375 (QL); R. c. Sullivan, 2022 CSC 19, [2002] A.C.S. no 19 (QL). Le procureur général ne soutient pas que l’arrêt Portnov est manifestement erroné et n’essaie pas d’écarter ce précédent.

[28] Je note que d’autres tribunaux ont déjà appliqué l’arrêt Portnov, implicitement ou explicitement, et l’ont approuvé : Le v. British Columbia (Attorney General), 2022 BCSC 1146; Pacific Wild Alliance v. British Columbia (Forests, Lands, Natural Resource Operations and Rural Development), 2022 BCSC 904 aux para. 68 à 75. De même, de nombreux commentaires doctrinaux indiquent que l’arrêt Vavilov l’emporte sur l’arrêt Katz et que l’arrêt Portnov est un précédent applicable : voir, par exemple, John Mark Keyes, « Judicial Review of Delegated Legislation—The Road Beyond Vavilov » (2022) 35 C.J.A.L.P. 69; Mark Mancini et Martin Olszynski, « Reviewing Regulations Post-Vavilov: Ecology Action Centre v Canada (Part II) » dans ABlawg (blogue) (en ligne : http://ablawg.ca/wp-content/uploads/2021/12/Blog_MM_MO_Ecology_Action_Centre_2.pdf); Paul Daly, « Regulations and Reasonableness Review » dans Administrative Law Matters (en ligne : https://www.administrativelawmatters.com/blog/2021/01/29/regulations-and-reasonableness-review/).

[29] Récemment, la Cour d’appel de l’Alberta a refusé de suivre l’arrêt Portnov : Auer v. Auer, 2022 ABCA 375; TransAlta Generation Partnership v. Alberta (Minister of Municipal Affairs), 2022 ABCA 381. La Cour d’appel de l’Alberta indique que c’est l’arrêt Katz, et non l’arrêt Vavilov, qui fait jurisprudence lorsqu’il s’agit de règlements adoptés par le gouverneur en conseil.

[30] Cela a son importance. Selon l’arrêt Vavilov, comme l’indique l’arrêt Portnov, nous procédons à un examen du caractère raisonnable de la décision de promulguer le règlement visant à modifier les pays de comparaison. Bien que le contestataire ait la charge de prouver que la décision est déraisonnable selon l’arrêt Vavilov, il n’a pas à renverser la présomption que la décision est raisonnable. Selon l’arrêt Katz, le contestataire doit renverser la présomption que le règlement est valide : arrêt Katz au para. 25. Cette présomption ne peut être renversée que si le règlement repose sur des considérations « sans importance », qu’il est « non pertinent » ou « complètement étranger » à l’« objet de la loi » : arrêt Katz aux para. 24 et 28. L’examen du caractère raisonnable n’entre pas du tout en ligne de compte. Il s’agit d’un critère lié à l’[traduction] « hyperretenue», unique dans tout le droit administratif : Daly, « Regulations and Reasonableness Review », précité.

[31] Dans l’espoir que la Cour suprême se penche un jour sur la question de savoir si c’est l’arrêt Vavilov ou l’arrêt Katz qui doit s’appliquer aux règlements, je souhaite formuler quelques remarques, en plus de celles déjà faites dans l’arrêt Portnov, pour soutenir davantage cette dernière décision.

[32] L’arrêt Vavilov nous enseigne (au paragraphe 143) que nous devons nous y référer d’abord pour la méthodologie à suivre. Il nous apprend aussi que les décisions antérieures, comme l’arrêt Katz, ne restent valables que si elles sont conformes à celui-là : voir aussi l’arrêt Portnov au para. 26. L’arrêt Katz n’est pas conforme à l’arrêt Vavilov, comme l’enseigne l’arrêt Portnov. Cela semble indiquer que, comme l’affirme l’arrêt Portnov, nous devons suivre la méthodologie énoncée dans l’arrêt Vavilov, et non celle de l’arrêt Katz.

