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Date : 20140616


Dossier : A-83-13

Référence : 2014 CAF 156

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

JACK KLUNDERT

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 10 juin 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 juin 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE NEAR

 


Date : 20140616


Dossier : A-83-13

Référence : 2014 CAF 156

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

JACK KLUNDERT

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               Pour des motifs publiés sous la référence 2013 CF 110, un juge de la Cour fédérale a rejeté une requête présentée par l’appelant, dans laquelle il sollicitait une ordonnance portant que les sommes perçues par l’Agence du revenu du Canada, conformément à une ordonnance conservatoire rendue par la Cour fédérale, servent à payer des amendes qui lui avaient été infligées à la suite de ses condamnations au criminel pour évasion fiscale.

[2]               Les faits à l’origine de la requête ne prêtent pas à controverse. Le 11 juin 1998, le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard de l’appelant pour la somme de 927 893,89 $ d’impôt en souffrance pour les années d’imposition 1993 à 1996. Bien que l’appelant ait déposé des avis d’opposition aux cotisations établies, le ministre a sollicité une ordonnance conservatoire, en vertu du paragraphe 225.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (Loi), afin d’obtenir immédiatement le paiement des cotisations établies. L’ordonnance a été prononcée par un juge de la Cour fédérale le 26 avril 1999.

[3]               Une partie des renseignements utilisés à l’appui de la demande d’ordonnance conservatoire présentée par le ministre ont été obtenus grâce à des perquisitions effectuées à la résidence et dans les locaux commerciaux de l’appelant conformément à un mandat de perquisition valablement décerné dans le cadre de l’enquête criminelle pour évasion fiscale menée par l’Agence du revenu du Canada à l’endroit de l’appelant.

[4]               Par la suite, un juge de la Cour fédérale a confirmé l’ordonnance conservatoire lors d’une révision effectuée en vertu du paragraphe 225.2(8) de la Loi.

[5]               Environ deux ans plus tard, l’appelant a de nouveau demandé l’annulation ou la modification de l’ordonnance conservatoire afin que des frais de subsistance raisonnables lui soient accordés. L’ordonnance conservatoire a été confirmée à nouveau; le juge procédant à la révision a statué que l’appelant n’avait pas démontré que l’ordonnance était déraisonnable ou qu’elle constituait une contrainte excessive.

[6]               En 2010, l’appelant a été déclaré coupable d’évasion fiscale lors d’un procès tenu devant la Cour supérieure de l’Ontario. À la suite de cette déclaration de culpabilité, l’appelant a été requis de payer une amende de 522 346,73 $ pour les années d’imposition 1993 à 1997. Dans une autre instance, une amende supplémentaire de 101 398,80 $ lui a été imposée pour les années d’imposition 2000 à 2005.

[7]               Selon l’appelant, comme des renseignements obtenus dans le cadre de l’enquête concernant son évasion fiscale ont été utilisés pour obtenir l’ordonnance conservatoire, les sommes perçues en application de cette ordonnance devraient d’abord être affectées au paiement des amendes découlant de ses condamnations au criminel. Il demande au tribunal de prendre cette mesure pour les motifs suivants :

i)        L’Agence du revenu du Canada a violé le principe énoncé par la Cour suprême, au paragraphe 84 de l’arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757, selon lequel il doit exister « une certaine séparation entre les fonctions de vérification et d’enquête au sein de » l’Agence du revenu du Canada;

ii)      L’Agence du revenu du Canada a utilisé ses pouvoirs de nature pénale, notamment le droit de demander et d’obtenir un mandat de perquisition en vertu de l’article 487 du Code, pour obtenir l’exécution d’une dette civile;

iii)    L’affectation de cent pour cent de son revenu au remboursement d’une dette civile et le risque qu’il puisse faire l’objet d’un mandat d’incarcération délivré pour non-paiement d’une amende soulèvent des préoccupations touchant au droit à la sécurité de sa personne garanti par l’article 7 de la Charte des droits et libertés;

[8]               À mon avis, pour les motifs exposés ci-après, le juge n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a rejeté la requête présentée par l’appelant.

[9]               Premièrement, l’appelant cite l’arrêt Jarvis hors contexte. Plus particulièrement, il invoque à tort le paragraphe 84 des motifs précités rendus par la Cour.

[10]           Dans l’arrêt Jarvis, la Cour suprême a statué que la tenue d’une enquête criminelle n’empêchait pas le ministre de procéder à des vérifications de nature civile ou de diriger des poursuites en matière civile. Je souscris à l’argument de l’intimée selon lequel il n’y a aucune raison pour laquelle des renseignements obtenus dans le cadre d’une enquête criminelle, comme ceux recueillis en vertu d’un mandat de perquisition conforme à la loi, ne pourraient être disponibles à des fins connexes en matière civile.

