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Date : 20140310


Dossiers : A-447-12

 

A-118-13

 

Référence : 2014 CAF 61

CORAM :     

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

BRIAN CADIEUX

 

demandeur

et

 

SYNDICAT UNI DU TRANSPORT,

SECTION LOCALE 1415

 

défendeur

et

 

GREYHOUND CANADA

TRANSPORTATION CORP.

 

mise en cause

Audience tenue à Montréal (Québec), le 16 janvier 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 mars.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE TRUDEL

                                                                                                                                                           

 

 


Date : 20140310

Dossiers : A-447-12

 

A-118-13

 

Référence : 2014 CAF 61

CORAM :     

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

BRIAN CADIEUX

 

demandeur

et

 

SYNDICAT UNI DU TRANSPORT, SECTION LOCALE 1415

 

défendeur

et

 

GREYHOUND CANADA TRANSPORTATION CORP.

 

mise en cause

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MAINVILLE

[1]               Nous sommes saisis de deux demandes de contrôle judiciaire. La première demande concerne une décision en date du 21 septembre 2012 du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil), portant la référence neutre 2012 CCRI 656 (la décision initiale), rejetant la plainte du demandeur M. Brian Cadieux alléguant que son agent négociateur, le défendeur Syndicat uni du transport, section locale 1415 (le Syndicat), aurait manqué à son devoir de représentation, enfreignant ainsi l’article 37 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (le Code). La seconde demande de contrôle judiciaire concerne une décision du Conseil en date du 27 février 2013, portant la référence neutre 2013 CCRI 676 (la décision en réexamen), rejetant la demande de réexamen de la décision initiale.

 

[2]               Je ferais droit aux deux demandes de contrôle judiciaire pour les motifs qui suivent. Une copie de ces motifs sera déposée dans chacun des dossiers respectifs A-447-12 et A-118-13.

 

Les faits et le contexte

[3]               Le demandeur occupait un poste de chauffeur d’autobus auprès de la mise en cause Greyhound Canada Transportation Corp. (Greyhound) du 3 décembre 2008 jusqu’à son congédiement le 20 avril 2011.

 

[4]                Au cours du mois d’août 2010, il a fait l’objet d’une suspension de cinq jours au motif qu’il n’avait pas respecté les périodes minimales de repos lors de son assignation comme chauffeur d’autobus au service de la Gendarmerie royale du Canada au cours du Sommet du G-8 à Toronto (voir le dossier du demandeur (D du D) aux pp. 61-62). Le 6 septembre 2010, le Syndicat a présenté un grief contestant cette suspension (voir D du D à la p. 65). Ce grief a été déféré à l’arbitrage, mais ultérieurement réglé par le Syndicat avant l’audience devant l’arbitre. Le règlement est intervenu sans le consentement du demandeur, et après que ce dernier fut congédié par Greyhound.

 

[5]               Quelques mois après cette suspension, soit le 20 avril 2011, Greyhound procède au congédiement du demandeur au motif qu’il persiste à ne pas respecter les périodes minimales de repos imposées aux chauffeurs et qu’il n’inscrit pas correctement ses heures de travail à son registre (voir D du D aux pp. 66 à 68). Le Syndicat a aussi présenté un grief contestant ce congédiement (voir D du D à la p. 70), mais il a refusé par la suite de déférer ce grief à l’arbitrage. En effet, les règlements du Syndicat permettent aux membres d’accepter ou de refuser de déférer un grief à l’arbitrage après avoir obtenu la recommandation à cet égard du comité exécutif du Syndicat.

 

[6]               À cet effet, les paragraphes 7 b. et c. des règlements du Syndicat disposent de ce qui suit :

7. GRIEFS

[...]

b. Au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et avant que les membres se prononcent sur l’arbitrage, le membre doit défendre sa cause devant le comité exécutif, de vive voix ou par écrit, dans le cadre d’une réunion régulière. Si le membre ne fait pas de présentation au comité exécutif, ce dernier fonde sa recommandation sur les éléments de preuve au dossier.

