Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20141023

Dossier : A-352-13

Référence : 2014 CAF 237

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

 

MICHELLE BRIDGEN

 

appelante

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

 

(SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA)

 

intimé

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 


Date : 20141023


Dossier : A-352-13

Référence : 2014 CAF 237

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

 

MICHELLE BRIDGEN

 

appelante

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

 

(SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA)

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF NOËL

[1]               Notre Cour est saisie de l’appel formé par Michelle Bridgen (Mme Bridgen ou l’appelante) à l’encontre de la décision de la Cour fédérale (2013 CF 956), par laquelle le juge Manson (le juge de la Cour fédérale) a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Bridgen contre une décision (2012 CRTFP 92) de John Steeves, arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’arbitre). L’arbitre avait accueilli en partie le grief de Mme Bridgen et réduit de moitié la suspension disciplinaire que lui avait imposée le Service correctionnel du Canada (le SCC).

[2]               Madame Bridgen a soutenu, sans succès devant le juge de la Cour fédérale, qu’aucune mesure disciplinaire n’était justifiée. Elle maintient cette position en appel devant notre Cour.

[3]               Par les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel doit être rejeté.

LES FAITS

[4]               Étant donné que les faits suivants ne sont pas controversés entre les parties, j’ai pris la liberté de reproduire le résumé fait par le juge de la Cour fédérale :

2.         En 2007, [Mme Bridgen] travaillait pour le Service correctionnel du Canada [le SCC] depuis 23 ans, et était affectée à l’Établissement Grand Valley [EGV]. L’EGV est une prison pour femmes qui reçoit environ 80 détenues de tous niveaux de sécurité.

3.         Jusqu’à août 2007, [Mme Bridgen] a occupé le poste de chef d’équipe à l’EGV. Ce poste consiste à superviser les agentes correctionnelles. À partir du 4 septembre 2007, [Mme Bridgen] a occupé le poste nouvellement créé de gestionnaire, Stratégies d’intervention intensive [GSII]. Elle était appelée à examiner les politiques et les procédures mises en place par [le SCC] aux niveaux national et régional; elle n’avait aucun pouvoir de supervision sur les agentes correctionnelles.

4.         Le 31 août 2007, Ashley Smith, alors âgée de 19 ans, a été transférée à l’EGV pour y purger le reste de sa peine. Elle avait jusqu’alors été incarcérée pendant plusieurs années dans divers établissements, dont un hôpital psychiatrique, et avait auparavant – à compter du mois de juin 2007 – été incarcérée un certain temps à l’EGV. À son retour à l’EGV, elle a adopté un comportement très perturbateur. Entre autres, elle a agressé physiquement des employés et a, à de nombreuses reprises, noué un lien autour de son cou pour interrompre l’apport d’oxygène. Ces actes ont nécessité l’intervention du personnel. Jusqu’à octobre 2007, Mme Smith avait toujours dit qu’elle avait recours à la strangulation pour se procurer du confort.

5.         Du 9 au 11 octobre 2007, 23 membres du personnel de l’EGV ont reçu une formation de la part de Ken Allen sur le « recours à la force » auprès des détenues pour répondre aux préoccupations que le trop grand nombre d’incidents concernant Mme Smith avaient suscitées au sein de l’administration régionale. M. Allen a conseillé aux personnes présentes de n’entrer dans la cellule de Mme Smith que si elles constataient que cette dernière avait cessé de respirer. La directrice par intérim de l’EGV, Cindy Berry, a rappelé cette directive dans une note de service ultérieure.

6.         Après le 12 octobre 2007, Mme Smith a dit au personnel qu’elle se suiciderait durant le quart de travail d’une certaine gestionnaire. Le 19 octobre 2007, durant le quart de travail de cette gestionnaire, Mme Smith a noué un lien autour de son cou. Il s’est écoulé 24 minutes avant que le personnel intervienne et à ce moment Mme Smith était déjà morte par autostrangulation. [Mme Bridgen] n’a pas été en contact avec Mme Smith le jour où cette dernière est morte, ni à aucun autre moment après le 11 octobre 2007.

