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Date : 20131008


Dossier : A-119-13

 

Référence : 2013 CAF 237

CORAM :      LE JUGE NOËL

LA JUGE DAWSON

LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT

 

demanderesse

et

 

Association canadienne des employés professionnels

 

défenderesse

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2013

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2013

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LA JUGE DAWSON

 

                                                                                                                                                           

 

 


Date : 20131008


Dossier : A-119-13

 

Référence : 2013 CAF 237

CORAM :      LE JUGE NOËL

LA JUGE DAWSON

LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT

 

Demanderesse

 

et

 

Association canadienne des employés professionnels

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MAINVILLE

[1]               Les présents motifs concernent une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, présentée par la Bibliothèque du Parlement (la Bibliothèque) à l’égard de la décision portant le no de référence 2013 CRTFP 18 (la décision) rendue par une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) le 26 février 2013, déclarant que la Bibliothèque avait enfreint l’article 39 de la Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. 1985, ch. 33 (2e suppl.) (la Loi), en mettant en œuvre une politique sur le réaménagement des effectifs (la politique de RE) après la présentation d’un avis de négociation collective (le 28 juin 2011) et avant le prononcé d’une décision arbitrale établissant les conditions d’emploi (le 1er février 2013).

 

Les faits

[2]               Les faits ne sont pas contestés. Ils sont décrits dans un long exposé conjoint reproduit au paragraphe 3 de la décision de la Commission. J’en résume ci‑dessous les points saillants pour les besoins de la demande.

 

[3]               La Bibliothèque du Parlement offre des services d’information, de référence et de recherche aux parlementaires. Elle est un « employeur » au sens de la Loi. Certains de ses employés sont représentés à des fins de négociation collective par la défenderesse, l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP).

 

[4]               La convention collective négociée entre la Bibliothèque et l’ACEP comportait depuis plusieurs années la disposition suivante :

ARTICLE 38

SÉCURITÉ D’EMPLOI

38.01 L’employeur s’efforce dans la mesure du possible, de faire en sorte qu’aucun employé ne soit mis en disponibilité pendant la durée de la présente convention collective et de veiller à ce que toute compression d’effectifs soit réalisée par attrition. Cet engagement est assujetti au consentement et à la capacité de chaque employé visé à subir une formation et accepter une réaffectation.

 

 

[5]               La Bibliothèque avait aussi adopté des lignes directrices appelées Politique sur le redéploiement des ressources humaines - employés excédentaires (les lignes directrices), lesquelles visaient à réduire les conséquences des situations d’effectifs excédentaires sur les employés nommés pour une période indéterminée. Selon les lignes directrices, ce but devait s’atteindre « essentiellement en faisant en sorte que d’autres possibilités d’emploi soient offertes aux employés déclarés excédentaires » : lignes directrices, énoncé de l’objet, cité à la p. 115 du dossier de la demande (DD).

 

[6]               Toutefois, à compter du mois de janvier 2011, la direction de la Bibliothèque a commencé à élaborer à l’interne une nouvelle politique en matière de mises en disponibilité.

 

[7]               La convention collective conclue entre la Bibliothèque et l’ACEP prenait fin le 15 juin 2011; le syndicat a présenté un avis de négociation collective le 28 juin 2011. Les parties ont échangé des propositions de négociation à la fin d’août 2011. Aucune des propositions ne portait sur le réaménagement des effectifs ou la sécurité d’emploi. La négociation collective s’est poursuivie jusqu’au 4 avril 2012, date à laquelle l’ACEP a déposé un avis de demande d’arbitrage conformément à l’article 50 de la Loi.

 

[8]               Le 2 décembre 2011, devant la possibilité de mises en disponibilité dans la fonction publique, un représentant de l’ACEP a demandé s’il existait à la Bibliothèque des mécanismes pour faire face aux contraintes budgétaires. La Bibliothèque lui a alors remis un exemplaire des lignes directrices en indiquant toutefois qu’elle était en train d’élaborer une nouvelle politique de RE. Le 26 avril 2012, la Bibliothèque a transmis pour la première fois une ébauche de la politique de RE à l’ACEP, en demandant la tenue de consultations sur son contenu.