 

c. Les membres se prononceront dans le cadre d’un vote secret à l’occasion des assemblées générales à savoir s’il faut renvoyer à l’arbitrage tout grief touchant les intérêts d’un membre. La majorité simple l’emportera. Les votes relatifs à l’arbitrage auront lieu uniquement dans les villes de Toronto, de London et d’Ottawa pour l’unité de négociation de Greyhound […] Seuls les membres appartenant à l’unité de négociation concernée peuvent voter relativement à l’arbitrage.

(Traduction du Conseil aux paras. 24 et 25 de la décision initiale)

7. GRIEVANCES

b. At the last step of the grievance procedure and prior to the membership voting on arbitration, the member will present his case to the Executive Board, orally or in writing, at their regular meeting. Should the member not make a presentation to the Executive Board, the Executive Board will render its recommendation based on the evidence on file.

 

c. The membership will vote by secret ballot at the general meeting as to whether to proceed to arbitration on any grievance involving the interest of an individual member. A simple majority will rule. Arbitration votes will be held only in the cities of Toronto, London and Ottawa for the Greyhound bargaining unit…Only members of the bargaining unit affected may vote on the arbitration.

 

 

(D du D à la p. 221)

[7]               Selon le demandeur, il n’a pas été informé en temps utile de la tenue de la réunion du comité exécutif du Syndicat au cours de laquelle son grief de congédiement fut discuté. Le demandeur soutient de plus qu’il aurait pu participer par voie téléphonique à la réunion des membres tenue à Ottawa le 15 juin 2011, mais que le Syndicat ne lui a pas donné l’occasion de faire ainsi valoir sa position aux membres. Selon le Syndicat, le demandeur a été avisé de ces réunions en temps utile et a refusé de s’y rendre afin d’y défendre sa cause. Quoiqu’il en soit, le comité exécutif du Syndicat n’a pas recommandé que le grief de congédiement soit déféré à l’arbitrage, et les membres ont entériné cette recommandation par un vote de 17 contre 14 (voir D du D aux pp. 72 et 163).

 

[8]               Le demandeur a déposé une plainte au Conseil le ou vers le 30 septembre 2011 au motif principal que le Syndicat « n’a pas pris sa responsabilité de la représentation juste et équitable dans ma cause de congédiement » (D du D à la p. 74).

 

[9]               Le 2 novembre 2011, le président du Syndicat avise le demandeur que le grief contestant sa suspension de cinq jours à été réglé et que le dossier est fermé (D du D à la p. 165). Un chèque de Greyhound au montant de 984.64$ accompagne cette lettre (D du D à la p. 167). Le demandeur soutient n’avoir jamais encaissé ce chèque.

 

La décision initiale du Conseil

[10]           Le Conseil a décidé de rendre une décision sur la plainte du demandeur en s’appuyant sur la documentation au dossier et sans tenir d’audience (voir décision initiale au para. 1). Par contre, vu les versions très différentes du Syndicat et du demandeur quant à la participation de ce dernier aux réunions du comité exécutif et des membres du Syndicat lors desquelles son grief de congédiement fut discuté, le Conseil a mandaté un agent des relations industrielles pour mener une enquête en vertu de l’aliéna 16k) du Code. Le Conseil a aussi donné au demandeur et au Syndicat l’occasion de formuler des commentaires à l’égard du rapport de l’agent résultant de cette enquête (voir décision initiale aux paras. 26 et 27).

 

[11]           S’appuyant sur ce rapport, le Conseil a conclu que le demandeur savait que les réunions du comité exécutif et des membres du Syndicat allaient avoir lieu, et qu’il a choisi de ne pas y participer (voir décision initiale aux paras. 56, 57 et 58). S’appuyant sur cette conclusion, le Conseil a décidé de rejeter la plainte du demandeur. Le seul motif de rejet énoncé dans la décision initiale est que le refus du demandeur de participer aux réunions en cause empêchait le Conseil de conclure que le Syndicat avait agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Le raisonnement du Conseil à cet égard est d’ailleurs clairement énoncé au paragraphe 63 de la décision initiale :

[63] La décision de M. Cadieux de ne pas participer au processus, malgré le fait qu’il avait reçu un préavis suffisant, empêche le Conseil de conclure que le [Syndicat] a agi de façon arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Le Conseil ne saura jamais comment le processus du [Syndicat] se serait déroulé si M. Cadieux avait exercé son droit de participer et s’il avait soulevé les préoccupations qu’il avait.

