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Date : 20130924

Dossier : A-74-12

Référence : 2013 CAF 219

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

BELL HELICOPTER TEXTRON

CANADA LIMITÉE

appelante

 

 

et

EUROCOPTER,

Société par actions simplifiée

 

intimée

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), les 27 et 28 mai 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                                                             LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                              LE JUGE NOËL

                                                                                                                           LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20130924

Dossier : A-74-12

Référence : 2013 CAF 219

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

BELL HELICOPTER TEXTRON

CANADA LIMITÉE

appelante

 

 

et

EUROCOPTER,

 société par actions simplifiée

 

intimée

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MAINVILLE

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté par Bell Helicopter Textron Canada Ltée (Bell Helicopter) et d’un appel incident interjeté par Eurocopter à l’encontre d’un jugement prononcé par le juge Martineau de la Cour fédérale (le juge), le 30 janvier 2012, publié sous la référence 2012 CF 113 (les motifs), dans lequel :

a) il est déclaré que Bell Helicopter a contrefait la revendication 15 du brevet canadien no 2 207 787 (brevet 787) appartenant à Eurocopter en utilisant un train d’atterrissage d’hélicoptère désigné comme le « train Legacy »;

 

b) il est déclaré que Bell Helicopter n’a pas contrefait la revendication 15 du brevet 787 en utilisant et vendant un train d’atterrissage d’hélicoptère désigné comme le « train d’atterrissage Production »;

 

c) il est interdit à Bell Helicopter de fabriquer, d’utiliser ou de vendre le train Legacy, ou tout train d’atterrissage semblable jusqu’à l’expiration du brevet 787 ou qu’un tribunal conclut par ailleurs qu’il est invalide;

 

d) il est déclaré qu’Eurocopter a droit à la totalité des dommages‑intérêts, y compris les dommages‑intérêts punitifs, qui résultent de la contrefaçon de la revendication 15 du brevet 787, dont le montant sera déterminé lors d’audiences ultérieures conformément à une ordonnance de disjonction réclamée par les deux parties;

 

e) sont invalidées toutes les autres revendications du brevet 787.

 

 

 

[2]               Bell Helicopter interjette appel principalement au motif que la revendication 15 du brevet 787 est invalide, que son train Legacy ne constitue pas une contrefaçon du brevet 787 et que, quoi qu’il en soit, la conclusion selon laquelle des dommages‑intérêts punitifs pouvaient être accordés était inappropriée.

 

[3]               L’appel incident formé par Eurocopter se fonde principalement sur la thèse que la totalité des revendications du brevet 787 sont valides et que le train d’atterrissage Production de Bell Helicopter contrefait ces revendications.

 

[4]               Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterais à la fois l’appel et l’appel incident.

 

FAITS ET PROCÉDURES

[5]               Le contexte dans lequel s’inscrit le présent litige ainsi que les faits pertinents sont décrits en détail dans les 464 paragraphes du jugement rédigé par le juge Martineau et il n’est pas nécessaire de les reprendre en l’espèce. Aux fins du présent appel, il suffit de souligner les points saillants.

 

[6]               Eurocopter et Bell Helicopter sont d’importantes entreprises manufacturières d’hélicoptères qu’elles commercialisent et vendent à des clients à travers le monde. Les hélicoptères sont constitués de pièces d’équipement très complexes leur procurant des capacités de vol remarquables. La construction, l’entretien et l’exploitation de ces appareils nécessitent des compétences techniques et d’ingénierie très spécialisées.

 

[7]               Le train d’atterrissage, qui représente l’un des principaux composants d’un hélicoptère, pose des défis techniques particuliers, dont celui de l’instabilité due à la résonance au sol, qui constitue un phénomène dangereux que le juge décrit aux paragraphes 218 à 221 des motifs. Cette instabilité découle d’un échange d’énergie entre le rotor principal et la structure d’un hélicoptère au sol. En général, elle survient lorsque le mode « dans le plan » régressif du rotor se conjugue au tangage, au roulis ou à un déplacement latéral de l’appareil posé sur son train d’atterrissage. Ce problème est habituellement réglé au moyen de systèmes mécaniques, comme des amortisseurs.

 

[8]               Pendant la conception d’un nouvel hélicoptère léger, au milieu des années 1990, Eurocopter a mis au point un train d’atterrissage de type « traîneau » appelé « Moustache », qui permet de régler avantageusement le problème d’instabilité due à la résonance au sol. Ce train constitue le fondement du brevet 787, qui a été déposé au Canada le 5 juin 1997, et dont la date de priorité, qui repose sur une demande de brevet formulée en France, est le 10 juin 1996. Depuis, le train Moustache a connu un grand succès commercial et n’a été associé à aucune instabilité due à la résonance au sol. Il est principalement vendu avec les hélicoptères EC120 et EC130 d’Eurocopter.

 

[9]               La figure 1 du brevet 787 consiste en un schéma isométrique du train Moustache :

 

[10]           Au début des années 2000, Bell Helicopter exploitait deux programmes d’hélicoptère  distincts : Bell 427i et Modular Affordable Products Line (gamme de produits modulaires abordables (MAPL)), dont des éléments ont été conjugués en septembre 2004 pour mener à l’élaboration de l’hélicoptère Bell 429. Le train d’atterrissage de type « traîneau » de cet appareil a été mis au point dans le cadre du programme MAPL et est appelé « le train Legacy » (par. 169 et 170 des motifs).

 

[11]           Puisque la société Bell Helicopter n’avait jamais conçu d’hélicoptère à train d’atterrissage de type « traîneau », elle a étudié le rendement d’un hélicoptère EC120 qu’elle a loué, exploité et soumis à divers essais au cours d’une période allant approximativement de mars à juin 2003. Certains de ses employés ont reçu une formation en mars 2003 sur un hélicoptère de ce type (paragraphe 172 des motifs).

 

[12]           Le juge a constaté (par. 172 des motifs) que, selon des documents internes de Bell Helicopter, les essais susmentionnés visaient à acquérir de meilleures connaissances afin de [traduction] « réduire le risque de problèmes de résonance au sol au sein du programme MAPL » et que « [l]es données obtenues lors des essais de secousses au sol allaient pouvoir servir à concevoir de meilleurs trains d’atterrissage pour les futurs produits de Bell ».

 

[13]           Le train Legacy de type « traîneau » a été fabriqué ou assemblé par Bell Helicopter en mars 2003 (par. 171 des motifs). Le juge a reproduit les schémas isométriques suivants du train aux paragraphes 23 et 394 des motifs :

 

[14]           L’hélicoptère Bell 429 à train Legacy a été piloté pour la première fois le 27 février 2007, dans les installations de Bell Helicopter à Mirabel, au Québec. Cependant, son train n’a jamais été homologué en raison de l’action en contrefaçon de brevet intentée par Eurocopter en mai 2008.

 

[15]           Après qu’Eurocopter eut entrepris son action, Bell Helicopter a rapidement modifié le train du Bell 429, qui est désormais appelé le train Production. Comme le juge l’a relevé (par. 179 à 184 des motifs), Bell Helicopter cherchait essentiellement à modifier suffisamment le train Legacy pour éliminer toute allégation de contrefaçon du brevet 787.

 

[16]           Le juge a reproduit les schémas isométriques suivants du train Production aux par. 25 et 395 des motifs :

 

[17]           Le train Production fait partie de l’hélicoptère Bell 429, qui est vendu par Bell Helicopter. Aucun appareil doté du train Legacy n’a été vendu, mais certains hélicoptères en comportant un ont été initialement utilisés pour commercialiser le Bell 429.

 

LE JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE

[18]           Après avoir énoncé les principes juridiques applicables (par. 39 à 80 des motifs), le juge a examiné de façon approfondie les abondants éléments de preuve présentés par les parties au cours du long procès, y compris la profusion de rapports et de témoignages rendus par de nombreux experts (par. 81 à 184 des motifs).

 

[19]           Le juge a ensuite examiné les principales questions dont il était saisi, notamment a) l’interprétation du brevet 787 (par. 185 à 249); b) la question de savoir si le train d’atterrissage Production de Bell Helicopter contrefaisait le brevet (par. 251 à 263), c) la question de savoir si le train d’atterrissage Legacy de Bell Helicopter constituait aussi une contrefaçon (par. 264 à 292) et d) la question de savoir si les revendications du brevet 787 étaient invalides pour cause d’évidence (par. 294 à 311), d’insuffisance de la divulgation (par. 312 à 332), ou d’absence d’utilité ou de prédiction valable (par. 333 à 376).

[20]           Le juge a conclu son analyse par un examen des réparations appropriées, y compris les déclarations et les injonctions qu’il avait l’intention de prononcer (par. 389 à 405), l’option d’imposer des dommages‑intérêts ou celle d’accorder réparation par la restitution des profits (par. 406 à 416), et la possibilité d’accorder des dommages‑intérêts punitifs (par. 417 à 456).

 

Interprétation du brevet 787

[21]           Quatre thèmes sous-tendent l’analyse du juge portant sur l’interprétation du brevet : (i) la personne versée dans l’art; (ii) les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art; (iii) l’utilité promise de l’invention; et (iv) l’interprétation des revendications.

 

(i) Personne versée dans l’art

[22]           Le juge a interprété le brevet du point de vue d’une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention (ci‑après désignée la personne versée dans l’art), qui fait l’objet d’une description détaillée dans les paragraphes 187 à 198 des motifs. Cette personne devrait au moins détenir un baccalauréat en génie, habituellement dans le domaine aérospatial ou mécanique, être familière avec la conception de trains d’atterrissage et d’aéronefs en général, et avoir les compétences nécessaires pour effectuer des calculs techniques connexes, et comprendre les principes scientifiques pertinents. Elle devrait aussi posséder des connaissances relatives à la résonance au sol et aux moyens connus employés pour maîtriser ou prévenir ce phénomène.

 

[23]           En raison des connaissances poussées nécessaires pour concevoir des trains d’atterrissage d’hélicoptère, le juge a déterminé (par. 190) qu’au plus quelques centaines d’ingénieurs employés ou retraités pourraient être considérés comme des personnes versées dans l’art ou la science dont relève le brevet 787.

 

(ii) Connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art

[24]           Le juge a ensuite déterminé l’étendue des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art en fonction du domaine duquel relève le brevet, qu’il a dit (par. 199 à 210 des motifs) être celui des trains d’atterrissage d’hélicoptère de type « traîneau » (ou trains d’atterrissage à patins). Il a conclu que les connaissances dans ce domaine englobent les antériorités généralement considérées comme constituant une bonne base pour aller plus loin dans la conception de trains d’atterrissage de type « traîneau ». Dans le contexte de l’art antérieur, les trains d’atterrissage à patins de forme orthogonale consistant en des tubes longs, rectilignes et habituellement circulaires orientés longitudinalement et se terminant par une courte saillie de type « ski » à l’avant, semblable au concept général dont une vue isométrique est fournie au paragraphe 209 des motifs et reproduite ci‑dessous, reflétaient les connaissances générales courantes relatives aux trains à patins classiques :

Ces trains à patins classiques comportent deux pièces transversales avant et arrière parallèles l’une à l’autre et totalement ou sensiblement perpendiculaires aux patins d’appui au sol. Ces pièces sont fixées aux patins par des raccords en T (ou manchon).

 

                        (iii) Utilité promise

[25]           Le juge a également constaté (paragraphes 215 à 223) que le brevet 787 avait pour utilité promise de réduire sensiblement les lacunes des réalisations antérieures, y compris a) des facteurs d’accélération élevés à l’atterrissage (facteurs de charge), b) une adaptation de fréquence difficile en ce qui concerne la résonance au sol et c) le poids élevé du train d’atterrissage. Il est particulièrement important de noter que l’élimination des systèmes mécaniques anti-résonance au sol (amortisseurs) a été considérée comme un important avantage qui résulte de la conception du train d’atterrissage Moustache.

 

(iv) Interprétation des revendications

[26]           En interprétant le brevet du point de vue d’une personne versée dans l’art, le juge est venu à la conclusion que l’invention était surtout représentée par la revendication 1 du brevet 787. Il a en outre conclu (par. 212) que « ce qui distingue le train d’atterrissage Moustache d’un train d’atterrissage classique est le fait que "chacun desdits patins présente à l’avant une zone de transition inclinée à double courbure s’orientant transversalement auxdites plages longitudinales d’appui au sol, au‑dessus du plan de ces dernières, les deux zones de transition constituant ensemble, de la sorte, une traverse avant intégrée, décalée par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol" (revendication 1 du brevet 787) ». [Je souligne.]

 

[27]           En se basant sur les nombreux témoignages d’experts, le juge a aussi conclu (par. 228 des motifs) que la « double courbure » de la zone de transition découle d’une première courbure, « passablement grand[e] », là où la pièce transversale des patins courbe vers le haut (C1 sur les figures reproduites ci‑dessous), puis d’une seconde inflexion, là où la pièce transversale devient horizontale pour atteindre le fuselage (C2 sur les figures reproduites ci‑dessous), comme le montrent les figures 4a, 4b et 10 du brevet 787, qui sont reproduites ci‑dessous :

 

  

 

[28]           Le juge a également constaté (par. 229 à 246) que tous les éléments de la revendication 1 du brevet 787 étaient essentiels à l’invention, y compris la « double courbure » constituant une pièce « transverse avant intégrée », mais plus particulièrement (par. 234, 235 et 245) que le manchon rigide raccordant la zone de transition inclinée et la plage longitudinale d’appui des patins sur le sol ne faisait pas partie de l’invention, ce qui l’a plutôt amené à conclure qu’une personne versée dans l’art (par. 245) aurait « manifestement saisi que la façon dont les charges sont réparties au moyen d’un manchon rigide sera différente de celle dans laquelle les charges sont réparties par la double courbure du train d’atterrissage Moustache ».

 

[29]           De plus, le juge était d’avis (par. 247) que les autres revendications découlant du brevet 787 (revendications 2 à 16) sont toutes dépendantes en ce sens qu’elles reposent toutes sur les revendications précédentes, en particulier sur la revendication 1.

 

Le train d’atterrissage Production de Bell Helicopter ne constitue pas une contrefaçon du brevet 787

 

[30]           Le juge a ensuite examiné la question de la contrefaçon et conclu au vu de la preuve que le train d’atterrissage Production de Bell Helicopter ne constitue pas une contrefaçon du brevet 787. Bien qu’il ait tenu compte du fait que le train Production puisse d’une certaine façon être fonctionnellement équivalent au train d’atterrissage visé par le brevet, il était d’avis (par. 253) qu’« un brevet n’est pas contrefait juste parce que le produit du défendeur accomplit la même fonction que l’invention brevetée. Ce qui compte c’est de savoir si le produit du défendeur intègre la totalité des éléments essentiels de la revendication, et non si les produits des parties fonctionnent de manière semblable ».

[31]           Le juge a conclu (par. 259) que le « train ne comporte pas la « double courbure » qui, comme il a été mentionné plus tôt, est l’un des éléments essentiels de la revendication 1 », étant donné que « la traverse avant de ce train d’atterrissage est fixée aux patins au moyen de manchons », et (par. 263) que « le train Production ne possède pas la traverse avant intégrée qu’exige la revendication 1 », car il « est formé d’une traverse avant rectiligne reliée à un patin rectiligne par l’intermédiaire d’un manchon, et le patin se poursuit à l’avant de la sellette et se termine par une spatule ». Une personne versée dans l’art comprendrait donc que le brevet 787 « met en contraste deux mécanismes de fixation différents, et que, de ce fait, une traverse fixée au moyen d’un manchon est, par définition, non intégrée ».

