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Date : 20140122

 

Dossier : A‑560‑12

 

Référence : 2014 CAF 13

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS

appelante

et

APOTEX INC.

intimée

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 octobre 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LA JUGE DAWSON

                                                                                                                    LE JUGE MAINVILLE

 



Date : 20140122

 

Dossier : A‑560‑12

 

Référence : 2014 CAF 13

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS

appelante

et

APOTEX INC.

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE SHARLOW

[1]               Dans la décision visée par l'appel (2012 CF 1339), le juge Zinn a fait droit à la requête en jugement sommaire que l'intimée Apotex Inc. avait présentée dans son action en invalidation du brevet canadien no 2 163 446. S'appuyant sur l'arrêt Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625 (Teva 2012), le juge a prononcé un jugement déclarant que le brevet 446 était invalide et qu'il n'était pas contrefait par les comprimés de sildénafil d'Apotex. Pfizer Ireland Pharmaceuticals (Pfizer), la titulaire inscrite du brevet 446, interjette appel du jugement. Pour les motifs suivants, je rejetterais l'appel.

Le brevet 446

[2]               Pfizer et ses sociétés affiliées s'appuient depuis de nombreuses années sur le brevet 446 pour protéger leur monopole canadien sur le sildénafil. Il s'agit du principe actif contenu dans le Viagra, un médicament servant au traitement de la dysfonction érectile et qui a connu un succès commercial. Une société affiliée de Pfizer détenant une licence produit et vend le Viagra au Canada en vertu d'un avis de conformité délivré en 1999 conformément au Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. 1978, ch. 870.

 

[3]               Le brevet 446 s'intitule « Pyrazolopyrimidinones pour le traitement de l'impotence ». La demande a été déposée en 1994. Le brevet a été délivré le 7 juillet 1998, et sa date d'expiration est le 13 mai 2014.

 

[4]               Le brevet 446 contient 27 revendications. Dans le présent appel, les parties n'ont directement abordé que les revendications 5, 6 et 7, et les revendications précédentes, dont elles dépendent nécessairement. Aucune des parties n'a laissé entendre que les enjeux soulevés par le présent appel dépendaient des revendications 8 à 27, ou des renonciations déposées à l'égard du brevet 446. Pour ce motif, la discussion ne portera que sur les revendications 1 à 7.

 

[5]               La revendication 1, lue littéralement, revendique l'utilisation de ce qui suit :

[TRADUCTION]

 

[...] un composé de formule (I) [dont la description chimique est donnée], ou un sel pharmaceutiquement acceptable dudit composé, ou une composition pharmaceutique contenant l'une ou l'autre des entités, pour la fabrication d'un médicament destiné au traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez un animal mâle ou de la dysfonction sexuelle chez un animal femelle.

[6]               Quelque 260 trillions de composés sont visés par la revendication 1. Les revendications 2, 3, 4 et 5 sont des revendications en cascade basées sur la revendication 1, c'est‑à‑dire que chacune d'elles revendique l'utilisation, conformément à la revendication 1, d'un groupe de composés qui constituent un sous‑ensemble du groupe dont il est question dans la revendication venant juste avant.

 

[7]               Les groupes successivement plus petits de composés sont le [TRADUCTION] « groupe privilégié » (revendication 2, environ 60 milliards de composés), le [TRADUCTION] « groupe plus privilégié » (revendication 3, environ 1,8 million de composés), le [TRADUCTION] « groupe davantage privilégié » (revendication 4, 768 composés), et le [TRADUCTION] « groupe particulièrement privilégié » (revendication 5, neuf composés) (affidavit de M. Robert Gristwood, paragraphes 8.9 et 8.21, dossier d'appel, volume II, pages 155 et 157).

 

[8]               Les revendications 6 et 7 revendiquent toutes deux le même usage d'un seul composé du groupe des composés décrits à la revendication 4, ou d'un sel pharmaceutiquement acceptable dudit composé.

 

[9]               Le seul composé dont il est question à la revendication 6 est désigné sous l'appellation « UK‑114,542 ». Le seul composé dont il est question à la revendication 7 est le sildénafil. Le UK‑114,542 et le sildénafil figurent parmi les neuf composés énumérés à la revendication 5.

 

Teva 2012

[10]           Le brevet 446 a donné lieu à de nombreux litiges. Cependant, pour les besoins du présent appel, la décision la plus importante est l'arrêt Teva 2012.

