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Date : 20140218

 

Dossier : A‑138‑13

 

Référence : 2014 CAF 45

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

ACI PROPERTIES LTD.

intimée

 

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 14 janvier 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 février 2014.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

 

 


Date : 20140218

 

Dossier : A‑138‑13

 

Référence : 2014 CAF 45

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

ACI PROPERTIES LTD.

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               En avril 2003, AFT Properties Inc. (AFT) a versé 1,95 million de dollars à ACI Properties Ltd. (ACI) en exécution d'une série de contrats intervenus entre les deux sociétés. Dans leurs déclarations de revenus respectives, AFT a déduit le paiement dans le calcul de ses revenus d'entreprise, alors qu'ACI a inscrit le paiement comme un gain en capital réalisé à la suite de la disposition de sa participation dans une coentreprise.

 

[2]               En 2006‑2007, le ministre a procédé à la vérification d'ACI comme d'AFT. Lors de ces vérifications, la question s'est posée de savoir comment il convenait de qualifier le paiement de 2003. Bien que le vérificateur affecté au dossier ait accepté le choix d'ACI de considérer le paiement comme le produit de la disposition d'une immobilisation, la Direction des décisions de l'Agence du revenu du Canada, responsable du contrôle interne, s'est dite d'avis que le paiement représentait un revenu pour ACI plutôt qu'un gain en capital. Sur la base de cet avis, le ministre a procédé, en 2008, à une nouvelle cotisation à l'égard d'ACI. La cotisation établie à l'égard de AFT est demeurée inchangée.

 

[3]               La Cour canadienne de l'impôt est actuellement saisie de l'appel interjeté par ACI de la nouvelle cotisation établie en 2008. L'unique question qui se pose dans cet appel concerne la qualification qu'il convient de donner au paiement de 1,95 million de dollars. En cours d'instance, le ministre a demandé à la Cour canadienne de l'impôt de se prononcer sur une question touchant plus d'un contribuable en vertu de l'article 174 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Si la demande du ministre devait être accueillie, AFT consent à être constituée partie au renvoi. La question proposée est la suivante :

[TRADUCTION]

 

Quelle est la qualification correcte du paiement de 1,95 million de dollars fait par AFT à ACI en avril 2003? Ce paiement a‑t‑il été effectué au titre de frais de gestion ou d'une autre forme de rémunération pour les services qu'ACI a fournis à AFT, ou s'agissait‑il d'un paiement relatif à la participation d'ACI dans une coentreprise constituée avec AFT, qui correspondait à une immobilisation qu'ACI a cédée à AFT? Il s'agit de la seule question à trancher dans l'appel d'ACI.

 

[4]                Dans une décision publiée sous la référence 2013 CCI 101 (la décision), le juge Bocock, de la Cour canadienne de l'impôt, a rejeté la demande au motif que, faute de preuve de l'existence d'un doute ou d'une ambivalence de la part du ministre, la cotisation qu'il a établie précédemment à l'égard d'ACI le privait de la possibilité de demander une décision sur une question commune en vertu de l'article 174 de la Loi. Le ministre interjette maintenant appel de cette décision devant notre Cour.

 

LA LOI

[5]               À l'époque des faits en cause, l'article 174 de la Loi était libellé comme suit :

174(1) Lorsque le ministre est d'avis qu'une même opération ou un même événement ou qu'une même série d'opérations ou d'événements a donné naissance à une question de droit, de fait ou de droit et de fait qui se rapporte à des cotisations, réelles ou projetées, relatives à plusieurs contribuables, il peut demander à la Cour canadienne de l'impôt de se prononcer sur la question.

 

174(1) Where the Minister is of the opinion that a question of law, fact or mixed law and fact arising out of one and the same transaction or occurrence or series of transactions or occurrences is common to assessments or proposed assessments in respect of two or more taxpayers, the Minister may apply to the Tax Court of Canada for a determination of the question.

(2) Une demande présentée en vertu du paragraphe (1) doit faire état :

 

a) de la question au sujet de laquelle le ministre demande une décision;

 

b) des noms des contribuables que le ministre désire voir liés par la décision relative à cette question;

 

c) des faits et motifs sur lesquels le ministre s'appuie et sur lesquels il s'est fondé ou a l'intention de se fonder pour établir la cotisation concernant l'impôt payable par chacun des contribuables nommés dans la demande;

 

en outre, un exemplaire de la demande doit être signifié par le ministre à chacun des contribuables qui y sont nommés et à toutes autres personnes qui, de l'avis de la Cour canadienne de l'impôt, sont susceptibles d'être touchées par la décision rendue sur cette question.