 

 

 

[12]           C’est pour ce même motif que le Conseil a aussi refusé de considérer les enregistrements de diverses rencontres qu’avait soumis M. Cadieux, dont notamment un enregistrement fait le 15 juin 2011 lors de la réunion pour le vote des membres du Syndicat tenue à Ottawa relatif à la question de déférer ou non à l’arbitrage le grief de congédiement. Le Conseil s’exprime d’ailleurs comme suit à cet égard au paragraphe 45 de sa décision initiale :

[45] Le Conseil n’a pas écouté les enregistrements clandestins, pas plus qu’il n’a lu ce qui semble être la soi-disant transcription de ces enregistrements par M. Cadieux. Le Conseil n’a pas eu à statuer sur l’objection soulevée par le [Syndicat] concernant l’admissibilité puisqu’il a conclu que M. Cadieux avait reçu un préavis suffisant du vote relatif à l’arbitrage. Sa décision de ne pas y participer a permis au Conseil de trancher l’affaire.

 

 

La décision en réexamen du Conseil

[13]           Le demandeur a demandé le réexamen de la décision initiale en vertu de l’article 18 du Code.

 

[14]           Comme premier moyen de réexamen, le demandeur soutenait que l’information provenant du rapport de l’agent des relations industrielles avait été obtenue auprès de personnes non assermentées et sans la présence des parties. S’appuyant sur la décision de notre Cour dans Syndicat des services du grain (SIDM-Canada) c. Freisen, 2010 CAF 339, 414 N.R. 171, le demandeur soutenait donc que puisque l’information ainsi obtenue était contradictoire, elle ne pouvait permettre au Conseil de trancher l’affaire sans tenir une audience au cours de laquelle chaque partie pourrait faire entendre les éléments de preuve qu’elle juge pertinents.

 

[15]           Le Conseil a écarté ce premier moyen pour deux principaux motifs.

 

[16]           Dans un premier temps, le Conseil a souligné (aux paras. 46 et 47 de la décision en réexamen) qu’une preuve contradictoire dans le contexte d’une plainte présentée en vertu de l’article 37 du Code ne l’oblige pas à tenir une audience. Le Conseil ajouta qu’il tranche la très grande majorité de ces plaintes sans tenir d’audience. Le Conseil a donc conclu (au para. 49 de la décision en réexamen) que le « banc saisi de la plainte a pu prendre en considération l’ensemble de ces renseignements et commentaires au moment de rendre sa décision et il n’appartient pas à un banc de réexamen de remettre en question l’appréciation des faits qui en a résulté. »

 

[17]           Dans un deuxième temps, le Conseil a aussi conclu (aux paras. 50 et 52 de la décision en réexamen) que de toute façon « [s]elon les règlements du syndicat, la participation de l’employé s’estimant lésé à une telle réunion n’est pas nécessaire et, peu importe l’absence ou la présence du plaignant, le syndicat pouvait procéder à l’examen du grief » et « [a]insi, la présence du [demandeur] n’était pas obligatoire lors de la réunion du comité exécutif tenue le 1er juin 2011. »

 

[18]           Comme second moyen de réexamen, le demandeur soutenait aussi que le Conseil n’avait pas écouté l’enregistrement de la réunion des membres tenue le 15 juin 2011 et s’était ainsi privé d’un élément de preuve pertinent. Le Conseil a écarté ce second moyen pour les motifs suivants (au para. 55 de la décision en réexamen) :

Lors de l’instruction initiale, le syndicat s’était opposé au dépôt en preuve de l’enregistrement ou de transcriptions de l’enregistrement. Le Conseil ne s’est pas prononcé officiellement sur l’objection du syndicat, mais il n’a pas écouté l’enregistrement non plus. Bien que le Conseil ait le pouvoir discrétionnaire d’admettre en preuve tout élément qu’il juge indiqué, les enregistrements faits à l’insu et sans le consentement d’une autre partie soulèvent intrinsèquement des préoccupations. Le Conseil a déjà établi un processus pour traiter les éléments de preuve enregistrés subrepticement (voir D.H.L. International Express Ltd. (1995), 99 di 126; et 28 CLRBR (2d) 297 (CCRT no 1147)). En l’espèce, le [demandeur] n’a pas pu ou voulu révéler l’identité de la personne qui a effectué l’enregistrement ni les circonstances dans lesquelles le [demandeur] l’a obtenu. Par conséquent, le Conseil n’a pas agi de manière inappropriée en refusant de se pencher sur l’enregistrement.