[11]           La question que devait trancher la Cour dans l’arrêt Jarvis était celle de savoir si, dans le cas où un examen a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale du contribuable, toute la panoplie des droits garantis par la Charte entrait en jeu pour le protéger.

[12]           L’appelant n’attaque pas la validité de l’un quelconque des mandats de perquisition utilisés pour recueillir des éléments de preuve dans le cadre de l’enquête criminelle. Il s’ensuit que rien ne permet de conclure à une violation de l’un ou l’autre des droits de l’appelant garantis par la Charte ni de conclure à ce qu’une preuve obtenue régulièrement ne puisse aussi être produite au soutien d’une requête sollicitant une ordonnance conservatoire.

[13]           Deuxièmement, je ne suis pas d’accord pour dire que l’Agence du revenu du Canada a exercé ses pouvoirs de nature pénale pour obtenir l’exécution d’une dette civile. En se fondant sur le comportement de l’appelant (par exemple, sa position selon laquelle [traduction] « le gouvernement du Canada viole la Constitution en percevant l’impôt sur le revenu »), le juge a considéré comme un fait établi que les autorités avaient toutes les raisons de croire que l’appelant ne paierait pas ses impôts volontairement.

[14]           Il n’a pas été établi que cette conclusion constituait une erreur manifeste et dominante. Il s’ensuit, à mon avis, que l’appelant n’a pas démontré que l’ordonnance conservatoire n’aurait pas été rendue n’eût été la preuve recueillie au moyen d’un mandat de perquisition.

[15]           De plus, bien qu’il ne convienne pas de recourir in terrorem à une enquête criminelle contre de prétendus débiteurs, il n’y a en l’espèce aucune preuve de menace de cette nature. Le fait de produire devant la Cour certaines preuves recueillies en vertu d’un mandat de perquisition dans le cadre d’une requête sollicitant une ordonnance conservatoire ne révèle aucune irrégularité.

[16]           Enfin, sur ce point, le recours par l’Agence du revenu du Canada à une ordonnance conservatoire pour obtenir le paiement d’une dette fiscale ne s’apparente pas à l’exercice de pouvoirs en matière pénale pour obtenir l’exécution d’une dette civile.

[17]           Troisièmement, le paragraphe 225.2 de la Loi comporte des dispositions exhaustives en vue d’obtenir ou de contester des ordonnances conservatoires (Tennina c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2010 CAF 25, 402 N.R. 1). Le seul mécanisme par lequel il est possible de modifier ou d’annuler une ordonnance conservatoire consiste à présenter une demande de révision par un juge du tribunal ayant initialement rendu cette ordonnance (paragraphes 225.2(8) et (13) de la Loi). Cette révision n’est pas susceptible d’appel.

[18]           En l’espèce, l’ordonnance conservatoire a fait l’objet d’une révision en vertu du paragraphe 225.2(8). Lors de la première révision, l’appelant a demandé qu’une ordonnance soit rendue en vue d’annuler les mandats de perquisition et qu’une autre soit prononcée, en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte des droits et libertés, pour exclure des éléments de preuve obtenus lors de l’exécution des mandats de perquisition. L’ordonnance conservatoire a été confirmée. L’appelant a ensuite présenté une deuxième demande de révision visant à contester la perception de cent pour cent de son revenu. Il allègue encore une fois un abus des pouvoirs de vérification administratifs et d’enquête de l’Agence du revenu du Canada et affirme à nouveau que son revenu ne devrait pas être assujetti à cent pour cent à des mesures d’exécution. Dans la mesure où la Cour a répondu à ces questions lors de la révision de l’ordonnance conservatoire, la présente requête constitue une contestation indirecte de l’ordonnance conservatoire.

[19]           Il reste à examiner l’argument avancé par l’appelant selon lequel le non-paiement d’amendes pour des infractions de nature pénale l’expose à un risque d’incarcération susceptible de compromettre ses droits garantis par l’article 7 de la Charte.

[20]           Même en supposant, sans toutefois trancher la question, qu’une menace de cette nature compromette les droits garantis que l’appelant tire de l’article 7, j’estime que l’appelant n’a pas démontré que le processus suivi jusqu’à ce jour, ou celui qui sera suivi, dérogeait ou déroge aux principes de justice fondamentale.

[21]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Trudel, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-83-13

 

 

INTITULÉ :

JACK KLUNDERT c.
SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUIN 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

Christopher D.R. Maddock, c.r.

POUR L’APPELANT

 

Elizabeth McDonald

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christopher D.R. Maddock, c.r.

Victoria (Colombie-Britannique)

 

POUR L’APPELANT

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

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