 

(2) An application under subsection 174(1) shall set out

 

(a) the question in respect of which the Minister requests a determination,

 

(b) the names of the taxpayers that the Minister seeks to have bound by the determination of the question, and

 

(c) the facts and reasons on which the Minister relies and on which the Minister based or intends to base assessments of tax payable by each of the taxpayers named in the application,

 

and a copy of the application shall be served by the Minister on each of the taxpayers named in the application and on any other persons who, in the opinion of the Tax Court of Canada, are likely to be affected by the determination of the question.

 

(3) Lorsque la Cour canadienne de l'impôt est convaincue que la décision rendue concernant la question exposée dans une demande présentée en vertu du présent article influera sur des cotisations ou des cotisations éventuelles intéressant plusieurs contribuables à qui une copie de la demande a été signifiée et qui sont nommés dans une ordonnance de la Cour canadienne de l'impôt conformément au présent paragraphe, elle peut :

 

a) si aucun des contribuables ainsi nommés n'en a appelé d'une de ces cotisations, entreprendre de statuer sur la question de la façon qu'elle juge appropriée;

 

b) si un ou plusieurs des contribuables ainsi nommés se sont pourvus en appel, rendre une ordonnance groupant dans cet ou ces appels les parties appelantes comme elle le juge à propos et entreprendre de statuer sur la question.

 

(3) Where the Tax Court of Canada is satisfied that a determination of the question set out in an application under this section will affect assessments or proposed assessments in respect of two or more taxpayers who have been served with a copy of the application and who are named in an order of the Tax Court of Canada pursuant to this subsection, it may

 

(a) if none of the taxpayers so named has appealed from such an assessment, proceed to determine the question in such manner as it considers appropriate; or

 

(b) if one or more of the taxpayers so named has or have appealed, make such order joining a party or parties to that or those appeals as it considers appropriate and proceed to determine the question.

 

(4) Sous réserve du paragraphe (4.1), lorsque la Cour canadienne de l'impôt statue sur une question exposée dans une demande dont elle a été saisie en vertu du présent article, la décision rendue est finale et sans appel pour l'établissement de toute cotisation concernant l'impôt payable par les contribuables nommés dans la décision, en vertu du paragraphe (3).

 

(4) Subject to subsection (4.1), where a question set out in an application under this section is determined by the Tax Court of Canada, the determination thereof is final and conclusive for the purposes of any assessments of tax payable by the taxpayers named by it pursuant to subsection (3).

 

 

ANALYSE

La norme de contrôle

[6]               Dans l'arrêt Canada c. Miller, 2005 CAF 394, [2005] A.C.F. no 1953 (Q.L.) (Miller), la Cour a souligné que le juge de la Cour de l'impôt saisi d'une demande présentée en vertu de l'article 174 devait traiter de trois questions. Premièrement, il doit être convaincu que l'article 174 s'applique. Bien que le mot « convaincu » donne à penser que le juge dispose pour cela d'une certaine latitude, sa tâche consiste à déterminer le critère d'application approprié de cet article, puis à l'appliquer aux faits de l'affaire dont il est saisi.

 

[7]               Comme la Cour est saisie d'un appel d'une décision rendue par un juge de première instance, l'analyse relative à la norme de contrôle figurant dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen), s'applique. L'application d'une norme juridique à un ensemble de faits est une question mixte de fait et de droit susceptible de révision selon la norme de l'erreur manifeste et dominante, à moins qu'il ne soit possible de discerner une question de droit isolable. Le cas échéant, la norme de la décision correcte s'applique en ce qui concerne cette question : voir Housen, aux paragraphes 26 et 36. La détermination du critère à appliquer est une question de droit isolable : voir Housen, au paragraphe 31.