 

[11]           Cet arrêt se rapportait à des procédures dans lesquelles une société remplacée par Teva Canada Ltd. (Teva), un fabricant de médicaments génériques, a déposé auprès du ministre de la Santé une présentation abrégée de drogue nouvelle conformément au Règlement sur les aliments et drogues dans laquelle Teva réclamait un avis de conformité pour sa version générique du Viagra.

 

[12]           Comme l'y autorisait le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement AC), Teva a signifié à Pfizer et à certaines de ses sociétés affiliées (collectivement désignées comme le « groupe Pfizer ») un avis d'allégation portant que le brevet 446 était invalide pour cause d'évidence, de manque d'utilité et de divulgation insuffisante. Le groupe Pfizer a alors présenté une demande en vertu du Règlement AC pour obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer à Teva l'avis de conformité pour sa version générique du Viagra avant l'expiration du brevet 446.

 

[13]           Le 18 juin 2009, la Cour fédérale a fait droit à la demande, et Teva n'a donc pas pu recevoir son avis de conformité (2009 CF 638). Elle a interjeté appel devant la Cour, mais n'a pas eu gain de cause (2010 CAF 242, [2012] 2 R.C.F. 69). Elle a ensuite demandé et obtenu l'autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada. Son appel a été accueilli le 8 novembre 2012. Le lendemain, le ministre délivrait les avis de conformité pour le sildénafil de Teva et d'un certain nombre d'autres fabricants de médicaments, notamment Apotex.

 

[14]           Dans l'arrêt Teva 2012, Teva a eu gain de cause après que la Cour suprême du Canada eut conclu que l'allégation d'invalidité qu'elle avait faite au motif d'une divulgation insuffisante était justifiée. Cette conclusion est motivée au paragraphe 5 des motifs du juge LeBel, s'exprimant au nom de la Cour :

5        Au moment du dépôt de sa demande de brevet, Pfizer avait effectué des essais cliniques démontrant l'efficacité du sildénafil dans le traitement de la [dysfonction érectile]. Pareille efficacité n'avait été démontrée pour aucun autre composé du brevet 446. Malgré la déclaration du brevet selon laquelle [TRADUCTION] « un des composés particulièrement privilégiés cause une érection pénienne chez des hommes impuissants », ni la divulgation — la partie descriptive de la demande de brevet — ni les revendications ne précisent que le sildénafil constitue le composé efficace [...]. La demande de brevet ne mentionne pas que le composé qui fonctionne est celui visé par la revendication 7 ou que les autres composés ne se sont pas révélés efficaces pour contrer la [dysfonction érectile].

 

 

[15]           Je résumerai ainsi le raisonnement du juge LeBel qui a conclu que le brevet 446 était invalide pour cause de divulgation insuffisante :

Les principes

a)         Le régime des brevets a pour assise un marché dans lequel l'inventeur obtient, pour une période déterminée, un monopole sur une invention nouvelle et utile en contrepartie de la divulgation de l'invention de façon à en faire bénéficier la société lorsque la période en question arrive à son terme (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153, au paragraphe 37, et Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 523).

b)         Le marché qui sous‑tend le régime des brevets se révèle aux paragraphes 27(1) à 27(3) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4. L'exigence relative à la divulgation est énoncée au paragraphe 27(3), dont voici les passages pertinents :

27. (3) Le mémoire descriptif doit :

 

27. (3) The specification of an invention must

 

a) décrire d'une façon exacte et complète l'invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

 

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

 

b) exposer clairement les diverses phases d'un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d'utilisation d'une machine, d'un objet manufacturé ou d'un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention, ou dans l'art ou la science qui s'en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l'invention;

 

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

 

c) s'il s'agit d'une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l'application;

 

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and

 

d) s'il s'agit d'un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l'invention en cause d'autres inventions.

 

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other inventions.

 

 

c)         La divulgation adéquate de l'invention dans le mémoire descriptif est une condition préalable à l'octroi d'un brevet (Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142, au paragraphe 74).

 

d)         Lorsque le caractère suffisant de la divulgation est contesté, la question à poser est celle de savoir si le public obtient les renseignements auquel il a droit en contrepartie du monopole accordé.

 

e)         L'arrêt de principe sur le caractère suffisant de la divulgation est l'arrêt Consolboard (précité), qui a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, au paragraphe 18, Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 52, et Pioneer Hi‑Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, à la page 1636. Les principes de Consolboard doivent s'appliquer à la présente affaire.

 

f)         L'arrêt Consolboard énonce que la nature de l'invention doit être divulguée, et que le mémoire descriptif, y compris les revendications, doit être examiné dans son intégralité pour déterminer la nature de l'invention et savoir si la divulgation est suffisante.