 

Le train d’atterrissage Legacy de Bell Helicopter contrefait le brevet 787

[32]           Le juge a cependant conclu de façon différente en ce qui concerne le train d’atterrissage Legacy de Bell Helicopter. Il a conclu (par. 264) que la question de savoir si la totalité des éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 787 se retrouve au train d’atterissage Legacy « ne suscit[ait] aucun débat » et qu’il existait une « preuve évidente » que ce train d’atterrissage tombe sous le coup des revendications 1 à 5, 7, 9, 10 et 15 du brevet 787.

 

[33]           La question était donc de savoir si Bell Helicopter pouvait faire débouter l’action en contrefaçon en ce qui concerne le train Legacy en soulevant un moyen de défense fondé a) sur l’exception prévue au paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (l’exception pour cause réglementaire ou expérimentale), ou b) sur l’art antérieur.

 

[34]           Le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets prévoit qu’il n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente d’un produit. Bell Helicopter a soutenu que vingt des vingt‑et‑un trains d’atterrissage Legacy fabriqués ont servi à exécuter des essais de résistance à la fatigue et aux chutes, ainsi qu’à mettre au point et à tester un ensemble de flottaisons, le tout à des fins d’homologation. Le dernier train Legacy a été utilisé dans le cadre d’une exposition statique à l’occasion d’un salon commercial.

 

[35]           Après l’examen de l’ensemble de la preuve, le juge a toutefois conclu (par. 268) que la construction, l’utilisation ou la vente, par Bell Helicopter, du train Legacy ne se justifie pas dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information que la loi oblige à fournir. Cela suffit pour rendre Bell « non admissible à l’exception pour cause règlementaire ou à l’exception de common law aux fins d’expérimentation ». Cette détermination s’appuie largement sur sa conclusion (par. 267) portant que le fait de solliciter des commandes pour de nouveaux hélicoptères équipés du train d’atterrissage Legacy, de signer des accords à cet égard avec des clients et de faire la promotion d’un nouveau modèle d’hélicoptère équipé de ce train d’atterrissage à l’occasion de salons commerciaux va manifestement au-delà des exceptions pour cause réglementaire ou aux fins d’expérimentation.  

 

[36]           Bell Helicopter a également fait valoir que le brevet 787 avait été divulgué par l’art antérieur, et s’est appuyée à cet égard sur l’arrêt Gillette Safety Razor Co. c. Anglo-American Trading Co. (1913), 30 R.P.C. (2d) 465 (HL) (« Gillette »). Le juge a toutefois écarté ce moyen de défense pour divers motifs.

 

[37]           Le juge a d’abord signalé (par. 272 et 273) qu’en 2008, Bell Helicopter avait elle‑même fait la promotion de son train d’atterrissage Legacy en disant de celui‑ci qu’elle avait été la première à le concevoir. Toutefois, la société continuait de prétendre devant lui que tous les composants du train d’atterrissage sont présents dans l’art antérieur, en particulier dans les antériorités portant sur les collisions avec des obstacles et certains documents de la NASA.

 

[38]           Le juge a examiné (par. 277) les antériorités portant sur les collisions avec des obstacles sur lesquelles Bell Helicopter s’est appuyée, qu’il a appelées les [traduction] » documents sur les collisions avec des obstacles ». M. Bharat P. Gupta, qui a travaillé comme ingénieur de projet pour Bell Textron au Texas, était un des coauteurs de certains de ces documents. Ils traitaient d’une méthode selon laquelle un train d’atterrissage à patins peut être protégé contre tout enchevêtrement avec des fils et des câbles suspendus grâce à l’élimination de tubes (skis) dépassant à l’avant (ce que le juge a désigné comme le « premier concept ») ou en installant des carénages (ce que le juge a désigné comme le « second concept »).  

 

[39]           Il a constaté (par. 280) que le second concept (utilisation de carénages) n’était pas pertinent en ce qui concerne la défense fondée sur l’arrêt Gillette. Pour ce qui est du premier concept, Bell Helicopter s’est simplement inspirée de dessins d’hélicoptères dotés d’un train d’atterrissage exempt de patins dépassant à l’avant. Le juge a conclu que ces dessins étaient ambigus et que le texte d’accompagnement était « trop laconique » (par. 282 à 286). Quoi qu’il en soit, il a conclu (par. 287) que la « double courbure, qui est un élément essentiel de la revendication 1 du brevet 787, est absente » et qu’il « n’y a pas de zone de transition, au sens du brevet 787 ». Ce qui l’a amené à conclure (par. 288) que Bell Helicopter « n’est pas parvenue à prouver que les conditions de divulgation et de mise à la disposition des moyens nécessaires sont remplies dans le cas des documents portant sur les collisions avec des obstacles ».

 

[40]           En ce qui concerne les antériorités invoquées par Bell Helicopter, et désignées comme étant les documents de la NASA, le juge a conclu (par. 289-290) que Bell Helicopter n’est pas parvenue à établir que ces documents étaient publiquement disponibles au moment pertinent. Il a de plus conclu (par. 291-292) que même en tenant pour acquis que ces documents de la NASA étaient disponibles, ils ne divulguaient pas l’invention décrite dans le brevet 787.

 

[41]           Le juge a par la suite examiné les motifs d’invalidité soulevés par Bell Helicopter soit l’antériorité, l’évidence, l’insuffisance du mémoire descriptif et l’absence d’utilité.

 

Le brevet 787 n’était pas antériorisé

[42]           Le juge a conclu (par. 50, 52 et 294) que la contestation de Bell Helicopter du brevet 787 fondée sur l’antériorité était étroitement liée à sa défense Gillette qu’il avait déjà écartée. Il a, par conséquent, rejeté pour les mêmes motifs les arguments de Bell Helicopter concernant l’antériorité.

 

Le brevet 787 n’est pas évident

[43]           Appliquant le critère à quatre volets (par. 78-79) énoncé dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (« Sanofi »), le juge a conclu (par. 298) qu’aucune des revendications décrites dans le brevet 787 n’était évidente.

 

[44]           De façon plus spécifique, après avoir décrit l’idée originale que contient le brevet 787 (par. 300), et avoir examiné les antériorités que les experts de Bell Helicopter avaient présentées (par. 301 et 303 à 307), le juge a conclu (par. 302) qu’aucune d’elles ne révélait l’idée originale contenue dans le brevet. Il a de plus conclu que le train d’atterrissage révélé par le brevet « n’était ni connu » de la personne versée dans l’art « ni évident à ses yeux » et que de l’inventivité était nécessaire pour franchir le pas vers l’idée originale menant à la réalisation du train d’atterrissage décrit dans le brevet 787. Il a en outre conclu (par. 310) que le nouveau train d’atterrissage décrit dans le brevet n’était pas « évident à essayer ».

 

Le brevet 787 divulgue suffisamment l’invention

[45]           Le juge a ensuite examiné le motif de contestation invoqué par Bell Helicopter à l’encontre du brevet 787 ayant trait à l’insuffisance de la divulgation, compte tenu des exigences de l’alinéa 27(3)b) de la Loi sur les brevets, et au fait que le brevet n’indiquait pas la meilleure manière de réaliser l’invention, contrairement aux exigences de l’alinéa 27(3)c) de la même loi.

 

[46]           Après avoir étudié la preuve d’expert (par. 316 à 319), le juge a conclu (par. 315) qu’une personne versée dans l’art qui lirait la description figurant dans le brevet et qui désirerait fabriquer le train d’atterrissage divulgué « saurait comment dimensionner le train d’atterrissage par rapport à l’aéronef en question, saurait choisir le meilleur angle d’inclinaison et n’aurait pas de difficulté à déterminer s’il est préférable de fixer le train d’atterrissage au fuselage à trois ou à quatre points d’attache, en fonction du poids de l’aéronef ».

 

[47]           Il a aussi constaté (par. 322 et 329) que le brevet 787 faisait état de la meilleure manière de réaliser l’invention de façon suffisamment claire pour permettre à une personne versée dans l’art « de comprendre le fonctionnement général de l’invention revendiquée et ses principales caractéristiques ». Il était d’avis que les figures 12 et 13 du brevet montrent particulièrement bien comment la pièce transversale avant intégrée du train d’atterrissage Moustache contribuera à l’équilibre énergétique général et jouera, grâce à la courbure des zones de transition, un rôle important dans l’absorption des forces générées lors des atterrissages brusques et glissés. Ces figures, qui sont reproduites ci‑dessous, présentent des perspectives des déformations subies par un train d’atterrissage classique (à gauche) comparativement à un train Moustache (à droite).

 

            Quinze des revendications du brevet 787 sont invalides faute de preuve d’utilité

[48]           Après examen des preuves, le juge a conclu (par. 350) que, selon la prépondérance des probabilités, Bell Helicopter n’avait pas établi que l’invention visée par le brevet 787 ne fait pas ce que le mémoire descriptif promet qu’elle fera (par. 354 à 360). Plus particulièrement, il était d’avis que suivant les essais effectués, les inventeurs ont clairement montré l’utilité de la réalisation visée par la revendication 15 du brevet, selon laquelle la traverse avant intégrée est décalée vers l’avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol.

 

[49]           Le juge n’était toutefois pas d’avis que les preuves ou les données présentées permettaient d’appuyer une prédiction quant à l’utilité promise de la réalisation visée par la revendication 16 du brevet 787. Cette revendication concerne une réalisation selon laquelle la traverse avant intégrée est décalée vers l’arrière par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol. Cette réalisation est illustrée à la figure 11e du brevet, qui est reproduite ci‑dessous :

 

[50]           Le juge a conclu (par. 363) qu’« il n’existe aucune démonstration particulière dans le brevet ni aucune preuve testimoniale ou documentaire que, à la date de dépôt au Canada, les inventeurs avaient fabriqué et mis à l’essai un train d’atterrissage Moustache dont la traverse avant était décalée vers l’arrière ». Il a également conclu (par. 364 à 368) qu’il n’avait pas été démontré qu’une inclinaison vers l’arrière présentait un avantage quelconque sur le plan de la résonance au sol, ni aucune donnée ou information d’après laquelle les inventeurs peuvent prévoir de manière fiable que la réalisation avec inclinaison vers l’arrière procure les avantages revendiqués dans le brevet 787. Il a donc conclu (par. 369) que « [l]’utilité d’un train d’atterrissage d’hélicoptère, selon la revendication 16, n’avait pas été démontrée à la date de dépôt au Canada, soit le 5 juin 1997. De plus, les données pertinentes qui étaient disponibles avant le 5 juin 1997 ne permettaient pas aux inventeurs de prédire de manière valable le comportement d’un train d’atterrissage Moustache équipé d’une traverse avant décalée vers l’arrière, et, en tout état de cause, il n’y a pas de raisonnement décrit dans le brevet 787 à cet égard ».

 

[51]           Puisque le juge a conclu (par. 334) que la revendication 1 découlant du brevet 787 visait notamment la réalisation de l’invention selon laquelle une pièce transversale avant est décalée vers l’arrière, et que les revendications 2 à 14 étaient des revendications dépendantes de la revendication 1, il a aussi conclu (par. 371) que, « [d]ans la mesure où les revendications 1 à 16 englobent toute réalisation selon laquelle la traverse avant est décalée vers l’arrière, toutes les revendications dépendantes, à l’exception de la n15, doivent être considérées comme invalides ». Il a par conséquent déclaré (par. 371) que « les revendications 1 à 14 et la revendication 16 du brevet 787 sont invalides et nulles pour cause d’absence d’utilité démontrée (ou de prédiction valable) et/ou de portée excessive ».

 

Mesures de réparation

[52]           En ce qui concerne les mesures de réparation résultant de ses conclusions, le juge a déclaré (par. 392 à 394) a) que la revendication 15 du brevet 787 était valide et exécutoire; b) que les revendications 1 à 14 et 16 étaient invalides, nulles et sans effet; c) que Bell Helicopter avait contrefait la revendication 15 en utilisant le train d’atterrissage Legacy; d) que toutefois Bell Helicopter n’avait pas contrefait la revendication 15 en utilisant le train d’atterrissage Production. Le juge (par. 403) a également accordé une injonction interdisant à Bell Helicopter de fabriquer, d’utiliser ou de vendre le train d’atterrissage Legacy ou tout train d’atterrissage semblable, ou tout hélicoptère comprenant un train d’atterrissage semblable, jusqu’à ce que le brevet 787 expire ou qu’un tribunal conclue par ailleurs qu’il est invalide. Il a aussi ordonné (par. 405) à Bell Helicopter de détruire (à l’intérieur de certains délais) la totalité des trains d’atterrissage Legacy en sa possession ou soumis à son autorité ou à son contrôle.

 

[53]           En ce qui concerne la question de la réparation pécuniaire, le juge a refusé de permettre à Eurocopter de choisir entre l’octroi de dommages‑intérêts et la restitution des profits, jugeant cette avenue inappropriée en l’espèce en raison de la complexité d’une éventuelle restitution. Le juge a conclu (par. 412) « qu’un train d’atterrissage, même s’il est essentiel au bon fonctionnement et à la sécurité d’un hélicoptère, ne représente qu’une petite fraction du coût total de cet appareil » et qu’on pouvait donc « se demander s’il convient d’autoriser au départ une restitution des profits » dans les circonstances (par. 415). Il a aussi jugé (par. 414) qu’Eurocopter ne pouvait pas recouvrer les profits découlant de la vente d’hélicoptères Bell 429 équipés du train Production qui n’étaient pas des trains contrefaits, et que la détermination des profits tirés des 21 trains d’atterrissage Legacy fabriqués par Bell Helicopter (mais jamais vendus) serait « un travail hautement complexe et controversé ».

 

[54]           Le juge a donc conclu (par. 416) qu’Eurocopter aurait droit à des dommages‑intérêts généraux, pouvant inclure la perte des profits subie au chapitre des ventes, ou possiblement, la perte de redevances comme mesure subsidiaire.

 

[55]           Le juge a cependant statué que Bell Helicopter pouvait aussi être condamnée à verser des dommages‑intérêts punitifs. Il a jugé (par. 420) que des dommages‑intérêts punitifs pouvaient être « accordés lorsque la conduite d’une partie a été malveillante, opprimante et abusive, choque le sens de la dignité du tribunal ou représente un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable », bien qu’il ait reconnu que ces dommages‑intérêts « ne devraient être accordés que dans les situations où les dommages‑intérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d’atteindre l’objectif qui consiste à punir et à dissuader ».

[56]           Le juge (par. 425 des motifs) a conclu que Bell Helicopter avait adopté un comportement inapproprié en affirmant qu’« elle n’était nullement au courant de l’existence du brevet 787 avant le mois de mai 2008 » ce qui n’était « tout simplement pas plausible et […] contraire à la preuve ». Après avoir examiné avec soin les éléments de preuve dont il disposait (par. 426 à 432 et 437 à 442), et avoir relevé d’importants problèmes de crédibilité dans le témoignage de certains dirigeants de Bell Helicopter (par. 428), le juge a conclu (par. 433) « qu’il existe une preuve évidente de mauvaise foi et de conduite inacceptable de la part de Bell [Helicopter]. Il n’est pas question ici d’une situation dans laquelle la contrefaçon est minime, banale ou isolée, ou d’une situation dans laquelle la partie défenderesse est peu informée ou ignorante. Nous avons affaire ici à une question d’aveuglement volontaire ou de détournement délibéré et planifié de l’invention revendiquée ». Il a aussi jugé (par. 434) que Bell Helicopter a fait une promotion active des ventes de l’hélicoptère Bell 429 équipé du train d’atterrissage Legacy, et qu’elle n’a fait preuve « d’aucun remord et n’a offert aucune excuse pour son comportement ».