 

[8]               La deuxième question que doit se poser le juge de la Cour de l'impôt lors d'une demande visée à l'article 174 est celle de savoir si la demande devrait être refusée même si toutes les conditions nécessaires à l'application de l'article 174 sont respectées. Cette question découle de la présence du mot « peut » au paragraphe 174(3). Il s'agit dans ce cas d'une véritable décision de nature discrétionnaire qui ne peut être annulée que si le juge de la Cour de l'impôt s'est fondé sur un mauvais principe, en ce sens qu'il a commis une erreur de droit, ou s'il a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon erronée en tenant compte de facteurs non pertinents ou en omettant de tenir compte de facteurs pertinents : Elders Grain Co. c. M/V Ralph Misener (Le), 2005 CAF 139, [2005] A.C.F. no 612 (Q.L.), au paragraphe 13.

 

[9]               La dernière question dont doit traiter le juge de la Cour de l'impôt concerne la procédure à suivre pour trancher la question commune. À cet égard, le paragraphe 174(3) établit une distinction entre les cas où un ou plusieurs appels visant une cotisation sont en instance et les cas où aucun appel n'est en instance. Dans Miller, la Cour a déclaré que pour cette troisième question, le juge est investi d'un pouvoir discrétionnaire clairement lié aux questions de procédures et de dépens. Ici aussi, la norme de contrôle qu'il convient de retenir est celle qui s'applique aux décisions de nature discrétionnaire.

 

L'article 174 s'applique‑t‑il aux faits de l'espèce?

[10]           Il s'agit donc, dans un premier temps, de décider si l'article 174 s'applique. L'analyse du juge de la Cour de l'impôt repose sur la prémisse selon laquelle l'article 174 ne s'appliquera que si le ministre est habité, quant à la réponse qu'il convient de donner à la question proposée, par une ambivalence ou un doute suffisamment important à l'égard de la cotisation projetée : voir la décision, aux paragraphes 14 à 16. Pour étayer cette prémisse, le juge de la Cour de l'impôt s'est fondé sur une décision antérieure de la Cour de l'impôt, Brenneur c. Canada, 2010 CCI 610, [2010] A.C.I. no 489 (Q.L.) (Brenneur). Dans cette décision, la Cour de l'impôt a jugé que l'article 174 ne pouvait s'appliquer si aucune nouvelle cotisation n'était projetée, ajoutant que l'intention éventuelle du ministre d'établir une nouvelle cotisation à l'égard d'un deuxième contribuable s'il n'obtenait pas gain de cause dans le dossier l'opposant au premier contribuable ne constituait pas une « cotisation projetée » pour l'application de l'article 174 : voir Brenneur, aux paragraphes 34 et 35.

 

[11]           La Cour de l'impôt a repris cette interprétation dans la décision Daruwala c. Canada, 2012 CCI 116, [2012] A.C.I. no 227 (Q.L.) (Daruwala), qui portait sur l'article 311 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15, une disposition semblable à l'article 174. Dans la décision Daruwala, la Cour s'est employée à étoffer le raisonnement développé dans la décision Brenneur en formulant trois questions qui appellent des réponses permettant de dire si les conditions d'application de l'article 174 sont réunies. Ces questions sont les suivantes :

‑           La requérante a‑t‑elle fourni à la Cour des éléments de preuve selon lesquels l'autorité taxatrice a communiqué de façon indépendante avec le contribuable à l'égard duquel celle‑ci se proposait d'établir une cotisation, ou toute autre indication raisonnable du fait qu'il serait possible qu'elle établisse une nouvelle cotisation à l'égard de ce contribuable?

 

‑           Quelle est la preuve qui a été produite au sujet d'une enquête, d'un examen ou d'un survol, réel ou projeté, relatif aux affaires, aux antécédents ou aux dossiers du contribuable à l'égard duquel on se propose d'établir une cotisation dans le contexte d'une nouvelle cotisation projetée ou de l'établissement de celle‑ci?

 

-                      Quelles observations ont été formulées au sujet des gains en matière d'efficience qu'il serait possible de réaliser en réunissant des cotisations projetées et réelles en une seule question sur laquelle la Cour se prononcerait avant l'audition de l'unique appel par ailleurs en suspens?

 

Daruwala, au paragraphe 11.

