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Date : 20140612


Dossiers : A-255-13

A-409-13

Référence : 2014 CAF 158

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE MAINVILLE

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

 

BAUER HOCKEY CORP.

 

appelante

 

et

 

SPORT MASKA INC., faisant affaire sous le nom de REEBOK-CCM HOCKEY

 

intimée

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 10 juin 2014.

Jugement rendu à Montréal (Québec), le 12 juin 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20140612


Dossiers : A-255-13

A-409-13

Référence : 2014 CAF 158

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE MAINVILLE

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

 

BAUER HOCKEY CORP.

 

appelante

 

et

 

SPORT MASKA INC. faisant affaire sous le nom de REEBOK-CCM HOCKEY

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MAINVILLE

[1]               Les présents motifs concernent deux appels réunis interjetés de deux ordonnances rendues respectivement par le juge Annis (le juge de première instance) de la Cour fédérale le 12 juillet 2013 (la première ordonnance) et le 21 novembre 2013 (la seconde ordonnance). Une copie des présents motifs sera versée dans chacun des dossiers d’appel A‑255‑13 et A‑409‑13.

[2]               Par la première ordonnance, le juge de première instance a supprimé de la déclaration déposée par Bauer Hockey Corp. (Bauer) dans le dossier T‑311‑12 toute mention de dommages-intérêts majorés et punitifs réclamés dans le cadre d’une action en contrefaçon de marque de commerce. Par la seconde ordonnance, le juge de première instance a rejeté la requête présentée par Bauer en autorisation de modifier sa déclaration pour y réclamer de nouveau des dommages-intérêts majorés et punitifs dans cette action.

[3]               Bauer soutient essentiellement, dans les deux appels, que le juge de première instance a mal interprété le droit en concluant que des dommages-intérêts punitifs ne pouvaient être accordés qu’en cas de comportement répréhensible affiché par un des plaideurs au cours de l’instance. En effet, il s’agit là d’une erreur de droit. Toutefois, cette erreur n’a pas eu d’incidence sur les conclusions tirées par le juge de première instance au sujet des dommages-intérêts majorés, et elle n’a pas joué de rôle déterminant en ce qui concerne la première ordonnance. Par conséquent, et par les motifs exposés plus amplement ci‑après, je suis d’avis de rejeter l’appel dans le dossier A‑255‑13 en ce qui concerne la première ordonnance, et d’accueillir en partie l’appel interjeté dans le dossier A‑409‑13 en ce qui concerne la seconde ordonnance.

I.                   Procédures à l’origine de la première ordonnance

[4]               Le 21 décembre 2012, Bauer a introduit une action contre l’intimée Sport Maska Inc., faisant affaire sous le nom de Reebok-CCM Hockey (Reebok-CCM) par suite de la présumée contrefaçon du dessin‑marque SKATE’S EYESTAY enregistré sous le numéro de marque de commerce canadienne LMC361722. Reebok-CCM a répondu en réclamant de plus amples détails au sujet des allégations, et notamment des détails concernant les faits et les moyens invoqués par Bauer à l’appui des [traduction] « dommages-intérêts majorés et punitifs » réclamés à l’alinéa 1k) de sa déclaration.

[5]               Bauer a répondu que le fondement de sa demande de dommages-intérêts majorés et punitifs était énoncé au paragraphe 18 de sa déclaration, puisqu’elle y alléguait que Reebok‑CCM avait accomplis les actes de contrefaçon de façon délibérée et en étant parfaitement au courant des droits conférés à Bauer par sa marque de commerce. À la lumière de cette réponse, Reebok‑CCM a présenté une requête visant notamment à faire supprimer l’alinéa 1k) de la déclaration, où Bauer réclamait des dommages-intérêts majorés et punitifs, au motif qu’aucun fait important n’avait été allégué à l’appui de cette prétention.

