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Date : 20140612


Dossier : A-71-14

Référence : 2014 CAF 160

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE MAINVILLE

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

VITALY SAVIN

ARTEM GARANIN

intimés

Audience tenue à Montréal (Québec), le 12 juin 2014.

Jugement rendu à Montréal (Québec), le 12 juin 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA COUR

 


Date : 20140612


Dossier : A-71-14

Référence : 2014 CAF 160

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE MAINVILLE

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

VITALY SAVIN

ARTEM GARANIN

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

[1]               Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en appelle d’une directive d’un juge de la Cour fédérale rendue le 21 novembre 2013 en cours d’audience dans le dossier IMM‑1975‑13.

[2]               Par ordonnance datée du 22 janvier 2014, la juge Trudel a permis le dépôt de l’avis d’appel parce que l’argument du Ministre portant sur la compétence du juge avait suffisamment de mérite sur la foi du dossier tel que constitué à ce stade préliminaire des procédures pour qu’il vaille la peine d’être rendu au fond par notre Cour (Rock St-Laurent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 192; Canada (Solliciteur général) c. Subhaschandran, 2005 CAF 27 [Subhaschandran]).

[3]               La demande de contrôle judiciaire sous-jacente vise une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a rejeté la demande d’asile des intimés, deux homosexuels alléguant un risque de persécution en raison de leur orientation sexuelle s’ils étaient renvoyés en Russie, leur pays d’origine.

[4]               La directive verbale qui fait l’objet du présent appel se lit comme suit :

L’affaire est ajournée. Si le gouvernement n’accepte pas de céder le cas, alors les deux (2) avocats seront en situation où l'échéancier suggéré pour les documents supplémentaires seront soumis à la Cour. L’échéancier proposé est à l'effet que le demandeur soumettra un nouveau mémoire d’ici le 1er avril 2014 et le défendeur, une réplique d'ici le 1er mai 2014. Compte tenu de la situation en salle de Cour à l’égard des documents au dossier qui n’ont pas démontré l’ensemble de la situation suite aux développements dans le pays en question, le cas est ajourné jusqu’au 1er mai 2014 pour les documents à recevoir. En plus, de la date qui sera fixée pour l’audition du cas, sauf au cas où le gouvernement cède pour que le cas retourne à la CISR pour une nouvelle audition, qui donnerait que le cas serait retiré de la Cour.

Lettre conjointe à produire à la Cour, tel que demandé par le juge Shore lors de l’audition du 21-11-2013, « dans laquelle il sera spécifié si le gouvernement cède au retour de l’affaire devant la CISR ou le cas contraire, que les parties soumettraient des documents supplémentaires en vue de la continuation de la demande de contrôle judiciaire dans les termes dictés dans la directive verbale ».

[5]               L’appelant n’a pas déposé d’affidavit au soutien de ses arguments se fondant entièrement sur le procès-verbal d’audience et sur le texte de la directive ci-dessus. Pour leur part, les intimés ont déposé un affidavit qui explique ce qui s’est passé à l’audience, particulièrement lors de la brève suspension de l’audience mentionnée dans le procès-verbal.

[6]               L’appelant interprète cette directive comme un refus du juge d’exercer sa compétence. À cet égard, il soulève notamment que le juge a refusé d’exercer sa compétence en ajournant pour plusieurs mois, sans motif valable, une affaire qu’il devait trancher de façon sommaire et à bref délai aux termes des paragraphes 74b) et c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c. 27 [LIPR].

[7]               Par ailleurs, l’appelant soumet aussi que le juge a excédé sa compétence en demandant aux parties de déposer des représentations additionnelles sur l’évolution de la situation des homosexuels en Russie — des évènements postérieurs à la décision faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire.

[8]               En réponse, les intimés présentent une tout autre version des faits qui s’appuie sur la façon dont s’est déroulée l’audience aux termes du procès-verbal et sur l’affidavit de Me Didier Leroux.

[9]               Selon les intimés, il est clair que le juge a demandé des représentations additionnelles bien avant que la possibilité d’un règlement ne soit avancée. De plus, ce sont les intimés qui ont demandé une brève suspension de l’audience avant la fin de leur présentation orale et qui ont alors proposé à l’appelant de régler cette affaire. C’est suite à cette proposition que les parties ont demandé au juge un ajournement de l’audience pour une semaine.