 

 

 

[19]           Le troisième moyen de réexamen soulevé par le demandeur avait trait au fait que, dans sa décision initiale, le Conseil n’a pas examiné la conduite du Syndicat, mais a plutôt fondé sa décision sur la conduite du demandeur. Le Conseil n’a pas traité directement de ce moyen dans sa décision en réexamen.

 

Les questions soulevées par les demandes de contrôle judiciaire

[20]           Le demandeur soutient essentiellement que le Conseil aurait omis d’exercer sa compétence en vertu de l’article 37 du Code et rendu une décision déraisonnable lors de la décision initiale en omettant d’examiner la conduite du Syndicat dans son traitement du grief de congédiement, et en fondant plutôt sa décision exclusivement sur la question de l’absence du demandeur aux réunions du comité exécutif et des membres du Syndicat.

 

[21]           Le demandeur ajoute que le Conseil aurait aussi manqué à son devoir d’équité procédurale lors de sa décision initiale (i) en refusant de prendre connaissance des enregistrements des réunions soumis par le demandeur, et (ii) en ne tenant pas une audience afin de trancher une question déterminante reposant sur des témoignages contradictoires et fondée sur la crédibilité des témoins.

 

[22]           Finalement, le demandeur soutient que la décision en réexamen du Conseil est déraisonnable en ce que le banc de réexamen n’est pas intervenu afin de corriger ces erreurs.

 

Analyse

La norme de contrôle 

[23]           Il est de jurisprudence constante qu’une décision du Conseil sous l’article 37 du Code est contrôlée suivant la norme de la décision raisonnable : Société télé-mobile c. Syndicat des travailleurs en télécommunications, 2004 CAF 438, [2005] 2 R.C.F. 727 aux paras. 44 à 47; Syndicat des services du grain (SIDM-Canada) c. Freisen, précité au para. 31; McAuley c. Chalk River Technicians and Technologists Union, 2011 CAF 156 au para. 13. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus, ainsi qu’à l’appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au para. 47.

 

[24]           Par contre, en ce qui concerne les manquements à l’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qui s’impose : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 au para. 43; Guan c. Purolator Courrier Ltée, 2010 CAF 103 au para. 12.

 

Première question : La décision initiale du Conseil est-elle déraisonnable?

[25]           Dans sa décision initiale, le Conseil a fondé sa décision sur le principe que l’absence de participation du demandeur aux réunions du comité exécutif et des membres du Syndicat constituait une fin de non-recevoir empêchant de conclure que le Syndicat avait agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi au sens de l’article 37 du Code. Le demandeur m’a convaincu qu’il s’agit là d’une décision déraisonnable.

 

[26]           L’article 37 du Code énonce le devoir de représentation juste et équitable d’un syndicat, et il se lit comme suit :

 Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

 

 A trade union or representative of a trade union that is the bargaining agent for a bargaining unit shall not act in a manner that is arbitrary, discriminatory or in bad faith in the representation of any of the employees in the unit with respect to their rights under the collective agreement that is applicable to them.

 

 

 

[27]           Le droit entourant le devoir de représentation juste et équitable d’un syndicat en regard d’une décision de déférer ou non un grief à l’arbitrage est fort simple.

 

[28]           Sauf disposition contraire inscrite à une convention collective, un employé n’a généralement pas le droit de faire porter son grief à l’arbitrage sans l’accord du syndicat, et ce même lors d’un congédiement. C’est d’ailleurs le cas en l’espèce. Vu l’exclusivité accordée à un syndicat en regard de la représentation d’une unité de négociation, ce dernier ne peut donc agir de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés visés par l’unité qui exercent leurs droits reconnus par une convention collective, y compris leur droit au grief et à l’arbitrage. Lorsqu’il s’agit de déterminer si un grief devrait être déposé, ou si un grief déposé devrait être déféré à l’arbitrage, la conduite d’un syndicat s’évalue en fonction de l’enquête qu’il mène pour connaître les circonstances entourant le grief et de l’évaluation qu’il fait des chances de succès en arbitrage.

