Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20141001


Dossier : A-323-13

Référence : 2014 CAF 214

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

 

RAVI LALLY

 

appelante

 

et

 

SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS

 

intimée

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 11 juin 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1 octobre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20141001


Dossier : A-323-13

Référence : 2014 CAF 214

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

 

RAVI LALLY

 

appelante

 

et

 

SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SCOTT

[1]               La Cour est saisie de l'appel du jugement par lequel le juge Martineau de la Cour fédérale (le juge) a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Ravi Lally (l'appelante) à l'encontre de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) du 25 octobre 2012 (2012 TCDP 27).

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis de rejeter l'appel.

I.                   Les faits et l’historique des procédures

[3]               L’appelante a déposé une plainte aux termes du paragraphe 3(1) et l'alinéa 7b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, contre l'intimée, la Société TELUS Communications. Elle alléguait un acte discriminatoire fondé sur une incapacité, nommément la dépression clinique. La Commission canadienne des droits de la personne a enquêté sur sa plainte et l'a renvoyée au Tribunal pour instructions.

[4]               L'appelante alléguait avoir fait l'objet de discrimination fondée sur les événements suivants : 1) le refus de l'intimée de lui verser l'indemnité de départ que lui avait promise M. Holt, son vice-président par intérim; 2) les appels téléphoniques de harcèlement placés par sa supérieure immédiate, Mme Joni Kert, lorsqu'elle avait cessé de travailler; et 3) les remarques formulées par écrit au médecin indépendant par Mme Shaine Rajwani, des Services de santé de l'intimée.

[5]               Le tribunal a fixé deux semaines d'audience, soit du 9 au 12 octobre 2012 et du 22 au 26 octobre 2012. Le 12 octobre, immédiatement après le témoignage et le contre-interrogatoire de l'appelante, l'intimée a déposé une requête en rejet au motif que l'appelante n'avait pas établi une preuve prima facie de discrimination. À l'époque, l'appelante n'était pas représentée par un avocat.

[6]               L'appelante n'a pas présenté d’argument en réponse à la requête. Elle s'est contentée de demander que Mme Rajwani soit contrainte de se présenter devant le Tribunal, vu la sommation à comparaître qui lui avait été dûment signifiée le 28 août 2012. Le membre du Tribunal n'était pas certain s'il avait le pouvoir de contraindre le témoin en question à comparaître. En fin de compte, l'appelante n'a pas insisté sur cette question. Le membre du Tribunal a alors pris la requête en délibéré.

[7]               L'audience a repris le 22 octobre 2012. À ce moment-là, l'appelante était représentée par un avocat qui n'a présenté aucun argument à l’encontre de la requête.

[8]               Le Tribunal a tranché la requête en rejet puisque ni l'appelante ni son avocat n'ont demandé de se faire entendre. Le Tribunal a accueilli la requête, puisqu'il n'était pas convaincu que les tentatives de l'intimée de communiquer avec l'appelante après que celle-ci eut arrêté de travailler, le 17 octobre 2007, constituaient du harcèlement ou de la discrimination.

[9]               En outre, le Tribunal a conclu que l'intimée n'avait pas été au courant, avant le 29 octobre 2007, que l'appelante souffrait de dépression clinique. Le Tribunal a conclu, en conséquence, qu'il ne pouvait pas y avoir de pratique discriminatoire fondée sur l’invalidité avant cette date. Le Tribunal a également conclu qu'il n'y avait pas de harcèlement ni de discrimination dans la façon dont les employés de l'intimée ont traité les droits de l’appelante à l'invalidité à court terme et à long terme;

II.                La décision de la Cour fédérale

[10]           L'appelante a déposé devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du Tribunal. Elle a soulevé trois questions relatives à l'équité procédurale et a aussi mis en doute le bien-fondé de la décision attaquée. Le juge a déclaré que les questions se rapportant à l'équité procédurale étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, alors que l'application du droit aux faits faisait l'objet de la norme de la décision raisonnable.