 

[12]           Le juge de la Cour de l'impôt a ensuite appliqué ces questions aux faits de l'espèce. Ce faisant, il a appliqué le mauvais critère et a ainsi commis une erreur de droit. Les conditions d'application de l'article 174 sont énoncées au paragraphe 174(3) de la Loi : il doit y avoir une « question exposée dans une demande présentée en vertu du présent article [qui] influera sur des cotisations ou des cotisations éventuelles intéressant plusieurs contribuables à qui une copie de la demande a été signifiée ».

 

[13]            Le juge de la Cour de l'impôt saisi de la demande doit décider si la question exposée dans la demande en est une qui influera sur des cotisations ou des cotisations éventuelles intéressant plusieurs contribuables. Il lui faut en conséquence déterminer s'il existe un lien juridique ou factuel entre les contribuables concernés par la décision. Il n'est pas nécessaire que cet examen découle de l'existence d'un doute dans l'esprit du ministre quant à la position à adopter pour établir une cotisation relativement à l'un ou l'autre des contribuables à l'égard de qui la question se pose. L'article 174 peut s'appliquer en cas de cotisation en instance, mais son application n'est pas subordonnée au fait qu'une cotisation soit en instance.

 

[14]           L'historique de l'article 174 appuie cette interprétation. Les mots « cotisations éventuelles » ont été ajoutés à cet article en 1978. Dans les notes techniques accompagnant la motion de voies et moyens par laquelle la modification a été proposée, il est expliqué que cette dernière visait à [TRADUCTION] « préciser que les questions peuvent se rapporter à des cotisations ou à des cotisations éventuelles » : voir le cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, à l'onglet 17 (non souligné dans l'original).

 

[15]           Enfin, l'examen de l'objet de l'article mène à cette même conclusion. Lorsqu'une question intéresse plusieurs contribuables, les principes de l'équité entre contribuables et de la protection de l'impôt commandent que les contribuables fassent l'objet de cotisations établies suivant des règles uniformes. Le ministre est libre d'établir une nouvelle cotisation à l'égard d'un deuxième contribuable (sous réserve des règles relatives à la période normale de nouvelle cotisation, qui limitent le moment où il peut le faire) si, du fait de l'appel d'un premier contribuable, la qualification donnée à l'opération commune à ces deux contribuables est incompatible avec le fondement de la cotisation établie pour le deuxième contribuable. C'est ce qui ressort clairement du libellé du paragraphe 152(4), en vertu duquel le ministre peut « établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l'impôt pour une année d'imposition » à tout moment avant l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation.

 

[16]           Si le ministre procède à l'établissement d'une nouvelle cotisation pour un deuxième contribuable après qu'un premier contribuable a obtenu gain de cause en appel, le deuxième contribuable ne sera pas lié par les conclusions de fait et de droit tirées lors de l'appel interjeté par le premier contribuable. La question qui oppose le ministre et le deuxième contribuable doit être tranchée lors d'une instance entièrement nouvelle. Cette situation entraîne la tenue de plusieurs procès et ouvre la porte à la possibilité que des parties à une même opération fassent l'objet de décisions et de cotisations incompatibles. L'article 174 vise à atténuer ces risques en établissant une procédure permettant à toutes les parties intéressées de prendre part à une seule instance lors de laquelle sera tranchée la question qui les concerne toutes.

 

[17]           Dans la décision Brenneur, la Cour de l'impôt a précisé que les renvois faits sous le régime de l'article 174 étaient à privilégier lorsque les circonstances le justifient parce qu'ils « favorisent une utilisation efficace des ressources de la Cour, permettent d'éviter que la Cour rende des décisions incompatibles dans des instances séparées, permettent à la Cour d'entendre des témoignages pertinents et garantissent le recouvrement de l'impôt à payer » : voir Brenneur, au paragraphe 36. À mon sens, cette déclaration traduit bien les objectifs poursuivis par le législateur en édictant l'article 174.

 

[18]           Par conséquent, je suis d'avis que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en se fondant sur un critère erroné pour décider si l'article 174 s'appliquait aux faits de l'espèce. Étant donné que toutes les parties conviennent que l'appel dont la Cour de l'impôt est actuellement saisie porte sur une unique question et qu'AFT est l'autre partie aux contrats à l'origine du différend, il est évident que la question proposée concerne les cotisations établies à la fois à l'égard d'ACI et d'AFT pour l'année d'imposition en cause. Par conséquent, je suis d'avis que les conditions d'application de l'article 174 sont remplies.