7.         À la suite du décès de Mme Smith, [le SCC] a mené une enquête auprès de divers intervenants de première ligne et de membres de la direction à l’EGV [l’enquête], amorcée par l’envoi d’un ordre de convocation daté du 7 janvier 2008. [Mme Bridgen] et plusieurs autres employés ont été interrogés par un comité d’enquête, et un rapport définitif a été publié le 25 janvier 2008. Les conclusions suivantes du rapport sont pertinentes :

[traduction]

La […] chef d’équipe/GSII de l’unité de garde en milieu fermé (Mme Bridgen) […] [a] transmis des directives contraires au [Modèle de gestion des situations] en indiquant aux employés qu’ils n’avaient aucune raison d’entrer dans la cellule et de retirer les liens utilisés par Smith, puisque le directeur [intérimaire] et [la sous‑directrice] n’étaient pas d’avis qu’elle était en détresse en dépit des signes qui révélaient clairement qu’elle l’était. Ces actes contreviennent à la [directive du commissaire] 567;

[…] la GSII Bridgen […] [a] donné aux [gestionnaires correctionnels] et aux [intervenants de première ligne] la directive explicite de ne pas entrer dans la cellule de Smith tant que cette dernière respirait encore […] La directive […] et les mesures de suivi prises par […] la GSII Bridgen […] ont contribué à ce que le personnel et les [gestionnaires correctionnels] croient qu’ils ne devaient pas entrer dans la cellule de Smith tant que cette dernière respirait encore.

8.         Cette conclusion repose principalement sur les interrogatoires de trois employées qui ont travaillé avec [Mme Bridgen] à l’EGV et qui sont intervenues auprès de Mme Smith avant son décès en 2007, soit Nancy Dickson, Heather Magee et Angie Fancey. Mme Dickson a déclaré qu’à une occasion, elle et d’autres employés, ayant constaté que les yeux de Mme Smith étaient exorbités et que son visage bleuissait, ont failli entrer dans la cellule de Mme Smith pour enlever les liens autour de son cou. Toutefois, au moment où elles allaient le faire, [Mme Bridgen], leur faisant remarquer que Mme Smith respirait encore, leur a signifié de s’arrêter. Mme Magee a livré un témoignage similaire parlant d’une occasion où [Mme Bridgen] avait signifié au personnel de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith parce que cette dernière respirait encore. Enfin, Mme Fancey a quant à elle parlé d’une fois où elle et [Mme Bridgen] avaient surveillé la respiration de Mme Smith, et que même après avoir constaté que cette dernière respirait à des intervalles de deux minutes, la demanderesse avait continué de dire qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir. Ces incidents se sont tous produits avant octobre 2007, et aucun de ces témoins n’était présent ou appelé à intervenir lorsque Mme Smith est morte le 19 octobre.

9.         [Mme Bridgen] a réfuté ces prétentions dans une note de service au [SCC], le 12 mars 2008. Elle qualifie de confus le témoignage de Mme Dickson et déclare qu’elle ne peut se rappeler l’incident précis rapporté par le témoin. Toutefois, elle précise qu’elle disait généralement au personnel de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith lorsque ce n’était pas sécuritaire de le faire ou que cette dernière n’était pas en détresse. En ce qui concerne le témoignage de Mme Fancey, elle soutient qu’après avoir eu recours à tous les autres moyens à leur disposition pour déterminer si Mme Smith était en détresse, elles sont entrées dans sa cellule. En ce qui concerne les faits rapportés par Mme Magee, elle prétend avoir dit au personnel de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith, mais d’établir un plan d’action pour garantir la sécurité de tous.