 

[57]           Par conséquent, il a conclu (par. 436) qu’» [i]l est nécessaire d’imposer des dommages‑intérêts punitifs dans la présente affaire non seulement pour sanctionner Bell [Helicopter], mais aussi pour dissuader d’autres entités de se comporter d’une manière semblable ». Il a de plus déclaré (par. 436) que « [l]a conduite générale de Bell [Helicopter] est hautement répréhensible et constitue une indifférence complète à l’égard des droits d’Eurocopter, qui a été contrainte d’engager la présente action. Bell [Helicopter] savait fort bien quels étaient le temps, les recherches, les essais et les fonds qu’avait nécessités la mise au point du train d’atterrissage Moustache. »

[58]           Le juge a aussi rejeté l’argument de Bell Helicopter selon lequel il serait prématuré de décider d’accorder des dommages‑intérêts punitifs avant que le montant des dommages‑intérêts généraux compensatoires ait été établi. Il a jugé (par. 446 et 449) que cette affaire était inusitée du fait de la requête conjointe, présentée antérieurement par les parties, demandant à ce que la détermination du montant des dommages‑intérêts fasse l’objet d’une disjonction, laquelle requête a été accueillie en vertu d’une ordonnance rendue le 2 octobre 2009.

 

[59]           Le juge a conclu (par. 450 à 453) que s’il devait souscrire à l’argument de Bell Helicopter il faudrait dans un premier temps calculer le montant des dommages‑intérêts ordinaires, ce qui pourrait donner lieu à des appels et des appels incidents, faisant en sorte que la question de l’adjudication de dommages‑intérêts punitifs ne puisse avant plusieurs années être tranchée. Il a déclaré (par. 453) que cette approche irait « à l’encontre [d’une] solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ».

 

[60]           Le juge a donc décidé de déclarer (par. 456 et 459) qu’Eurocopter « a droit à des dommages‑intérêts punitifs par suite de la contrefaçon par Bell du brevet 787 et de sa conduite délibérée et scandaleuse dans le cas présent ». Il a cependant statué que le montant des dommages‑intérêts punitifs serait fixé en même temps que le montant des dommages‑intérêts généraux lors des audiences ultérieures devant être tenues à cet égard par suite de l’ordonnance de disjonction.

 

 

LES QUESTIONS À TRANCHER DANS LE PRÉSENT APPEL

[61]           Bell Helicopter et Eurocopter soutiennent toutes deux que le juge a commis de nombreuses erreurs en ce qui concerne de nombreux points. Pour procéder à l’examen de leurs arguments respectifs, il convient de regrouper sous les questions suivantes les points soulevés :

a.       Le juge a-t-il commis une erreur dans son interprétation des connaissances générales courantes?

b.      Le juge a-t-il commis une erreur dans son interprétation des revendications du brevet 787 ?

c.       Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que les revendications du brevet 787 n’étaient pas invalides pour cause d’antériorité et en rejetant la défense Gillette présentée par Bell Helicopter?

d.      Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que les revendications du brevet 787 n’étaient pas invalides pour cause d’évidence?

e.       Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la revendication 15 n’était pas invalide pour cause d’absence d’utilité ou de prédiction valable? A-t-il commis une erreur en concluant à l’inverse en ce qui concerne les revendications 1 à 14 et 16?

f.       Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que des dommages‑intérêts punitifs pouvaient être octroyés?

 

LE JUGE A-T-IL COMMIS UNE ERREUR DANS SON INTERPRÉTATION DES CONNAISSANCES GÉNÉRALES COURANTES?

 

[62]           Bell Helicopter soutient que le juge a commis une erreur en restreignant les connaissances générales courantes pertinentes à un train d’atterrissage à patins de forme orthogonale. Bell Helicopter soutient que le juge a, ce faisant, écarté des antériorités qui l’auraient aidé à interpréter de façon appropriée les revendications du brevet 787 de même qu’à trancher la question de savoir si l’invention divulguée par ce brevet était antériorisée ou évidente.

 

[63]           La détermination des connaissances générales courantes appelle une conclusion de fait qui ne peut être infirmée en appel que si une erreur manifeste et dominante a été commise : Apotex Inc. c. ADIR (sub nomine Laboratoires Servier c. Apotex Inc.), 2009 CAF 222, 75 C.P.R. (4th) 443, au par. 73; General Tire & Rubber Company c. Firestone Tyre and Rubber Company Ltd. (1972), 17 R.P.C. 457 (UKCA) (General Tire), à la p. 484.

 

[64]           Les connaissances générales courantes n’englobent pas la totalité de l’information relevant du domaine public. Bien que les connaissances générales courantes d’une personne versée dans l’art comprennent à coup sûr des connaissances en matière de brevets, elles ne comprennent pas la connaissance de la totalité des brevets : General Tire, aux p. 481 à 484. Pas plus d’ailleurs qu’elles ne comprennent la connaissance de la totalité des articles de journaux ou des autres renseignements de nature technique : British Acoustic Films Ltd. c. Nettleford Productions (1935), 53 R.P.C. 221, à la p. 250, citée avec approbation dans General Tire, aux p. 482-483.

 

[65]           Au contraire, il est maintenant reconnu que les connaissances générales courantes se limitent aux connaissances que possède généralement au moment considéré la personne versée dans l’art dans le domaine de la technique ou de la science dont relève l’invention : Sanofi, au par. 37; Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024 (Free World Trust), au par. 31. Par conséquent, les connaissances générales courantes ne concernent qu’un sous-ensemble de brevets, d’articles de journaux et de renseignements techniques qui sont généralement reconnus par les personnes versées dans l’art comme faisant partie des connaissances générales courantes dans le domaine dont relève l’invention : Abbot Laboratories c. Canada (Ministère de la Santé), 2010 CAF 168, 85 C.P.R. (4th) 279, au par. 27; Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 217, 59 C.P.R. (4th) 116, au par. 25 (reprenant des facteurs énoncés dans Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1234); Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2009 CF 991, 80 C.P.R. (4th) 1, aux par. 95 à 100, conf. 2010 CAF 240, 90 C.P.R. (4th) 327.

 

[66]           En l’espèce, le juge a conclu que les connaissances générales courantes auxquelles la personne versée dans l’art puiserait concernent les « trains d’atterrissage classiques », ce type de train étant décrit aux paragraphes 209 et 210 des motifs comme étant un train d’atterrissage à patins de forme orthogonale, dont les traverses avant et arrière sont parallèles et soit perpendiculaires ou sensiblement perpendiculaires aux patins d’appui au sol et qui sont fixées aux patins par un raccord en T (ou manchon), tel qu’illustré au par. 209 des motifs, laquelle illustration est reproduite ci-dessus, au par. 24.

 

[67]           Le juge n’a pas déclaré de façon explicite avec lequel des experts il était d’accord pour définir comme il l’a fait le domaine du brevet et des connaissances générales courantes qui relève de ce domaine. Il n’était cependant pas tenu de le faire. Lorsqu’une cour d’appel révise des conclusions relatives à la preuve tirées par le juge du procès, la norme applicable n’est pas celle de savoir si le juge a donné une description très détaillée des éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé pour tirer ses conclusions, mais plutôt celle de savoir si les motifs rédigés par le juge du procès démontrent qu’il a saisi l’essentiel de l’affaire : R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, au par 43; Corlac Inc. c. Weatherford Canada Ltd., 2011 CAF 228, 95 C.P.R. (4th) 101 (Weatherford), au par. 87.

 

[68]           En l’espèce, le juge a satisfait à cette norme. Il a de toute évidence pris en compte la totalité des rapports d’experts (par. 141 des motifs) et il a décrit avec soin (par. 101 à 153 des motifs) ses impressions à l’égard de ces rapports. De plus, il ressort clairement de la preuve, qu’en ce qui concerne les connaissances générales courantes, le juge s’est fondé sur le rapport d’expert présenté par M. Andrew Logan, daté du 31 août 2010, étant donné que la totalité des descriptions figurant aux par. 209 et 210 des motifs se trouvent aux par. 55 à 57 du rapport de cet expert, reproduit dans le dossier d’appel (DA), vol. 4, onglet 62, aux p. 919-920.

 

[69]           De plus, dans ses divers rapports, M. Logan a écarté des documents d’antériorité auxquels renvoyait Bell Helicopter, soit parce que ces documents ne concernaient pas des hélicoptères ayant éprouvé des problèmes de résonance au sol, soit qu’ils relevaient de domaines techniques autres que celui relatif aux trains d’atterrissage, ou qu’ils étaient, par ailleurs, non pertinents : réponse de M. Logan aux questions relatives la validité, signifiée le 12 novembre 2010, aux par. 104 à 110 (reproduite dans le DA, vol. 9, onglet 113, aux p. 2199‑2200); rapport d’expert de réfutation de M.Logan, signifié le 10 décembre 2010, aux par. 6 à 11 (reproduit dans le DA, vol. 7, onglet 93, aux p. 1802 à 1805).

 

[70]           Lorsqu’il a précisé l’étendue des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art, le juge s’est donc fondé sur l’expertise de M. Logan, accordant sa préférence à ses conclusions d’expert plutôt qu’à celles soumises par les experts de Bell Helicopter. Il était loisible au juge de se fier à un expert plutôt qu’à un autre pour circonscrire les connaissances générales courantes. Les tribunaux d’appel ne peuvent infirmer une conclusion de fait que lorsqu’il est établi que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante ou tiré des conclusions de fait manifestement erronées, déraisonnables ou non étayées par la preuve : F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41, au par. 55, citant avec approbation l’arrêt H. L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401, aux par. 4 et 56-57. Lorsque, comme en l’espèce, le juge de première instance s’appuie sur des éléments de preuve pour tirer une conclusion, le tribunal peut difficilement conclure à l’existence d’une erreur manifeste et dominante : F.H. c. McDougall, précité, au par. 55.

 

[71]           Bell Helicopter n’est pas satisfaite du résultat de l’analyse faite par le juge du témoignage d’expert ayant trait aux connaissances générales courantes et elle nous demande, en fait, d’apprécier à nouveau ce témoignage de façon à ce que notre Cour substitue ses conclusions à celles du juge. Or, le tribunal qui siège en appel ne « réentend » pas une affaire ni ne l’« insruit à nouveau » : H.L. c. Canada (Procureur général), précité, au par. 52.

 

[72]            En conclusion, Bell Helicopter ne m’a pas convaincu que le juge avait commis une erreur manifeste et dominante en définissant, comme il l’a fait, les connaissances générales courantes, ou en ne tenant pas compte de l’art antérieur ou en soustrayant certaines antériorités aux connaissances générales courantes.

 

LE JUGE A-T-IL COMMIS UNE ERREUR DANS L’INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS DU BREVET 787?

 

[73]           L’interprétation des revendications est une question de droit : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067 (Whirlpool), au par. 76.

 

[74]           Comme il a été déclaré au par. 53 de l’arrêt Whirlpool, les mots utilisés dans un brevet doivent être examinés et compris « du point de vue et à la lumière des connaissances usuelles du travailleur moyennement versé dans le domaine auquel le brevet a trait ». Cette approche permet au lecteur d’apprécier la nature et la description de l’invention sur le plan technique. Le juge peut donc être assisté par des témoins experts lorsqu’il interprète les revendications. Il n’est cependant pas lié par l’opinion des experts. L’évaluation de la preuve d’expert par un juge, est une conclusion de fait qui ne sera pas infirmée en appel, sauf erreur manifeste et dominante : Halford c. Seed Hawk Inc. 2006 CAF 275, 54 C.P.R. (4th) 130, au par. 11; Weatherford, au par. 24.

 

Première question : le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la traverse arrière du train d’atterrissage décrit dans le brevet 787 doit être verticale ou sensiblement verticale?

 

[75]           Bell Helicopter soutient que même si l’interprétation que le juge fait du brevet 787 est en grande partie correcte, il a néanmoins commis une erreur en assortissant des limites à la traverse arrière du train d’atterrissage décrite dans le brevet. Cette interprétation erronée aurait incité le juge à écarter des éléments qui auraient antériorisé l’invention ou l’aurait rendue évidente, particulièrement en ce qui concerne la revendication 15, la seule revendication du brevet reconnue valide par le juge. Bell Helicopter fait valoir que le brevet n’aurait pas dû être interprété de façon qui suppose que a) la traverse arrière du train d’atterrissage est verticale ou sensiblement verticale, et b) que les traverses avant et arrière du train d’atterrissage ne sont pas parallèles l’une par rapport à l’autre.

 

[76]           Le juge a expliqué et justifié son interprétation de la revendication de la façon suivante (par. 241 des motifs) :

Un autre sujet de litige est lié à l’inclinaison, si inclinaison il y a, de la traverse arrière. À première vue, la revendication 1 n’indique pas que la traverse arrière doit être verticale, et encore moins sensiblement verticale. Cela dit, après avoir examiné la totalité des preuves d’expert, la Cour conclut qu’il serait évident aux yeux de la personne […] versée dans l’art que les mots « traverse arrière » peuvent seulement désigner une traverse classique, sensiblement verticale, c’est-à-dire à plus ou moins 90º. La Cour rejette l’avis des experts de Bell [Helicopter] (notamment M. Toner) selon lequel la personne […] versée dans l’art ne saurait pas que la traverse arrière doit être verticale (ou sensiblement verticale). Cela est manifestement contraire à ce qu’indique le brevet 787. La Cour accepte aussi que la revendication 1 n’inclut pas un train d’atterrissage muni d’une traverse arrière parallèle à la traverse avant, toutes deux verticales ou sensiblement verticales.

 

 

[77]           À mon avis, le juge n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en interprétant de la sorte la revendication du brevet.

 

[78]           En effet, le mémoire descriptif du brevet 787 indique clairement (lignes 24 à 26 de la p. 4 de la version française originale) que la traverse arrière pourra être reliée de façon classique. Comme l’a conclu le juge aux par. 209 et 210 des motifs, le fait que la traverse arrière soit verticale ou sensiblement verticale, et que les traverses avant et arrière soient parallèles étaient des caractéristiques bien connues des trains d’atterrissage d’hélicoptère classiques faisant partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Par conséquent, la personne versée dans l’art comprendrait aisément que la traverse arrière « classique » du train d’atterrissage décrit dans le brevet serait verticale ou sensiblement verticale, à l’instar des autres trains d’atterrissage « classiques » qui font partie des connaissances générales courantes. En effet, il importe d’interpréter le libellé de la revendication d’une façon éclairée et en fonction de l’objet, au regard du mémoire descriptif du brevet et des connaissances générales courantes des personnes versées dans l’art à la date de publication du brevet : Whirlpool, aux par. 48 et 52-53; Free World Trust, au par. 31.

