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Date : 20130917


Dossier :

A-42-13

 

Référence : 2013 CAF 213

CORAM :     

LE JUGE NOËL

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

demandeur

et

Abdelsalam AHMAT DJALABI

 

défendeur

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 10 septembre 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2013.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

                                                                                                                                                           

 

 


Date : 20130917


Dossier :

A-42-13

 

Référence : 2013 CAF 213

CORAM :     

LE JUGE NOËL

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

demandeur

et

Abdelsalam AHMAT DJALABI

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le juge-arbitre
L.-P. Landry (CUB 80268), qui a rejeté l’appel interjeté par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) de la décision d’un Conseil arbitral, laquelle avait accueilli l’appel de M. Abdelsalam Ahmat Djalabi (le défendeur ou le prestataire) à l’encontre d’une décision de la Commission rejetant sa demande de prestations au motif qu’il avait volontairement quitté son emploi sans justification, aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi).

 

Faits pertinents

[2]               Le défendeur a été employé chez Bell Express Vu pendant sept ans, jusqu’au 5 mars 2012. Du 6 mars au 16 avril 2012, le défendeur a été incarcéré suite à une plainte de menaces de mort déposée par sa conjointe. Le 8 mars 2012, il a reçu une lettre de son employeur l’informant du fait qu’il était en absence non autorisée et lui demandant de se présenter au travail et de justifier ses absences.

 

[3]               Le 16 mars 2012, alors qu’il était toujours détenu, le défendeur a contacté sa directrice de service, et lui a expliqué qu’il n’avait d’autre choix que de démissionner, comme il ne savait pas quand il serait libéré. Sa directrice a pris acte de sa démission, sans lui mentionner la possibilité de demander un congé sans solde.

 

[4]               Le 16 mars 2012, le défendeur a été relâché après avoir signé un engagement en vertu de l’article 810 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (le Code criminel), par lequel il s’engageait à respecter une série de conditions pendant un an, dont celle de ne pas contacter son ex-conjointe. Le 20 avril 2012, il déposa une demande de prestations d’assurance-emploi auprès de la Commission, à prendre effet à partir du 15 avril 2012.

 

[5]               Par lettre datée du 16 mai 2012, la Commission a avisé le prestataire du rejet de sa demande au motif qu’il avait quitté volontairement son emploi au sens de la Loi, et ce, sans justification.

[6]               Le défendeur se porta en appel devant le Conseil arbitral.

 

dÉCISION DU CONSEIL ARBITRAL

[7]               Selon le Conseil arbitral, le prestataire n’était pas responsable de son incarcération, puisqu’il avait été acquitté des charges qui pesaient contre lui (motifs à la page 5). Ayant tiré cette conclusion, le Conseil arbitral a jugé que le prestataire a certes volontairement quitté son emploi, mais qu’il était justifié de le faire, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

 

[8]               Parmi ces circonstances, le Conseil arbitral a retenu l’état dépressif dont souffrait le prestataire à l’époque, qui diminuait sa capacité à « analyser les évènements froidement et avec toute l’objectivité nécessaire »; la conviction du prestataire qu’il serait congédié à défaut de démissionner et qu’il trouverait difficilement un autre emploi avec un dossier criminel; l’omission de sa directrice de lui offrir un congé sans solde, renforçant d’autant chez lui l’idée que la démission constituait la seule issue possible (motifs aux pages 4 et 5).

 

DÉCISION DU JUGE-ARBITRE

[9]               Le juge-arbitre a rejeté l’appel de la Commission. Même s’il reconnaît que le Conseil arbitral a commis une erreur de droit en concluant que le prestataire avait été acquitté de l’infraction pour laquelle il avait été incarcéré, un engagement au titre de l’article 810 du Code criminel n’équivaut ni à une condamnation, ni à un acquittement, mais signifie tout au plus que la plaignante avait des motifs raisonnables de craindre pour sa sécurité (motifs à la page 2).