10.       [Le SCC] a examiné le rapport d’enquête et la note de service de [Mme Bridgen] datée du 12 mars. Le 5 mai 2008, [le SCC] a informé [Mme Bridgen] qu’elle était suspendue sans solde pour une période de 20 jours. Les motifs de la suspension se lisent (en partie) comme suit :

[traduction]

Je suis d’avis qu’à titre de […](GSII), vous avez donné aux gestionnaires correctionnels et aux intervenants de première ligne la directive explicite de ne pas entrer dans la cellule d’une détenue placée en observation pour risque élevé de suicide tant qu’elle respirait ou qu’elle parlait, et que cette directive a contribué à leur confusion quant à savoir dans quelles circonstances il était nécessaire d’intervenir auprès de la détenue Smith.

Vous avez commis une erreur d’interprétation sur ce qui constitue une urgence médicale ou un état de détresse physique. La directive que vous avez donnée au personnel de ne pas intervenir ou de se retirer et de réévaluer la situation contrevient à la DC [directive du commissaire] 800, à la DC 843 et à la DC 567. J’estime que la directive erronée que vous avez donnée aux employés et aux gestionnaires a contribué à la réaction tardive du personnel en réponse au comportement d’automutilation de la détenue, les 15 et 19 octobre 2007.

11.       [Mme Bridgen] a déposé un grief à l’encontre de cette décision disciplinaire auprès de l’arbitre, et une audition d’une durée de six jours a été tenue en 2011 et 2012. L’arbitre a rendu sa décision le 7 septembre 2012.

DÉCISION DE L’ARBITRE

[5]               À la suite d’un examen approfondi des événements ayant conduit à la mort de Mme Smith, ainsi que de l’enquête et de la sanction disciplinaire qui ont suivi, l’arbitre a formulé la question centrale dont il était saisi, à savoir si le SCC avait raison d’imposer une mesure disciplinaire à Mme Bridgen, et, dans l’affirmative, quel niveau de sévérité il fallait donner à cette mesure dans les circonstances (motifs de l’arbitre, au par. 104). L’arbitre a fondé son analyse sur trois questions particulières, à savoir s’il y avait eu inconduite de la part de Mme Bridgen, si, dans l’affirmative, la suspension de 20 jours imposée par le SCC constituait une sanction adéquate dans les circonstances, et si la suspension n’était pas une sanction adéquate, quelle autre sanction aurait été juste et équitable dans les circonstances.

[6]               Pour rechercher s’il y avait eu inconduite, l’arbitre s’est penché sur trois questions fondamentales. Premièrement, il fallait rechercher si Mme Bridgen avait effectivement donné au personnel correctionnel les directives alléguées par le SCC. Deuxièmement, il s’agissait d’établir si ces directives étaient contraires aux politiques du SCC. Troisièmement, il fallait rechercher si le SCC avait modifié, de manière inacceptable, les motifs de la sanction disciplinaire imposée à Mme Bridgen entre la date de son imposition et la date de l’audience devant l’arbitre.

[7]               Se fondant essentiellement sur les déclarations des témoins, l’arbitre a conclu que Mme Bridgen avait effectivement donné au personnel la consigne de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith si cette dernière respirait encore.

[8]               À l’appui de son allégation portant que Mme Bridgen avait donné les directives en question, le SCC a appelé trois témoins (une gestionnaire correctionnelle et deux agentes correctionnelles), qui ont déclaré que Mme Bridgen leur avait dit, à au moins une reprise, de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith pour enlever les ligatures de son cou. Dans chaque cas, Mme Bridgen aurait motivé l’ordre donné par le fait que Mme Smith respirait encore.

[9]               Mme Bridgen a attaqué ces témoignages en invoquant trois motifs. Premièrement, elle a témoigné elle‑même au sujet de quelques occasions dont il a été question, soutenant que la mémoire avait trahi les témoins ou qu’ils avaient fait une présentation inexacte de ses propos. Deuxièmement, Mme Bridgen a signalé l’omission du SCC de produire des enregistrements vidéo ou des rapports d’incident à l’appui des déclarations de ses témoins. Selon elle, l’arbitre était ainsi tenu, non seulement d’ignorer complètement les dépositions des témoins, mais aussi de tirer une inférence défavorable et de conclure que le SCC dissimulait des éléments de preuve qui appuyaient sa version des faits. Troisièmement, Mme Bridgen a fait valoir que les témoins du SCC croyaient que ce dernier rejetait injustement le blâme sur les intervenants de première ligne (contrairement aux gestionnaires) pour la mort de Mme Smith, ce qui rendait leur témoignage peu fiable.