 

[79]           Pour les mêmes raisons, la personne versée dans l’art comprendrait aussi aisément qu’en positionnant de façon non parallèle les traverses avant et arrière, les inventeurs soulignaient une différence évidente par rapport à l’art antérieur, et que, par conséquent, la revendication 1 du brevet ne visait pas un train d’atterrissage muni d’une traverse arrière parallèle à la traverse avant, toutes deux verticales ou sensiblement verticales.

 

[80]           À mon avis, l’interprétation faite par le juge de la revendication du brevet telle que décrite ci-dessus est entièrement conforme aux principes d’interprétation applicables en matière de brevets, en plus d’être logique et convaincante.

 

 

 

Deuxième question : le juge a-t-il commis une erreur en interprétant les éléments essentiels du train d’atterrissage décrit dans le brevet 787 ?

 

[81]           Eurocopter soutient pour sa part que le juge a commis une erreur dans son interprétation des éléments essentiels du brevet 787. Les éléments qu’Eurocopter déclare ne pas être essentiels sont a) la « double courbure » des zones de transition; b) la position des zones de transition à l’extrémité du patin, à l’avant du point de contact au sol; et c) l’intégration conceptuelle de la traverse avant dans les patins, ce qui ne permet pas la substitution de la première courbure par un raccord en T ou manchon.

 

[82]           Selon Eurocopter, c’est le concept de l’invention qui revêt de l’importance. Elle soutient que les trains d’atterrissage d’hélicoptère qui du point de vue fonctionnel sont équivalents au train d’atterrissage Moustache contrefont tous le brevet 787. Il en serait ainsi que le train d’atterrissage soit doté d’un manchon rigide ou d’un autre raccord remplaçant la courbure inférieure des zones de transition avant, ou qu’il soit doté de patins à saillie à l’avant des zones de transition. Eurocopter ajoute que si le juge avait interprété de façon appropriée les éléments essentiels des revendications, il aurait été obligé de conclure que le train d’atterrissage Production contrefaisait le brevet 787.

 

[83]           À mon avis, ces arguments sont totalement incompatibles avec le libellé du brevet 787.

 

[84]           L’interprétation téléologique des revendications d’un brevet repose sur la détermination par le tribunal de ce qui, selon l’inventeur, constituent les éléments « essentiels » de l’invention, tout en distinguant ceux qui ne le sont pas : Whirlpool, aux par. 45 à 47; Free World Trust, au par. 31. Il incombe au breveté d’établir qu’un élément n’est pas essentiel, et qu’il est donc possible de lui en substituer un autre. Si le breveté ne se décharge pas de ce fardeau, l’expression ou le mot descriptif figurant dans la revendication doit être considéré comme essentiel, sauf si la teneur des revendications indique le contraire : Free World Trust, au par. 57.

 

[85]           Pour qu’un élément soit jugé comme non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir a) que, suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou b) qu’à la date de publication du brevet, la personne versée dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention, c.-à-d. que, si la personne versée dans l’art avait alors été informée de l’élément décrit dans la revendication et de la variante, et qu’on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière (dans le sens où la variante accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat), sa réponse aurait été affirmative : Free World Trust, au par. 55.

 

[86]           Dans l’arrêt Free World Trust, aux par. 55 et 56, le juge Binnie a formulé des précisions sur cette analyse en faisant mention avec approbation des trois questions ou étapes énoncées par le juge Hoffman dans Improver Corp. c. Remington Consumer Products Ltd., [1990] F.S.R. 181, à la p. 182 pour déterminer si un élément d’un brevet est essentiel :

(i)     La variante influence-t-elle de façon appréciable le fonctionnement de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans la négative :

 

(ii)   Le fait que la variante n’influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l’invention aurait-il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans l’affirmative :

(iii) L’expert du domaine conclurait-il malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication,   que le breveté considérait qu’une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication.

 

 

 

[87]           Le libellé de la version française originale de la première revendication, et sa traduction en anglais, se lisent comme suit :

1.   Train d’atterrissage pour hélicoptère, comprenant deux patins présentant chacun une plage longitudinale d’appui au sol et reliés à une traverse avant et à une traverse arrière elles-mêmes assujetties à la structure de l’hélicoptère par des organes de liaison, la traverse arrière étant fixée par les extrémités de ses branches descendantes à la partie arrière desdites plages longitudinales d’appui, caractérisé en ce que chacun desdits patins présente à l’avant une zone de transition inclinée à double courbure s’orientant transversalement auxdites plages longitudinales d’appui au sol, au-dessus du plan de ces dernières, les deux zones de transition constituant ensemble, de la sorte, une traverse avant intégrée, décalée par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol.

 

[Je souligne.]

1.   Helicopter landing gear, comprising two skids each having a longitudinal ground support surface and connected to a front cross piece and rear cross piece which are themselves attached to the structure of the helicopter by connecting devices, the rear cross piece being attached by the ends of its descending branches to the rear part of said longitudinal support surface, characterized in that each of the said skids has at the front an inclined transition zone with double curvature orienting itself transversely in relation to said longitudinal ground support surfaces, above the plane of the latter, the two transition zones together constituting, in this way, an integrated front cross piece, offset in relation to the front delimitation of the plane of contact of the longitudinal support surfaces of the skids on the ground.

 

[Emphasis added.]

 

 

 

[88]           Ces caractéristiques de l’invention décrite dans la revendication sont reprises tout au long du mémoire descriptif du brevet 787. Je souligne plus particulièrement l’extrait suivant du mémoire descriptif (lignes 9 à 12 de la p. 9) :

On comprend que la forme générale de cette traverse avant intégrée, et située en porte-à-faux à l’avant des patins, ou en retrait vers l’arrière, résulte principalement de cintrages des tubes, dans deux plans différents, des deux côtés du train (droit et gauche).

 

[Je souligne.]

It is understood that the overall shape of this integrated front cross pièce, which is situated such that it protrudes in front of the skids, or such that it is offset backwards, results mainly from the bending of the tubes, in two different planes, on both sides of the gear (right and left).

 

[Emphasis added.]

 

 

 

[89]           Les figures 4a, 4b et 10 du brevet 787 (reproduites ci-dessus au par. 27 de ces motifs) présentent cette double courbure plus en détail. Le mémoire descriptif fournit l’explication suivante quant à ces figures : (de la ligne 26 à la p. 10 jusqu’à la ligne 7 à la p. 11) :

À l’avant, chacun des patins P présente, à la suite de la plage longitudinale d’appui 1 correspondante, une zone de transition T à double courbure, avant de constituer la traverse avant intégrée 8. Cette zone de transition T est obtenue par un premier cintrage C1 de rayon R, redressant la plage d’appui 1 vers le haut (figure 4a), et par un second cintrage C2, par exemple également de rayon R, faisant suite au cintrage C1 et à la suite duquel s’étend transversalement la traverse avant proprement dite 8.

 

[Je souligne.]

At the front, each of the skids P has, after the corresponding longitudinal support surface 1, à transition zone T with double curvature before constituting the integrated front cross piece 8. This transition zone T is obtained by a first bend C1 of radius R, bending the support stretch 1 upwards (figure 4a), and by a second bend C2, for example also of radius R, following the bend C1 and after which the actual front cross piece 8 extends transversely.

 

[Emphasis added.]

 

 

 

[90]           Les témoins experts étaient tous d’avis a) que la double courbure était essentielle; b) que les zones de transition devaient se trouver à l’extrémité du patin, à l’avant du point de contact au sol; et c) que la traverse avant intégrée résulte d’une intégration à la fois fonctionnelle et conceptuelle, de sorte que l’intégration des formes permet au train d’atterrissage de fonctionner de la façon prévue.

 

 

[91]           M. Logan est le seul expert qui a exprimé un point de vue contraire. Son opinion sur la question a cependant été rejetée par le juge. Comme l’a souligné ce dernier (par. 243 des motifs) : « La simple affirmation de M. Logan selon laquelle la double courbure est un élément non essentiel n’est guère convaincante, non seulement quand on la compare aux explications plus convaincantes de M. Hodges au sujet de la nature essentielle de cette courbure, mais même si l’on se rapporte au libellé et aux illustrations du brevet 787 lui-même ».

 

[92]           Le juge (par. 226 des motifs) s’est de plus prononcé en faveur de l’interprétation de M. Hodges, selon laquelle « à l’avant » signifie « à l’extrémité du patin, à l’avant du point de contact au sol ». Il a aussi écarté de façon explicite l’interprétation de M. Logan selon laquelle cela voudrait plutôt dire « à la partie avant », ce qui permet de prévoir un bout de ski (une spatule) en saillie (ou dépassant) à l’avant de la première courbure de la zone de transition. Le juge a plutôt conclu (par. 226) « que le libellé général du brevet 787 n’autorise pas naturellement cette dernière interprétation. L’opinion de M. Logan est purement influencée par le résultat qu’Eurocopter cherche à obtenir, plutôt que par ce qu’une personne […] versée dans l’art comprendrait en lisant le brevet 787. »

 

[93]           Le juge a également écarté l’opinion de M. Logan, selon laquelle il était nécessaire d’intégrer la traverse avant aux patins uniquement d’un point de vue fonctionnel, de facon à obtenir une pièce ou un élément unique intégré, autorisant ainsi la présence d’un manchon ou d’un raccord dans la partie avant du patin. Il a conclu (par. 233) que « le brevet 787 n’autorise tout simplement pas l’interprétation que fait M. Logan ». Il a plutôt été favorable (par. 233 à 237) à l’interprétation de M. Hodges, laquelle autorisait la présence de raccords dans les parties inférieures de la courbure, mais pas d’un manchon rigide ou d’un autre raccord dans les zones supérieures de la courbure. D’ailleurs, cette interprétation concordait entièrement avec le libellé du brevet.

 

[94]           Eurocopter ne m’a pas convaincu que le juge a commis une erreur en tirant ces conclusions.

 

Troisième question : le juge a-t-il commis une erreur en ne prenant pas en compte l’équivalence fonctionnelle du train d’atterrissage divulguée dans le brevet 787?

 

[95]           Les arguments d’Eurocopter vont toutefois au-delà de l’interprétation des revendications. Elle est également d’avis qu’il est possible qu’une partie soit réputée avoir contrefait un brevet même si elle a omis ou modifié un élément que le brevet décrit comme essentiel. Elle soutient qu’en matière de contrefaçon, l’invention devrait être examinée et comparée du point de vue de son équivalence fonctionnelle avec d’autres trains d’atterrissage, comme le train d’atterrissage Production de Bell Helicopter : voir les par. 114 à 117, 123 et 129 du mémoire d’Eurocopter.

 

[96]           Cette approche est clairement incompatible avec les enseignements de l’arrêt Free World Trust étant donné qu’elle ne reconnaît pas la primauté de la teneur des revendications pour déterminer leurs éléments essentiels, un principe qui selon la Cour suprême sert d’assise à l’interprétation des revendications : Free World Trust, au par. 31, 40 et 51; voir aussi Easton Sports Canada Inc. c. Bauer Hockey Corp., 2011 CAF 83, 92 C.P.R. (4th) 103 (Bauer Hockey), aux par. 51 à 53; Bridgeview Manufacturing Inc. c. 9314409 Alberta Ltd. (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188, 87 C.P.R. (4th) 195, aux par. 35-36; Canamould Extrusions Ltd. c. Driangle Inc., 2004 CAF 63, 30 C.P.R. (4th) 129, au par. 25.

 

[97]           Comme l’a justement noté le juge Binnie, au par. 32 de l’arrêt Free World Trust :

Je le répète, l’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité. Il n’est pas légitime, par exemple, de faire breveter un procédé permettant de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie et de prétendre ensuite que n’importe quel moyen d’obtenir ce résultat emporte la contrefaçon du brevet.

 

 

 

[98]           Les arguments avancés par Eurocopter relativement à l’équivalence fonctionnelle ne sont pas seulement erronés en droit. Ils font aussi fi des conclusions de fait tirées par le juge.

 

[99]           En ce qui concerne les facteurs de charge, les experts s’accordent pour dire que plus la suspension est ferme, plus le facteur de charge est élevé, occasionnant ainsi des contraintes accrues sur la structure et un inconfort additionnel pour les passagers. Le juge a conclu (par. 262 des motifs) qu’«  il va sans dire que le fait de remplacer l’une des courbes par un manchon rigide aura pour effet d’augmenter la rigidité générale du train d’atterrissage, ce que M. Logan a lui-même confirmé. C’est donc dire que la personne […] versée dans l’art ne serait pas en mesure de dire qu’un tel remplacement n’aurait manifestement pas d’effet sur la flexibilité du train d’atterrissage. » Il ajoute plus loin (par. 245 des motifs) que « pour ce qui est du facteur de charge, la personne […] versée dans l’art aurait manifestement saisi que la façon dont les charges sont réparties au moyen d’un manchon rigide sera différente de celle dans laquelle les charges sont réparties par la double courbure du train d’atterrissage Moustache. »

 

[100]       Pour ce qui est du poids, le juge a aussi conclu (par. 245 des motifs) que la personne versée dans l’art « aurait manifestement compris qu’un manchon rigide serait plus lourd que la double courbure décrite dans le brevet 787 ». Se fondant sur l’expertise de M. Gandhi, le juge a de plus conclu (par. 245) « [qu’] un manchon est plus rigide et ne fonctionne pas de la même façon que la double courbure de la zone de transition inclinée du train d’atterrissage Moustache décrite dans le brevet 787 ». Il a par conséquent conclu que le train d’atterrissage à double courbure et le train d’atterrissage Production ne fonctionnent pas de la même manière.

 

[101]       Aux paragraphes 119 et 120 de son mémoire, Eurocopter soutient que les documents d’homologation de l’hélicoptère Bell 429 établissent une équivalence fonctionnelle entre le train d’atterrissage Production et le train d’atterrissage Legacy. Cet argument ne tient pas compte des conclusions claires exprimées par le juge (par. 256) suivant lesquelles « la preuve n’étaye pas cet argument ».

 

[102]       Pour ce qui est de la résonance au sol, Eurocopter soutient de plus (par. 121 et 122 de son mémoire) que le train d’atterrissage Production est semblable du point de vue de la dynamique au train d’atterrissage décrit dans le brevet 787 et se fonde, à cet égard, sur l’analyse réalisée par un de ses experts, M. Wood. Or, contrairement à ce qu’avance Eurocopter à ce chapitre, le juge a souscrit (par. 255 des motifs) « au témoignage (sic) de MM. Hodges et Gandhi, selon lesquels la rigidité additionnelle du manchon présent dans le train Production a été sous-évaluée [par M. Wood]. Quoi qu’il en soit, son analyse [celle de M. Wood] a fait ressortir des différences dans les fréquences de tangage et de roulis entre les deux trains d’atterrissage. M. Wood a admis que si la rigidité de la sellette avait été convenablement modélisée, la différence de fréquence aurait probablement été encore supérieure. »

 

[103]       Je rejetterais donc les arguments d’Eurocopter concernant les erreurs que le juge aurait commises dans son interprétation des revendications du brevet. Par conséquent, je rejetterais également les arguments d’Eurocopter, selon lesquels le juge a commis une erreur en concluant que le train d’atterrissage Production ne contrevenait pas au brevet 787. Compte tenu de ces conclusions, il ne m’est pas nécessaire d’examiner les arguments connexes présentés par Eurocopter liés à sa demande de restitution des profits tirés des ventes du train d’atterrissage Production.