[6]               Le juge de première instance a abondé dans le sens de Reebok-CCM. Il s’est fondé sur la jurisprudence de la Cour fédérale (Wi-Lan Technologies Corp. c. D-Link Systems Inc., 2006 CF 1484, 57 C.P.R. (4th) 1 (Wi-Lan) et Dimplex North America Ltd. c. CFM Corp., 2006 CF 586, 54 C.P.R. (4th) 435 (Dimplex)) pour conclure que le fait que le défendeur avait contrefait sciemment et intentionnellement une marque de commerce n’était pas suffisant pour appeler une condamnation aux dommages-intérêts punitifs ou majorés. C’est de cette conclusion que Bauer interjette appel devant nous dans le dossier A‑255‑13.

II.                Procédures à l’origine de la seconde ordonnance

[7]               Indépendamment de l’appel interjeté devant notre Cour pour attaquer la première ordonnance, Bauer a également demandé l’autorisation de modifier sa déclaration pour y réclamer de nouveau des dommages-intérêts majorés et punitifs dans le cadre de son action, et pour y ajouter d’autres allégations concernant les faits sur lesquels est fondée cette demande.

[8]               Bauer cherchait notamment à alléguer que Bauer et Reebok-CCM se livraient concurrence depuis de nombreuses années, qu’elles connaissaient à fond leurs produits respectifs, que Reebok-CCM savait que Bauer se sert du dessin‑marque SKATE’S EYESTAY et qu’elle était parfaitement au courant de l’importance commerciale de ce dessin‑marque, qu’elle avait intentionnellement et délibérément plagié la marque de commerce en question en l’apposant sur ses propres produits de manière à améliorer sa position sur le marché et à déprécier volontairement la marque de commerce de Bauer. Bauer cherchait également à alléguer que les actes accomplis par Reebok-CCM étaient [traduction] « particulièrement troublants », compte tenu du fait que son prédécesseur en titre avait déjà reconnu les droits exclusifs dont était titulaire Bauer sur le dessin protégé par la marque de commerce.

[9]               Par sa seconde ordonnance, le juge de première instance a retenu la plupart des modifications proposées par Bauer pour justifier sa demande de dommages-intérêts majorés et punitifs. Or, même avec cette nouvelle série d’allégations de fait, le juge de première instance a quand même refusé d’ajouter à la déclaration la demande de dommages-intérêts majorés et punitifs. À son avis, les modifications n’apportaient aucun véritable changement aux actes de procédure initiaux.

[10]           Le juge de première instance s’est fondé sur la jurisprudence Dimplex pour conclure que [traduction« les seuls cas où des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires sont accordés en matière de brevet sont ceux où le plaideur a affiché un comportement répréhensible au cours de l’instance » (seconde ordonnance, au paragraphe 23). Le juge de première instance a ajouté que, dans les décisions plus récentes rendues par le juge Martineau de la Cour fédérale dans les affaires Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Ltée, 2012 CF 113, 100 C.P.R. (4th) 87 (Eurocopter CF) et par notre Cour dans l’affaire Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219, 449 N.R. 111 (Eurocopter CAF), le tribunal avait fait droit à une demande de dommages-intérêts punitifs dans une affaire de contrefaçon de brevet en raison de [traduction] « l’élément supplémentaire que constitue le comportement de la défenderesse au procès » (seconde ordonnance, au paragraphe 24).

[11]           Le juge de première instance a par conséquent conclu que, même à la lumière des nouveaux faits allégués par Bauer dans sa déclaration modifiée, il n’y avait pas ouverture à une demande de dommages-intérêts majorés et punitifs en l’espèce. Bauer interjette également appel de cette seconde ordonnance devant notre Cour.

III.             Norme de contrôle et principes généraux

[12]           La décision du juge d’accueillir ou de rejeter une requête en radiation est de nature discrétionnaire. Notre Cour confirme une telle décision en appel à moins qu’une erreur de droit n’ait été commise ou qu’il y ait eu une mauvaise appréciation des faits, une omission d’accorder le poids voulu à tous les facteurs pertinents ou une injustice évidente (Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20, 444 N.R. 64, au paragraphe 16; Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CAF 374, 63 C.P.R. (4th) 151, au paragraphe 15; Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., 2005 CAF 50, 38 C.P.R. (4th) 1, au paragraphe 9).