[33] De plus, la Cour suprême a récemment confirmé l’arrêt Vavilov d’une manière qui va dans le sens de l’arrêt Portnov : Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29, [2022] A.C.S. no 29 (QL). Avant l’arrêt Abrametz, certains estimaient que la méthodologie énoncée dans l’arrêt Vavilov ne s’appliquait qu’aux décisions de fond des administrateurs, et non à leurs décisions procédurales. Toutefois, dans l’arrêt Abrametz, la Cour suprême a appliqué la méthodologie indiquée dans l’arrêt Vavilov à la décision procédurale d’un administrateur : voir les para. 26 à 30. Il est évident que l’arrêt Vavilov s’applique à toutes les décisions administratives, indépendamment des différences formelles dans leur contenu. En fait, cette tendance a cours depuis longtemps. Toutes sortes de décisions administratives, y compris celles qui créent des instruments qu’on appelle « textes législatifs », ont été examinées en vertu de l’arrêt Vavilov ou de son prédécesseur, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et non en vertu de l’arrêt Katz : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135 (décrets adoptés par le gouverneur en conseil); Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, Service de calèches et traîneaux Lucky Luc c. Ville de Montréal, 2022 QCCA 1610 aux para. 56 à 59, Colchester County (Municipality) c. Colchester Containers Limited, 2021 NSCA 53 aux para. 32 à 37, 1193652 B.C. Ltd. c. New Westminster (City), 2021 BCCA 176 aux para. 56 à 59 et 1120732 B.C. Ltd. c. Whistler (Resort Municipality), 2020 BCCA 101, 445 D.L.R. (4th) 448 aux para. 39 et 44 à 46 (règlements municipaux); West Fraser Mills Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, [2018] 1 R.C.S. 635 (règlements pris par un administrateur); Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, [2017] 1 R.C.S. 360 (règles prises par un administrateur). Tout comme la méthodologie indiquée dans l’arrêt Vavilov s’applique à toute une série de décisions administratives, elle s’applique aux décisions administratives qui consistent à prendre des règlements.

[34] L’arrêt Portnov nous rappelle (au paragraphe 23) que, dans son essence réelle et sa véritable nature, un règlement est tout comme un règlement municipal, un décret, une règle administrative ou une décision administrative sur le fond. Chacun de ces instruments crée des impératifs qui, en fonction de ce qui est réglementé, touchent de très nombreuses personnes ou seulement quelques-unes d’entre elles. Chacun est le produit final d’une décision administrative de fond prise par un décideur administratif. Chacun est assujetti aux contraintes et aux limites imposées par le régime législatif. Dans le contexte qui lui est propre, l’arrêt Vavilov indique qu’il s’applique précisément à des décisions de ce type. En effet, l’arrêt Vavilov (au paragraphe 66) renvoie expressément aux règlements (du moins ceux pris par un décideur administratif en vertu d’un pouvoir délégué) et indique que les questions relatives à leur validité sont étroitement liées à l’interprétation du pouvoir de réglementation, dont l’examen se fait selon l’arrêt Vavilov : voir également Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31; [2018] 2 R.C.S. 230 aux para. 38 et 111.

[35] Les règlements, les règlements municipaux, les décrets, les règles administratives et les décisions administratives sur le fond semblent être différents les uns des autres, mais seulement si l’on s’attache aux différences de forme : chacun se voit apposer sa propre étiquette officielle distincte et chacun peut être assujetti à des conditions officielles différentes pour être promulgué. Mais en droit administratif, en développant nos méthodologies, nous nous sommes trop souvent attachés à des différences de forme. Nous avons élaboré des règles différentes pour des questions qui, dans leur essence réelle et leur véritable nature, sont essentiellement les mêmes. Ce que cela signifie? Complexité, confusion et incohérence inutiles.

[36] Selon l’arrêt Vavilov, il faut mettre fin à cet attachement qu’ont les tribunaux aux différences de forme. La complexité, la confusion et l’incohérence doivent être remplacées par la simplicité, la clarté et la cohérence : arrêt Vavilov aux para. 7 et 10. Ces caractéristiques sont renforcées si nous utilisons la même méthodologie – celle enseignée dans l’arrêt Vavilov – pour examiner des questions qui, dans leur essence réelle et leur véritable nature, sont substantiellement les mêmes.

[37] La majorité de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Auer est d’avis (au paragraphe 63) que les règlements, particulièrement ceux du gouverneur en conseil, sont différents et doivent être traités différemment parce qu’ils constituent des « actes de légiférer ». Cela nous ramène au droit d’il y a plusieurs décennies, aujourd’hui totalement discrédité, selon lequel les décisions administratives devraient être examinées différemment selon qu’elles entraient ou non dans les catégories officielles suivantes : « législatives », « quasi-judiciaires » ou « judiciaires » : voir les décisions invoquées dans l’arrêt Portnov aux para. 21 et 22.