[10]           Il ne fait pas de doute que le libellé de la directive est boiteux. Entre autres, il ne reflète pas le déroulement des évènements tels que décrits dans le procès-verbal. Et le langage utilisé, tel le mot « cède », est certes malencontreux. Ceci étant dit, lu dans son contexte et à la lumière de la preuve devant nous, il ne suffit pas pour nous convaincre que la version des faits pertinents avancée par l’appelant est la bonne.

[11]           Il convient de souligner que l’appelant a admis à l’audience devant cette Cour que le juge n’a aucunement exercé de pression sur l’appelant afin qu’il règle le dossier, et ce, contrairement à ce que laissaient croire ses prétentions écrites. Cette question n’est donc plus devant nous. Il faut toutefois mentionner qu’une partie ne devrait pas faire de telles allégations à l’encontre d’un juge sans avoir des motifs sérieux pour ce faire, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

[12]           L’appelant avait le fardeau de démontrer que notre Cour a compétence compte tenu du texte clair de l’alinéa 72(2)e) de la LIPR qui interdit l’appel de décisions interlocutoires et de l’alinéa 74d) de la LIPR qui limite le droit d’appel aux cas où la Cour fédérale a certifié une question.

[13]           L’appelant ne nous a pas persuadés qu’il s’agissait d’un cas qui fait partie des circonstances bien définies et très limitées où cette Cour peut malgré tout intervenir.

[14]           Nous ne sommes pas dans une situation analogue à celle décrite dans la jurisprudence sur laquelle l’appelant s’appuie. Dans Subhaschandran, le long ajournement décrété par le juge équivalait à accorder le remède demandé, un sursis, sans avoir à exercer sa compétence. Ce n’est pas le cas ici.

[15]           De plus, il n’y a aucune preuve devant nous qui indique que les parties se sont opposées devant le juge à l’échéancier fixé pour le dépôt des soumissions additionnelles. On ne sait pas, non plus, si les parties et le juge étaient disponibles pour reprendre l’instance plus tôt. Tout ce que l’on sait c’est que les parties avaient demandé un ajournement d’une semaine. La Cour ne peut présumer que le juge a agi de mauvaise foi ou lui prêter une intention quelconque.

[16]           Si le délai fixé par le juge était trop long, l’appelant avait certes l’opportunité de lui demander un échéancier plus serré après avoir reçu les instructions de son client quant au règlement proposé par les intimés. Il s’agit là de questions de gestion d’instance qui ne peuvent faire l’objet d’un appel.

[17]           Quant au dépôt de représentations additionnelles, l’appelant pouvait très bien et peut toujours aujourd’hui inclure les arguments qu’il tente de faire valoir devant nous dans ses dites représentations. Nous ne pouvons présumer de ce que le juge décidera ultimement à cet égard.

[18]           Bien que le droit soit clair sur la question de savoir quand une nouvelle preuve peut être prise en compte lors d’un contrôle judiciaire, les intimés arguent et, ils ont d’ailleurs signifié un avis de question constitutionnelle à cet égard, que cette affaire soulève une question nouvelle compte tenu des amendements au régime législatif applicable. Selon eux, le juge devait tenir compte de ces nouveaux faits afin d’éviter d’enfreindre leurs droits prévus à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne. Il est prématuré pour nous de traiter de ces questions. Les parties auront l’opportunité de faire certifier une question à cet égard en temps utile, s’il y a lieu. Donc, en l’espèce, en l’absence d’une telle question certifiée, notre Cour n’a simplement pas compétence.

[19]           Il est évident que le présent appel a retardé la poursuite du dossier devant la Cour fédérale. Dans les circonstances, et ce afin de s’assurer qu’il soit traité dans les meilleurs délais possibles, le dossier sera renvoyé au bureau du juge en chef de la Cour fédérale qui devra veiller à ce qu’une nouvelle date d’audience soit fixée au plus tôt. Il lui appartiendra de décider si, pour ce faire, il y a lieu que l’audience se poursuive devant le juge ou qu’elle soit reprise par un autre juge.

[20]           L’appel sera donc rejeté pour défaut de compétence. Le tout avec dépens.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

« Richard Boivin »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-71-14

(APPEL D’UNE DIRECTIVE DU JUGE SHORE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 21 NOVEMBRE 2013, DOSSIER IMM-1975-13)

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c.

VITALY SAVIN ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JUIN 2014

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE MAINVILLE

LE JUGE BOIVIN

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 juin 2014

 

 

COMPARUTIONS :

Jocelyne Murphy

Alain Langlois

 

pour l’APPELANT

 

Noël Saint-Pierre

 

pour leS INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour L’appelant

 

Saint-Pierre, Leroux Avocats inc.

Montréal (Québec)

pour les intimés

 

 

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