[13]           Le critère à appliquer pour rejeter une demande en réponse à une requête en radiation a été consacré par la Cour suprême du Canada par l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959 (Hunt c. Carey). Il est nécessaire qu’il soit évident et manifeste que les actes de procédure ne révèlent aucun moyen valable. Ce critère a récemment été confirmé dans l’arrêt R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, aux paragraphes 17 à 26 (Imperial Tobacco), où la juge en chef McLachlin a ajouté qu’une autre façon de formuler le critère consiste à dire que la demande ne doit avoir aucune possibilité raisonnable d’être accueillie. Sinon, il faut la laisser suivre son cours. Quoique très utile, la requête en radiation ne saurait être accueillie à la légère.

[14]           La requête en radiation pour absence de cause d’action raisonnable repose sur le principe que les faits allégués sont vrais, sauf s’ils ne peuvent manifestement pas être prouvés, et il incombe au demandeur de plaider clairement les faits sur lesquels il fonde sa demande (Imperial Tobacco, au paragraphe 22).

[15]           Les articles 75 à 79, 200 et 201 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, régissent la modification des actes de procédure. Ces dispositions prescrivent une approche large (Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Teva Canada Limitée, 2014 CAF 65, au paragraphe 13). Les principes régissant les modifications sont énoncés dans l’arrêt Canderel Ltée. c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.), à la page 10 : « même s’il est impossible d’énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s’il est juste, dans une situation donnée, d’autoriser une modification, la règle générale est qu’une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice ».

[16]           Pour rechercher s’il convient d’autoriser la modification d’un acte de procédure, il peut être utile, pour le juge saisi de la question, de rechercher si la modification constitue un moyen susceptible d’être radié. Dans l’affirmative, la modification ne doit pas être autorisée (Visx Inc. c. Nidek Co. (CAF) (1996), 209 N.R. 342, 72 C.P.R. (3d) 19, à la page 24 du recueil C.P.R.).

[17]           Avec ces considérations à l’esprit, je procède maintenant à l’analyse de conclusions des parties dans le cadre du présent appel.

IV.             Analyse

[18]           Comme Bauer cherche à ajouter une demande de dommages-intérêts tant majorés que punitifs dans son action, il est utile d’examiner d’abord la distinction entre les deux types de dommages‑intérêts.

[19]           Les dommages‑intérêts punitifs, comme leur nom l’indique, visent à punir. À ce titre, ils constituent une exception à la règle générale, tant en common law qu’en droit civil, selon laquelle les dommages‑intérêts visent à indemniser la personne lésée et non à punir l’auteur du méfait. On peut accorder des dommages‑intérêts punitifs lorsque la mauvaise conduite du défendeur est si malveillante, opprimante et abusive qu’elle choque le sens de dignité du juge. Les dommages‑intérêts punitifs n’ont aucun lien avec ce que le demandeur est fondé à recevoir au titre d’une indemnisation. Ils visent non pas à indemniser le demandeur, mais à punir le défendeur. C’est le moyen par lequel le juge exprime son indignation à l’égard du comportement inacceptable du défendeur, lorsque ce comportement est véritablement outrageant. Ils revêtent le caractère d’une amende destinée à dissuader le défendeur et les autres d’agir ainsi (Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, aux paragraphes 196 à 199 (Hill); Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595 (Whiten), au paragraphe 36).

[20]           De nombreux facteurs peuvent influer sur la gravité du caractère répréhensible du comportement du défendeur et justifier une condamnation à des dommages-intérêts punitifs. En voici quelques-uns : a) le fait que la conduite répréhensible ait été préméditée et délibérée; b) l’intention et la motivation du défendeur; c) le caractère prolongé de la conduite inacceptable du défendeur; d) le fait que le défendeur ait caché sa conduite répréhensible ou tenté de la dissimuler; e) le fait que le défendeur savait ou non que ses actes étaient fautifs; f) le fait que le défendeur ait ou non tiré profit de sa conduite répréhensible; g) le fait que le défendeur savait que sa conduite répréhensible portait atteinte à un intérêt auquel le demandeur attachait une grande valeur (Whiten, au paragraphe 113).