[10]           L’arbitre a finalement conclu que la version des faits donnée par le SCC était plus crédible. Il a conclu que le témoignage de Mme Bridgen était vague par rapport à celui des témoins du SCC (motifs de l’arbitre, au par. 111). Quant à la question des enregistrements vidéo et des rapports d’incident, l’arbitre a conclu qu’il n’était pas légalement tenu de tirer une inférence défavorable à cet égard (motifs de l’arbitre, aux par. 133 à 135, citant Vieczorek v. Piersma, [1987] 58 O.J. No. 124 (Ont. C.A.)). En ce concerne la partialité des témoins du SCC, l’arbitre a conclu qu’il n’y avait aucune preuve à l’appui de cette allégation (motifs de l’arbitre, au par. 157).

[11]           L’arbitre s’est penché ensuite sur la question de savoir si les directives données par Mme Bridgen contrevenaient aux politiques du SCC. Dans la lettre disciplinaire du 5 mai 2008 adressée à Mme Bridgen, le SCC affirmait que cette dernière avait mal interprété ce qui constituait une « urgence médicale » et qu’elle avait ainsi contrevenu à trois directives distinctes du commissaire (DC 567, DC 800 et DC 843). Après examen de ces directives, l’arbitre a conclu que, selon la version des faits qu’il avait retenue, les occasions où Mme Bridgen avait ordonné au personnel de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith constituaient des cas où il y avait « urgence médicale » au sens des politiques susmentionnées (motifs de l’arbitre, au par. 167). Vu qu’il a constaté que les directives données n’appartenaient pas à la catégorie des réponses en cas d’urgence médicale établies par les politiques, l’arbitre a conclu que Mme Bridgen avait enfreint les politiques en question (ibidem).

[12]           Madame Bridgen a soutenu que les griefs formulés par le SCC devant l’arbitre visaient principalement ses actes à titre de chef d’équipe, fonction qu’elle avait exercée avant d’occuper le poste de GSII. Or, dans la lettre disciplinaire du 5 mai 2008, le SCC lui avait reproché ses interventions à titre de GSII. Selon Mme Bridgen, ce manque de cohérence avait conduit à la modification des motifs invoqués par le SCC pour justifier la sanction disciplinaire prise à son égard. Mme Bridgen affirmait que cette modification était inacceptable selon le droit canadien du travail.

[13]           L’arbitre a rejeté cet argument. Il a conclu que la doctrine interdisant la modification des motifs vise à garantir que l’employé qui fait l’objet d’une mesure disciplinaire soit dûment informé de ce qu’on lui reproche (motifs de l’arbitre, au par. 143, citant Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, DVD 4e éd. (Toronto : Canada Law Book, 2006) [Brown et Beatty]). Après examen du dossier d’enquête, l’arbitre a conclu que Mme Bridgen avait été suffisamment informée du fait que c’était ses interventions à titre de chef d’équipe qui justifiaient la prise de la sanction disciplinaire (motifs de l’arbitre, aux par. 145 à 150).

[14]           Compte tenu de sa conclusion selon laquelle Mme Bridgen avait enfreint les politiques du SCC, l’arbitre a conclu qu’une sanction s’imposait. Il a alors recherché si la suspension de 20 jours était appropriée. Ayant conclu que la conduite de Mme Bridgen « s’inscrivait dans une initiative globale de la direction », l’arbitre a conclu qu’il s’agissait d’« un important facteur atténuant » (motifs de l’arbitre, au par. 182). Bien que Mme Bridgen ne fût pas sans reproche, ce facteur justifiait une réduction de la suspension.