[11]           L'appelante a fait valoir qu'elle a été empêchée de présenter son exposé introductif et que le Tribunal a refusé de contraindre un témoin assigné à comparaître. Elle a aussi fait valoir que le Tribunal n'avait pas entendu ses arguments relativement à la question de savoir si elle avait établi une preuve prima facie de l'existence d'une pratique discriminatoire.

[12]           En ce qui concerne la première question portant sur l'occasion de faire un exposé introductif, le juge a souligné que l'appelante avait eu cette possibilité, mais qu'elle avait implicitement renoncé à faire son exposé.

[13]           Pour ce qui est de la deuxième question soulevée, concernant le refus du Tribunal de contraindre un témoin à comparaître, le juge a conclu que l'appelante avait renoncé à son droit de citer un autre témoin.

[14]           Quant à la troisième question, portant sur le refus du Tribunal d'entendre ses arguments, le juge a conclu, après avoir procédé à une analyse minutieuse des éléments de preuve présentés, que l'appelante a renoncé à ses droits à cet égard.

[15]           Le juge s’est penché ensuite sur l'argument de l'appelante selon lequel le Tribunal a commis une erreur en décidant qu'elle n'avait pas établi une preuve prima facie de discrimination. Selon le juge, aucun allégué ne permettait de croire que le Tribunal avait appliqué le mauvais critère. Par conséquent, le débat portait sur l'application de ce critère juridique aux faits. Il convenait ainsi de faire preuve de retenue envers la décision attaquée.

[16]           Le juge a déclaré que les conclusions tirées par le Tribunal n'étaient pas déraisonnables. Plus précisément, il a constaté que le Tribunal avait accepté l'argument de l'intimée selon lequel elle n'était pas au courant, avant le 29 octobre 2007, de l’incapacité de l'appelante. Le juge a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le Tribunal pouvait raisonnablement conclure que les éléments de la preuve n'étaient pas suffisants pour démontrer l'existence prima facie de discrimination fondée sur l’incapacité.

III.             Analyse

[17]           Devant notre Cour, l'appelante a repris essentiellement les mêmes arguments que ceux qu'elle avait présentés à la Cour fédérale, à savoir a) que le Tribunal a contrevenu aux principes d'équité procédurale; b) que le Tribunal a conclu, à tort, qu'elle n'avait pas établi l'existence d'une preuve prima facie de discrimination. Ce deuxième point porte plus précisément sur le caractère suffisant des motifs formulés par le Tribunal.

[18]           Après avoir soigneusement examiné les arguments que l'appelante a présentés de vive voix et par écrit, les motifs du juge et le dossier, je suis d'avis que l'intervention de la Cour n'est pas justifiée. En ce qui concerne le bien-fondé de la décision du Tribunal, le juge a choisi la norme de contrôle appropriée et l'a appliquée correctement à la décision du tribunal : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47. Je conviens également qu'il n'y avait pas eu de manquement à l'équité procédurale.

A.                L’équité procédurale

[19]           L'appelante fait valoir que le Tribunal a contrevenu aux principes d'équité procédurale 1) en ne lui permettant pas de faire un exposé introductif; 2) en ne lui donnant pas la possibilité de présenter des observations sur la question relative à la preuve prima facie; 3) en refusant d'exercer son pouvoir d'ordonner la présence d'un témoin éventuel qui avait reçu signification d'une sommation.

[20]           Je conviens avec le juge que l'appelante a eu l'occasion de livrer un exposé introductif, mais qu'elle a refusé de le faire. Je rejette également l'argument de l'appelante selon lequel le Tribunal l'avait fortement dissuadée de ce faire, tel qu’il ressort de la partie de la transcription reproduite ci-dessous :

[TRADUCTION]

Ravi Lally : Je préfère rester où je suis, mais pourrait-on aussi m'accorder 10 minutes de temps d'audience pour que je livre l'exposé introductif que j'ai préparé?

Le membre Craig : Bien sûr vous le pouvez, mais il serait peut-être préférable pour vous de le faire sous serment pendant votre témoignage. C'est à vous de choisir. Allez-y. Il en a eu l'occasion.