[21]           Les dommages-intérêts punitifs ne se limitent pas à certaines catégories de demandes (Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085, aux pages 1104 et 1105 (Vorvis); Whiten, au paragraphe 67). Par conséquent, il a été jugé que l’on peut obtenir des dommages-intérêts punitifs dans tous les types d’affaires, notamment dans les affaires de contrefaçon de brevet (Eurocopter (CAF), aux paragraphes 180 à 184; Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1996] 3 C.F. 40, 67 C.P.R, (3d) 1, à la page 20 de l’édition C.P.R. (Lubrizol); Whiten, au paragraphe 44.

[22]           Contrairement au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, sur lequel s’est exprimée notre Cour à l’occasion d’une récente affaire Teva Canada Limited c. Pfizer Canada Inc. et autres, 2014 CAF 138, la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 n’empêche pas de façon explicite ou implicite l’adjudication de dommages-intérêts punitifs dans les affaires portant sur la contrefaçon d’une marque de commerce. Il n’existe donc pas de principe faisant obstacle à une condamnation à des dommages-intérêts punitifs dans les affaires de contrefaçon de marque de commerce lorsque les circonstances justifient une telle condamnation.

[23]           Les dommages-intérêts majorés s’appliquent souvent à une conduite qui aurait pu donner lieu à des dommages-intérêts punitifs, mais leur  rôle demeure indemnitaire. Ils sont habituellement accordés afin qu’il soit tenu compte du préjudice moral; sont alors augmentés les dommages-intérêts calculés en vertu des règles générales relatives à l’évaluation du préjudice. Les dommages-intérêts majorés sont donc de nature indemnitaire et ne peuvent être accordés qu’à cette fin (Vorvis, aux pages 1097 à 1099; Hill, aux paragraphes 188 à 191). Ils peuvent être accordés dans les cas où le défendeur a affiché un comportement particulièrement abusif ou opprimant, augmentant ainsi l’humiliation et l’anxiété du demandeur (Lubrizol, aux pages 17 et 18 de l’édition C.P.R.). Il est utile d’opérer une distinction entre les dommages-intérêts majorés et punitifs lorsque le demandeur est une personne morale, étant donné qu’on est en droit de rechercher si une personne morale peut réclamer des dommages-intérêts majorés en invoquant l’humiliation et l’anxiété (Walker et al. c. CFTO Ltd. et al. (1987) 37 D.L.R. (4th) 224, 59 O.R. (2d) 104 (C.A. Ont.)).

[24]           En l’espèce, tant dans sa déclaration initiale que dans sa déclaration modifiée, Bauer n’a jamais allégué d’humiliation ou de souffrance morale quelconques. De plus, même si Bauer avait effectivement affirmé avoir subi une souffrance morale et de l’humiliation, on est en droit de rechercher si elle sera en mesure de faire la preuve de telles allégations en tant que personne morale. Par conséquent, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en supprimant de l’action de Bauer la demande de dommages-intérêts majorés et en refusant de réintroduire cette réclamation au moyen des modifications proposées par Bauer.

[25]           En ce qui concerne les dommages-intérêts punitifs, la déclaration originale de Bauer contenait très peu d’éléments de fait appuyant une telle demande. Ainsi que Bauer l’a fait observer en réponse à la demande de précisions de Reebok-CCM, la demande de dommages-intérêts punitifs était fondée sur la contrefaçon délibérée et volontaire de sa marque de commerce. Or, des allégations de contrefaçon délibérées et volontaires ne sont pas suffisantes, à elles seules, pour justifier une demande de dommages-intérêts punitifs. Les affaires d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle, même en cas de contrefaçon délibérée, ne donnent pas nécessairement lieu à une condamnation à des dommages-intérêts punitifs.