 

LE JUGE A-T-IL COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QUE LES REVENDICATIONS DU BREVET 787 N’ÉTAIENT PAS INVALIDES POUR CAUSE D’ANTÉRIORITÉ ET EN REJETANT LA DÉFENSE GILLETTE PRÉSENTÉE PAR BELL HELICOPTER?

 

[104]       L’antériorité d’une invention soulève des questions mixtes de fait et de droit : Weatherford, au par. 36; Calgon Carbon Corporation c. North Bay (ville), 2008 CAF 81, 64 C.P.R. (4e) 337, au par. 6; Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., 2002 CAF 158, [2003] 1 C.F. 49, au par. 46. Les questions mixtes de fait et de droit supposent l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits. On peut qualifier d’erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte l’erreur commise dans l’analyse de l’antériorité qui découle de l’application d’une mauvaise norme juridique, de l’omission de prendre en compte un élément essentiel d’une norme juridique ou qui constitue une erreur de principe de nature similaire. Cependant, lorsque la question en appel concerne l’interprétation d’éléments de preuve, ou lorsqu’elle ne peut être isolée des questions relatives aux éléments de preuve, la conclusion ne devrait pas être infirmée en l’absence d’une erreur manifeste et dominante.

 

[105]       La charge de la preuve selon la prépondérance des probabilités incombe à la partie qui invoque l’invalidité du brevet pour cause d’antériorité : Weatherford, au par. 45-46; Diversified Products Corp. and Brown Fitzpatrick Lloyd Patent Ltd. c. Tye-Sil Corp. (1991), 125 N.R. 218, 35 C.P.R. (3d) 350 (CAF), au par. 26 de l’édition N.R.

 

 

[106]       L’appréciation de l’antériorité est assujettie à l’application d’un critère objectif afin de déterminer si deux conditions essentielles sont remplies : a) il y a eu divulgation antérieure b) cette divulgation a permis de réaliser l’invention. Ces deux conditions devraient habituellement faire l’objet d’un examen distinct : Sanofi, au par. 28.

 

 

[107]       L’appréciation de la première condition, soit la divulgation antérieure, se fait du point de vue de la personne versée dans l’art, laquelle doit comprendre l’invention à partir de la divulgation, tout essai étant exclu : Sanofi, aux par. 24-25, citant Synthon B.V. c. SmithKline Beecham plc, [2005] UKHL 59, [2006] 1 All E.R. 685. À ce stade, la personne versée dans l’art analyse la divulgation afin de comprendre l’invention et déterminer quels en sont les avantages particuliers : Sanofi, aux par. 25 et 32.

[108]       L’appréciation de la deuxième condition, le caractère réalisable de l’invention, est effectuée lorsqu’il a été établi, de façon objective, que l’objet de l’invention a en effet été divulgué. Au moment de l’examen du caractère réalisable, il ne s’agit plus de savoir ce que la personne versée dans l’art a compris grâce à la divulgation, mais si cette personne serait en mesure d’exécuter l’invention sans trop de difficultés : Sanofi, aux par. 26 et 37. Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Il est permis, à cette étape, de réaliser certains essais, mais ils ne doivent pas se prolonger, et ce, même dans des domaines techniques où ils sont monnaie courante : Sanofi, aux par. 27 et 33 à 37.

 

[109]       L’invention peut être antériorisée par une publication ou une communication verbale ou du fait de son utilisation. En l’espèce, Bell Helicopter n’invoque que l’antériorité par publication. L’antériorité par publication antérieure exige que l’invention ait en fait été divulguée dans des documents écrits accessibles au public, comme les brevets, les articles de journaux et la littérature spécialisée, y compris les manuels et brochures d’instruction et de réparation. Le critère objectif applicable à la divulgation par publication antérieure est énoncé dans l’affaire Beloit Canada Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, 64 N.R. 287, au par. 30 de l’édition N.R. :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Lorsque, comme c’est le cas ici, l’invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d’antériorité.

 

[110]       Il a été fait mention avec approbation du critère de l’antériorité susmentionné dans l’arrêt Free World Trust, au par. 26, où il a de plus été souligné qu’il était difficile à remplir. Sous réserve de la distinction existant entre la divulgation et le caractère réalisable, il y a toujours lieu d’appliquer ce critère en matière d’antériorité : Sanofi, au par. 28.

 

[111]       Bell Helicopter soutient que le juge a commis une erreur en rejetant ses arguments ayant trait à l’antériorité fondés sur les documents portant sur les collisions avec des obstacles, et elle invoque essentiellement les documents rédigés par M. Bharat P. Gupta (JB-204, DA, vol. 21, onglet 336; JB-493, DA, vol. 28, onglet 463; JB-497, DA, vol. 28, onglet 464).

 

[112]       Le juge a conclu (par. 282 des motifs) que les figures se trouvant dans les documents portant sur les collisions avec des obstacles, y compris les figures se trouvant dans la documentation dont M. Gupta est le coauteur, pouvaient « être facilement interprétées erronément ». Il a aussi conclu (par. 286) que le texte d’accompagnement des figures était trop laconique et qu’il exigeait des experts qu’ils tirent des inférences des autres dessins. Il a de plus conclu (par. 287) que « la double courbure, qui est un élément essentiel de la revendication 1 du brevet 787, est absente ».

 

[113]       Étant donné que le critère de l’antériorité ne laisse aucune place aux conjonctures, le juge a conclu (par. 286 et 288) que les documents portant sur les collisions avec des obstacles ne permettaient pas à une personne versée dans l’art de réaliser l’invention divulguée dans le brevet 787, et que Bell Helicopter ne s’était, par conséquent, par déchargée du fardeau d’établir que les exigences du critère de l’antériorité, soit la divulgation et le caractère réalisable, avaient été remplies au regard des documents portant sur les collisions avec des obstacles.

 

[114]       Après avoir examiné les documents portant sur les collisions avec des obstacles versés au dossier, Bell Helicopter ne m’a pas convaincu que le juge avait commis une erreur manifeste et dominante dans son analyse de ces documents.

 

[115]       Je souligne particulièrement que même les experts dont Bell Helicopter a retenu les services « ont admis qu’il faut utiliser plusieurs angles différents pour comprendre comme il faut une configuration de train d’atterrissage, chose que les documents portant sur les collisions avec des obstacles ne comportent pas » : par. 285 des motifs. Comme les illustrations se trouvant dans ces documents ne sont pas concluantes, et comme le texte d’accompagnement n’aide pas à comprendre la configuration des trains d’atterrissage que ceux‑ci divulguent, les arguments soumis par Bell Helicopter en matière d’antériorité se fondent en très grande partie sur des hypothèses. Par conséquent, de toute évidence ces arguments ne satisfont pas aux exigences du critère de l’antériorité examiné précédemment. Par voie de conséquence, la défense Gillette invoquée par Bell Helicopter échoue également.  

 

LE JUGE A-T-IL COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QUE LES REVENDICATIONS DU BREVET 787 N’ÉTAIENT PAS INVALIDES POUR CAUSE D’ÉVIDENCE?

 

[116]       Bell Helicopter fait également valoir que le brevet 787 est invalide pour cause d’évidence. Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui allègue l’invalidité d’un brevet pour cause d’évidence : Proctor & Gamble Co. c. Beecham Canada Ltd. (1982), 40 N.R. 313; 61 C.P.R. (2d) 1 (FCA), aux par. 75 et 84 à 87 de l’édition N.R.; 671905 Alberta Inc. c. Q’Max Solutions Inc., 2003 CAF 241; 305 N.R. 137, au par. 44.

 

[117]       La détermination du critère juridique applicable en matière d’évidence est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, alors que les conclusions de fait tirées lors de l’application de ce critère sont susceptibles de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante : Bauer Hockey, au par. 35.

 

[118]       Alors qu’en matière d’antériorité la question est de savoir si l’invention a antérieurement été accessible au public, en matière d’évidence il s’agit de déterminer si l’invention était évidente et, par conséquent, ne comportait aucune étape inventive. Le critère applicable en matière d’évidence a été énoncé de la façon suivante dans l’arrêt de notre Cour Beloit Canada Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1986), précité, au par. 18 de l’édition N.R. :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour résoudre le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art, mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire. [Je souligne.]

 

 

[119]       La Cour suprême du Canada a considérablement raffiné ce critère dans l’arrêt Sanofi. Suivant le cadre d’analyse préconisé pour le Royaume-Uni en matière d’évidence dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd. (1984), 1985 R.P.C. 59 (C.A.), mis à jour dans Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37, [2007] EWCA Civ 588 (C.A.), la démarche à quatre volets décrite ci-dessous en matière d’évidence a été énoncée par le juge Rothstein, au par. 67 de l’arrêt Sanofi, dans le but d’apporter une structure, de l’objectivité ainsi que de la clarté à l’examen relatif à l’évidence :

(1)        a)  Identifier la « personne versée dans l’art »;

 

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2)       Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3)       Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

 

(4)       Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

 

 

[120]       Au par. 69 de l’arrêt Sanofi, le juge Rothstein a de plus conclu que lorsque les circonstances le justifient, l’application du critère « de l’essai allant de soi » devrait être prise en compte à la quatrième étape de l’examen relatif à l’évidence. Ce critère fait entrer en jeu les éléments suivants :

                                                              i.      Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

                                                            ii.      Quels efforts - leur nature et leur ampleur - sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

                                                          iii.      L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

 

 

 

[121]       Bell Helicopter soutient (par. 34 à 36 de son mémoire) que le juge a commis une erreur dans le cadre de son examen relatif à l’évidence en définissant l’idée originale du brevet 787 en se référant au mémoire descriptif, et en tenant compte des avantages associés à la réaction à la résonance au sol et à la réduction des facteurs de charge qui sont mentionnés dans le mémoire descriptif, mais qui ne sont pas décrits de façon spécifique dans les revendications du brevet.

 

[122]       Bell Helicopter cherche à s’appuyer sur (par. 37 de son mémoire) le par. 67 de l’arrêt Sanofi, le par. 267 de l’affaire Sanofi Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 676, 77 C.P.R. (4th) 99, et le par. 157 de l’affaire Ratiopharm Inc. c. Pfizer Ltd., 2009 CF 711, 76 C.P.R. (4th) 241, pour étayer sa thèse que l’interprétation de l’idée originale doit découler des revendications (non du mémoire descriptif) et qu’il convient d’appliquer la même approche que celle utilisée dans l’interprétation initiale de la revendication . À son avis, le juge a donc commis une erreur de droit dans son interprétation de l’idée originale énoncée dans les revendications. Cette erreur commanderait donc que notre Cour procède à l’application de novo du critère à quatre volets relatif à l’évidence établi dans l’arrêt Sanofi.

 

[123]       Je ne suis pas d’accord avec les arguments de Bell Helicopter. Dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada a statué que lorsque l’idée originale ne peut être saisie à partir des revendications du brevet, il est possible de se fonder sur le mémoire descriptif. Le juge Rothstein s’est exprimé en ces termes aux par. 76 à 78 de l’arrêt Sanofi :

[76]          L’interprétation des revendications du brevet 777 n’est pas en cause. Il est entendu que celles-ci visent l’isomère dextrogyre du racémate, ses sels pharmaceutiquement acceptables et leurs procédés d’obtention.

 

[77]          Il n’est pas facile de saisir l’idée originale à partir ses seules revendications. La seule présence d’une formule chimique ne permet pas de déterminer l’inventivité de la revendication. J’estime donc que l’on doit pouvoir se fonder sur le mémoire descriptif pour définir l’idée originale qui sous-tend les revendications. On ne saurait cependant s’appuyer sur le mémoire descriptif pour interpréter le texte des revendications de façon plus restrictive ou plus extensive.

 

[78]          En l’espèce, il est clair que l’idée originale à la base des revendications du brevet 777 est un antiplaquettaire à l’effet thérapeutique supérieur et à la toxicité moindre comparativement aux autres composés couverts par le brevet 875, et les méthodes permettant de l’obtenir.

 

[Je souligne.]

 

 

 

[124]       Notre Cour a également statué au par. 58 de l’affaire Apotex c. ADIR (sub. nom. Laboratoires Servier c. Apotex Inc.), précité, qu’il « n’est pas nécessairement facile de saisir l’idée originale à partir des seules revendications, même dans les cas où l’interprétation des revendications n’est pas en cause ». Dans l’arrêt Allergan c. Canada (Ministre de la Santé), 2012 CAF 308, 105 C.P.R. (4e) 371, aux par. 22, 23, 50 et 74, notre Cour a de plus récemment jugé qu’il conviendrait de prendre en compte l’utilité d’une invention lorsqu’il s’agit de saisir le concept inventif du brevet.

 

[125]       En outre, les décisions sur lesquelles s’appuie Bell Helicopter ne font pas autorité en ce qui a trait à la position qu’elle fait valoir. Dans la décision Ratiopharm Inc. c. Pfizer Ltd., précitée, la détermination du concept inventif, lors de la deuxième étape de l’examen relatif à l’évidence énoncé dans l’arrêt Sanofi, n’était pas en cause. C’était plutôt, dans ce cas, la quatrième étape de l’examen qui l’était, soit celle qui consiste à établir s’il aurait été évident pour une personne versée dans l’art de faire l’essai d’une variété de sels dans sa recherche de la solution que préconise le brevet : Ratiopharm Inc. c. Pfizer Ltd., précitée, aux par. 157 à 172. De plus, l’arrêt Sanofi Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., précité, ne fait pas autorité en droit sur cette question étant donné que notre Cour, saisie de l’appel interjeté de ce jugement, a précisément refusé d’approuver les remarques incidentes de la juge de première instance en ce qui concerne l’évidence : Sanofi Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2011 CAF 300, au par. 13.

 

[126]       Par conséquent, je conclus que le juge n’a commis aucune erreur de principe dans la façon dont il a saisi le concept inventif.

 

[127]       Comme il est nécessaire pour procéder de novo à l’analyse relative à l’évidence comme le propose Bell Helicopter de conclure dans un premier temps que le juge a commis une erreur en définissant le concept inventif, je n’estime pas nécessaire d’examiner les arguments de Bell Helicopter portant sur cet examen de novo. Je soulignerai simplement que, encore une fois, Bell Helicopter se fonde essentiellement sur les documents portant sur les collisions avec des obstacles dont il a déjà été fait mention précédemment et qui ont été écartés à juste titre par le juge au regard des arguments relatifs à l’antériorité présentés par Bell Helicopter.

 

[128]       J’ajouterai que dans le contexte du programme MAPL, la conception du train d’atterrissage Legacy ne semblait pas évidente pour Bell Helicopter, ce qui l’a même incitée à étudier et à analyser pendant plusieurs mois un hélicoptère EC120 loué, doté du train d’atterrissage Moustache. Dans ces circonstances, les allégations relatives à l’évidence de Bell Helicopter n’ont guère de poids et semblent vides de sens.

 

LE JUGE A-T-IL COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QUE LA REVENDICATION 15 N’ÉTAIT PAS INVALIDE POUR CAUSE D’ABSENCE D’UTILITÉ OU DE PRÉDICTION VALABLE? A-T-IL COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT À L’INVERSE EN CE QUI CONCERNE LES REVENDICATIONS 1 À 14 ET 16?