[38] Ce point de vue néglige également le fait que les décrets promulgués par le gouverneur en conseil, les règlements municipaux, les règles administratives et certaines décisions administratives sur le fond sont tous des exemples d’« actes de légiférer ». Et, comme nous l’avons mentionné au paragraphe 33 ci-dessus, la Cour suprême a déclaré que chacun de ces exemples d’« actes de légiférer » doivent être examinés à l’aune de l’arrêt Vavilov (ou de son prédécesseur, l’arrêt Dunsmuir), et non de l’arrêt Katz.

[39] Je sympathise quelque peu avec la motivation sous-jacente de la Cour suprême dans l’arrêt Katz et avec l’application de cet arrêt par la Cour d’appel de l’Alberta dans les deux arrêts récents : pour de bonnes raisons fondées sur la séparation des pouvoirs entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif, les tribunaux ne devraient pas s’immiscer à la légère dans la prise de décision du gouverneur en conseil, surtout lorsque son contenu politique est élevé. Mais, dans l’arrêt ultérieur Vavilov, la Cour suprême, sensible au contexte, dit la même chose. L’arrêt Vavilov nous enseigne que, plus le pouvoir de réglementation en vertu d’une loi est large, particulièrement en ce qui concerne les questions de politique qui sont essentiellement du ressort du pouvoir exécutif, moins l’autorité réglementaire sera contrainte d’adopter le règlement : Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100, [2021] 1 R.C.F. 374 au para. 28 (application de l’arrêt Vavilov et des décisions antérieures conformes à celui-ci), conf. par 2022 CSC 30.

[40] Ceci est particulièrement vrai pour le gouverneur en conseil. Le gouverneur en conseil est situé « à la cime du pouvoir exécutif », sert de « grand ordonnateur des intérêts divergents provinciaux, transversaux, religieux, raciaux et autres dans le pays » et représente « divers groupes géographiques, linguistiques, religieux et ethniques » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72, [2021] 3 R.C.F. 294 aux para. 36 à 38. Ainsi, sous réserve des dispositions législatives limitatives adoptées par nos représentants élus, le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil est souvent relativement libre de toute contrainte. L’élément clé est le libellé limitatif des dispositions législatives. L’arrêt Vavilov vise directement cet élément, en se concentrant sur les significations que le libellé du pouvoir de réglementation peut raisonnablement revêtir. Ce n’est pas le cas de l’arrêt Katz. Cet arrêt se concentre sur des questions de forme, à savoir la nature de l’instrument édicté, un règlement, et l’auteur de l’instrument, le gouverneur en conseil. Ensuite, il ne pose qu’une seule question, à savoir si le règlement, présumé valide, repose à ce point sur des considérations « sans importance », qu’il est « non pertinent » ou « complètement étranger » à l’« objet de la loi » qu’il doive être annulé.

[41] Cette différence entre l’arrêt Vavilov et l’arrêt Katz peut conduire à des résultats radicalement différents. Prenez un règlement adopté par le gouverneur en conseil. Supposons qu’il ne repose pas sur des considérations « sans importance », qu’il n’est pas « non pertinent » ou « complètement étranger » à l’« objet de la loi ». Mais supposons que, pour des raisons fondées sur les principes d’interprétation des lois appliqués par les tribunaux depuis des décennies, il ne puisse être soutenu par aucune interprétation raisonnable du pouvoir de réglementation prévu par la loi. L’arrêt Katz permettrait à la réglementation de demeurer en vigueur. L’arrêt Vavilov l’annulerait.

[42] En gardant cette circonstance à l’esprit, nous pouvons voir que privilégier l’arrêt Vavilov par rapport à l’arrêt Katz n’a pas pour but de favoriser l’interventionnisme judiciaire ou de faire en sorte qu’on soit [traduction] « séduit par... [le] raisonnement [utilisé dans l’arrêt Portnov] » : arrêt Auer aux para. 61 à 63. Il s’agit de maintenir l’équilibre dans la séparation des pouvoirs et de veiller à ce que tous les détenteurs de pouvoirs publics soient responsables devant la loi : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132 aux para. 23 et 24.

[43] Enfin, jusqu’à présent, deux commentaires doctrinaux critiquent les décisions récentes de la Cour d’appel de l’Alberta et soutiennent l’arrêt Portnov : Paul Daly, « Resisting which Siren’s Call? » dans Administrative Law Matters (blogue) (en ligne : https://www.administrativelawmatters.com/blog/2022/11/24/resisting-which-sirens-call-auer-v-auer-2022-abca-375-and-transalta-generation-partnership-v-alberta-minister-of-municipal-affairs-2022-abca-381/); Mark Mancini, « Simplicity in the Law of Judicial Review of Regulations : Auer and TransAlta » dans Double Aspect (blogue) (en ligne : https://doubleaspect.blog/2022/11/27/simplicity-in-the-law-of-judicial-review-of-regulations-auer-and-transalta/).