 

[29]           En conséquence, la conduite d’un syndicat pourra être jugée arbitraire s’il s’en tient à un examen superficiel des faits et du bien fondé du grief, s’il ne fait pas enquête pour déterminer les circonstances entourant le grief, ou s’il n’évalue pas de manière raisonnable les chances de succès du grief en arbitrage.

 

[30]           La décision du Conseil dans Virginia McRaeJackson et autres, [2004] CCRI 290, 115 CLRBR (2d) 161, [2004] D.C.C.R.I. 31 (QL) aux paras. 33 et 37 résume d’ailleurs bien les principes applicables :

[33] Le syndicat peut s'acquitter de son devoir de représentation juste en abordant le grief de façon raisonnable, en tenant compte de tous les faits qui l'entourent, en enquêtant sur la situation, en pesant les intérêts contradictoires de l'employé compte tenu des siens, puis en concluant après mûre réflexion qu'il vaut la peine de donner suite au grief ou pas. C'est ce qu'on entend par peser les circonstances d'une affaire en fonction de la décision à prendre. Par exemple, le syndicat peut tenir compte à juste titre du libellé de la convention collective et des pratiques dans le secteur d'activité ou le milieu de travail, ou encore des décisions rendues sur des questions analogues. Il est aussi légitime qu'il tienne compte de la crédibilité de l'employé en cause, de la présence - ou de l'absence - de témoins pouvant confirmer sa version des événements, du fait que la sanction disciplinaire est raisonnable ou non, ainsi que des décisions arbitrales en pareilles circonstances.

 

[37] Par conséquent, le Conseil juge normalement que le syndicat s'est acquitté de son devoir de représentation juste s'il a: a) fait enquête sur le grief et obtenu tous les détails relatifs à l'affaire, y compris la version de l'employé, b) déterminé si le grief était fondé, c) tiré des conclusions réfléchies quant aux résultats envisageables du grief et d) informé l'employé des raisons de sa décision de ne pas donner suite au grief ou de ne pas le renvoyer à l'arbitrage.

 

 

 

[31]           La conduite d’un syndicat s’évalue aussi en fonction de la nature et des conséquences du grief en cause. Ainsi, le devoir de représentation sera plus onéreux dans le cas d’un grief concernant un congédiement ou une sanction disciplinaire grave : Ibid au para. 31; George Cairns et autres c. Fraternité internationale des ingénieurs de locomotives, 1999 CCRI 35 au para. 112.

 

[32]           Ces principes sont bien connus et ils sont réitérés de façon constante dans les décisions du Conseil : Baribeau c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes et al, 2004 CCRI 302 aux paras. 16 à 18; Lamolinaire c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, 2009 CCRI 463 aux paras. 30 à 37; Schiller c. Syndicat national de l’automobile, de l’aérospaciale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), 2009 CCRI 435 aux paras. 33 à 35.

 

[33]           En conséquence, lorsqu’il est saisi d’une plainte en vertu de l’article 37 du Code, le Conseil doit à tout le moins examiner les questions suivantes (Lamolinaire c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, précité au para. 36) :

(a)    L’enquête menée par le syndicat était-elle superficielle ou approfondie?

(b)   Le syndicat a-t-il obtenu suffisamment de renseignements pour en arriver à une décision avisée?

(c)    Existait-il des conflits qui auraient influencé la décision du syndicat?

 

[34]           Or, dans la présente affaire le Conseil n’a nullement examiné ces questions. Il s’est contenté de conclure que le demandeur n’avait pas participé à la réunion du comité exécutif et celle des membres du Syndicat au cours desquelles son grief de congédiement fut discuté. Ce faisant, le Conseil s’est cru délié d’examiner toute autre question, dont notamment si l’enquête du Syndicat au sujet du grief de congédiement était approfondie et si le Syndicat avait obtenu suffisamment de renseignements pour en arriver à une décision avisée en ce qui concerne le refus de déférer ce grief à l’arbitrage.