 

[10]           La véritable question est celle de savoir si le prestataire a volontairement commis les gestes ayant mené à son incarcération, et donc s’il s’est volontairement placé dans une situation de nature à l’empêcher d’occuper son emploi (motifs aux pages 2 et 3). Aux yeux du juge-arbitre, un engagement ne permet pas de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire a volontairement commis les actes qui ont provoqué son incarcération (motifs à la page 3). L’essentiel de son raisonnement ressort du passage qui suit (ibidem) :

 

[…] en l’absence d’une preuve prépondérante démontrant que le prestataire a commis volontairement des gestes qui ont eu comme conséquence de l’empêcher d’occuper son emploi, on ne peut conclure à de l’inconduite ou encore à une décision de quitter volontairement son emploi. Il aurait alors été incarcéré bien malgré lui pour des motifs dont la preuve n’a pas été faite.

 

 

POSITIONS DES PARTIES

[11]           Le demandeur soutient que le juge-arbitre s’est posé la mauvaise question. Il aurait plutôt fallu s’interroger si « en posant le geste ayant mené à son incarcération, le défendeur avait de ce fait, provoqué la réalisation du risque, justifiant son exclusion du bénéfice des prestations en vertu de la Loi » (mémoire du demandeur au paragraphe 34).

 

[12]           Le demandeur ajoute que la décision du Conseil arbitral était d’autant plus déraisonnable que le prestataire avait lui-même admis avoir choisi de mettre fin à son emploi, parce qu’il craignait d’être congédié et de voir son dossier entaché par une condamnation criminelle (mémoire du demandeur au paragraphe 30). Un tel choix ne constitue pas une justification au sens de la Loi (mémoire du demandeur au paragraphe 31).

 

[13]           À tout événement, le juge-arbitre disposait d’éléments de preuve établissant de manière prépondérante que le prestataire avait bel et bien « commis des actes répréhensibles » (mémoire du demandeur au paragraphe 35). D’une part, le défendeur lui-même ne conteste ni avoir proféré des menaces contre son ex-conjointe, ni le bien-fondé de son incarcération (mémoire du demandeur au paragraphe 37). D’autre part, le juge de paix n’aurait pas émis d’ordonnance s’il n’avait pas été au moins convaincu, selon la balance des probabilités, que des menaces avaient été proférées (mémoire du demandeur au paragraphe 40). C’est donc à tort que le juge-arbitre a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir, selon la prépondérance de la preuve, que le prestataire a commis les actes qui ont mené à son incarcération.

 

[14]           Le défendeur était présent lors de l’audition devant nous mais n’ayant pas produit de mémoire de faits et de droit, il a dû se limiter à dire qu’il n’était pas d’accord avec la position du demandeur et qu’il souhaitait que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

ANALYSE ET DÉCISION

[15]           Le juge-arbitre ne fait nulle part mention dans sa décision de la norme de contrôle applicable. Dans ces circonstances, il nous appartient d’établir la norme de contrôle appropriée et de l'appliquer en évaluant le bien-fondé de la décision du juge-arbitre.

 

[16]           À mon avis, la norme de la décision correcte devait s’appliquer à l’interprétation par le Conseil arbitral de la portée et des implications de l’article 810 du Code criminel, car il s’agit d’une question de droit qui dépasse son champ d’expertise spécialisée. En revanche, il convient d’avoir recours à la norme de la décision raisonnable pour déterminer si le prestataire a volontairement commis le geste à l’origine de sa perte d’emploi suivant l’article 30 de la Loi, parce que cela suppose une application du droit aux faits.

 

[17]           Le Conseil arbitral a conclu que le prestataire « a été acquitté des charges qui pesaient contre lui » (motifs à la page 5). Le juge-arbitre a relevé avec raison que cette conclusion est erronée en droit. Il a toutefois refusé d’intervenir au motif que la preuve d’inconduite n’a pas été faite. Selon lui, un engagement « ne constitue pas une preuve prépondérante d’actes commis volontairement par le prestataire » (motifs à la page 3).

