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Date : 20140404


Dossier :

A-332-11

 

Référence : 2014 CAF 91

CORAM :      LE JUGE

NOËL

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MAINVILLE

 

 

 

ENTRE :

RAMAN AN THAMBIAH

 

appelant

et

L'ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

 

intimée

et

SYNDICAT DES DÉBARDEURS DU PORT

DE MONTRÉAL

 

intervenant

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 24 février 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 avril 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE

NOËL

LE JUGE MAINVILLE

 

 


Date : 20140404


Dossier :

A-332-11

 

Référence : 2014 CAF 91

CORAM :      LE JUGE

NOËL

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MAINVILLE

 

 

 

ENTRE :

RAMAN AN THAMBIAH

 

appelant

et

L'ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

 

intimée

et

SYNDICAT DES DÉBARDEURS DU PORT

DE MONTRÉAL

 

intervenant

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               Monsieur Thambiah interjette appel d’une décision de la Cour fédérale, publiée sous l’intitulé Thambiah c. Association des employeurs maritimes, 2011 CF 727, rejetant sa demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un tribunal constitué en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (le Tribunal). La décision du Tribunal est répertoriée à  2010 TCDP 8.

 

[2]               Monsieur Thambiah travaille comme débardeur au Port de Montréal, à l’emploi de l’Association des employeurs maritimes (AEM). Les employés qui œuvrent dans le domaine du débardage sont divisés en 3 groupes : les employés couverts par la sécurité d’emploi, les employés de la première réserve et les employés de la deuxième réserve — et la rémunération et les avantages augmentent lorsqu’un employé accède à un niveau supérieur au sien. Monsieur Thambiah était un employé de la deuxième réserve quand il est devenu admissible à un poste dans la première réserve. Pour l’obtenir, il devait passer deux tests : un qui démontre la compétence de l’employé pour la conduite d’un chariot élévateur (OLIFT) et un qui démontre la compétence de l’employé pour la conduite d’un camion (OTUGM). Il a passé avec succès le test OLIFT. Il a échoué le premier test OTUGM et il a eu droit à un deuxième essai. Cependant, il a aussi échoué le second examen. Il a demandé l’autorisation de faire le test une troisième fois, ce que l’AEM lui a refusé au motif que la politique limite à deux le nombre d’essais. Monsieur Thambiah s’est plaint du fait qu’à sa connaissance certains candidats aient eu droit à un troisième essai. Malgré tout, sa demande a été refusée.

 

[3]               Le syndicat de M. Thambiah, le Syndicat des débardeurs du Port de Montréal (le syndicat),  a posé des questions au représentant de l’employeur et a décidé de ne pas déposer de grief au nom de M. Thambiah. Ce dernier a présenté une plainte auprès du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) selon laquelle le syndicat ne l’avait pas représenté de façon juste. Le syndicat a déposé une réponse à la plainte (réponse) dans laquelle il soulignait ce qui suit :

Lors de la dernière évaluation, monsieur Thambiah a accroché et trainé sur près de 10 pieds un conteneur avec le camion.

 

[4]               Le CCRI a statué sur la plainte de M. Thambiah sans tenir d’audience, en se fondant sur le dossier déposé par les parties. Suivant la décision du CCRI, M. Thambiah a reconnu avoir échoué le test, mais il a affirmé l’avoir échoué parce qu’il a été distrait (dossier d’appel, page 23). Le CCRI a rejeté la plainte de M. Thambiah au motif qu’elle avait été déposée en dehors du délai établi, mais a ajouté que, quoi qu’il en soit, elle l’aurait rejetée sur le fond parce que le syndicat avait fait tout ce qu’il devait faire pour M. Thambiah. Le CCRI n’a fait aucun commentaire relativement à la crédibilité de M Thambiah.

 

[5]               Insatisfait de ce résultat, M. Thambiah a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), dans laquelle il allègue avoir été victime de discrimination sur la base de son ethnicité, de son âge et de sa situation familiale. La Commission a renvoyé l’affaire au Tribunal. Quelques jours avant le début de l’audience, l’avocat de l’AEM a avisé l’avocat de M. Thambiah que l’allégation contenue dans la réponse du syndicat selon laquelle M. Thambiah avait traîné un conteneur sur plus de 10 pieds était inexacte et qu’aucun élément de preuve ne serait présenté à cet égard. Pendant l’audience, l’avocat de l’AEM a avisé le Tribunal que sa cliente ne croyait pas que M. Thambiah avait traîné un conteneur sur 10 pieds et que, si cette allégation figurait dans les documents présentés au Tribunal, le Tribunal devrait l’ignorer.