 

[9]               L’ACEP a refusé de discuter de cette ébauche parce que l’avis de négociation collective avait été donné, qu’aucune des parties à la négociation collective n’avait soulevé la question du réaménagement des effectifs et que le « gel prévu par la loi » s’appliquait.

 

[10]           La Bibliothèque a néanmoins approuvé la nouvelle politique de RE le 29 mai 2012. Le 21 juin 2012, les présidents respectifs de la Chambre des communes et du Sénat ont approuvé une réduction de 2,5 % du budget de la Bibliothèque. À terme, 36 postes auront été touchés par cette mesure budgétaire.

 

[11]           Le 3 août 2012, l’ACEP a saisi la Commission de l’affaire en vertu de l’article 70 de la Loi, alléguant qu’en mettant en œuvre la politique de RE, la Bibliothèque avait enfreint l’article 39 de la Loi, décrit comme la disposition établissant un « gel ».

 

[12]           La mesure budgétaire n’a finalement eu aucune d’incidence sur les employés visés par le certificat d’accréditation de l’ACEP et, par conséquent, la politique de RE de la Bibliothèque n’a été appliquée à aucun poste occupé par un membre de l’ACEP. La Bibliothèque affirme néanmoins que la politique est en vigueur et qu’elle s’applique aux employés appartenant à l’unité de négociation de l’ACEP.

 

Le cadre législatif

[13]           Compte tenu du statut constitutionnel exceptionnel de la Chambre des communes et du Sénat, la Loi établit un régime particulier de relations de travail pour les employés de ces institutions et des institutions ayant des liens étroits avec elles, dont la Bibliothèque.

[14]           Le processus de négociation collective à la Bibliothèque repose sur la négociation de bonne foi et la conciliation. La grève n’étant pas permise, il est possible de recourir à l’arbitrage obligatoire devant la Commission en cas d’impasse des négociations.

 

[15]           La Loi régit le processus de négociation collective en en définissant le cadre. Elle prévoit les dates auxquelles l’avis de négociation collective peut être donné : article 37. Lorsque l’avis est donné, les parties doivent « se rencontrer et entamer de bonne foi des négociations collectives et faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective » : article 38. Lorsque l’avis a été donné, les conditions d’emploi pouvant figurer dans une convention collective et qui sont encore en vigueur continuent de lier les parties tant que le processus de négociation ou d’arbitrage n’est pas terminé : article 39 de la Loi.

 

[16]           L’article 39 est rédigé en ces termes :

 Sauf entente à l’effet contraire entre l’employeur et l’agent négociateur, toute condition d’emploi pouvant figurer dans une convention collective et encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné continue de lier les parties aux négociations, y compris les employés de l’unité de négociation :

 

 

 

 

 

 

a) soit jusqu’à la conclusion d’une convention collective, si cette condition d’emploi ou une autre condition proposée à sa place n’a pas fait l’objet d’une demande d’arbitrage dans les conditions prévues par la présente partie;

 

 

b) soit, si cette condition d’emploi ou une autre proposée à sa place fait l’objet d’une demande d’arbitrage dans les conditions prévues par la présente partie, jusqu’au règlement de la question par une convention collective ou une décision arbitrale.

 Where notice to bargain collectively has been given, any term or condition of employment applicable to the employees in the bargaining unit in respect of which the notice was given that may be embodied in a collective agreement and that was in force on the day the notice was given shall remain in force and shall be observed by the employer affected, the bargaining agent for the bargaining unit and the employees in the bargaining unit, except as otherwise provided by any agreement in that behalf that may be entered into by the employer and the bargaining agent, until such time as

 

(a) a collective agreement has been entered into by the parties and no request for arbitration in respect of that term or condition of employment, or in respect of any term or condition of employment proposed to be substituted therefor, has been made in the manner and within the time prescribed therefor by this Part; or

 

(b) a request for arbitration in respect of that term or condition of employment, or in respect of any term or condition of employment proposed to be substituted therefor, has been made in accordance with this Part and a collective agreement has been entered into or an arbitral award has been rendered in respect thereof.