 

[35]           Quoique la participation d’un salarié au processus d’enquête et de décision de son syndicat soit un facteur qui puisse être tenu en compte dans l’évaluation de la conduite d’un syndicat quant au traitement d’un grief, le simple fait que l’employé ne participe pas pleinement au processus ne peut, en soi, empêcher le Conseil de conclure que le syndicat n’a pas rempli son obligation de représentation juste et équitable, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un grief de congédiement.

 

[36]           C’est dans l’affaire Jacques Lecavalier c. La Cie Seaforth Fednav Inc. (1983), 54 di 100 que l’ancien Conseil canadien des relations du travail énonçait pour la première fois le principe de l’obligation de l’employé de prêter assistance au syndicat pour la défense de son grief, entre autres en lui fournissant les informations pertinentes. Par contre, le simple fait qu’un employé n’ait pas participé pleinement au processus ne délie pas le syndicat de son devoir de représentation juste et équitable, chaque cas devant être examiné en fonction des circonstances en cause : Soufiane c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité (1991), 84 di 187. Ce principe a été repris par le Conseil, notamment dans Virginia McRaeJackson et autres, précité aux paras. 15 et 16.

 

[37]           Il ne faut cependant pas perdre de vue que ce qui est en cause dans une plainte sous l’article 37 du Code est la conduite du syndicat, et non celle du plaignant. La conduite de ce dernier dans le cadre de l’enquête et de l’évaluation du syndicat peut certes être prise en compte afin de décider du caractère juste et équitable de cette enquête et évaluation; néanmoins, il incombe toujours au syndicat d’assumer son devoir de représentation.

 

[38]           L’approche du Conseil dans ce dossier est d’autant plus remarquable vu que ce dernier a reconnu dans sa décision en réexamen que la participation du demandeur à la réunion du comité exécutif du Syndicat n’était pas obligatoire. Dans ce contexte, on s’explique difficilement comment le Conseil puisse conclure que l’absence du demandeur à cette réunion délie le Syndicat de son devoir de représentation juste et équitable. Le Conseil devait examiner la conduite du Syndicat afin de déterminer le caractère juste et équitable de son enquête au sujet du grief de congédiement et de sa décision de ne pas déférer ce grief à l’arbitrage. Or il ne l’a pas fait.

 

[39]           Dans ces circonstances, je ne puis que conclure au caractère déraisonnable tant de la décision initiale que de la décision en réexamen. En effet, la conclusion du Conseil selon laquelle l’absence de participation du demandeur aux réunions en cause l’empêchait, en soi, de conclure que le Syndicat avait agi de façon contraire à l’article 37 du Code n’est pas une issue possible acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 Deuxième question : Le Conseil a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale?

            (a) Le refus de prendre connaissance des enregistrements

[40]           Il est tout à fait remarquable de constater que, tant dans sa décision initiale que dans sa décision en réexamen, le Conseil soutient que le Syndicat s’objectait à la production des enregistrements et des transcriptions des réunions, dont notamment en ce qui concerne la réunion des membres tenue à Ottawa le 15 juin 2011. Or, tel n’est pas le cas.

 

[41]           Dans sa lettre au Conseil en date du 2 décembre 2011, le procureur du Syndicat énoncait au contraire qu’il ne s’objecte pas à la production des enregistrements, et il encourage plutôt le Conseil à en prendre connaissance. Le paragraphe 39 de cette lettre (reproduit à la p. 121 du D du D) est d’ailleurs limpide et explicite à cet égard :

39. The Board has asked for our position on the recordings taken by the Complainant of various meetings. These recordings were made without the consent of the participants in these meetings and without their knowledge. The Union believes that the conduct of the Complainant in this regard was unethical and improper. However, the Union does not object to the Board reviewing the recordings or the transcripts of these proceedings. In fact, these recordings demonstrate that the Union acted in a highly professional manner and in the best interest of the Complainant.

[Emphasis added]

 

[Traduction]

Le Conseil a demandé notre position sur les enregistrements des diverses rencontres effectués par le plaignant. Ces enregistrements ont été faits sans le consentement des participants à ces réunions et hors de leur connaissance. Le Syndicat croit que la conduite du plaignant à cet égard manquait d’éthique et était inappropriée. Cependant, le Syndicat ne s’objecte pas à ce que le Conseil examine ces enregistrements ou les transcriptions de ces enregistrements. En fait, ces enregistrements démontrent que le Syndicat a agi de façon hautement professionnelle et dans le meilleur intérêt du plaignant.