Ravi Lally : Bien.

(Voir le dossier d'appel, volume III, transcription de l'audience devant le Tribunal canadien des droits de la personne, page 352, lignes 1 à 7)

[21]           Après avoir reçu ces directives du Tribunal, l'appelante a choisi librement de témoigner plutôt que de livrer un exposé introductif. Il s'agissait d'une décision personnelle.

[22]           Je dois également rejeter la prétention de l'appelante selon laquelle la décision du Tribunal devrait être annulée en raison de son refus de lui permettre de faire valoir qu'elle avait établi une preuve prima facie de discrimination. L'appelante a bénéficié des conseils d'un avocat même si celui-ci n'était pas présent pendant la première semaine de l'audience. Comme elle le déclare dans son affidavit (voir le dossier d'appel, volume I, affidavit de Ravi Lally souscrit le 18 décembre 2012, page 53, par. 33), et comme l'a noté le juge, l'appelante a demandé à un avocat de préparer des arguments écrits ainsi qu'un exposé de la cause qu'elle a examinés le 11 octobre. Le 12 octobre, l’audience a été ajournée pendant dix jours après que l'avocat de l'intimée eut plaidé sa requête en rejet. L'appelante aura tout le temps nécessaire pour consulter son avocat au sujet de ses préoccupations concernant la requête en rejet et pour formuler des objections à la reprise de l'audience. Or, elle ne l'a pas fait.

[23]           Puisque l'appelante et son avocat n'ont pas invoqué le droit de présenter des arguments sur la requête en rejet à la reprise de l'audience, je conviens avec le juge que l'appelante a renoncé à ce droit. En outre, au vu du dossier, il appert de la transcription de l'audience, que lorsque l’appelante a demandé de présenter des observations après que l'intimée eut plaidé sa requête, elle a soulevé une question tout à fait différente de son droit de présenter des observations (voir le dossier d'appel, volume IV, pages 817 et 818, lignes 44 à 47) :

[TRADUCTION]

Ravi Lally: Puis-je faire valoir mes arguments?

Le membre Craig : Non, vous n’avez pas besoin de me dire quoi que ce soit à propos –

Ravi Lally : Non, c’est au sujet du témoin pour la semaine prochaine.

[24]           Le juge a aussi conclu à juste titre que l'appelante avait renoncé à son droit d'appeler son témoin, Mme Rajwani. Je tiens à souligner qu'elle avait fait cette requête après avoir présenté sa preuve et après que l'intimée eut présenté ses arguments sur la requête en rejet pour défaut d’établir le bien fondé de sa réclamation prima facie. De plus, le juge a souligné à juste titre que le témoignage de Mme Rajwani n'aurait pas pu modifier les conclusions du Tribunal, parce que le médecin examinateur n'a pas tenu compte des commentaires défavorables de la représentante de l’intimée sur le rendement de l'appelante.

[25]           La renonciation au droit de soulever une objection peut s’inférer à partir de la conduite d'une partie. L'omission d'une partie de soulever une objection à la première occasion sera interprétée comme une renonciation, si elle a connaissance de ses droits (voir Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 191, [2001] 4 C.F. 85, au paragraphe 14).

[26]           Vu le dossier, même si l'appelante se représentait seule en l'espèce. Elle bénéficiait néanmoins des conseils d'un avocat. Elle disposait des arguments écrits et d'un exposé sur le critère de la preuve prima facie préparés par son avocat. Son avocat était présent à la reprise de l'audience suivant l'ajournement de dix jours. On ne peut soutenir qu'elle ignorait son droit de formuler des observations sur la question de la preuve prima facie, ni son droit de livrer un exposé introductif ou d'exiger que son témoin soit contraint à comparaître. Étant donné que ni l'appelante ni son avocat n'ont informé le membre du Tribunal qu'ils souhaitaient formuler des observations sur ces droits, j'estime que le juge a conclu à bon droit que l'appelante avait renoncé à ces droits.