8) Application de la méthodologie utilisée dans l’arrêt Vavilov (comme l’indique l’arrêt Portnov)

[44] Selon l’arrêt Vavilov, la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Lorsque nous procédons à un examen du caractère raisonnable, nous devons évaluer les contraintes qui pèsent sur le décideur administratif et déterminer si celui-ci les a respectées, en mettant l’accent sur les motifs donnés par le décideur. La première contrainte qui pèse sur un décideur administratif est la disposition législative qui lui donne compétence. En l’espèce, la disposition législative est le pouvoir de réglementation du paragraphe 101(1) de la Loi sur les brevets, tel qu’il est compris à la lumière de l’article 85 et de l’objet sous-jacent à cet article et à la Loi dans son ensemble, tel qu’ils sont façonnés par les limites constitutionnelles du pouvoir fédéral sur les brevets. En l’espèce, le gouverneur en conseil devait interpréter la portée du pouvoir de réglementation et adopter un règlement qui, à son avis raisonnable, relevait de ce pouvoir.

[45] Dans la cause qui nous intéresse, étant donné qu’aucune exception à l’examen du caractère raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov ne s’applique, la norme d’examen est la norme de la décision raisonnable.

[46] La Cour fédérale a estimé que le gouverneur en conseil a raisonnablement édicté le règlement modifiant la liste des pays de comparaison. Je suis du même avis que la Cour fédérale. Pour les motifs exposés aux sections 4) à 6) des présents motifs et suivant l’arrêt Vavilov, je conclus que la décision d’adopter la modification de la liste des pays de comparaison est fondée sur une interprétation raisonnable du pouvoir de réglementation prévu au paragraphe 101(1) de la Loi sur les brevets, un pouvoir qui, selon une analyse du texte, du contexte et de l’objet, peut être considéré comme relativement peu contraignant. Il est raisonnable de conclure qu’elle est conforme à l’article 85 et à la Loi sur les brevets et à leurs objets, tels qu’ils sont définis par le paragraphe 91(22) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le caractère raisonnable est renforcé par la cohérence avec les décisions judiciaires sur ces questions.

[47] Comme l’a noté la Cour fédérale (au paragraphe 136), le pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 101(1) de la Loi sur les brevets est large. Ce pouvoir, interprété raisonnablement, soutient la modification de la liste des pays de comparaison.

[48] La norme de la décision raisonnable exige également qu’une cour de révision puisse discerner une explication raisonnée de la décision. En l’espèce, une explication motivée peut être discernée dans le résumé de l’étude d’impact de la réglementation : la modernisation, comme il est expliqué ci-dessus. Les déclarations de ce genre sont une source communément acceptée des motifs des décisions prises par le gouverneur en conseil : arrêt Portnov au para. 34; Première nation de Coldwater c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 34, [2020] 3 R.C.F. 3; Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006.

[49] Même si, contrairement au raisonnement de l’arrêt Portnov, l’arrêt Katz demeure valable et doit être appliqué à la place de l’arrêt Vavilov, le résultat en l’espèce serait le même.

[50] Comme il est mentionné au paragraphe 30 ci-dessus, l’arrêt Katz adopte une approche dite d’[traduction] « hyperretenue » de la contestation des règlements. Si la contestation des appelantes a échoué dans le cadre de l’examen selon la norme de la décision raisonnable établie dans l’arrêt Vavilov, elle doit certainement échouer dans le cadre de l’examen selon la norme beaucoup plus déférente et restrictive établie dans l’arrêt Katz.

9) Autres observations avancées par les appelantes

[51] Les appelantes indiquent que la décision du gouverneur en conseil de modifier la liste des pays de comparaison était déraisonnable parce qu’elle a été prise dans un but inapproprié : un but étranger à l’article 85 et à la Loi sur les brevets et qui dépasse les pouvoirs fédéraux. Le but inapproprié serait la réduction du prix des médicaments en général afin de réaliser des économies dans le domaine des soins de santé et d’ouvrir la voie à une assurance-médicaments nationale.

[52] Il ne fait aucun doute qu’une décision administrative de prendre un règlement ou un autre instrument en vertu d’une loi pour des raisons étrangères à ses dispositions ou à son objet serait déraisonnable : voir, par exemple, l’arrêt Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, [2012] 1 R.C.F. F-3 (un décideur administratif qui entrave son pouvoir discrétionnaire au lieu de tenir compte de la législation applicable agit de manière déraisonnable).

