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Date : 20140627


Dossier : A-543-12

Référence : 2014 CAF 174

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY (d’office)

LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

CATHERINE LEUTHOLD

appelante

et

SOCIÉTÉ RADIO-CANADA ET AUTRE

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le 25 février 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 juin 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY (d’office)

LE JUGE MAINVILLE

 


Date : 20140627


Dossier : A-543-12

Référence : 2014 CAF 174

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY (d’office)

LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

CATHERINE LEUTHOLD

appelante

et

SOCIÉTÉ RADIO-CANADA ET AUTRE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               Le présent appel est connexe à l’arrêt Leuthold c. Société Radio-Canada, 2014 CAF 173, où la Cour a rejeté l’appel interjeté par Mme Leuthold de la décision par laquelle la Cour fédérale a enjoint à la Société Radio-Canada (SRC) de lui verser la somme d’environ 20 000 $US à titre de dommages-intérêts pour violation de son droit d’auteur sur certaines images. Malgré le fait qu’elle soit la partie demanderesse ayant eu gain de cause, la Cour a ordonné à Mme Leuthold  de payer le double des dépens à la SRC parce que le montant qu’elle a obtenu est inférieur à l’offre de règlement présentée par la SRC en vertu de l’article 420 des Règles. Les présents motifs font suite à l’appel interjeté par Mme Leuthold à l’encontre de l’ordonnance de l’adjudication des dépens. Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

[2]               Les faits pertinents sont fort simples. Mme Leuthold réclamait environ vingt millions de dollars américains à la SRC. Tôt dans le litige, la SRC a présenté une offre officielle de règlement à l’égard de la réclamation de Mme Leuthold pour la somme de 37 500 $US, en sus des frais et des intérêts jusqu’à la date de l’offre. Mme Leuthold n’a pas accepté l’offre de la SRC et l’affaire est allée à procès à l’issue duquel il lui a été adjugé la somme de 19 200 $US à titre de dommages-intérêts et la somme de 168, 74 $ à titre de restitution des profits découlant des actes de contrefaçon. En tenant compte du taux de change, la somme totale obtenue par Mme Leuthold était inférieure à l’offre présentée par la SRC. À l’issue de l’instruction, le juge de première instance a demandé à ce qu’on lui présente des observations additionnelles sur la question des dépens. Après avoir entendu les parties, le juge de première instance a condamné Mme Leuthold à payer le double des dépens en application du paragraphe 420(2) des Règles et il les a fixés à la valeur maximale prévue à la colonne 3. Mme Leuthold interjette appel de cette ordonnance.

[3]               Une ordonnance adjugeant des dépens est une ordonnance discrétionnaire qui ne devrait pas être modifiée à moins que le tribunal inférieur ait commis une erreur de principe ou que l’attribution des dépens ait été manifestement erronée : voir l’arrêt Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 R.C.S 271, au paragraphe 247.

[4]               Mme Leuthold soutient que le juge de première instance a commis une erreur en la condamnant à payer le double des dépens parce que l’offre présentée par la SRC ne contenait aucun élément de compromis et que le dédommagement accordé à Mme Leuthold était si près du montant de l’offre qu’il devenait injuste de la condamner à payer le double des dépens.

[5]               Il n’est pas contesté que l’offre de règlement présentée par la SRC respectait les exigences de forme prévues par l’article 420 des Règles.

[6]               Même si nous ne connaissons pas en détail les éléments de l’offre de règlement de la SRC, nous savons que Mme Leuthold a accepté la somme de 2 500 $US pour la diffusion sur un réseau du documentaire contenant les images dont elle était titulaire du droit d’auteur. La SRC a reconnu avoir diffusé sans autorisation ces images à six occasions. Dans ces circonstances, une offre de règlement raisonnable aurait été élaborée en tenant pour acquis que Mme Leuthold aurait obtenu le montant de la redevance initiale pour chacune des diffusions non autorisées. La somme totale des six diffusions non autorisées aurait été de 15 000 $US. L’écart entre 15 000 $US et 37 000 $US, plus les dépens et les intérêts, m’apparaît comme un compromis raisonnable.

[7]               Selon Mme Leuthold, étant donné que le montant du dédommagement qui lui a été versé était si près du montant de l’offre de la SRC, le juge de première instance aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas la condamner au double des dépens. Le juge de première instance a estimé que le rejet par Mme Leuthold de l’offre de la SRC correspondait à son appréciation de l’issue probable de l’instance suivant laquelle elle obtiendrait davantage que l’offre de règlement proposée. Il était loisible à Mme Leuthold de prendre cette décision, mais elle doit aussi accepter d’en subir les conséquences en cas d’erreur de sa part.  

[8]               Je souscris aux commentaires exprimés par le juge de première instance concernant l’évaluation des risques. J’ajouterais qu’en l’espèce, Mme Leuthold a élaboré un argument très technique pour réclamer un montant qu’elle n’aurait jamais pu négocier dans le cadre d’activités commerciales. Quelles que soient les circonstances, personne n’aurait versé à Mme Leuthold vingt millions de dollars en contrepartie du droit de diffuser ses images six fois sur un réseau national. Dans l’évaluation de son risque, Mme Leuthold se devait de soupeser s’il était logique sur le plan commercial de prendre la position qu’elle adoptait. Si elle l’avait fait, elle aurait probablement vu sous un autre angle l’offre de la SRC. Par conséquent, je ne crois pas que le fait pour Mme Leuthold d’avoir reçu une somme dont le montant s’approche de celui de l’offre de la SRC lui soit de quelque secours que ce soit. 