 

[129]       Les contestations de brevets pour cause d’absence d’utilité soulèvent habituellement des questions mixtes de fait et de droit. Les conclusions de fait ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit tirées par le juge de première instance en ce qui concerne la question de l’utilité du brevet ne seront par conséquent pas infirmées en appel, sauf s’il est établi que le juge a commis une erreur manifeste et dominante ou qu’il a appliqué un mauvais principe juridique lorsqu’il a tiré ces conclusions : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153 (Wellcome), aux par. 4, 44 et 71.

 

[130]       La définition du terme « invention » énoncée l’article 2 de la Loi sur les brevets exige que l’invention soit utile pour être brevetée. Dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504 (Consolboard), à la p. 525, citant Halsbury’s Laws of England, (3e éd.), vol. 29, à la p. 59, la Cour suprême du Canada a jugé que l’utilité n’existe pas dans les cas où « l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera ». La Cour suprême a également statué, à la page 526, en citant un extrait de Unifloc Reagents, Ld. c. Newstead Colliery, Ld. (1943), 60 R.P.C. 165, que « [s]i, quand on l’utilise conformément aux instructions données dans le mémoire descriptif, l’invention produit les résultats promis, elle est utile au sens où ce terme est employé dans le droit des brevets. »

 

[131]       L’utilité est démontrée au moment de la demande de brevet. Elle ne peut être établie par des éléments de preuve postérieurs à la date de dépôt : l’arrêt Wellcome, au par. 46. L’utilité dans ce contexte s’entend de l’utilité aux fins revendiquées et non de l’acceptation commerciale : l’arrêt Wellcome, au par. 54.

 

[132]       Comme il a été déclaré à la p. 525 dans l’arrêt Consolboard, la promesse de l’invention constitue la norme à laquelle son utilité doit répondre. Si l’inventeur ne fait pas dans le brevet la promesse explicite d’obtenir un résultat précis, le critère de l’utilité est peu exigeant; si, par contre, l’inventeur fait la promesse explicite d’obtenir un résultat précis, l’utilité sera alors appréciée en fonction du libellé de la promesse explicite : Sanofi-Aventis c. Apotex Inc., 2013 CAF 186, aux par. 48-49.

 

[133]       Une revendication dans un brevet peut être rejetée si : (1) l’absence d’utilité est établie; ou, si non, (2) en l’absence de prédiction valable d’utilité : Monsanto Company c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, à la p. 1117, citée et confirmée dans l’arrêt Wellcome, au par. 62.

 

[134]       On désigne le deuxième motif de rejet la règle de la « prédiction valable ». Selon cette règle, il est possible de démontrer l’utilité d’une invention en établissant qu’elle est prévue de façon valable. Les trois éléments de la règle de la prédiction valable sont décrits au par. 70 de l’arrêt Wellcome : (1) premièrement, la prédiction doit avoir un fondement factuel; (2) deuxièmement, à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité ; et (3) troisièmement, il doit y avoir divulgation suffisante.

 

Première question : le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la revendication 15 du brevet 787 n’était pas invalide pour cause d’absence d’utilité ou de prédiction valable?

 

[135]       Bell Helicopter soutient que le juge aurait dû annuler la revendication 15 du brevet 787 parce que l’absence d’utilité a été établie. Cette revendication concerne la réalisation d’un train d’atterrissage doté d’une traverse avant intégrée décalée vers l’avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol. Selon Bell Helicopter, Eurocopter aurait dû être tenue de démontrer l’utilité de cette réalisation en ce qui concerne toutes les inclinaisons décalées : mémoire de Bell Helicopter, au par. 45. Bell Helicopter soutient de plus qu’aucune preuve de l’amélioration du comportement dynamique (résonance au sol) n’a été fournie avant la date de dépôt au Canada (juin 1997) : mémoire de Bell Helicopter, aux par. 46 à 52.

 

[136]       Ces arguments sont dénués de fondement, car ils ne tiennent aucunement compte des conclusions de fait du juge et des nombreux éléments de preuve confirmant l’utilité en raison du meilleur comportement dynamique (résonance au sol) de la réalisation de l’invention comportant une traverse avant décalée vers l’avant.

 

[137]       Il n’était pas nécessaire pour Eurocopter de faire l’essai de la traverse avant intégrée décalée vers l’avant avec toutes les variantes possibles d’inclinaison afin d’établir l’utilité. En effet, le juge a conclu (par. 329 et 354 des motifs) qu’une fois que la personne versée dans l’art aura choisi un dessin dans lequel la traverse avant est décalée vers l’avant, elle n’aura aucune difficulté à déterminer le meilleur angle d’inclinaison, suivant le dessin général et le poids de la structure de l’hélicoptère. Il a aussi conclu (par. 349) que Bell n’avait pas réussi à démontrer qu’une variante particulière ne fonctionnait pas, la preuve de ses experts à cet égard étant « hautement conjecturale ».

 

 

[138]       De plus, le juge a relevé (par. 164-165 et 355 à 358 des motifs) qu’en juin 1996 un essai par secousses manuelles avait été effectué avec succès sur un hélicoptère EC120 équipé d’un train d’atterrissage Moustache, et que le premier vol d’essai d’un hélicoptère EC120 équipé de ce train d’atterrissage avait eu lieu au début de juillet 1996 sans problème de résonance au sol. Il a aussi souligné (par. 359) que le train d’atterrissage Moustache « est employé sur tous les hélicoptères EC 120 et EC 130 (ce qui représente plus de 1 200 aéronefs) et […] aucun problème de résonance au sol ne s’est manifesté ».

 

[139]       Compte tenu de ces conclusions, lesquelles sont étayées par la preuve, je rejetterais les arguments de Bell Helicopter concernant l’absence d’utilité démontrée de la revendication 15 du brevet 787.

 

[140]       Bell Helicopter soutient aussi, comme question de droit étroitement connexe, mais néanmoins distincte, que la revendication 15 est également invalide pour cause de portée excessive. Comme je rejetterais les arguments connexes de Bell Helicopter en ce qui concerne l’absence d’utilité démontrée, ses arguments connexes relatifs à la portée excessive devraient aussi être rejetés.

 

Deuxième question : le juge a-t-il commis une erreur en concluant que les revendications 1 à 14 et 16 du brevet 787 étaient invalides pour cause d’absence d’utilité et de prédiction valable?

 

[141]       Eurocopter conteste la conclusion du juge suivant laquelle les revendications 1 à 14 et 16 du brevet 787 sont invalides pour cause d’absence d’utilité démontrée et de prédiction valable. Cette conclusion d’invalidité visait la réalisation d’un train d’atterrissage équipé d’une traverse avant intégrée, décalée vers l’arrière par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol, telle que décrite dans la revendication 16 du brevet 787.

 

[142]       Eurocopter ne conteste pas le fait qu’elle n’a ni fabriqué ni fait l’essai d’un train d’atterrissage conforme à la réalisation comportant une traverse avant intégrée inclinée vers l’arrière. Outre le fait que cette réalisation n’a pas été fabriquée et n’a pas fait l’objet d’essais, le juge a constaté (par. 365 des motifs) qu’à la date de dépôt au Canada, les inventeurs n’avaient en main aucune preuve qu’une inclinaison vers l’arrière présentait un avantage quelconque sur le plan de la résonance au sol. Rien ne lui permettait non plus de conclure (par. 368) à l’existence de données à la date de dépôt au Canada qui auraient permis d’étayer une prédiction valable d’utilité de cette réalisation sur le plan de la résonance au sol. Il a donc conclu (par. 369) que « [l’]utilité d’un train d’atterrissage d’hélicoptère, selon la revendication 16, n’avait pas été démontrée à la date de dépôt au Canada, soit le 5 juin 1997. De plus, les données pertinentes qui étaient disponibles avant le 5 juin 1997 ne permettaient pas aux inventeurs de prédire de manière valable le comportement d’un train d’atterrissage Moustache équipé d’une traverse avant décalée vers l’arrière, et, en tout état de cause, il n’y a pas de raisonnement décrit dans le brevet 787 à cet égard. »

 

[143]       Eurocopter fait valoir que le juge a commis une erreur de droit en concluant de la sorte parce qu’il n’a pas tenu compte de la présomption de validité prévue au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets et qu’il s’est mépris sur le fardeau de la preuve. Eurocopter soutient que le juge lui a erronément imposé le fardeau de prouver l’utilité de la réalisation comportant une inclinaison vers l’arrière, alors qu’il aurait dû reconnaître que le fardeau incombait à Bell Helicopter de démontrer l’absence d’utilité de cette réalisation : mémoire d’Eurocopter, aux par. 140-141.

 

 

[144]       Eurocopter soutient de plus (par. 144 de son mémoire) que le juge a commis une erreur de droit en appliquant la règle de la prédiction valable, élaborée dans le contexte des brevets dans le domaine des inventions pharmaceutiques, à un brevet dans le domaine des inventions mécaniques. Selon Eurocopter, les résultats en chimie et en biologie sont difficiles à prédire et les modèles scientifiques utilisés dans ces domaines ne sont pas toujours fiables; cette incertitude inhérente à la science en cause a conduit à l’élaboration de la règle de la prédiction « valable » (plutôt que la preuve par démonstration) pour établir l’utilité d’un brevet dans ces domaines. Toutefois, selon Eurocopter, il est possible d’établir l’utilité des inventions mécaniques au moyen de calculs mathématiques en se fondant sur les règles connues de la physique. Eurocopter conclut de ce qui précède que la règle de la prédiction valable ne s’applique pas au domaine des inventions mécaniques.

 

[145]       Eurocopter soutient aussi (par. 142-143 de son mémoire) qu’elle a démontré l’utilité du train d’atterrissage équipé d’une traverse avant inclinée vers l’arrière à la date de dépôt de la demande au Canada au moyen de modèles mathématiques et de calculs, et que le juge a commis une erreur manifeste et dominante en concluant autrement. Elle déclare de plus que même si notre Cour concluait que la règle de la prédiction valable s’appliquait à l’invention mécanique en cause en l’espèce, la réalisation de l’invention comportant une traverse avant inclinée vers l’arrière avait fait l’objet d’une prédiction valable au moyen de calculs mathématiques et d’un raisonnement clair.

 

[146]       Je ne suis pas d’accord avec l’argument d’Eurocopter selon lequel la règle de la prédiction valable ne peut s’appliquer au domaine des inventions mécaniques. Comme l’indiquait le juge Binnie au par. 69 de l’arrêt Wellcome : « Dès qu’on reconnaît que, dans des circonstances appropriées, il est possible de prédire l’utilité avant d’avoir effectué des tests complets (sur des composés chimiques ou autres composés non testés), il semble n’y avoir, en principe, aucune raison de ne pas appliquer la règle de façon plus générale, compte tenu évidemment de la preuve d’expert ». [Je souligne]. Des décisions nous enseignent également que l’application de la règle de la prédiction valable n’est pas limitée aux inventions pharmaceutiques : voir notamment Cabot Corp. c. 318602 Ontario Ltd. (1988), 17 F.T.R. 54, 20 C.P.R. (3d) 132, à la p. 162 de l’édition C.P.R.; Westaim Corporation c. Royal Canadian Mint, 2002 CFPI 1217, 23 C.P.R. (4th) 129, aux par. 157-158.

[147]       Eurocopter est d’avis que la démonstration mathématique, par des calculs et une modélisation mathématique, constitue en soi une preuve d’utilité. Dans les circonstances de la présente affaire, je ne suis pas d’accord. L’utilité s’entend de l’utilité aux fins revendiquées dans le brevet : Consolboard, à la p. 525; Wellcome, au par. 54. En l’espèce, le mémoire descriptif du brevet 787 énonce que la réalisation comportant une traverse avant inclinée vers l’arrière produit des avantages particuliers revendiqués en ce qui concerne l’invention. Ainsi, ce qui correspond à l’utilité démontrée constituerait une preuve établissant que la réalisation en cause fonctionne effectivement de manière à procurer les avantages prévus dans le brevet. Il s’ensuit alors que les calculs établissant que la réalisation devrait fonctionner de la façon prévue dans le brevet, ou devrait produire les avantages attendus, équivalent à une prédiction, et non à la démonstration, de cette utilité.

 

[148]       Il me semble que des calculs et des modélisations mathématiques constituent, en raison de leur nature, des prédictions d’une utilité donnée. Je reconnais cependant qu’il pourrait exister des circonstances dans lesquelles une prédiction mathématique puisse équivaloir à une démonstration de l’utilité, selon la nature de la technologie soumise à la modélisation mathématique et du degré de fiabilité que les experts accorderaient à ce genre de modèles employés à ces fins. Je n’ai cependant pas à trancher cette question en l’espèce.

 

 

[149]       La difficulté rencontrée par Eurocopter ne tient pas vraiment à une prédiction mathématique de l’utilité. Elle réside plutôt dans le fait que si elle accepte l’énoncé suivant lequel une prédiction mathématique pourrait ne pas constituer une démonstration de l’utilité, elle doit alors satisfaire aux exigences juridiques de la règle de la prédiction valable qui, contrairement à la preuve d’utilité démontrée, exige l’existence (1) d’un fondement factuel pour la prédiction; (2) d’un raisonnement clair et valable qui permet d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité; et (3) d’une divulgation suffisante.

 

[150]       Au paragraphe 70 de l’arrêt Wellcome, le juge Binnie soulignait qu’« en général, il n’est pas nécessaire que l’inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l’invention fonctionne », bien qu’il déclarait également que « la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole consenti par le brevet ». Toutefois, comme la question de la précision de la divulgation n’a pas été soulevée dans l’arrêt Wellcome parce que les données et le raisonnement étaient divulgués dans le brevet en cause, le juge a décidé qu’« [il] ne [s]’y attarderait pas davantage ».

 

[151]       Dans l’arrêt Teva Canada Ltd. c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625 (Teva), le juge LeBel a récemment déclaré (par. 37) que « l’incertitude inhérente à la prédiction – plutôt que la démonstration – de l’utilité de l’invention a parfois amené les tribunaux à conclure à l’existence d’une obligation de divulgation accrue lorsqu’une allégation d’utilité se fondait sur une prédiction valable : voir p. ex., Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 97, 78 C.P.R. (4th) 388 (C.A.F.), aux par. 14-15 ». Le juge LeBel a cependant refusé de trancher la question vu qu’elle n’était pas soulevée en l’espèce (Teva, au par. 43). Il a néanmoins exprimé des commentaires (Teva par. 38 à 40), selon lesquels aucune disposition de la Loi sur les brevets n’exige la divulgation de l’utilité de l’invention, et cité à l’appui avec approbation les commentaires du juge Dickson dans l’arrêt Consolboard, à la p. 521, selon lesquels « le par. 36(1) [maintenant le par. 27(3)] [de la Loi sur les brevets] n’impose pas au breveté l’obligation de prouver l’utilité de son invention ». Dans Sanofi-Aventis c. Apotex Inc., 2013 CAF 186, aux par. 47-49, le juge Pelletier a aussi récemment déclaré que bien que l’inventeur ne soit pas tenu de décrire l’utilité de son invention dans le brevet, s’il le fait, il sera tenu de respecter la promesse faite.

 

[152]       À mon avis, le fondement factuel, le raisonnement et le niveau de divulgation requis en vertu de la règle de la prédiction valable doivent être appréciés en fonction des connaissances dont une personne versée dans l’art aurait pour étayer cette prédiction et aussi en fonction de la compréhension qu’elle se ferait du raisonnement logique conduisant à établir l’utilité de l’invention.