[15]           Enfin, l’arbitre a rejeté l’argument de Mme Bridgen selon lequel elle ne devait faire l’objet d’aucune mesure disciplinaire en raison du défaut du SCC d’imposer des sanctions à d’autres gestionnaires qui avaient des torts semblables. L’arbitre a ainsi conclu parce que les éléments de preuve ne lui permettaient pas d’apprécier les circonstances de ces autres décisions disciplinaires (motifs de l’arbitre, au par. 187). Tenant notamment compte de la période d’emploi de Mme Bridgen au sein du SCC (23 ans), de son dossier disciplinaire sans tache et de la directive erronée de la haute direction, l’arbitre a opté pour une suspension de 10 jours (motifs de l’arbitre, au par. 191).

DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[16]           Devant le juge de la Cour fédérale, Mme Bridgen a invoqué six motifs à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Elle a fait valoir que l’arbitre a commis une erreur en concluant à l’existence d’une inconduite relativement aux interventions autorisées par le SCC, en omettant d’examiner correctement les politiques du SCC concernant la sécurité du personnel et les « urgences médicales », en concluant que Mme Bridgen était au courant que Mme Smith présentait un risque de suicide, en omettant de tirer une conclusion défavorable à l’égard du SCC, en concluant que le SCC n’avait pas modifié les motifs de la sanction disciplinaire et en ne tenant pas compte des degrés divers des mesures disciplinaires prises par le SCC.

[17]           Après avoir conclu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le juge de la Cour fédérale a rejeté chacun de ces arguments.

[18]           Le premier argument a été rejeté pour des motifs de droit ainsi que pour des motifs de fait. Premièrement, selon le juge de la Cour fédérale, puisque Mme Bridgen n’avait pas invoqué devant l’arbitre la défense d’autorisation, elle ne pouvait pas avancer cet argument dans le cadre d’une procédure en contrôle judiciaire (motifs, au par. 21). Deuxièmement, le juge de la Cour fédérale a reconnu que Mme Bridgen « ne faisait qu’obéir aux ordres », mais a indiqué que cela s’était traduit par une réduction de sa suspension et qu’il avait néanmoins été établi que Mme Bridgen avait contrevenu aux politiques du SCC (ibidem). Il s’agissait, à son avis, d’une conclusion raisonnable.

[19]           Les autres arguments ont été rejetés compte tenu des motifs de l’arbitre et du dossier dont il disposait (motifs, aux par. 22 à 27). Dans chaque cas, le juge de la Cour fédérale a conclu que la conclusion attaquée reposait sur des motifs raisonnables. Même s’il a rejeté la demande, le juge a refusé d’adjuger les dépens à l’encontre de Mme Bridgen, du fait que « [sa] conduite […] était conforme à la position de la direction » (motifs, à la page 11).

POSITION DE L’APPELANTE

[20]           Outre les six questions soulevées devant le juge de la Cour fédérale, l’appelante soutient par son avis d’appel que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en rejetant le moyen de défense d’autorisation pour des motifs de droit, en lui faisant porter le fardeau de la preuve et en omettant de discuter un argument concernant la défense déposée par le SCC dans le cadre d’une action civile connexe.

[21]           Dans son mémoire des faits et du droit, l’appelante n’invoque que deux arguments, à savoir que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il était raisonnable de conclure à l’inconduite relativement à des interventions autorisées par le SCC, et que la sanction infligée à Mme Bridgen était raisonnable même si des éléments de preuve démontraient la nature discriminatoire de la sanction. Quant aux autres arguments invoqués dans son avis d’appel, l’appelante signale dans son mémoire qu’elle se [traduction] « réserve le droit de [les] présenter » dans sa plaidoirie (mémoire de l’appelante, au par. 36).

[22]           L’appelante soutient qu’elle peut invoquer en appel le moyen de défense fondé sur l’autorisation de l’employeur, en droit, et l’établir sur le fondement du dossier, en fait.