[Je souligne]

 

 

 

[42]           Interrogé à cet égard par la Cour lors de l’audience, le procureur du Syndicat a confirmé à nouveau qu’il ne s’était jamais objecté à la production de ces enregistrements ou de leurs transcriptions.

 

[43]           Dans sa décision initiale (au para. 45), le Conseil énonce qu’il n’a pas à trancher «l’objection» soulevée par le Syndicat au motif que le défaut de participation du demandeur à la réunion des membres du Syndicat tenue le 15 juin 2011 lui a permis de trancher l’affaire sans tenir compte des enregistrements. Or, comme le souligne à juste titre le demandeur, l’enregistrement de cette réunion jette un éclairage important sur la participation du demandeur à celle-ci.

 

[44]           En effet, la transcription de l’enregistrement de cette réunion (la production de laquelle le Syndicat ne s’objecte pas) semble révéler que le président du Syndicat et les frères du demandeur ont communiqué par téléphone avec ce dernier juste avant cette assemblée du 15 juin 2011, et que la participation du demandeur à cette assemblée aurait pu être assurée par voie téléphonique et haut-parleurs, ce qui n’a finalement pas été fait (voir notamment le D du D aux pp. 200 à 203). Quelque soit la force probante de ces enregistrements, il est clair qu’ils étaient pertinents à la question que le Conseil considérait alors centrale à sa décision, soit la participation ou non du demandeur à la réunion en question.

 

[45]           Dans sa décision en réexamen (au para. 55), le Conseil a tenté de bonifier ce refus de considérer l’enregistrement en invoquant un processus qu’il a établi pour traiter de l’admissibilité de tels enregistrements. Cela appelle deux commentaires : (a) premièrement, il n’appartient pas au Conseil de bonifier une décision initiale au moyen d’un réexamen; la décision initiale du Conseil sur la question des enregistrements ne fait aucunement état d’une politique quelconque qui aurait mené au refus de les considérer dans le cadre de la preuve soumise; (b) deuxièmement, la politique du Conseil quant à l’admissibilité d’enregistrements faits à l’insu des participants, notamment énoncée dans D.H.L. International Express Ltd. (1995), 99 di 126; 28 CLRBR (2d) 297 (CCRT no 1147), s’applique lorsque l’une des parties en cause s’objecte à l’admissibilité. Or, comme nous l’avons constaté, dans ce cas-ci le Syndicat ne s’est clairement pas objecté à la production des enregistrements et des transcriptions.

 

(b) Le refus de tenir une audience

[46]           L’article 16.1 du Code prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Néanmoins, il ne faut pas en conclure que le Parlement autorise ainsi le Conseil à ne pas tenir d’audience lorsque cela aurait pour effet de mener à un manquement à l’équité procédurale : Global Television c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, 2004 CAF 78, 318 N.R. 275 au para. 23.

 

[47]           Les principes régissant l’application de l’article 16.1 du Code ont d’ailleurs été énoncés à de nombreuses reprises par notre Cour, et ceux-ci ont été résumés comme suit dans Syndicat des services du grain (SIDM-Canada) c. Freisen, précité aux paras. 23 à 25 :

[23]            Le pouvoir discrétionnaire conféré au Conseil par l’article 16.1 du Code est très vaste, mais il n’est pas absolu. Notre Cour a déterminé que cet article n’autorise pas un manquement à l’obligation d’équité procédurale en permettant au Conseil de ne pas tenir d’audience lorsque cela aurait pour effet de nier à une partie une possibilité raisonnable de participer au processus décisionnel : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Global Television (Global Lethbridge, une division de CanWest Global Communications Corp.), 2004 CAF 78, 318 N.R. 275, par. 23; Syndicat uni du transport, section locale 1624 c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de Coach Canada, 2010 CAF 154, 403 N.R. 341, par. 18.