 

g)         L'arrêt Consolboard énonce également (à la page 520, citant Minerals Separation North American Corp. v. Noranda Mines, Ltd., [1947] R.C. de l'É. 306) que la divulgation est suffisante si le public peut, en n'ayant recours qu'au mémoire descriptif, faire de l'invention le même usage que l'inventeur. Une déclaration semblable figure dans l'arrêt Pioneer Hi‑Bred (précité), à la page 1638.

 

h)         Contrairement à ce qu'ont affirmé les tribunaux d'instance inférieure, l'arrêt Consolboard ne permet pas d'affirmer qu'au moment de se prononcer sur le caractère suffisant de la divulgation, les seules questions pertinentes sont : « En quoi consiste votre invention? » et « Comment fonctionne‑t‑elle? »

 

L'application des principes dans l'arrêt Teva 2012

i)          Le fait que la revendication 1 comprenne 260 trillions de composés n'a aucune importance. Les revendications en cascade, même si elles donnent lieu à des revendications de portée excessivement large, ne portent pas nécessairement atteinte au droit du public à la divulgation. Le lecteur versé dans l'art sait que lorsqu'un brevet contient de telles revendications, la plus utile figure généralement à la fin de l'énumération et énonce un seul composé. Aux termes de l'article 58 de la Loi sur les brevets, les revendications valides continuent de l'être malgré l'existence de revendications invalides, pour autant que la divulgation soit suffisante.

 

j)          Étant donné que Pfizer a réalisé des essais ayant démontré que le sildénafil était efficace dans le traitement de la dysfonction érectile, et étant donné qu'aucun des autres composés du brevet 446 ne s'est révélé efficace à cette fin, l'invention était l'utilisation du sildénafil dans le traitement de la dysfonction érectile. C'est ce qui devait être divulgué pour répondre aux exigences du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

k)         Cependant, cette divulgation n'a pas été faite. Le brevet 446 comporte un énoncé selon lequel [TRADUCTION] « un des composés particulièrement privilégiés cause une érection pénienne chez des hommes impuissants », mais le mémoire descriptif ne dit pas que le sildénafil est le composé efficace, que la revendication 7 comprend le composé efficace ni que les autres composés du brevet ne se sont pas révélés efficaces.

 

l)          La question de savoir si le mémoire descriptif est suffisant dépend de ce qu'une personne versée dans l'art jugerait suffisant. D'après la preuve d'expert présentée en l'espèce, rien ne permettait à une personne versée dans l'art de déterminer laquelle des revendications 6 ou 7 décrit le composé qui s'est révélé utile dans le traitement de la dysfonction érectile. Même le témoin expert de Pfizer a reconnu qu'une personne versée dans l'art qui lirait le brevet ne saurait pas quel composé s'est révélé utile dans l'étude.

 

m)        Même si un lecteur versé dans l'art avait pu discerner que le composé efficace devait être l'un des deux nommés dans les revendications 6 et 7, d'autres essais auraient été requis pour déterminer lequel des deux était réellement efficace. D'après les faits, tels que les a décrits le juge du procès, il faudrait entreprendre un projet de recherche mineur.

 

n)         Il a été porté atteinte au droit du public à une divulgation suffisante, car les revendications se terminaient par deux revendications distinctes, ce qui ne permettait pas de connaître la véritable invention. Pfizer a obtenu un avantage de la Loi sur les brevets — des droits de monopole — tout en refusant la divulgation requise par cette même loi. Par conséquent, la question de savoir si la divulgation était suffisante doit recevoir une réponse négative.

 

La mesure de réparation accordée dans l'arrêt Teva 2012

[16]           L'ordonnance formelle dans l'arrêt Teva 2012, telle qu'elle a été initialement prononcée, était la suivante (Bulletin des procédures, Cour suprême du Canada, 9 novembre 2012, page 1728) :

L'appel interjeté contre l'arrêt de la Cour d'appel fédérale, numéro A‑292‑09, 2010 CAF 242, en date du 24 septembre 2010, entendu le 18 avril 2012, est accueilli avec dépens et le brevet 2,163,446 est déclaré nul.

The appeal from the judgment of the Federal Court of Appeal, Number A‑292‑09, 2010 FCA 242, dated September 24, 2010, heard on April 18, 2012, is allowed with costs and Patent 2,163,446 is declared void.