 

[153]       Lorsqu’on peut trouver le fondement factuel dans des règles ou des principes scientifiques reconnus ou dans ce qui constitue les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art, il pourrait ne pas être nécessaire de divulguer ce fondement factuel dans le mémoire descriptif. À l’inverse, lorsque le fondement factuel repose sur des données qui ne font pas partie des connaissances générales courantes, il se peut fort bien que la divulgation dans le mémoire descriptif soit exigée pour étayer une prédiction valable.

 

[154]       Tel qu’indiqué dans le Recueil des pratiques du Bureau des brevets, publié par le Bureau des brevets du Canada (par. 12.08.04b et12.08.04c), vu que le raisonnement valable s’adresse à une personne versée dans l’art, les éléments du raisonnement valable qui seraient évidents par eux‑mêmes à la personne versée dans l’art, en raison de ses connaissances générales courantes, n’ont pas besoin d’être divulgués explicitement dans la demande. Le caractère valable d’un raisonnement peut être efficacement apprécié en se demandant si la personne versée dans l’art accepterait la logique que présente le raisonnement et s’attendrait, par déduction de l’ensemble de la prédiction valable, à ce que l’invention procure l’utilité recherchée.

 

 

[155]       Par conséquent, lorsque la prédiction valable est fondée sur des connaissances faisant partie des connaissances générales courantes et sur un raisonnement qui semblerait évident à une personne versée dans l’art (ce qui est souvent le cas pour les inventions mécaniques), les exigences en matière de divulgation pourraient facilement être remplies simplement en décrivant l’invention de façon suffisamment détaillée pour en permettre la réalisation. Il convient donc d’adopter une approche contextuelle dans chaque cas.

 

 

[156]       En l’espèce, l’idée originale de l’invention est décrite dans le brevet 787 comme étant une géométrie particulière (une traverse avant décalée et inclinée, ainsi qu’une zone de transition intégrée) qui crée un porte-à-faux, permettant à la traverse avant de travailler en mode flexion et en mode torsion : motifs, par. 300. De plus, le mémoire descriptif du brevet est suffisamment explicite pour permettre à une personne versée dans l’art de comprendre le fonctionnement général de l’invention et ses principales caractéristiques : motifs, par. 322.

 

[157]       Toutefois, le mémoire descriptif indique également que c’est la réalisation de l’invention selon laquelle la traverse avant est inclinée vers l’avant (comme il est divulgué dans la revendication 15) qui « a l’avantage de permettre au mouvement de roulis de l’ensemble de faire en sorte que la traverse avant fonctionne à la fois en torsion et en flexion, plutôt qu’en flexion pure » : motifs, par. 351.

 

[158]       Comme l’a indiqué le juge (par. 352 des motifs) une personne versée dans l’art lisant le mémoire descriptif comprendrait de ce qui précède que la réalisation comportant une traverse avant inclinée vers l’avant améliorerait le comportement de l’hélicoptère sur le plan de la résonance au sol, notamment dans le mode roulis. Toutefois, à la lecture du mémoire descriptif, une personne versée dans l’art ne tirerait pas facilement la même conclusion en ce qui concerne la réalisation comportant une traverse avant décalée vers l’arrière, vu l’absence de démonstration ou d’explication à cet égard dans le mémoire descriptif (motifs, par. 363).

 

[159]       En l’espèce, Eurocopter n’a fourni aucun élément de preuve établissant qu’elle avait antérieurement à la date pertinente démontré ou prédit de façon valable l’utilité d’une réalisation de l’invention avec inclinaison vers l’arrière. Eurocopter ne l’a pas fait dans le mémoire descriptif du brevet et elle ne s’est pas acquittée de ce fardeau de preuve lors de l’audience. Dans son mémoire, elle attire l’attention sur le témoignage de M. Pierre Prud’homme Lacroix, mais elle ne relève rien dans celui‑ci qui puisse constituer une preuve convaincante de l’existence d’une prédiction valable relative à la réalisation avec inclinaison vers l’arrière.

 

[160]       Eurocopter fait cependant valoir qu’elle n’était pas tenue de faire une preuve d’utilité ou de prédiction valable en ce qui concerne la réalisation avec inclinaison vers l’arrière vu qu’il incombait à Bell Helicopter de s’acquitter du fardeau de démontrer l’invalidité pour ce motif.

[161]       Je suis d’accord pour dire que Bell Helicopter était tenue de présenter des éléments de preuve établissant que les inventeurs n’avaient pas démontré ou prédit de façon valable l’utilité revendiquée de la réalisation de l’invention comportant la traverse avant inclinée vers l’arrière. Cette preuve a été soumise par Bell Helicopter et, de toute évidence, acceptée par le juge : déclaration d’expert de M. Hodges, aux par. 132 et 171 (DA, vol. 11, onglet 149, aux p. 2876 et 2886); déclaration d’expert de M. Gandhi, au par. 124 (DA, vol. 12, onglet 162, à la p. 3126). Comme l’a indiqué M. Hodges, aucun document n’a été fourni par Eurocopter en ce qui concerne la réalisation de l’invention comportant la traverse avant inclinée vers l’arrière et cette réalisation a paru plus vulnérable à un écrasement en cas d’impact.

 

[162]       Il incombait à Eurocopter de présenter des éléments de preuve pour réfuter les experts de Bell Helicopter. Compte tenu de l’absence de preuve de tests ou de calculs de nature à étayer un raisonnement valable relativement à cette réalisation à la date de la demande du brevet 787, les arguments d’Eurocopter doivent être rejetés.

 

LE JUGE A-T-IL COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QUE DES DOMMAGES‑INTÉRÊTS PUNITIFS POUVAIENT ÊTRE OCTROYÉS?

 

[163]       Exceptionnellement, des dommages‑intérêts punitifs sont accordés dans les cas de conduite abusive, malveillante, arbitraire ou extrêmement répréhensible représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable : Hill c. Church of Scientology of Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, au par. 196; Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595 (Whiten), au par. 36.

 

[164]       Au paragraphe 94 de l’arrêt Whiten, le juge Binnie a souligné les points suivants en ce qui concerne les dommages‑intérêts punitifs :

a) ils sont vraiment l’exception et non la règle;

 

b) ils sont accordés seulement s’il y a eu une conduite abusive, malveillante, arbitraire ou extrêmement répréhensible qui déroge nettement aux normes ordinaires de bonne conduite;

 

c) lorsqu’ils sont accordés, leur quantum doit être raisonnablement proportionné, eu égard à des facteurs comme le préjudice causé, la gravité de la conduite répréhensible, la vulnérabilité relative du demandeur et les avantages ou bénéfices tirés par le défendeur, ainsi qu’aux autres amendes ou sanctions infligées à ce dernier par suite de la conduite répréhensible en cause;

 

d) en règle générale, ils ne sont accordés que lorsque la conduite répréhensible resterait autrement impunie ou lorsque les autres sanctions ne permettent pas ou ne permettraient probablement pas de réaliser les objectifs de châtiment, dissuasion et dénonciation;

 

e) leur objectif n’est pas d’indemniser le demandeur, mais de punir le défendeur comme il le mérite (châtiment), de le décourager -- lui et autrui -- d’agir ainsi à l’avenir (dissuasion) et d’exprimer la condamnation de l’ensemble de la collectivité à l’égard des événements (dénonciation);

 

f) ils sont accordés seulement lorsque les dommages‑intérêts compensatoires, qui ont dans une certaine mesure un caractère punitif, ne permettent pas de réaliser ces objectifs et leur quantum ne doit pas dépasser la somme nécessaire pour réaliser rationnellement leur objectif ;

 

g) des dommages‑intérêts punitifs modérés sont généralement suffisants, puisqu’ils entraînent inévitablement une stigmatisation sociale;

 

h) ils constituent pour le demandeur un « profit inattendu » qui s’ajoute aux dommages‑intérêts compensatoires.

 

 

 

[165]       Plusieurs facteurs peuvent influer sur le caractère répréhensible de la conduite du défendeur, y compris notamment a) le fait que la conduite répréhensible ait été préméditée et délibérée; b) l’intention et la motivation du défendeur; c) le caractère prolongé de la conduite inacceptable du défendeur; d) le fait que le défendeur ait caché sa conduite répréhensible ou tenté de la dissimuler; e) le fait que le défendeur savait ou non que ses actes étaient fautifs; f) le fait que le défendeur ait tiré profit de sa conduite répréhensible; g) le fait que le défendeur savait que sa conduite répréhensible portait atteinte à un intérêt auquel le demandeur attachait une grande importance : Whiten, au par. 113.

 

[166]       Des dommages‑intérêts punitifs peuvent aussi être accordés sous le régime de droit civil en vigueur au Québec, notamment dans les cas de contrefaçon intentionnelle de droits de propriété intellectuelle, dans la mesure où les conditions strictes régissant leur adjudication ont été remplies, ce qui a été le cas en matière de droit d’auteur dans Construction Denis Desjardins inc. c. Jeanson, 2010 QCCA 1287, [2010] R.J.Q. 1600, aux par. 46 à 48 et France Animation, s.a. c. Robinson, 2011 QCCA 1361, [2011] R.J.Q. 1415, aux par. 229 à 232 et 236-237. Le raisonnement exposé dans ces décisions rendues en matière de droit d’auteur s’applique en matière de brevets. Ce raisonnement découle de l’application de l’article 1621 du Code civil du Québec et des articles 6 et 49 de la Charte des droits et libertés, L.R.Q ch. C-12, une contrefaçon intentionnelle d’un droit de propriété intellectuelle pouvant être considérée comme une atteinte au droit du propriétaire à la jouissance paisible de ses biens donnant ouverture à des dommages‑intérêts punitifs.

 

[167]       En l’espèce, Bell Helicopter fait valoir que le juge a commis une erreur de droit en accordant des dommages‑intérêts punitifs avant d’évaluer le quantum des dommages‑intérêts généraux : mémoire de Bell Helicopter, au par. 57. Elle soutient aussi qu’en droit, la contrefaçon intentionnelle d’un brevet ne devrait pas donner ouverture à des dommages‑intérêts punitifs : ibid. aux par. 68 à 71. Elle fait enfin valoir que le juge a commis une erreur manifeste et dominante dans son appréciation de la preuve et qu’il a par ailleurs erré en droit en adjugeant des dommages‑intérêts de cette nature étant donné que selon Bell Helicopter les faits sous-jacents ne justifient pas l’adjudication de dommages‑intérêts punitifs comme mesure de réparation rationnelle et mesurée : ibid. aux par. 58 à 67 et 72 à 79.

 

Première question : l’adjudication de dommages‑intérêts punitifs avant la détermination définitive du quantum des dommages‑intérêts généraux

 

[168]       Aucun montant de dommages‑intérêts punitifs n’a été adjugé par le juge. Il a plutôt déclaré qu’Eurocopter avait droit à l’octroi de dommages‑intérêts de cette nature, leur quantum devant être déterminé lors de l’audience portant sur le quantum des dommages‑intérêts compensatoires. Il est important en l’instance d’examiner le contexte dans lequel cette déclaration a été faite.

 

[169]       Avant le procès, les parties avaient convenu de disjoindre uniquement la question du calcul du montant des profits, des dommages‑intérêts compensatoires et des dommages‑intérêts punitifs qui pourraient découler de la contrefaçon par Bell Helicopter du brevet 787 : ordonnance de disjonction rendue par le protonotaire Morneau en date du 2 octobre 2009. La question du droit à l’adjudication de dommages‑intérêts (dont les dommages‑intérêts punitifs) n’a pas fait l’objet d’une disjonction. Ceci a de plus été confirmé dans la « liste conjointe des questions des parties », datée de décembre 2009, déposée devant la Cour fédérale, dans laquelle les procureurs des deux parties avaient indiqué que la question suivante devait être tranchée lors du procès : « Eurocopter a-t-elle droit à des dommages‑intérêts punitifs? » : DA, vol. 2, onglet 22, aux p. 446 et 449.

 

[170]       Après le procès, le 12 juillet 2011, le juge a rendu des motifs intérimaires confidentiels de jugement sur la contrefaçon et la validité du brevet 787. Par la même occasion, il a ordonné une suspension des procédures et réservé sa compétence à l’égard des mesures de réparation et des dépens. Il a aussi invité les parties à présenter des éléments de preuve supplémentaires sur ces questions dans l’éventualité où elles ne parviendraient pas à en venir à une entente. La durée de cette suspension a été prorogée jusqu’au 13 janvier 2012.

 

[171]       Les parties ont eu l’occasion de présenter des dossiers de requête avant l’expiration du délai et elles ont été entendues par le juge le 12 janvier 2012 sur la question des réparations. Lors de l’audience, les parties ont débattu en profondeur de la question du droit à des dommages‑intérêts punitifs.

 

[172]       Bell Helicopter soutient que le juge ne pouvait pas statuer sur le droit à des dommages‑intérêts punitifs avant que ne soit établi le quantum des dommages‑intérêts compensatoires conformément à l’ordonnance de disjonction. À son avis, la question du droit à des dommages‑intérêts et celle de leur quantum sont des questions inextricablement liées lorsque des dommages‑intérêts punitifs sont en jeu. Elle souligne que dans l’arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto, précité, le juge Cory a déclaré (par. 196) « que les dommages‑intérêts punitifs ne devraient être accordés que dans les situations où les dommages‑intérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d’atteindre l’objectif qui consiste à punir et à dissuader ». Bell Helicopter déduit de cette déclaration qu’on ne peut se prononcer sur le droit à des dommages‑intérêts punitifs avant que les dommages‑intérêts compensatoires aient été quantifiés. À l’appui de cette thèse, elle invoque l’arrêt Apotex Inc. c. Merck & Co., 2003 CAF 291, 26 C.P.R. (4th) 278 (Merck), au par. 34, où la juge Sharlow a souligné que jusqu’à ce que tous les recours civils ordinaires soient établis définitivement, il est impossible de décider si des dommages‑intérêts punitifs sont nécessaires.

 

[173]       Je suis d’accord avec l’énoncé général suivant lequel le droit à l’adjudication de dommages‑intérêts punitifs et leur quantum ne devraient, en règle générale, être déterminés qu’une fois les dommages‑intérêts compensatoires établis : Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1996] 3 C.F. 40, 67 C.P.R. (3d) 1 (Lubrizol), à la p. 20 de l’édition C.P.R. Cet énoncé général découle du fait que pour remplir leur rôle, les dommages‑intérêts punitifs ne peuvent être accordés que lorsque les dommages‑intérêts compensatoires ne permettent pas d’atteindre les objectifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation : Whiten, au par. 94.

 

[174]       Cet énoncé général doit cependant être compris et appliqué au regard du cas réel dont est saisie le tribunal et d’une façon qui facilite le règlement juste et expéditif du litige dans lequel le problème est soulevé. Par conséquent, lorsque les circonstances s’y prêtent et selon le contexte, il peut être possible dans certaines situations de déterminer le droit à des dommages‑intérêts punitifs (ou la non-existence de ce droit) avant que ne soit établi le quantum exact des dommages‑intérêts compensatoires. Cela s’appliquerait dans les cas où ces dommages-intérêts punitifs, bien que n’ayant pas été quantifiés de façon précise, seront vraisemblablement insuffisants (ou, au contraire, seront vraisemblablement suffisants) pour atteindre les objectifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation. Il s’agit précisément de la situation dans laquelle le juge se trouvait en l’espèce.