[9]               Mme Leuthold soutient ensuite que, s’il avait statué de ne pas la condamner à payer le double des dépens, le juge de première instance aurait dû lui adjuger des dépens en tant que partie ayant eu gain de cause. Mme Leuthold prend malheureusement ses désirs pour des réalités. Les Règles comprennent des dispositions autorisant la présentation d’une offre de règlement en bonne et due forme ainsi que des conséquences possibles en matière de dépens en cas de refus de cette offre. C’est ce qui s’est produit en l’espèce. Il n’est guère utile de soutenir après coup qu’il n’y a pas lieu de donner effet aux dispositions de l’article 420 des Règles.

[10]           Mme Leuthold fait valoir qu’il est clairement établi en droit que les dépens ne peuvent servir à pénaliser une partie, ni être considérés comme étant de nature punitive, voire accablante. Elle soutient qu’une adjudication des dépens se chiffrant à environ 80 000 $ est de nature punitive et équivaut à l’imposition d’une sanction pour une personne dont le revenu annuel brut se situe aux alentours de 20 000 $.

[11]           Je souscris aux déclarations de principes énoncées par Mme Leuthold, mais ces principes doivent être appliqués en tenant compte de l’objectif des dispositions de l’article 420 des Règles, lesquelles visent à dissuader les parties d’engager des frais et de les faire supporter par autrui au moyen d’un incitatif financier pour accepter un montant inférieur à leurs réclamations. En matière de dédoublement des dépens, l’incitatif est d’éviter une pénalité. Je ne crois pas qu’il soit controversé d’affirmer que le dédoublement des dépens qu’une partie serait par ailleurs condamnée à payer, ou le fait de condamner aux dépens une partie ayant obtenu un succès mitigé, équivaut à l’imposition d’une pénalité. Par conséquent, il n’est d’aucune utilité pour Mme Leuthold de soutenir que les dépens ne devraient pas avoir pour effet d’infliger une pénalité. Les dépens ne devraient pas avoir cet effet, à moins que les dispositions des Règles n’aient été conçues pour atteindre précisément cet objectif.

[12]           Mme Leuthold soutient, compte tenu de sa situation financière, qu’une ordonnance adjugeant des dépens de 80 000 $ est une mesure de nature punitive. Il est vrai qu’une partie dépourvue de ressources dont la demande est fondée ne devrait pas être empêchée de faire entendre sa demande en raison d’une ordonnance de cautionnement pour frais ou de provision pour frais : voir l’arrêt Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371, aux paragraphes 36 et suivants. Toutefois, lorsqu’une affaire a été instruite et que le jugement a été rendu, le manque de ressources nécessaires d’une partie n’est pas un facteur pertinent en matière de taxation des dépens. La personne ayant droit aux dépens a eu à engager des frais liés au procès et elle a le droit d’être indemnisée dans les limites prescrites par les Règles de la Cour. Il convient de distinguer les questions traitant du caractère exécutoire de celles se rapportant au droit aux dépens. 

[13]           Enfin, Mme Leuthold fait valoir qu’une ordonnance d’adjudication des dépens ne devrait pas avoir pour effet de déconsidérer l’administration de la justice. Il s’agit encore une fois d’un moyen fondé sur le manque de ressources nécessaires. Malheureusement, les affaires contentieuses font des gagnants et des perdants; voilà pourquoi elles constituent un moyen assez brutal dans l’administration de la justice. Or, la justice ne serait pas servie si elle permettait à des personnes occasionnant des frais à autrui découlant de l’engagement d’une poursuite ou de la présentation d’une défense sans fondement d’échapper aux conséquences de leur comportement. L’application d’une telle mesure serait probablement plus susceptible de déconsidérer l’administration de la justice que l’issue de la présente affaire.

[14]           Les arguments soulevés par Mme Leuthold ne m’ont pas convaincu que le juge de première instance s’était fondé sur un mauvais principe ou que sa décision était manifestement erronée. À mon avis, sa décision est correcte. Je suis donc d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, juge »

 « Je suis d’accord.

Robert M. Mainville, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

A-543-12

INTITULÉ :

CATHERINE LEUTHOLD c.
SOCIÉTÉ RADIO-CANADA ET AUTRE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 FÉVRIER 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY (d’office)

LE JUGE MAINVILLE

DATE DES MOTIFS :

LE 27 JUIN 2014

COMPARUTIONS :

Daniel O'Connor

 

POUR L’APPELANTE

CATHERINE LEUTHOLD

 

Christian Leblanc

 

POUR L’INTIMÉE

SOCIÉTÉ RADIO-CANADA ET AUTRE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel O'Connor

Pointe Claire (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

CATHERINE LEUTHOLD

 

Fasken Martineau DuMoulin

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉE

SOCIÉTÉ RADIO-CANADA ET AUTRE

 

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