 

 

 

[17]           La déclaration d'invalidité était surprenante étant donné que l'appel découlait d'une demande d'ordonnance d'interdiction fondée sur le Règlement AC. Il existe un long courant jurisprudentiel bien établi portant qu'une telle procédure ne peut en droit aboutir à une décision finale sur la validité ou la contrefaçon d'un brevet. Les premiers jugements sont Merck & Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1994] A.C.F. no 662 (QL) (C.A.F.), et David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.F.), tous deux cités et approuvés dans l'arrêt Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, aux paragraphes 95 à 97.

 

[18]           Le 9 novembre 2012, le lendemain du jour où l'arrêt Teva 2012 a été rendu, les sociétés affiliées de Pfizer ont déposé une requête devant la Cour suprême du Canada dans laquelle elles demandaient que les motifs soient modifiés, ainsi que l'ordonnance formelle, essentiellement pour qu'ils concordent avec la jurisprudence mentionnée dans le paragraphe précédent. La requête a été accordée en partie dans une ordonnance du 4 juin 2013. La modification de l'ordonnance formelle est décrite au paragraphe 5 de l'ordonnance de modification, que voici (Bulletin des procédures, Cour suprême du Canada, 14 juin 2013, aux pages 1098 et 1099) :

5. Le jugement formel est modifié pour être désormais libellé comme suit : « L'appel du jugement de la Cour d'appel fédérale, numéro A‑292‑09, 2010 CAF 242, en date du 24 septembre 2010, entendu le 18 avril 2012, est accueilli avec dépens et, Teva ayant fait la preuve de son allégation portant que le brevet 2 163 446 n'est pas valide, la demande de Pfizer pour que soit prononcée une ordonnance d'interdiction en application du par. 55.2(4) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, et de l'art. 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, est rejetée. »

5. The formal order is amended to read as follows: “The appeal from the judgment of the Federal Court of Appeal, Number A‑292‑09, 2010 FCA 242, dated September 24, 2010, heard on April 18, 2012, is allowed with costs and Teva having established its allegation that Patent 2,163,446 is not valid, the application of Pfizer for an order of prohibition under s. 55.2(4) of the Patent Act, R.S.C. 1985, c. P‑4, and s. 6 of the Patent Medicines (Notice of Compliance) Regulations, SOR/93‑133, is dismissed”;

 

 

 

L'action en invalidation d'Apotex

[19]           Le 13 mai 2009, Apotex a déposé un acte introductif d'instance dans lequel elle sollicitait notamment un jugement déclarant que le brevet 446 est invalide et que ses comprimés de sildénafil ne contreferaient aucune revendication valide de ce brevet. Cet acte a été modifié plusieurs fois, la dernière fois le 7 septembre 2012. L'acte introductif d'instance, tel qu'il existait à cette date, expose de nombreux motifs d'invalidation du brevet 446, mais pour les besoins du présent appel, il suffit de dire qu'Apotex allègue une divulgation insuffisante. Pfizer a défendu la revendication à l'égard de tous les motifs, et a en particulier contesté le caractère insuffisant de la divulgation. Le procès devait débuter le 26 novembre 2012.

 

La requête en jugement sommaire

[20]           Le 9 novembre 2012, le lendemain du jour où le jugement initial dans l'arrêt Teva 2012 a été rendu, Apotex a déposé une requête en Cour fédérale sollicitant un jugement sommaire dans l'action en invalidation du brevet 446 qu'elle avait déposée, invoquant à l'appui l'arrêt Teva 2012. L'ordonnance faisant droit à cette requête est celle visée par l'appel.

 

[21]           La partie qui s'oppose à une requête en jugement sommaire doit présenter des éléments de preuve établissant qu'il existe une véritable question litigieuse (Succession MacNeil c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2004] 3 R.C.F. 3, 2004 CAF 50, au paragraphe 25, citant l'article 215 des Règles, qui est à présent l'article 214). En l'espèce, il incombait à Pfizer de produire des éléments de preuve établissant que le caractère suffisant de la divulgation du brevet 446 ne pouvait être déterminé équitablement sans la tenue d'un procès.

 

[22]           C'est ce que Pfizer a tenté de faire, mais en vain. Le juge a conclu qu'il était lié par l'arrêt Teva 2012 et qu'il devait conclure que le brevet 446 était invalide parce que la divulgation était insuffisante, et ce, que la Cour suprême du Canada modifie ou non son jugement et supprime la déclaration d'invalidité, ce qu'elle a par la suite fait.

 

[23]           La question à laquelle notre Cour doit répondre est celle de savoir si le juge a commis une erreur de droit ou a mal appliqué le critère relatif au jugement sommaire dans ses conclusions. Pour les motifs suivants, je conclus que le juge n'a commis aucune erreur justifiant l'intervention de la Cour.