 

[6]               Le Tribunal a entendu des témoignages pendant 5 jours, soit du 11 au 15 janvier 2010. Le représentant de l’AEM, qui a fait passer les tests à M. Thambiah, a témoigné, puis il a été contre-interrogé, mais pas en ce qui concerne l’allégation contenue dans la réponse du syndicat. Aucun représentant du syndicat n’a témoigné. À la clôture de la preuve, l’avocat de M. Thambiah a laissé tomber les allégations de discrimination fondées sur l’ethnicité et l’âge. Par conséquent, la seule question dont était saisi le Tribunal était de savoir si M. Thambiah avait été victime de discrimination sur la base de sa situation familiale, en raison du népotisme. Cette question se pose seulement du fait que l’AEM a refusé de faire passer un troisième test à M. Thambiah.

 

[7]               Au début de ses motifs, le Tribunal traite de la question de la crédibilité de M. Thambiah. Comme l’avocat de M. Thambiah a fait en sorte que cette question soit le principal point soulevé en appel, il convient de citer les motifs du Tribunal :

[45] Nous relevons un grand nombre de contradictions dans le témoignage du plaignant et jugeons utile de reproduire dans le présent jugement quelques-unes de celles-ci jugées plus importantes.

 

[46] Le plaignant admet à un moment donné ses échecs lors des deux examens du camion, les nie à un autre moment donné et finalement tente de les justifier en formulant des hypothèses non vérifiées ni vérifiables qui fluctuent avec le temps.

 

[47] Jugeant les conséquences de con échec tellement disproportionnées par rapport à la faute reprochée, il cherche désespérément à trouver des solutions pour se sortir de cette impasse.

 

[48] Il laisse l’impression d’une personne dépassée par les conséquences de son échec, qui tente désespérément de comprendre e qui a bien pu lui arriver. Au cours de l’audience, il expose tout haut le fruit de cette réflexion. Il en arrive à formuler un certain nombre d’hypothèses.

 

[49] Selon lui, la discrimination et le sabotage de la part du formateur et de l’évaluateur expliqueraient en partie ses deux échecs. Plusieurs facteurs externes expliqueraient également ces mêmes échecs. Lorsqu’il témoigne, il tire donc dans toutes les directions. Ses hypothèses sont parfois difficilement imaginables et encore moins vérifiables.

 

[50] Finalement, le plaignant formule peu de faits concrets pour soutenir sa position et se réfugie principalement derrière des hypothèses ou sur du ouï-dire.

 

[51] Par con témoignage, le plaignant démontre clairement avoir de la difficulté à distinguer entre les faits de son cas et les hypothèses qui pourraient expliquer ces faits.  

 

[52] En dernier ressort, il est difficile d’accorder beaucoup de poids à la version du plaignant lorsque celle-ci est confrontée à celle d’un témoin qui témoigne sur des faits dont il a une connaissance personnelle.

 

[53] Bref, selon nous, la crédibilité du plaignant est très faible.

 

 

[8]               Le Tribunal a ensuite examiné les circonstances des tests et a conclu que M. Thambiah a    accroché un conteneur et n’a pas été en mesure de reculer un camion de façon adéquate. Le Tribunal a conclu que les explications de M. Thambiah à l’égard de ces erreurs n’étaient pas convaincantes. La question de savoir si un conteneur a été traîné sur une distance de 10 pieds n’a pas été soulevée. Le Tribunal s’est ensuite penché sur la « règle du maximum de deux essais » et a conclu au paragraphe 99 de ses motifs que la règle était appliquée « indépendamment de l’âge, de l’ethnicité et du lien de famille de ces candidats avec des membres de l’AEM ». Le Tribunal a indiqué que la règle a été appliquée sans discrimination à l’égard de M. Thambiah. Enfin, le Tribunal a examiné tous les cas où il a été allégué qu’un candidat avait eu droit à un troisième essai. Dans chaque cas, le Tribunal a jugé qu’il y avait des éléments de preuve permettant de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles ou que l’allégation était fondée sur des renseignements inexacts. Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucune preuve de népotisme à l’AEM : paragraphes 140 à 144 des motifs du Tribunal. Par conséquent, la plainte de M. Thambiah a été rejetée.

 

[9]               Insatisfait de ce résultat, M. Thambiah a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. La Cour fédérale, comme je l’ai déjà mentionné, a rejeté sa demande. En résumé, la Cour a indiqué que la norme de contrôle applicable à la décision du Tribunal était celle de la raisonnabilité et que, compte tenu du dossier dont elle disposait, y compris l’évaluation de la crédibilité de M. Thambiah faite par le Tribunal, il ne lui appartenait pas de substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du Tribunal. Selon la Cour, la conclusion du Tribunal était étayée par le dossier dont il disposait et appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47.

 

[10]           Monsieur Thambiah interjette maintenant appel de la décision de la Cour fédérale. Le seul argument soulevé, en son nom, par l’avocat tient au fait qu’il n’est pas nécessaire de faire preuve de déférence envers le Tribunal ou la Cour fédérale parce que leurs décisions sont fondées sur des mensonges délibérés proférés par le représentant de l’AEM ou le syndicat, ou les deux. Ces mensonges auraient vicié la crédibilité de M. Thambiah, ce qui aurait eu pour effet d’influer sur l’opinion qu’avaient le Tribunal et la Cour au sujet de son témoignage. On nous demande d’accueillir l’appel et d’annuler la décision du  Tribunal.