 

[24]           Notre Cour a aussi conclu que, dans le contexte d’une plainte de représentation injuste en vertu de l’article 37 du Code, le simple fait que la preuve soit contradictoire ne justifie pas automatiquement la tenue d’une audience devant le Conseil, à moins que d’autres motifs sérieux le justifient. Certes, comme des questions de crédibilité sont presque toujours inévitablement soulevées dans le contexte des relations de travail, l’article 16.1 du Code pourrait être privé de tout effet s’il était interprété ou appliqué autrement : Nadeau c. Métallurgistes Unis d’Amérique, 2009 CAF 100, 400 N.R. 246, par. 6; Guan c. Purolator Courrier Ltée, 2010 CAF 103, par. 28; voir aussi dans un contexte législatif différent Vancouver Wharves Ltd. c. Syndicat international des débardeurs et magasiniers, Ship and Dock Foremen, Section locale 514 (C.A.F.) (1985), 60 N.R. 118.

 

[25]           Je suis d’avis que le même principe s’applique en l’espèce à l’égard de la révocation d’une accréditation en vertu de l’article 38 du Code. Pour contester avec succès la décision du Conseil de ne pas tenir d’audience dans de telles circonstances, il faut non seulement démontrer que le Conseil disposait d’une preuve contradictoire, mais aussi qu’il était essentiel d’éclaircir les contradictions dans la preuve pour parvenir à la décision et qu’aucune autre preuve ne pouvait raisonnablement étayer la décision du Conseil.

 

[Je souligne]

 

 

 

[48]           Dans ce cas-ci, il est admis que le Conseil disposait d’une preuve contradictoire concernant la participation du demandeur à la réunion des membres du Syndicat. De plus, dans sa décision initiale, le Conseil a lui-même indiqué que l’absence du demandeur à la réunion des membres tenue à Ottawa le 15 juin 2011 constituait l’élément pivot de sa décision. Quoique le Conseil ait mandaté un agent pour recueillir une preuve à ce sujet, les témoignages recueillis n’étaient pas assermentés, les témoins n’ont pas été contre-interrogés, et aucun autre élément de preuve (sauf les enregistrements dont le Conseil n’a pas pris connaissance) ne pouvait résoudre les versions contradictoires à ce sujet.

 

[49]           Dans ces circonstances, et suivant la logique même de la décision du Conseil (laquelle indique que la participation du demandeur à la réunion en cause était l’élément déterminant à la solution de l’affaire), le Conseil devait tenir une audience afin de respecter l’équité procédurale.

 

[50]           Je suis donc d’avis que dans les circonstances particulières du présent dossier, le Conseil n’a pas respecté l’équité procédurale en refusant de considérer les enregistrements de la réunion du 15 juin 2011 soumis par le demandeur et en refusant de tenir une audience afin de résoudre les versions contradictoires concernant la participation du demandeur à cette réunion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conclusions

[51]           J’accueillerais donc les deux demandes de contrôle judiciaire avec un seul mémoire de dépens pour les deux demandes, j’annulerais la décision initiale de même que la décision en réexamen du Conseil, et je retournerais le dossier au Conseil afin de décider à nouveau de la plainte soumise par le demandeur à la lumière des motifs de notre Cour, et ce devant un banc composé de membres qui n’ont pas participé à l’une ou l’autre de ces décisions.

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

      Johanne Gauthier j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

     Johanne Trudel j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DossierS :

                                                            A-447-12

                                                                                                A-118-13

 

APPEL D’UN JUGEMENT DU CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES DU 21 SEPTEMBRE 2012, N° DU DOSSIER 28982-C (2012 CCRI 656).

 

INTITULÉ :

BRIAN CADIEUX c. SYNDICAT UNI DU TRANSPORT, SECTION LOCALE 1415 ET GREYHOUND CANADA TRANSPORTATION CORP.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                                                MontrÉal (QuÉbec)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                                                LE 16 JANVIER 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

                                                                                                LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                          

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE TRUDEL                                                              

 

 

                                                                                               

DATE DES MOTIFS :

                                                                                                LE 10 MARS 2014

 

COMPARUTIONS :

Olivier Laurendeau

 

Pour le demandeur

 

G. James Fyshe

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laurendeau, Herbert

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Fyshe, McMahon LLP

Hamilton (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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