 

Y a‑t‑il lieu de rendre une ordonnance en vertu de l'article 174 de la Loi?

[19]           Même si le juge de la Cour de l'impôt a clos son analyse après avoir conclu qu'une des conditions d'application de l'article 174 n'était pas remplie, certaines des considérations qu'il a invoquées pour disposer de cette question se rapportaient peut‑être à la deuxième question qu'il devait aborder, soit celle de savoir s'il était opportun qu'il exerce son pouvoir discrétionnaire pour ordonner qu'il soit statué sur une question commune.

 

[20]           Le juge de la Cour de l'impôt a invoqué plusieurs facteurs pouvant être perçus comme justifiant le refus d'exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à faire droit à la demande du ministre. Au nombre de ces facteurs, il mentionne le fait que le ministre a établi la cotisation d'AFT en partant du principe que le paiement fait à ACI était déductible en tant que dépense courante. Jamais, au cours des nombreuses années qui se sont écoulées avant le dépôt de sa demande, le ministre n'a exprimé de doute ou « quelque élément de bonne foi en ce qui concerne l'ambivalence ou l'incertitude » quant au bien‑fondé de la position qu'il a adoptée dans la cotisation relative à AFT. Ce constat nous pousse à nous interroger sur la raison pour laquelle le ministre a choisi de demander une décision sur une question commune à ce stade‑ci.

 

[21]           L'avocat d'ACI croit qu'en invoquant l'article 174, le ministre cherche simplement à se prémunir contre une issue défavorable dans l'appel d'ACI. Il ajoute que le besoin qu'a le ministre de se prémunir de la sorte provient du fait qu'il est conscient qu'ACI est en mesure de « démolir » les hypothèses formulées dans la réponse à l'avis d'appel.

 

[22]           Il convient tout d'abord de préciser que le paragraphe 174(1) de la Loi énonce les éléments dont le ministre doit être convaincu avant de demander une décision sur une question commune. Si le ministre est convaincu que les conditions sont réunies, la Loi l'autorise à présenter la demande, sauf en cas de mauvaise foi ou d'abus de procédure, des considérations qui ne s'appliquent pas ici.

 

[23]           Il faut également souligner, encore une fois, qu'exception faite des considérations relatives à la période normale de nouvelle cotisation, rien n'empêche le ministre d'établir une nouvelle cotisation à l'égard d'un deuxième contribuable au motif que la première partie a obtenu gain de cause en appel. Il s'ensuit qu'il n'y a rien d'inapproprié au fait que le ministre ait recours à l'article 174 dans le but de rationaliser ce processus.

 

[24]           Le raisonnement proposé par l'avocat d'ACI mène à la question de savoir si la Cour devrait refuser de rendre l'ordonnance demandée parce que celle‑ci aurait pour effet de priver ACI d'un avantage tactique lors du litige. L'avocat d'ACI croit qu'il sera en mesure de démolir les hypothèses du ministre et d'opérer ainsi un renversement du fardeau de la preuve (voir Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, au paragraphe 94), dont, selon lui, le ministre sera incapable de s'acquitter.

 

[25]           Le fait que les mesures prises par le ministre dans une instance privent l'appelant d'un avantage tactique ne constitue pas, en soi, un abus de procédure, comme le prétend l'avocat d'ACI. S'agissant d'appels en matière d'impôt sur le revenu, il est dans l'intérêt général que la Cour soit en mesure de trancher ces appels sur le fondement de faits exacts et de la manière la plus expéditive et économique possible : voir Continental Bank Leasing Corporation et al. c. La Reine, [1993] A.C.I. no 18 (Q.L.), 93 D.T.C. 298. De toute façon, pour les raisons exposées ci‑dessous, la perte d'un avantage tactique que dénonce l'avocat d'ACI est peut‑être plus apparente que réelle. Cela dit, la Cour de l'impôt, qui est maître de sa procédure, a le pouvoir d'en protéger l'intégrité si une partie invoque des mesures procédurales dans des circonstances permettant de conclure à un abus de procédure. Or, ce n'est pas le cas en l'espèce.

 

[26]           Par conséquent, je suis d'avis qu'ACI n'a cerné aucun point propre à justifier le refus du juge de la Cour de l'impôt de rendre l'ordonnance demandée par le ministre.