[53] À l’appui de leur argument de finalité inappropriée, les appelantes invoquent une lettre écrite par le ministre fédéral de la Santé en mai 2017. Cette lettre parle d’[traduction] « améliorer l’abordabilité, l’accessibilité et l’utilisation appropriée des médicaments sur ordonnance » et de [traduction] « réduire les prix élevés des médicaments » en modernisant [traduction] « le cadre réglementaire qui guide le travail du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés ». Les appelantes invoquent également un document de consultation de Santé Canada de mai 2017. Il indique que le gouvernement fédéral est [traduction] « fermement engagé » dans le travail visant à améliorer [traduction] « l’abordabilité, l’accessibilité et l’utilisation appropriée des médicaments d’ordonnance » afin de [traduction] « mieux répondre aux besoins du système de soins de santé » et qu’il [traduction] « prend des mesures pour réduire considérablement le coût des médicaments d’ordonnance ». On a ajouté dans ce document que le [traduction] « cadre réglementaire actuel du Conseil ne lui fournit pas les outils adéquats pour protéger efficacement les Canadiens contre les prix excessifs ou pour fixer de manière optimale les prix dans l’environnement pharmaceutique actuel ».

[54] Les appelantes invoquent également une déclaration faite par le ministre de la Santé à la Chambre des communes en juin 2019. Le ministre y a annoncé que le gouvernement était en train de « moderniser le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés afin de réduire le prix des médicaments » : Débats de la Chambre des communes, 42-1, vol. 148, no 433 (13 juin 2019) à la p. 29103.

[55] La Cour fédérale n’a pas accordé beaucoup de poids à cet élément de preuve. Et nous ne devrions pas le faire non plus.

[56] La baisse du coût global des médicaments, qui se traduit par des économies pour le trésor public, est une conséquence naturelle des modifications qui ont été adoptées pour moderniser ce régime réglementaire. Cette conséquence naturelle est admise très franchement dans le résumé de l’étude d’impact de la réglementation : les modifications [traduction] « contribuent à l’engagement du gouvernement [d’améliorer l’accessibilité, l’abordabilité et l’utilisation appropriée des médicaments] en réduisant les prix des médicaments brevetés au Canada » : résumé de l’étude d’impact de la réglementation à la p. 5949. Et cette affirmation est exacte : le fait de réduire légitimement les prix excessifs des médicaments en vertu de l’article 85 de la Loi sur les brevets aura tendance à réduire le coût de ces médicaments, réduisant ainsi l’incidence sur les finances publiques.

[57] Mais, comme l’a déclaré la Cour fédérale (au paragraphe 103), le fait de reconnaître honnêtement que les modifications peuvent entraîner des économies globales en tant que conséquence naturelle de la mesure ne signifie pas que c’est là le caractère véritable des modifications. Comme l’a conclu la Cour fédérale, pour les raisons qu’elle a données, l’objectif est de moderniser les outils que le Conseil utilise pour contrôler les prix excessifs des médicaments brevetés.

[58] Il est important de ne pas confondre le motif, les fins économiques et la politique qui sous-tendent un règlement avec son caractère véritable : Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106 à la p. 112; arrêt Katz aux para. 27 et 28.

[59] La preuve du motif, des fins économiques et de la politique peut être plus pertinente lorsqu’une partie allègue que la décision de promulguer un règlement, censée être motivée par un objectif constitutionnel autorisé par la loi, peut être teintée. Il s’agit d’une allégation très grave : un artifice a été créé pour camoufler ou déguiser un véritable objectif qui dépasse l’autorité législative ou constitutionnelle du décideur. Ceci, [traduction] « incidemment », semble être le seul fondement pour contester les règlements selon l’arrêt Katz. Et il est étroit.

[60] Pour établir ce fondement, seule la preuve la plus probante suffira : à titre d’exemples où la preuve était suffisamment probante, voir l’arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, 16 D.L.R. (2d) 689, l’arrêt Re Multi-Malls Inc. and Minister of Transportation and Communications (1977), 14 O.R. (2d) 49, 73 D.L.R. (3d) 18 (C.A.), et l’arrêt Doctors Hospital v. Minister of Health et al. (1977), 12 O.R. (2d) 164, 68 D.L.R. (3d) 220 (C. div.). La Cour fédérale n’a pas été convaincue que les éléments de preuve étaient suffisamment convaincants pour établir le motif déguisé, et nous ne devrions pas non plus l’être.