 

 

 

[17]           Bien que le libellé de cette disposition laisse quelque peu à désirer, les parties conviennent que le « gel » imposé par l’article 39 s’applique à compter du moment où l’avis de négociation collective est donné, et jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle convention collective ou de la décision arbitrale en tenant lieu. À mon avis, cette interprétation est correcte.

 

La décision de la Commission

[18]           La Commission a jugé que les lignes directrices et la politique de RE, même si leurs dispositions ne figuraient pas dans la convention collective, se rapportaient à des conditions d’emploi pouvant y figurer. Elle a indiqué que « le fait que les décisions arbitrales ne puissent pas traiter des procédures ou des processus de mise en disponibilité conformément à l’article 55 de la [Loi] ne signifie pas que les questions de mise en disponibilité ne peuvent pas faire partie d’une convention collective », ajoutant qu’« [i]l est assez courant de retrouver de telles politiques sur le RE dans les conventions collectives du secteur public » : décision, par. 14. Elle a donc conclu que les conditions énoncées aux lignes directrices étaient visées par l’article 39 de la Loi.

 

[19]           La Commission a également estimé, après examen des deux documents, que la politique de RE avait introduit des changements importants et fondamentaux dans les conditions d’emploi énoncées aux lignes directrices : décision, par. 15, conclusion que venait aussi étayer une note du chef des relations avec les employés et de la classification recommandant la révision des lignes directrices parce que celles‑ci réduisaient presque à néant la notion de mise en disponibilité.

 

[20]           Selon la Commission, l’introduction de la politique de RE ne constituait pas une pratique de gestion normale ou une pratique courante de la Bibliothèque; il s’agissait plutôt d’un changement unilatéral des conditions d’emploi interdit par l’article 39 de la Loi : décision, par. 16. La Commission n’a pas non plus accepté l’argument de la Bibliothèque voulant que, sans la politique de RE, son activité serait paralysée : décision, par. 17.

 

[21]           La Commission a refusé d’examiner les motifs organisationnels légitimes justifiant, selon la Bibliothèque, l’introduction de la politique de RE, les jugeant non pertinents pour la décision à rendre. Elle a motivé ainsi son refus (décision, par. 18) : « [q]uelle que soit la validité des motifs justifiant l’introduction de la Politique sur le RE, celle-ci demeure une violation de l’article 39 et ne peut être justifiée par une exception découlant d’une [traduction] "pratique courante" ou [traduction] d’une "attente raisonnable". Dans les circonstances, il n’était simplement pas pratique de laisser entendre que les employés ou l’agent négociateur auraient dû s’attendre de façon raisonnable à la mise en œuvre de la nouvelle politique sur le RE durant le gel ».

 

[22]           Relevant qu’au moment de rendre sa décision le « gel » prévu par l’article 39 de la Loi n’était plus en vigueur et qu’aucun des employés représentés par l’ACEP n’avait été touché par l’introduction de la politique de RE, la Commission a conclu qu’« aucune conséquence pratique n’a découlé de cette violation » : décision, par. 21. Elle a donc limité la réparation à la seule déclaration que la Bibliothèque avait enfreint l’article 39 de la Loi en mettant sa politique de RE en œuvre pendant la période de gel établi par cette disposition, à savoir la période allant du 28 juin 2011 (date de l’avis de négociation collective) au 1er février 2013 (date de la décision arbitrale). Elle a ajouté que ses motifs « ne visent pas à traiter de la question de savoir si l’employeur pourrait ou devrait réintroduire la Politique sur le RE à une date ultérieure, maintenant que le gel imposé par la Loi n’est plus en vigueur » : décision, par. 22.