[26]           Les dommages-intérêts punitifs « sont vraiment l’exception et non la règle » et il faut y recourir « uniquement dans les cas exceptionnels et faire alors preuve de modération » (Whiten, aux paragraphes 94 et 69). Les dommages de cette nature ne doivent être accordés que lorsqu’il ressort des éléments de preuve qu’il y a eu conduite abusive, malveillante, arbitraire ou extrêmement répréhensible, qui déroge nettement aux normes ordinaires de bonne conduite. Il s’agit d’un critère très exigeant, qui restreint considérablement les circonstances donnant ouverture à une condamnation à des dommages‑intérêts punitifs (Eurocopter CAF, au paragraphe 184).

[27]           Par conséquent, il n’y a pas lieu de modifier la première ordonnance par laquelle le juge de première instance a supprimé la demande de dommages-intérêts punitifs de la déclaration.

[28]           La seconde ordonnance est cependant d’une nature différente. Par cette ordonnance, le juge de première instance a conclu que l’on ne pouvait accorder des dommages-intérêts punitifs qu’en cas de comportement répréhensible affiché par un des plaideurs à l’instance et qu’en conséquence, les modifications par lesquelles Bauer réclamait des dommages-intérêts punitifs ne pouvaient être autorisées, étant donné qu’aucun comportement répréhensible n’avait été allégué. Comme nous l’avons déjà signalé, tel n’est pas l’état du droit sur les dommages-intérêts punitifs au Canada.

[29]           Le juge de première instance a eu tort de se fonder sur les jurisprudences Dimplex et Wi-Lan, étant donné qu’elles enseignent simplement que le juge n’accorde pas des dommages-intérêts punitifs simplement parce que le défendeur a sciemment contrefait un brevet. Ces jurisprudences ne doivent pas être interprétées comme définissant les dommages-intérêts punitifs uniquement en fonction de l’existence d’un comportement répréhensible affiché par un plaideur au cours de l’instance, étant donné que ce n’est de toute évidence pas la façon dont la Cour suprême du Canada a défini ceux-ci.

[30]           Le juge de première instance a également eu tort de penser que la décision du tribunal d’accorder des dommages-intérêts punitifs à l’occasion de l’affaire Eurocopter CF (confirmé par l’arrêt Eurocopter CAF) reposait sur le comportement affiché par le défendeur au procès. Dans cette affaire, la condamnation à des dommages-intérêts punitifs était fondée sur le fait que le défendeur avait délibérément contrefait un brevet qu’il savait valide, en plus de faire preuve de mauvaise foi et d’afficher un comportement délibéré et scandaleux (Eurocopter CF, aux paragraphes 425 à 442 et 456; Eurocopter CAF, au paragraphe 192). Dans ces deux décisions, la possibilité que le comportement répréhensible affiché par un des plaideurs à l’instance justifie une condamnation à des dommages-intérêts punitifs n’a pas été évoquée.

[31]           Après avoir conclu que la décision du juge de première instance de refuser à Bauer l’autorisation de modifier sa déclaration afin de réclamer des dommages-intérêts punitifs était entachée d’une erreur de droit, il reste donc à rechercher s’il était évident et manifeste que Bauer n’obtiendrait pas gain de cause au procès quant à sa demande de dommages-intérêts punitifs, compte tenu des allégations de fait supplémentaires énoncées dans la déclaration modifiée acceptée par le juge de première instance.

[32]           En l’espèce, la plupart des nouvelles allégations de Bauer concernent la contrefaçon délibérée et intentionnelle de son dessin‑marque par Reebok-CCM. Comme je l’ai déjà fait observer, la contrefaçon intentionnelle et délibérée d’un droit de propriété intellectuelle, et notamment d’une marque de commerce, ne peut à elle seule justifier une condamnation à des dommages-intérêts punitifs. Bauer ajoute toutefois d’autres éléments.