 

[11]           Cet argument manque singulièrement de fondement. L’avocat de M. Thambiah prétend que les mensonges proviennent de la réponse du syndicat, dans laquelle il était indiqué que M. Thambiah avait accroché et traîné un conteneur sur une distance de 10 pieds. Cette déclaration, maintenant reconnue comme étant inexacte, n’a influé d’aucune façon sur la décision du CCRI. Ce dernier a appuyé sa décision sur le fait que M. Thambiah a reconnu avoir échoué les tests: voir dossier d’appel complémentaire, p. 17. De plus, le CCRI n’a fait aucun commentaire sur la crédibilité de M. Thambiah dans sa décision.

[12]           La réponse du syndicat n’a pas été produite en preuve devant le Tribunal L’avocat de M. Thambiah semblait attribuer les déclarations figurant dans la réponse du syndicat au témoin de l’AEM, ce qui est manifestement erroné. Quoi qu’il en soit, ce témoin, qui a été traité de menteur à maintes reprises au cours de l’audience, n’a pas été contre-interrogé au sujet de la déclaration figurant dans la réponse du syndicat ni sur les circonstances dans lesquelles la déclaration a été faite. Il est manifestement injuste de prétendre, à ce stade-ci de l’instance, qu’il n’a pas dit la vérité alors que personne n’a saisi l’occasion de le contre-interroger sur les faits pertinents alors qu’il était possible de le faire.

 

[13]           C’est le témoignage de M. Thambiah qui a amené le Tribunal à douter de sa crédibilité. Il s’est contredit sur la question de savoir s’il avait échoué les tests ou non. Il a justifié son échec en donnant des explications qui étaient « difficilement imaginables et encore moins vérifiables ». Il n’a pas été en mesure de rassembler des faits pour étayer sa version des événements et a eu recours à des conjectures et au ouï-dire. Le Tribunal a affirmé que M. Thambiah « démontre clairement avoir de la difficulté à distinguer entre les faits de son cas et les hypothèses qui pourraient expliquer ces faits », ce qui est probablement son commentaire le plus révélateur : motifs du Tribunal, paragraphes 49, 51.

 

[14]           Rien en droit ne justifiait l’intervention de la Cour fédérale dans la décision du Tribunal. Rien dans le dossier et rien de ce qui a été dit pendant les plaidoiries ne justifierait une intervention à l’égard de la décision de la Cour fédérale.

 

[15]           À l’audience du présent appel, l’avocat de M. Thambiah a, à maintes reprises et sans l’ombre d’une preuve, traité un témoin de l’AEM de menteur, et a laissé entendre, encore une fois sans aucune preuve, que le témoin était motivé par le racisme. Ce type d’allégations est tout à fait inacceptable et doit être dénoncé par notre Cour. Si l’intégrité d’un témoin est contestée, le témoin doit avoir la possibilité de s’expliquer : voir R c. Giroux, 2001 O.A.C. 50, [2006] O.C.J. 1375 (C.A.) (Q.L.), paragraphes 40 à 49, appliquant Browne c. Dunn, (1893), 6 R. 67 (H.L.). En l’espèce, l’avocat a eu l’occasion de contre-interroger le témoin à propos du témoignage qu’il jugeait inadmissible, mais il n’en a pas profité. Dans ces circonstances, il était inapproprié pour l’avocat de  contester la crédibilité du témoin.

 

[16]           Je rejetterais l’appel avec dépens en faveur de l’intimée.

 

"J   « J.D. Denis Pelletier » Pelletier"

j.c.a.

« Je suis d’accord

             Marc Noël j.c.a. »

« Je suis d’accord

             Robert M. Mainville j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

                                                                                                A-332-11

 

INTITULÉ :

RAMAN AN THAMBIAH c. L'ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES ET SYNDICAT DES DÉBARDEURS DU PORT DE MONTRÉAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                                                Montréal (QuÉbec)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                                                LE 24 FÉVRIER 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                          

LE JUGE NOËL

LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :

                                                                                                LE 4 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Gordon M. Selig

 

POUR L’APPELANT

RAMAN AN THAMBIAH

 

Daniel Leduc

 

POUR L’INTIMÉE

L'ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

 

Annick Desjardins

 

POUR L’INTERVENANT

SYNDICAT DES DÉBARDEURS DU PORT DE MONTRÉAL

 

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Gordon M. Selig

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANT

RAMAN AN THAMBIAH

 

Norton Rose Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’INTIMÉE

L'ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

 

Syndicat canadien de la fonction publique

Montréal (Québec)

 

POUR L’INTERVENANT

SYNDICAT DES DÉBARDEURS DU PORT DE MONTRÉAL

 

 

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