 

Les questions soulevées par la demande de la Bibliothèque

[23]           La Bibliothèque soutient principalement que la Commission a conclu à tort que les lignes directrices et la politique de RE constituaient des conditions d’emploi pouvant figurer dans une convention collective au sens de l’article 39 de la Loi, invoquant les paragraphes 5(3) et 55(2) de la Loi à l’appui de cet argument. Le paragraphe 5(3) vise à préserver les droits de gestion de la Bibliothèque, et le paragraphe 55(2) soustrait la mise en disponibilité ou le renvoi d’employés de l’arbitrage de la Commission. Voici le texte de ces dispositions :

(3) La présente partie n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité de l’employeur quant à l’organisation de ses services, à l’attribution des fonctions aux postes et à la classification de ces derniers.

 

 

(3) Nothing in this Part shall be construed to affect the right or authority of an employer to determine the organization of the employer and to assign duties and classify positions of employment.

 

(2) Sont exclues du champ des décisions arbitrales les normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l’évaluation, l’avancement, la rétrogradation, la mutation, la mise en disponibilité ou le renvoi d’employés, ainsi que toute condition d’emploi n’ayant pas fait l’objet de négociations entre les parties avant que ne soit demandé l’arbitrage à son sujet.

(2) No arbitral award shall deal with the standards, procedures or processes governing the appointment, appraisal, promotion, demotion, transfer, lay-off or release of employees, or with any term or condition of employment of employees that was not a subject of negotiation between the parties during the period before arbitration was requested in respect thereof.

 

[24]           La Bibliothèque fait valoir, à titre subsidiaire, que l’interprétation de la Commission selon laquelle la politique de RE différait substantiellement des lignes directrices était déraisonnable et que la Commission aurait dû conclure plutôt que la politique était simplement [traduction] « une version enrichie et remodelée des lignes directrices pré-existantes » : mémoire de la Bibliothèque, par. 65. Contredisant quelque peu ce premier argument, la Bibliothèque ajoute que la Commission a agi de façon déraisonnable et commis une erreur de droit dans l’application du critère de la pratique courante en refusant de tenir compte des circonstances économiques particulières ayant mené à l’introduction de la nouvelle politique de RE et des motifs organisationnels légitimes fondant la démarche.

 

Norme de contrôle

[25]           Les questions soulevées par la Bibliothèque mettent en cause l’interprétation et l’application de dispositions de la Loi par la Commission, notamment les paragraphes 5(3) et 55(2) et l’article 39, et son appréciation de la teneur des lignes directrices et de la politique de RE.

 

[26]           Dans l’arrêt Alliance de la fonction publique c. Sénat du Canada, 2011 CAF 214, 336 D.L.R. (4th) 540, aux paragraphes 18 à 31, notre Cour a procédé à une analyse complète de la norme de contrôle à appliquer à l’interprétation et à l’application du paragraphe 55(2) de la Loi par la Commission, et elle a conclu que ces décisions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Cette analyse vaut également pour l’interprétation et l’application par la Commission du paragraphe 5(3) et de l’article 39 de la Loi. Toutes les questions soulevées par la Bibliothèque seront donc examinées en fonction de cette norme.

 

Analyse

Première question : les lignes directrices et la politique de RE sont‑elles visées par l’article 39 de la Loi?

 

[27]           Les lignes directrices énoncent les principes et mécanismes à suivre en situation d’effectifs excédentaires. On y trouve notamment le principe selon lequel « [c]haque employé excédentaire aura l’assurance de recevoir une offre d’emploi à la Bibliothèque du Parlement, dans une unité de travail où ses compétences, aptitudes et potentiel pourront être utilisés de manière productive » : lignes directrices, art. 1.4. Elles décrivent également l’éventail d’options dont la Bibliothèque dispose lorsque des employés excédentaires ne partent pas de façon volontaire, parmi lesquelles se trouvent le redéploiement, le recyclage, la présentation de candidats, la protection du salaire, etc. La politique de RE traite en gros des mêmes sujets, mais prévoit des principes et des options différents.