[61] Les déclarations générales ambitieuses offertes par les politiciens, comme bon nombre des déclarations sur les politiques ou les objectifs généraux du gouvernement que les appelantes ont fournies en l’espèce, ne sont pas d’un grand secours. Il faut faire preuve de prudence lorsqu’on se fie à ce que « des politiciens peuvent avoir dit [à l’égard des objectifs et des motifs législatifs] en un lieu précis et à un moment précis, quelle qu’en soit la raison » : arrêt Alexion, par. 53, renvoyant à l’arrêt Schmidt c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 55, [2019] 2 R.C.F. 376 au para. 31; voir également l’arrêt Williams c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 252, [2018] 4 R.C.F. 174 aux para. 50 et 51. C’est particulièrement le cas lorsque les déclarations sont faites dans des circonstances politiquement tendues ou controversées. La Cour suprême a fait observer que « [d]ans un dossier législatif, l’énoncé de l’objet peut se révéler rhétorique et imprécis » et que « [c]itées hors de leur contexte, les déclarations faites par les députés peuvent s’avérer de mauvais indicateurs de l’intention [...] » : R. c. Sharma, 2022 CSC 39 au para. 89, renvoyant à l’arrêt Canada (Procureur général) c. Whaling, 2014 CSC 20, [2014] 1 R.C.S. 392 aux para. 67 et 68 et à l’arrêt R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761, [1994] A.C.S. no 101 (QL) à la p. 788; voir aussi Mohr c. Ligue nationale de hockey, 2022 CAF 145 au para. 63. Et, bien sûr, les déclarations de personnes autres que le décideur administratif, en elles-mêmes, ne disent pas grand-chose sur l’objet qui sous-tend la décision, à moins qu’il n’y ait un lien persuasif avec le décideur.

[62] La Cour fédérale a présenté plusieurs des points mentionnés ci-dessus à l’appui de son opinion selon laquelle cette partie des modifications était valide et qu’une grande partie de la preuve extrinsèque présentée par les appelantes n’était ni pertinente ni valable (aux paragraphes 99 à 104 et 154 à 162). Elle a conclu (au paragraphe 162) que la « décision du gouverneur en conseil de modifier l’ensemble des pays de comparaison est [...] raisonnable ». Je suis d’accord avec cette conclusion et une grande partie de l’analyse de la Cour fédérale.

10) Conclusion sur l’appel

[63] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’appel interjeté par les appelantes contre le règlement modifiant la liste des pays de comparaison doit être rejeté. La décision du gouverneur en conseil de prendre ce règlement était raisonnable.

11) Conclusion sur l’appel incident

[64] La Cour est également saisie d’un appel incident. Il concerne deux autres aspects des modifications : les facteurs supplémentaires à prendre en considération et la prise en compte des remises et réductions, à savoir les points 1) et 2) du paragraphe 2 ci-dessus.

[65] Comme nous l’avons mentionné au début des présents motifs, ces questions sont maintenant sans objet et les parties disent que nous ne devrions pas les trancher. J’abonde dans ce sens.

C. Conclusion proposée

[66] Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens. Je rejetterais l’appel incident en raison de son caractère théorique et je n’adjugerais aucuns dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

George R. Locke, j.c.a. »

LA JUGE WOODS (Motifs concourants)

[67] Puisque l’arrêt Portnov c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 171 lie notre Cour, je n’ai pas à me prononcer sur les paragraphes 28 à 43 des motifs de mon collègue. De plus, comme le dit mon collègue aux paragraphes 49 et 50 de ses motifs, le règlement est valable même aux termes de l’arrêt Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810. Je souscris par ailleurs aux présents motifs.

« Judith M. Woods »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-215-20

APPEL D’UN JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE MANSON DATÉ DU 29 JUIN 2020, DOSSIER NO T-1465-19

INTITULÉ :

MÉDICAMENTS NOVATEURS CANADA et autres c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et autre

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 février et le 1er mars 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE LOCKE

 

MOTIFS CONCORDANTS :

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Orestes Pasparakis

Kristin Wall

Rowan Weaver

Fahad Siddiqui

William Chalmers

Christopher A. Guerreiro

 

Pour les appelantes

 

Joseph Cheng

James Schneider

 

Pour l’intimé

 

John Norman

Jenny Thistle

Pour l’intervenante

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’intimé

 

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’intervenante

 

 

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