[23]           L’appelante affirme que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’il a refusé d’entendre des arguments fondés sur le moyen de défense d’autorisation au motif que cette question n’avait pas été soulevée devant l’arbitre. Selon l’appelante, même si elle n’a peut‑être pas invoqué expressément ce moyen de défense, [traduction] « elle a clairement soulevé l’argument portant que sa conduite correspondait à l’interprétation et à l’application [par le SCC] de ses propres politiques » (mémoire de l’appelante, au par. 39). Elle soutient que c’est cet argument qui lui permet d’invoquer le moyen de défense fondé sur l’autorisation de l’employeur.

[24]           Selon l’appelante, le moyen de défense fondé sur l’autorisation de l’employeur fait obstacle à l’imposition d’une sanction disciplinaire par un employeur pour une intervention auquelle [traduction] « l’employé est incité par les propos ou le comportement de l’employeur » (mémoire de l’appelante, au par. 41, citant Brown et Beatty). Citant les instructions données par M. Allen lors de la séance de formation d’octobre 2007 ainsi que le courriel de suivi envoyé par Mme Berry, Mme Bridgen affirme que le SCC l’a incitée à intervenir comme elle l’a fait, dans la mesure où celui‑ci [traduction] « a directement encouragé le type même de conduite qu’on lui avait attribuée » [soulignement omis] (mémoire de l’appelante, au par. 44).

[25]           En ce qui concerne le caractère discriminatoire de la sanction disciplinaire, l’appelante soutient que c’est un [traduction] « principe bien connu du droit du travail canadien » : qu’un employeur ne peut punir qu’un seul des deux employés ayant adopté la même conduite (mémoire de l’appelante, au par. 47, citant Re Canron Ltd. v. International Molders & Allied Workers, Local 16, (1975) 9 L.A.C. (2d) 391, ainsi que les motifs du juge de la Cour fédérale, au par. 27, où il affirme qu’« il serait inéquitable […] de pénaliser seulement une gestionnaire responsable parmi d’autres »).

[26]           Selon l’appelante, l’arbitre disposait d’éléments de preuve convaincants du caractère discriminatoire de la sanction disciplinaire et il était déraisonnable de sa part de ne pas en tenir compte. Elle soutient notamment que les instructions données par M. Allen et le courriel de Mme Berry correspondaient à une conduite [traduction] « identique ou pire que » la conduite pour laquelle elle avait été sanctionnée (mémoire de l’appelante, au par. 47). Étant donné que l’arbitre était au courant de cette conduite et qu’il savait que M. Allen n’avait jamais fait l’objet d’une sanction et que le SCC avait annulé la sanction imposée initialement à Mme Berry, sans tenir d’audience, il était déraisonnable que celui‑ci écarte l’interdiction relative aux sanctions disciplinaires discriminatoires.

POSITION DE L’INTIMÉ

[27]           Le SCC limite ses observations, devant notre Cour, aux deux questions soulevées dans le mémoire de l’appelante. Pour ce qui est des autres arguments énoncés dans l’avis d’appel, le SCC soutient qu’une partie ne peut avancer dans sa plaidoirie que les arguments figurant dans son mémoire (mémoire du SCC, aux par. 29 et 30, citant la Règle 70(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106; Sandhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 184 F.T.R. 30, 2000 CanLII 15526 (CAF) [Sandhu]; Radha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1040, [2003] A.C.F. no 1309; Pugh c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2006 CF 806, [2006] A.C.F. no 1033; Dave c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 510, [2005] A.C.F. no 686; et Foster c. Canada (Procureur général), 2013 CF 306, [2013] A.C.F. no 353).

[28]           Le SCC soutient que le moyen de défense fondé sur l’autorisation de l’employeur ne peut être invoqué devant notre Cour, en droit, ni établi sur le fondement du dossier, en fait. Le SCC affirme qu’une partie ne peut soulever un moyen de défense pour la première fois lors d’une procédure en contrôle judiciaire. Le SCC invoque la conclusion de l’arbitre selon laquelle ce moyen de défense n’avait pas été soulevé devant lui et fait valoir que Mme Bridgen n’a aucunement tenté d’attaquer cette conclusion en particulier, ni les motifs sur laquelle elle reposait (mémoire du SCC, aux par. 33 et 34, citant les motifs de l’arbitre, au par. 175).