 

[28]           Je conclus sans réserve que les lignes directrices et la politique de RE renferment toutes deux des conditions d’emploi. La question soulevée par la Bibliothèque est de savoir si les paragraphes 5(3) ou 55(2) ont pour effet d’empêcher ces conditions d’emploi de faire partie d’une convention collective. À mon avis, la Commission a jugé à bon droit qu’il fallait répondre par la négative.

 

[29]           Aux termes du paragraphe 5(3), les dispositions de la Loi relatives aux relations de travail n’ont pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité de la Bibliothèque en matière d’organisation de ses services, d’attribution des fonctions et de classifications des postes. Ces droits de gestion ne sont donc pas touchés par la Loi. Toutefois, rien n’empêche la Bibliothèque de restreindre volontairement ses droits de gestion en ces matières en consentant à l’inclusion dans une convention collective de dispositions à cet effet. C’est précisément ce qu’elle a fait lorsqu’elle a accepté d’inclure l’article 38 (précité), relatif à la sécurité d’emploi, dans la convention collective.

 

[30]           Quant à la restriction énoncée au paragraphe 55(2) de la Loi, qui exclut du champ des décisions arbitrales de la Commission la mise en disponibilité ou le renvoi d’employés, elle ne s’applique pas aux modalités d’une convention collective librement négociée par la Bibliothèque.

 

[31]           Qui plus est, il n’est pas nécessaire que les conditions d’emploi soient incorporées dans une convention collective pour qu’elles soient visées par l’article 39 de la Loi. Il est question, dans le libellé même de cet article, de toute condition d’emploi « pouvant » figurer dans une convention collective. Comme le juge Urie l’a signalé dans l’arrêt La Reine c. L’Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1982] 2 C.F. 80, à la page 89, au sujet d’une disposition législative analogue :

Il ne fait pas de doute que la politique consistant à autoriser les contrôleurs du trafic aérien à refuser de faire des heures supplémentaires est une politique qui aurait pu être, ou « peut être » à l’avenir, incluse dans une convention collective. Je présume que l’expression « peut être incluse », telle qu’elle figure à l’article 51, signifie que la condition d’emploi est « susceptible d’être incluse » dans la convention. Il ne fait pas de doute non plus que cette politique, tant qu’elle subsistait, constituait ou devenait une condition d’emploi. Il est indéniable que pendant la durée de la convention, cette politique, qui était en fait une modification non écrite à l’article 15 aurait pu être révoquée par l’employeur. (Je laisse de côté la question de savoir s’il y aurait lieu de consulter au préalable l’agent négociateur ou les employés.) Il se trouve cependant qu’au moment de l’avis de l’intention de négocier, il n’y a pas eu révocation et cette politique qui, comme je l’ai dit, était en fait l’une des conditions d’emploi, était « en vigueur » à l’époque.

 

 

[32]           Comme les paragraphes 5(3) et 55(2) de la Loi n’empêchent pas l’incorporation dans une convention collective des conditions d’emploi énoncées dans les lignes directrices, ces conditions sont donc visées par l’article 39 de la Loi.

 

[33]           La Bibliothèque soutient également que la Commission n’a pas motivé suffisamment sa décision parce qu’elle n’a pas traité du paragraphe 5(3) de la Loi. Cet argument repose en totalité sur l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver c. A.F.P.C., 2010 CAF 158, 320 D.L.R. (4th) 733, de notre Cour. Depuis cet arrêt, toutefois, la Cour suprême a formulé des précisions au sujet de la suffisance des motifs de tribunaux administratifs, plus particulièrement dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, et elle a indiqué, dans l’arrêt unanime Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, [2012] 3 R.C.S. 405, au paragraphe 3 : « [n]otre Cour a insisté sur le fait qu’un tribunal administratif n’a pas l’obligation d’examiner et de commenter dans ses motifs chaque argument soulevé par les parties.  La question que doit trancher le tribunal judiciaire siégeant en révision demeure celle de savoir si la décision attaquée, considérée dans son ensemble, à la lumière du dossier, est raisonnable ». Elle a réitéré ce principe, récemment encore, dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53.