 

[175]       Le juge a souligné qu’étant donné que la contrefaçon du brevet 787 ne touchait que le train d’atterrissage Legacy, qui n’a jamais été vendu, le quantum des dommages‑intérêts ordinaires serait limité et probablement minime. En conséquence, et en toute logique, il a également conclu (par. 455 des motifs) qu’il était possible que l’adjudication de dommages‑intérêts compensatoires « ne [soit] tout simplement pas suffisante pour atteindre l’objectif de la punition et de la dissuasion ». Compte tenu de ces conclusions, il était loisible au juge, comme il l’a fait, de statuer sur le droit aux dommages‑intérêts punitifs.

 

[176]       Les arguments avancés par Bell Helicopter soulèvent d’autres questions dans mon esprit. Il serait logique, suivant ces arguments, que l’attribution de dommages‑intérêts punitifs comporte trois phases distinctes :

a.         Premièrement, le quantum des dommages‑intérêts serait déterminé suivant l’ordonnance de disjonction étant donné qu’aux termes de cette ordonnance le juge déterminant le quantum n’aurait pas compétence pour trancher la question du droit aux dommages‑intérêts punitifs. Il y aurait sans doute appel de cette décision.

 

b.         Deuxièmement, le juge trancherait par la suite la question du droit aux dommages‑intérêts punitifs en tenant compte de la décision rendue sur le quantum des dommages‑intérêts compensatoires. Compte tenu de l’ordonnance de disjonction, le juge ne fixerait cependant pas le quantum des dommages punitifs. Là encore, il y aurait sans doute appel de la décision.

 

c.         Troisièmement, dans la mesure où des dommages‑intérêts punitifs sont éventuellement adjugés par le juge (présumément après plusieurs années), les parties demanderaient alors la tenue d’une autre audience aux termes de l’ordonnance de disjonction pour établir le quantum des dommages‑intérêts punitifs. Il serait encore une fois possible d’interjeter appel.

 

Il s’agit là d’une approche cauchemardesque qui jetterait le discrédit sur l’administration de la justice si elle était admise. C’est ce que le juge a reconnu aux par. 450 à 453 des motifs.

 

[177]       Enfin, la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Merck doit être comprise dans le contexte particulier des procédures en cause en l’espèce. Dans Merck, les deux parties ont présenté des requêtes en jugement sommaire sur la question de la contrefaçon de sorte que, de fait, les phases relatives à la responsabilité et à la réparation ont été disjointes : Merck, aux par. 17 et 23. La question dont le juge de première instance était saisi dans Merck était celle de savoir s’il allait autoriser que la phase relative à la réparation fasse l’objet d’un renvoi ou d’un procès. Le juge de première instance a déclaré que Merck Co. aurait droit aux dommages‑intérêts ou à la restitution des bénéfices, et que le quantum serait décidé dans le cadre d’un renvoi : Merck, au par. 20. Il a aussi ordonné que les questions du quantum et du droit aux dommages‑intérêts soient tranchées dans le cadre du renvoi soulignant que, même si en principe, Merck Co. aurait droit à des dommages‑intérêts punitifs, il pourrait en être décidé autrement dans le cadre du renvoi dans la mesure où il serait décidé de n’octroyer aucun montant : Merck, aux par. 20 et 35.

 

[178]       C’est dans ce contexte très inhabituel, où aucune des parties n’avait procédé à des d’interrogatoires préalables au sujet de la réparation (Merck, au par. 23), que la juge Sharlow a conclu que chacune des mesures de réparation devrait être tranchée par le juge à la reprise de l’instruction, plutôt que dans le cadre d’un renvoi, en même temps que les questions concernant le droit aux dommages‑intérêts punitifs et leur quantum (Merck, aux par. 38 à 42).

 

[179]       La présente cause diffère de Merck en ce que les deux parties ont précisément convenu, avant l’instruction, que la question du droit aux dommages‑intérêts punitifs (de même que celles relatives à la restitution des profits et aux dommages‑intérêts compensatoires) serait tranchée lors de l’instruction, avant celle du quantum et séparément de celle‑ci. En outre, et contrairement à la situation dans l’affaire Merck, aucune lacune dans la preuve n’a été soulevée en l’espèce en ce qui concerne le droit aux dommages‑intérêts compensatoires, la restitution des profits ou les dommages‑intérêts punitifs, ces questions ayant été débattues en profondeur durant le long procès. De plus, comme je l’ai déjà indiqué, le juge dans cette cause a conclu que les dommages‑intérêts compensatoires ne permettraient probablement pas de réaliser les objectifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation. La présente affaire est donc très différente de l’affaire Merck.

 

Deuxième question : l’adjudication de dommages‑intérêts punitifs dans des affaires de contrefaçon de brevet est-elle possible?

 

[180]       Bell Helicopter soutient que, pour des raisons de principe, une partie ayant intentionnellement contrefait un brevet ne devrait pas être condamnée à payer des dommages‑intérêts punitifs étant donné que [traduction] « les principes d’ordre public militent en faveur de l’élimination des monopoles illégitimes grâce à la contestation des brevets invalides » : mémoire de Bell Helicopter, au par. 68. Il s’agit là d’une mauvaise interprétation du droit.

 

[181]       Premièrement, la limitation des dommages‑intérêts punitifs par l’établissement de catégories de réclamations a été rejetée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085 (« Vorvis »), aux p. 1104-105. Comme l’a souligné le juge Binnie dans l’arrêt Whiten, au par. 67, le mécanisme de modération pour les dommages punitifs ne devrait pas reposer dans la catégorisation des affaires dans lesquelles ils peuvent être accordés, mais plutôt sur la détermination rationnelle des circonstances justifiant, dans une action civile, d’ajouter une sanction en sus des dommages‑intérêts compensatoires.

[182]       Par conséquent, divers types d’affaires ont donné ouverture à la condamnation à des dommages‑intérêts punitifs, notamment en matière de délits intentionnels (Hill c. Church of Scientology of Toronto, ci-dessus), de manquement à une obligation fiduciaire

(M. (K) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6), contractuelle (Vorvis), d’assurance (Whiten), et de négligence

(Robitaille c. Vancouver Hockey Club Ltd., (1981) 124 D.L.R. (3d) 228 (BCCA)).

 

[183]       Les tribunaux ont spécifiquement conclu que des dommages‑intérêts punitifs pouvaient aussi être accordés dans les affaires de brevet. Comme il est dit dans l’arrêt Lubrizol, à la p. 20 de l’édition C.P.R., il n’y a « pas de raison pour laquelle, lorsque les circonstances le justifient, des dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires ne pourraient être accordés dans une affaire de violation du droit d’auteur ou de contrefaçon de brevet, lesquels correspondent à un type de délit créé par une loi ». Au par. 44 de l’arrêt Whiten, la Cour suprême a également reconnu que les affaires de brevet pouvaient donner ouverture à des dommages‑intérêts punitifs.

 

[184]       L’argument selon lequel les contrefacteurs de brevet devraient être à l’abri des dommages‑intérêts punitifs pour des raisons d’ordre public n’offre, par conséquent, aucun fondement juridique. Toutes les affaires de contrefaçon de brevet ne donneront cependant pas lieu à des dommages‑intérêts punitifs, même dans des situations de contrefaçon volontaire de brevet. En effet, les dommages‑intérêts punitifs « sont vraiment l’exception et non la règle » et « il faut recourir aux dommages‑intérêts punitifs uniquement dans les cas exceptionnels et faire alors preuve de modération » : Whiten, aux par. 94 et 69. Des dommages de cette nature ne devraient être accordés que lorsque la preuve démontre l’existence d’une conduite abusive, malveillante, arbitraire ou extrêmement répréhensible, qui déroge nettement aux normes ordinaires de bonne conduite. Il s’agit d’un critère très exigeant, restreignant considérablement les circonstances donnant ouverture à une condamnation à des dommages‑intérêts punitifs. Toutefois, lorsque la preuve démontre l’existence de circonstances de cette nature dans le contexte d’une affaire de contrefaçon de brevet, il n’existe aucune politique ni aucun motif empêchant les tribunaux d’accorder des dommages‑intérêts punitifs.

 

Troisième question : l’octroi de dommages‑intérêts punitifs était-elle appropriée dans la présente affaire?

 

[185]       Bell Helicopter fait également valoir que même si la condamnation à des dommages‑intérêts punitifs est possible en matière de contrefaçon de brevet, elle n’était pas appropriée en l’espèce. Elle soutient que la contrefaçon d’un brevet ne constitue pas une conduite qui mérite intrinsèquement un châtiment lorsque le contrefacteur ne connaissait pas l’existence du brevet ou avait conclu de façon raisonnable que le brevet était invalide. Je suis d’accord qu’en de telles circonstances il serait difficile de confirmer une condamnation à des dommages‑intérêts punitifs. Cela ne correspond toutefois pas aux circonstances de l’espèce.

 

[186]       Le juge dans la présente affaire a conclu (par. 425 des motifs) que la déclaration de Bell Helicopter selon laquelle elle n’était absolument pas au courant de l’existence du brevet 787 avant le mois de mai 2008 n’est « tout simplement pas plausible et […] est contraire à la preuve » et il ajoute qu’« il n’existe aucune preuve étayant la croyance sincère que Bell était la première à mettre au point un train d’atterrissage de type " traîneau " possédant les caractéristiques de la revendication 15 du brevet 787 ». Il a aussi éprouvé (par. 428) un certain nombre de doutes quant à certains des principaux aspects des témoignages de hauts dirigeants de Bell Helicopter. Il a en outre conclu (par. 431) que Bell Helicopter savait que le train de type « traîneau » ressemblait étroitement au train d’atterrissage Moustache et que la preuve démontre que des doutes ont été soulevés par des employés de Bell Helicopter au sujet de ces similitudes, mais qu’ils n’ont pas été pris en compte par la direction de l’entreprise.. Il a aussi conclu (par. 431) que la conduite de Bell Helicopter « représentait un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable ». Il a conclu (par. 433) « qu’il existe une preuve évidente de mauvaise foi et de conduite inacceptable de la part de Bell », « que nous avons affaire ici à une question d’aveuglement volontaire ou de détournement délibéré et planifié de l’invention revendiquée » et « que la contrefaçon du brevet 787, par la fabrication et l’utilisation du train Legacy, n’était pas innocente ou accidentelle ».

 

[187]       Le juge du procès a utilisé des termes très forts qui sont toutefois justifiés par la preuve.

 

[188]       Pour contester ces conclusions, Bell Helicopter s’appuie essentiellement sur le témoignage de deux de ses hauts dirigeants : mémoire d’Eurocopter, aux par. 61, 63 à 65. Ces deux témoins ont suscité auprès du juge « des doutes quant à leur crédibilité » : motifs, par. 425, 428 et 429. Dans le présent appel, Bell Helicopter cherche à faire infirmer les conclusions quant à la crédibilité sur la foi des transcriptions. L’appréciation de la crédibilité d’un témoin est une question à l’égard de laquelle le juge des faits occupe une position privilégiée et à l’égard de laquelle une cour d’appel devrait faire preuve de grande déférence : R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122, aux p. 131-132. En raison de la position privilégiée occupée par le juge du procès qui a l’avantage de voir et d’entendre les témoins, les conclusions relatives à la crédibilité dans les affaires civiles ne peuvent être infirmées en appel que dans des situations où une erreur manifeste et dominante est démontrée, lorsque l’appelant peut préciser pour quel motif ou en quoi la conclusion de fait contestée est déraisonnable ou non étayée par la preuve : H.L. c. Canada (Procureur général), précité, au par. 56.

 

[189]       En l’espèce, Bell Helicopter ne m’a pas convaincu que le juge a commis une erreur en tirant ses conclusions de fait, particulièrement lorsqu’on prend en compte le témoignage d’autres témoins et la preuve dans son ensemble.

 

[190]       En effet, le personnel de Bell Helicopter a très rapidement soulevé des doutes quant aux similitudes existant entre le train d’atterrissage Legacy et le train d’atterrissage Moustache, et rien n’a été fait pour apaiser ces préoccupations : transcriptions de l’instruction, DA, vol. 3, onglet 48, aux p. 624 à 630 (questions 121 à 153), et réponses à l’engagement 34, DA, vol. 3, onglet 48, à la p. 828. De plus, il est invraisemblable qu’une société sophistiquée et de l’ampleur de Bell Helicopter n’ait pas vérifié les droits de propriété intellectuelle avant d’entreprendre, comme elle l’a fait, un programme de recherche concernant directement l’étude du train d’atterrissage d’un hélicoptère de location EC120. Cette conduite constituerait, à tout le moins, de l’aveuglement volontaire.

 

[191]       La preuve démontre aussi que Bell Helicopter a fait la promotion du train d’atterrissage Legacy contrefait comme si elle en était l’inventeur au moyen d’un article rédigé par un de ses principaux spécialistes du personnel technique. Il est écrit dans cet article (JB-224, DA, vol. 21, onglet 342, à la p. 5754) qu’un [traduction] « train d’atterrissage à patins de type « traineau » a été conçu pour la première fois par Bell Helicopter pour l’intégrer dans son nouvel hélicoptère civil, le modèle 429. Ce type de train d’atterrissage a été retenu à cause du comportement dynamique amélioré (résonance-sol) et du poids inférieur ». (Je souligne). Bell Helicopter a aussi fait la promotion de son hélicoptère Bell 429 équipé du train d’atterrissage Legacy contrefait : motifs, par. 267.

 

[192]       Lorsqu’une personne contrefait un brevet dont la validité est reconnue, s’approprie à son compte l’invention et en fait la promotion comme si elle lui appartenait en sachant cela contraire à la vérité, cette personne s’expose à des dommages‑intérêts punitifs lorsque la restitution des profits ou des dommages‑intérêts compensatoires ne permettraient pas de réaliser les objectifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation d’une conduite de ce type. En effet, une conduite de ce type déroge nettement aux normes ordinaires de bonne conduite. Elle doit être dénoncée de façon à décourager de tels comportements à l’avenir et pour exprimer sa condamnation par l’ensemble de la collectivité.

 

[193]       En tenant compte de l’ensemble des circonstances, et étant donné que Bell Helicopter ne m’a pas convaincu que le juge avait commis une erreur dominante et manifeste dans l’appréciation des éléments de preuve qui lui ont été soumis, je ne modifierais pas les conclusions du juge concernant les dommages‑intérêts punitifs.

 

 

CONCLUSIONS

[194]       Je rejetterais donc l’appel et l’appel incident. Étant donné le résultat mitigé, chaque partie devrait assumer ses propres dépens dans l’appel et l’appel incident.

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

     Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

    Johanne Trudel j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-74-12

 

APPEL D’UN JUGEMENT DU JUGE MARTINEAU DATÉ DU 30 JANVIER 2012,

No 2012 CF 113

 

INTITULÉ :                                                                          Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, société par actions simplifiée

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Montréal (QC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Les 27 et 28 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                    LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE NOËL

                                                                                                LA JUGE TRUDEL

                                                                                               

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 24 septembre 2013

 

COMPARUTIONS :

Judith Robinson

Joanne Chriqui

 

POUR L’APPELANTE

 

Marek Nitoslawski

Julie Desrosiers

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Canada LLP

Montréal (Qc)

 

POUR L’APPELANTE

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Qc)

POUR L’INTMÉE

 

 

 

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