[29]           Le SCC ajoute que ce moyen de défense n’est pas établi sur le fondement du dossier. Le SCC admet que d’autres membres de la direction [traduction] « ont transmis un message semblable à celui » de Mme Bridgen (mémoire du SCC, au par. 36). Or, selon le SCC, l’arbitre a expressément pris en compte ce fait et a tout de même conclu que Mme Bridgen assumait une certaine part de responsabilité pour avoir enfreint les politiques du SCC, même si insuffisante pour justifier la sanction initiale. L’arbitre [traduction] « pouvait, au regard des faits et du droit » refuser d’écarter complètement la responsabilité de Mme Bridgen et sa décision était donc raisonnable (mémoire du SCC, au par. 40).

[30]           Selon la SCC, le moyen de défense fondé sur une sanction disciplinaire discriminatoire ne peut être invoqué en l’espèce, en droit, ni établi sur le fondement du dossier, en fait.

[31]           Le SCC soutient que, contrairement à l’arbitre du travail en secteur privé, l’arbitre de grief désigné sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2, est tenu d’examiner les griefs dont il est saisi et n’a pas compétence pour trancher ou examiner d’autres griefs ou d’autres mesures disciplinaires (mémoire du SCC, aux par. 44 à 49, citant les opinions exprimées par les juges Pratte et Urie dans Canada v. Barrett, [1984] F.C.J. No. 249 (C.A.), 53 N.R. 60 [Barrett]).

[32]           Selon le SCC, même si un plaignant peut invoquer le moyen de défense fondé sur une sanction disciplinaire discriminatoire, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un moyen de défense affirmatif dont le fardeau de la preuve lui incombe (mémoire du SCC, au par. 52, citant Gorsky et autres, Canadian Labour Arbitration, (Toronto : Carswell, 2009); et Kelly c. Canada (Service correctionnel), 2002 CRTFP 74).

[33]           Le SCC ajoute que l’appelante ne s’est pas acquittée de ce fardeau. Le seul élément de preuve présenté à cet égard était une liste faisant état des sanctions disciplinaires initiales et définitives prises contre divers autres employés visés par une enquête à la suite du décès de Mme Smith (mémoire du SCC, au par. 52, se rapportant, semble‑t‑il, à la liste mentionnée au par. 103 des motifs de l’arbitre). Or, la preuve d’une différence de traitement ne suffit pas à elle seule pour établir le moyen de défense fondé sur une sanction disciplinaire discriminatoire, car celle‑ci est peut‑être attribuable à différents facteurs inconnus (mémoire du SCC, aux par. 50 et 51, citant l’opinion concordante du juge Marceau dans l’arrêt Barrett). Compte tenu de la portée restreinte des éléments de preuve dont il disposait, il était raisonnable pour l’arbitre de conclure qu’« il n’[était] pas possible de discerner des tendances dans les mesures disciplinaires imposées aux autres employés » et que la preuve ne permettait pas d’établir le moyen de défense fondé sur une sanction disciplinaire discriminatoire (mémoire du SCC, au par. 53, citant les motifs de l’arbitre, au par. 189).

[34]           Enfin, le SCC fait remarquer que, dans la liste en question, les sanctions disciplinaires définitives, soit les mesures mêmes invoquées par l’appelante à l’appui du moyen de défense fondé sur une mesure disciplinaire discriminatoire, découlaient d’autres modes de règlement des différends. Le SCC soutient qu’il n’y avait pas lieu de prendre en compte ces issues pour apprécier le caractère discriminatoire de la mesure disciplinaire, puisque les parties avaient soumis des affaires au processus de règlement des griefs pour de nombreuses raisons, dont la qualité des éléments de preuve présentés. Tenir compte de ces issues pour trancher des affaires comme celle qui nous intéresse aurait pour effet de décourager le recours au processus de règlement des griefs dans le milieu des relations de travail (mémoire du SCC, au par. 58).