 

[34]           En l’espèce, la Commission a implicitement traité du paragraphe 5(3) de la Loi dans ses motifs lorsqu’elle a conclu que les conditions d’emploi énoncées dans les lignes directrices pourraient être incorporées dans une convention collective. La décision de la Commission à cet égard, prise dans son ensemble, est raisonnable même si elle ne mentionne pas explicitement le paragraphe 5(3).

 

Deuxième question : les lignes directrices diffèrent‑elles substantiellement de la politique de RE?

[35]           J’estime, sans hésitation aucune, que la conclusion de la Commission selon laquelle la politique de RE différait de façon importante et fondamentale des lignes directrices était raisonnable. Les différences entre les deux documents abondent, et les exemples suivants suffiront à démontrer qu’elles sont également fondamentales.

 

[36]           Les lignes directrices, je le répète, garantissent aux employés excédentaires une offre d’emploi à la Bibliothèque permettant l’utilisation productive de leurs compétences, aptitudes et potentiel. Cet engagement n’a pas été repris dans la politique de RE. En outre, c’est à la Bibliothèque qu’il incombe, selon les lignes directrices, de chercher activement des possibilités d’emploi aux employés excédentaires, alors que, selon la politique de RE, cette obligation repose sur les employés excédentaires. Il s’agit là de différences importantes et fondamentales.

 

Troisième question : la Commission a-t-elle fait erreur en ne tenant pas compte de circonstances financières particulières?

 

[37]           L’obligation faite à l’employeur de maintenir les conditions d’emploi pendant les négociations en vue du renouvellement d’une convention collective figure dans plusieurs textes de loi : Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, art. 50; Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2, art. 107. Cette obligation légale n’empêche cependant pas les employeurs de continuer à modifier des conditions de travail non régies par une convention collective, lorsque cela relève d’une pratique courante ou établie. Il s’agit de l’exception dite de la « pratique courante » : voir, notamment, Alliance de la fonction publique du Canada c. BHP Billion Diamonds Inc., 2006 CCRI 353.

 

[38]           En l’espèce, la Commission a jugé que l’introduction de la politique de RE « ne constituait pas une pratique de gestion normale ni une pratique courante de l’employeur » : décision, par. 16. Il s’agit là d’une conclusion de fait raisonnable, amplement étayée par la preuve.

 

[39]           La Bibliothèque soutient toutefois que la Commission aurait dû tenir compte des circonstances nouvelles et imprévues engendrées par la décision de réduire son budget de 2,5 %, qui constituaient selon elle des motifs organisationnels légitimes justifiant l’introduction de la politique de RE : mémoire de la Bibliothèque, par. 68 à 71.

 

[40]           Je n’exclus pas qu’un employeur puisse modifier des conditions d’emploi pendant un « gel prévu par la loi », en réponse à des circonstances exceptionnelles et extraordinaires indépendantes de sa volonté, mais il n’est pas nécessaire que je tranche cette question en l’espèce. En effet, la preuve indique on ne peut plus clairement que les compressions budgétaires n’ont touché aucun poste relevant de l’unité de négociation. L’argument de la Bibliothèque n’a donc pas de fondement factuel pour ce qui est des employés appartenant à l’unité de négociation de l’ACEP.

 

 

 

 

 

Conclusion

[41]           Pour ces motifs, je conclus que la décision de la Commission était raisonnable. Je rejetterais donc la demande de contrôle judiciaire avec dépens en faveur de la défenderesse.

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

     Marc Noël, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

     Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :                                                            A-119-13

 

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION RENDUE PAR LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE, DANS LE DOSSIER 2013 CRTFP 18

 

INTITULÉ :

BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT c. ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :                                 Le 18 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                               LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                            LE JUGE NOËL

                                                                                LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                         Le 8 octobre 2013

 

COMPARUTIONS :

Carole Piette

Sarah Lapointe

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Peter Engelmann

Ben Piper

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Emond Harnden

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sack Goldblatt Mitchell SRL

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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