 

[18]           En tirant cette conclusion, le juge-arbitre omet de tenir compte du fardeau de preuve à satisfaire pour obtenir l’émission d’une ordonnance d’engagement en vertu de l’article 810 du Code criminel : pour ce faire, le juge de paix doit être « convaincu, par la preuve apportée, que les craintes de la personne par qui la dénonciation est déposée sont fondées sur des motifs raisonnables » [mon soulignement]. Le degré de conviction requis est celui de la prépondérance de preuve. En effet, « [l]a jurisprudence, très largement majoritaire, reconnaît que le fardeau de preuve requis et auquel réfèrent les termes "convaincu" dans la version française et "satisfied" dans la version anglaise est celui de la preuve prépondérante […] » (R. c. Lacerte, 2011 QCCQ 2433 (CanLII) au paragraphe 81).

 

[19]           Contrairement à ce que le juge-arbitre laisse entendre, l’analyse qui mène à l’émission d’une ordonnance d’engagement n’est pas simplement subjective – c’est-à-dire basée sur la perception du dénonciateur. S’y greffe également une dimension objective par l’entremise des termes « motifs raisonnables ». Tel qu’énoncé dans l’affaire R. v. Budreo, [2000] O.J. No. 72 (ONCA) au paragraphe 52 :

 

… The word “fear” or “fears” should not be considered in isolation but together with the modifying words in s.810.1(1) “on reasonable grounds.” Fear alone connotes a state of belief or an apprehension that a future event, thought to be undesirable, may or will occur.  But “on reasonable grounds” lends objectivity to the apprehension In other words, the phrase “fears on reasonable grounds” in s.810.1(1) connotes a reasonably based sense of apprehension about a future event, or as Then J. put it, it “equates to a belief, objectively established, that the individual will commit an offence.”. (notes omises)

 

 

[20]           Ainsi, bien qu’il ne permette pas de conclure hors de tout doute raisonnable qu’une infraction criminelle a été commise, l’engagement n’est pas pour autant dépourvu de valeur probante. En effet, le seul fait qu’une ordonnance d’engagement ait été émise présuppose que, selon la prépondérance des probabilités, le défendeur a fait preuve d’une conduite suscitant chez le dénonciateur une crainte pour sa sécurité.

 

[21]           En exigeant une condamnation, le juge-arbitre applique un critère beaucoup plus exigeant que ce qui est requis par l’article 30 de la Loi. En effet, selon la jurisprudence, la notion d’inconduite ne requiert pas la preuve des éléments de la responsabilité pénale : « [p]our qu'il y ait inconduite au sens de la [L]oi, il n'est pas nécessaire que le comportement en cause résulte d'une intention coupable. Il suffit que l'acte répréhensible ou l'omission reproché à l'intéressé soit "délibéré", c'est-à-dire, conscient, voulu ou intentionnel » (Canada (Procureur général) c. Secours, [1995] A.C.F. no 210 (QL) au paragraphe 2, tel que repris dans Canada (Procureur général) c. Pearson, 2006 CAF 199 au paragraphe 15). Ainsi, un acte sera délibéré si « le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l'exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu'il soit congédié […] » (Mishibinijima c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 36 au paragraphe 14). 

 

[22]           Puisque la preuve révèle, selon la norme applicable, que le comportement du prestataire a mené à son incarcération et à la perte de son emploi, il s’ensuit que le Conseil arbitral n’a pas tenu compte de la preuve en tirant la conclusion contraire et que le juge-arbitre se devait d’intervenir.

 

[23]           Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision du juge-arbitre et je retournerais au juge-arbitre en chef ou au juge-arbitre qu’il désignera pour qu’elle soit décidée à nouveau en tenant pour acquis que l’appel de la Commission doit être accordé au motif que le prestataire a volontairement quitté son emploi sans justification aux termes des articles 29 et 30 de la Loi.

 

“Marc Noël”

j.c.a.

« Je suis d’accord

          Johanne Trudel j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

          Robert M. Mainville j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

A-42-13

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. Abdelsalam AHMAT DJALABI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                                                Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                                                LE 10 septembre 2013

MOTIFS DU JUGEMENT :

                                                                                                LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                          

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :

                                                                                                LE 17 septembre 2013

COMPARUTIONS :

Liliane Bruneau

Marjolaine Breton

 

Pour le demandeur

 

Abdelsalam AHMAT DJALABI

 

Pour le défendeur

(se représentant lui-même)

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

 

 

 

 

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