 

Quelle devrait être la procédure suivie pour trancher la question commune?

[27]           Il ne reste donc que la dernière question que doit examiner le juge de la Cour de l'impôt, soit celle de la procédure à suivre pour statuer sur la question commune. Le paragraphe 174(3) prévoit que lorsqu'un appel est en instance, les autres parties à l'opération peuvent être jointes à l'appel en qualité d'intimées. Il s'agit d'une question de nature discrétionnaire. Étant donné que l'article 21 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), DORS/90‑688a, énonce que dans le cas d'une demande prévue à l'article 174 de la Loi, l'acte introductif d'instance doit être établi selon la formule 21(1)c), on peut présumer que le juge de la Cour de l'impôt peut choisir de trancher la question commune lors d'une instance autonome, sous réserve des directives de la Cour quant à la manière de procéder. Pour cette raison, l'énoncé « des faits et motifs sur lesquels le ministre s'appuie et sur lesquels il s'est fondé ou a l'intention de se fonder pour établir la cotisation concernant l'impôt payable » est susceptible d'avoir une incidence importante sur la décision prise par le juge de la Cour de l'impôt quant à la procédure à suivre.

 

[28]           Comme cette question n'avait pas retenu l'attention des parties, celles‑ci ont été invitées à présenter des observations supplémentaires au sujet du contenu de l'avis visé au paragraphe 174(2) de la Loi.

 

[29]           Les observations présentées par l'avocat d'ACI nous révèlent que celui‑ci considère que la question commune sera tranchée lors d'une instance distincte de l'appel en instance, où les hypothèses du ministre n'entreraient pas en jeu. S'il est vrai que l'alinéa 174(3)a) semble permettre ce genre de procédure, l'affaire qui nous occupe ici tombe sous le coup de l'alinéa 174(3)b), qui prévoit que le tiers peut être constitué partie à l'appel en instance. Comme le ministre a demandé à ce qu'AFT soit ainsi constituée partie à l'appel d'ACI, la logique qui sous‑tend la disposition nous incite à conclure, à mon sens, que l'instruction de l'appel d'ACI devrait suivre la procédure normale, la seule question encore en suspens étant celle du rôle qu'est appelée à jouer AFT dans la conduite de l'appel. La réponse à la question formulée peut être donnée dans le jugement qui disposera de l'appel d'ACI, et AFT sera liée par cette réponse, conformément au paragraphe 174(4), dans toute procédure ultérieure.

 

[30]           Puisqu'ACI n'a pas démontré pourquoi il y a lieu de rejeter la demande du ministre, AFT devrait être constituée partie à l'appel d'ACI, sous réserve des directives que la Cour pourrait formuler en ce qui concerne la conduite de l'appel à la lumière de cette jonction de parties. Dans ces circonstances, le contenu de l'avis remis par le ministre me semble convenir.

 

[31]           Il est possible que des considérations différentes interviennent lorsque le ministre demande qu'il soit statué sur la question commune suivant l'alinéa 174(3)a). Comme cette question ne se pose pas au vu des faits de l'espèce, je laisse à d'autres le soin d'y répondre lorsque la situation s'y prêtera.

 

[32]           En conséquence, j'accueillerais l'appel avec dépens, je ferais droit à la demande présentée par le ministre pour l'obtention d'une décision sur une question commune selon les modalités qu'il a demandées et je renverrais l'affaire au juge de la Cour de l'impôt pour qu'il formule des directives quant à la conduite de l'appel d'ACI, au vu de l'ajout d'AFT comme partie.

 

« J. D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

            Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

            David Stratas, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :                                                    A-138-13

 

INTITULÉ :                                                  SA MAJESTÉ LA REINE c. ACI PROPERTIES LTD.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         le 14 janvier 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE DAWSON

                                                                        LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 18 février 2014

 

COMPARUTIONS :

Julien Bédard

 

POUR L'APPELANTE

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Jeff Pniowsky,

Andrew Sain

 

POUR L'INTIMÉE

ACI PROPERTIES LTD.

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'APPELANTE

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Thompson Dorfman Sweatman LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR L'INTIMÉE

ACI PROPERTIES LTD.

 

 

 

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