 

Analyse

[24]           Pfizer soutient que l'arrêt Teva 2012 repose sur une interprétation particulière du brevet 446 qui ne peut être concluante dans tous les cas puisque, dans le cas d'une demande d'ordonnance d'interdiction fondée sur le Règlement AC, toute conclusion concernant l'interprétation du brevet est nécessairement provisoire. Je suis d'accord, compte tenu des décisions citées plus haut au paragraphe 17 (Merck & Frosst (C.A.F., 1994), David Bull (C.A.F., 1995), et Eli Lilly (C.S.C., 1998)).

 

[25]           Cependant, pour établir l'existence d'une question litigieuse quant à l'interprétation du brevet 446, il incombait à Pfizer de produire des éléments de preuve ou de s'appuyer sur la preuve qui avait déjà été produite dans la présente affaire. En particulier, elle aurait dû produire ou citer des éléments de preuve se rapportant à la manière dont le lecteur versé dans l'art interpréterait le mémoire descriptif, et pourquoi cette interprétation mettait en doute celle adoptée dans l'arrêt Teva 2012. Le dossier ne contient aucun élément de preuve de la sorte.

 

[26]           Pfizer attire notre attention sur la preuve portant que le UK‑114,542, le composé nommé dans la revendication 6, a dans les faits été soumis à des essais avant la date de dépôt au Canada et jugé utile dans le traitement de la dysfonction érectile. Cependant, le brevet divulgue uniquement qu'à la date du dépôt, les études avaient confirmé que l'un des composés figurant dans le groupe particulièrement privilégié provoquait une érection pénienne chez des hommes impuissants. Aucun essai se rapportant au UK‑114,542 n'est divulgué et Pfizer n'a produit aucun élément de preuve établissant que le lecteur versé dans l'art aurait dû discerner que le composé en question avait été soumis à des essais. Par conséquent, la preuve portant que le UK‑114,542 a fait l'objet d'essais ne permet pas d'établir l'existence d'une question litigieuse pour ce qui est du caractère suffisant de la divulgation.

 

[27]           Pfizer a fait remarquer dans sa plaidoirie qu'elle avait eu peu de temps pour rassembler ses éléments de preuve en réponse à la requête en jugement sommaire. Je fais remarquer qu'il ne s'agit pas d'un motif d'appel présenté à la Cour. Cependant, même si c'en était un, je le rejetterais. La requête en jugement sommaire a été présentée en novembre 2012. Les plaidoiries présentées à la Cour suprême du Canada dans l'affaire Teva 2012 ont eu lieu en avril 2012, et Pfizer était une partie à l'instance. La question du caractère suffisant de la divulgation apparaît dans la dernière version de l'acte introductif d'instance en l'espèce, laquelle a été déposée en septembre 2012. Par conséquent, longtemps avant que la requête en jugement sommaire n'ait été présentée, Pfizer aurait dû se rendre compte que le fait que la divulgation du brevet 446 ne mentionne pas les essais du composé UK‑114,542 risquait de poser problème.

 

La date pertinente pour déterminer le caractère suffisant de la divulgation

[28]           Les arguments des parties révèlent un débat éventuel sur la question de savoir si la date pertinente pour déterminer le caractère suffisant de la divulgation est celle de la demande de brevet canadien, ou encore celle à laquelle la demande de brevet devient publique. Cette question n'a pas été pleinement débattue dans les mémoires des faits et du droit des parties, et des observations écrites additionnelles ont été demandées et reçues. Cependant, compte tenu de ma conclusion portant que les essais réalisés sur le UK‑114,542 mentionnés dans le dossier ne peuvent établir l'existence d'une question litigieuse quant au caractère suffisant de la divulgation, j'estime qu'il n'est pas nécessaire dans le présent appel de tenter de résoudre cette controverse.

 

Conclusion

[29]           Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

            Eleanor R. Dawson , j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

            Robert M. Mainville, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


APPEL D'UN JUGEMENT OU D'UNE ORDONNANCE DU JUGE ZINN DE LA COUR FÉDÉRALE DU 20 NOVEMBRE 2012 (DOSSIER NO T‑772‑09)

 

DOSSIER :                                                    A‑560‑12

 

INTITULÉ :                                                  PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS c. APOTEX INC.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         LE 15 OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE DAWSON

                                                                        LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 22 JANVIER 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick E. Kierans

Kristin Wall

 

pour l'appelante

 

Andrew Brodkin

Michel Anderson

 

pour l'intimée

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

pour l'appelante

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

pour l'intimée

 

 

 

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