[33]           Bauer ajoute d’abord, à l’alinéa 18e) de sa déclaration modifiée, que Reebok-CCM [traduction] « avait déjà reconnu que le prédécesseur en titre de Bauer Hockey était titulaire des droits exclusifs sur une figure géométrique de forme rectangulaire située sur le côté extérieur de la chaussure de hockey à peu près au centre de la chaussure ». Au paragraphe 19 (modifié), Bauer allègue également que Reebok-CCM a [traduction« conclu une transaction aux termes de laquelle elle reconnaissait les droits exclusifs de la demanderesse Bauer Hockey sur une figure géométrique de forme rectangulaire située sur le côté extérieur de la chaussure de hockey à peu près au centre de la chaussure ».

[34]           Bauer allègue également, à l’alinéa 18d) de sa déclaration modifiée, que les actes accomplis par Reebok-CCM visaient à déprécier le caractère distinctif de son dessin‑marque bien connu. Cette nouvelle allégation vient s’ajouter à l’allégation originale énoncée au paragraphe 21, où Bauer soutient également qu’après avoir reçu une mise en demeure, Reebok-CCM a non seulement poursuivi ses activités de contrefaçon, mais a adopté le dessin en question sur toute la gamme de ses patins de hockey de série CCM U+.

[35]           Compte tenu de ces éléments additionnels, combinés aux autres allégations, nous ne pouvons conclure que la demande de dommages-intérêts punitifs de Bauer n’a aucune chance raisonnable d’être accueillie, c’est‑à‑dire qu’il est évident et manifeste que la déclaration modifiée ne révèle aucun moyen valable en matière de dommages-intérêts punitifs. Faisant écho aux observations formulées par la juge Wilson dans l’arrêt Hunt c. Carey, aux pages 988 et 989, je suis d’avis qu’il ne conviendrait pas, dans ces conditions, de refuser au demandeur qui a soulevé des allégations factuelles qui pourraient éventuellement – mais pas nécessairement – être considérées comme justifiant une condamnation à des dommages-intérêts punitifs, la possibilité de tenter de convaincre le juge au procès. Ainsi que la juge Wilson l’a également fait observer dans l’arrêt Hunt c. Carey, à la page 989, « [i]l n’appartient pas à notre Cour, suite à une requête en radiation de certaines parties d’une déclaration de rendre une décision dans un sens ou dans l’autre quant aux chances de succès du demandeur. Comme le droit à l’origine du critère des cas “évidents et manifestes” l’établit clairement, il suffit que le demandeur ait quelques chances de succès ». Bien qu’ils aient été énoncés par la Cour suprême du Canada au regard d’une requête en radiation, les principes en question s’appliquent également à la modification demandée par Bauer dans la présente instance.

[36]           Par ces motifs, je suis par conséquent d’avis de rejeter l’appel interjeté à l’encontre de la première ordonnance dans le dossier A‑255‑13, et d’accueillir en partie l’appel de la seconde ordonnance dans le dossier A‑409‑13, en permettant à Bauer de modifier de nouveau sa déclaration et d’y ajouter l’alinéa 1k) en ce qui concerne des dommages-intérêts punitifs, mais sans référence à des dommages-intérêts majorés. Comme les deux parties ont partiellement eu gain de cause, il ne devrait y avoir aucune adjudication de dépens dans les deux appels.

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

« Je suis d’accord. 

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord. 

Richard Boivin, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIERS :

A-255-13 et A-409-13

(APPEL DE DEUX ORDONNANCES PRONONCÉES PAR LE JUGE ANNIS DE LA COUR FÉDÉRALE LE 12 JUILLET 2013 ET LE 21 NOVEMBRE 2013 DANS LE DOSSIER T‑311‑12)

INTITULÉ :

BAUER HOCKEY CORP. c. SPORT MASKA INC., faisant affaire sous le nom de REEBOK-CCM HOCKEY

 

 

lieu de l’audience :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 jUIN 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

François Guay

Jean-Sébastien Dupont

PoUR L’APPELANTE

 

Martha J. Savoy

 

PoUR L’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart et Biggar

Montréal (Québec)

 

pour l’appelante

 

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Ottawa (Ontario)

pour l’intimée

 

 

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