[27]           Enfin, je tiens à souligner que les tribunaux, tels que le Tribunal canadien des droits de la personne, sont souvent appelés à traiter avec des plaignants qui ne sont pas représentés par avocat. Les membres des tribunaux doivent tenir compte du fait que, bien souvent, les parties qui comparaissent en personne ne connaissent pas les procédures. Il appartient donc aux membres de veiller à ce que les plaignants qui comparaissent en personne comprennent la procédure et les règles à suivre dès le début de l'audience. Dans Wagg c. Canada, 2003 CAF 303, [2004] 1 R.C.F. 206, notre Cour a énoncé, au paragraphe 33, qu'« [u]n juge de première instance qui a affaire à un plaideur non représenté a le droit et l'obligation de s'assurer que le plaideur comprend la nature de la procédure. Le juge pourrait bien, de ce fait, être tenu d'intervenir dans la procédure. »

[28]           En l'espèce, le membre du Tribunal est effectivement intervenu. L'appelante était pleinement au fait de la procédure et des règles à suivre, vu qu'elle avait consulté un avocat tout au long de l'instance.

B.                 Le caractère suffisant des motifs

[29]           À l'audience, l'appelante a fait valoir que dans la décision du Tribunal, on avait fait référence à aucun passage de son témoignage, mais qu'on s'était à tort fondé sur son contre-interrogatoire. Selon l'appelante, le Tribunal n'avait pas évalué sa crédibilité et s'était contenté de se pencher sur les arguments de l'intimée. Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation pour les raisons suivantes.

[30]           Le juge a conclu à juste titre que les questions relatives à l'application du droit aux faits, comme la question de la preuve prima facie de discrimination, étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Je conviens également avec le juge qu'en l'espèce, il était raisonnable de la part du Tribunal de conclure que l'appelante n'avait pas établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur son incapacité.

[31]           Le Tribunal a entendu le témoignage de l'appelante sur les motifs invoqués dans sa plainte. L'appelante n'a cependant pas réussi à convaincre le Tribunal de l'existence d'une preuve prima facie de discrimination fondée sur sa dépression clinique. Il était loisible au Tribunal d'examiner la preuve de l'intimée présentée lors du contre-interrogatoire de l'appelante. Le contre-interrogatoire a permis d'élucider les faits allégués par l'appelante et de déterminer si ceux-ci établissaient un lien entre les mesures prises par l'intimée et l'état de santé de l'appelante.

[32]           L'appelante a fait état dans son témoignage des mesures qu'elle percevait comme étant des actes discriminatoires fondés sur sa dépression clinique. Le Tribunal s’est penché sur son témoignage, mais a conclu que l'intimée n'était pas au courant, avant le 29 octobre 2007, de son état de santé. Le Tribunal a donc conclu que l'appelante n'avait pas réussi à établir l'existence du lien de connexité nécessaire entre les mesures reprochées et la dépression clinique dont elle souffrait.

[33]           J'estime que les motifs du Tribunal auraient pu être plus détaillés. Néanmoins, la Cour suprême du Canada a confirmé dans l'arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, au paragraphe 15, que la cour de révision peut examiner le contenu du dossier pour apprécier le caractère raisonnable de la décision attaquée. Après avoir examiné le dossier et notamment le contre-interrogatoire de l'appelante, je suis d'avis que le fondement sur lequel repose la décision du Tribunal est compréhensible.

[34]           Le rejetterais par conséquent l'appel avec dépens.

« A.F. Scott »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

            M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

            David Stratas, j.c.a. »

Traduction

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-323-13

INTITULÉ :

RAVI LALLY c. SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 juin 2014

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1 octobre 2014

 

 

COMPARUTIONS :

Joe Coutts

 

Pour l'appelante

RAVI LALLY

 

Gregory J. Heywood

Michael R. Kilgallin

 

Pour l'intimée

SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Coutts Pulver LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l'appelante

RAVI LALLY

 

Roper Greyell LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l'intimée

SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.