ANALYSE ET DÉCISION

[35]           Lors de l’audition de l’appel, les avocats de l’appelante ont, à bon droit, limité leur argumentation aux deux moyens d’appel invoqués dans leurs mémoires des faits et du droit (voir Sandhu, au par. 4). La Cour doit par conséquent rechercher si le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en rejetant les moyens de défense de Mme Bridgen tirés de l’autorisation de l’employeur et du caractère discriminatoire de la sanction disciplinaire.

[36]           Saisie de l’appel d’une décision de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire, notre Cour doit décider « si la juridiction inférieure a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement » (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au par. 45, citant Canada (Agence du revenu) c. Telfer, 2009 CAF 23, 386 N.R. 212, au par. 18).

[37]           Je conviens avec les parties qu’en choisissant la norme de la décision raisonnable, le juge de la Cour fédérale a employé la norme de contrôle appropriée. La question est de savoir si le juge a appliqué la norme correctement.

[38]           Pour apprécier le caractère raisonnable de la décision de l’arbitre, il est essentiel de cerner d’abord le motif précis pour lequel l’arbitre a conclu que les interventions de Mme Bridgen constituaient une inconduite.

[39]           Lors des débats, l’avocat de l’appelante a souligné le caractère déraisonnable de la conclusion portant que les directives que Mme Bridgen avait données au personnel pouvaient avoir contribué à la réponse tardive le jour où Mme Smith est décédée. Aucun des employés qui avaient reçu les directives en question n’était de service le jour où Mme Smith est décédée, et les employés qui étaient effectivement de service ce jour‑là n’avaient pas participé à l’enquête sur Mme Bridgen. Il était donc impossible de déterminer raisonnablement ce que pensaient les employés qui travaillaient le jour où Mme Smith est décédée, et il était déraisonnable de présumer que les directives de Mme Bridgen avaient exercé un effet ce jour‑là.

[40]           Le SCC estimait effectivement que Mme Bridgen avait contribué à la réponse tardive à l’urgence médicale le jour où Mme Smith est décédée (lettre disciplinaire du 5 mai 2008, dossier d’appel, vol. II, onglet 9, reproduite au par. 92 des motifs de l’arbitre), mais la décision de l’arbitre ne repose pas sur ce fondement.

[41]           Dans sa décision, l’arbitre a expressément « atténué » ces allégations, en raison notamment des mêmes questions relatives à la causalité que l’appelante a soulevées lors de l’audience devant notre Cour (motifs de l’arbitre, aux par. 171 et 182). L’arbitre a conclu, tout comme le SCC, que Mme Bridgen avait contrevenu aux politiques de ce dernier en matière de sécurité, mais il a limité la portée des conséquences de ces directives erronées, estimant que les interventions en question avaient donné lieu à confusion et contribué à retarder l’intervention du personnel auprès de Mme Smith dans les cas où Mme Bridgen avait effectivement empêché le personnel d’intervenir (motifs de l’arbitre, aux par. 169, 170 et 176). La conclusion relative à l’inconduite est formulée comme suit, au paragraphe 177 des motifs de l’arbitre :

[…] En résumé, la fonctionnaire a violé les politiques du défendeur lorsqu’elle a donné des directives erronées aux employés pour ce qui est de savoir s’ils devaient entrer dans la cellule ou non; des interventions étaient requises en vertu de ces politiques, mais on a considéré qu’il était plus important de faire des réévaluations. Avant le 19 octobre 2007, la fonctionnaire a également créé de la confusion parmi les IPL quant à savoir dans quelles circonstances ils devaient entrer dans la cellule de Mme Smith.

[Je souligne.]

[42]           La Cour doit donc rechercher s’il était raisonnable de la part de l’arbitre de conclure à l’inconduite et de confirmer que la sanction disciplinaire était justifiée compte tenu de cette qualification limitée de l’inconduite de Mme Bridgen. C’est dans ce contexte qu’il faut examiner chacun des deux moyens de défense invoqués par Mme Bridgen.

[43]           Il faut d’abord rechercher si le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que Mme Bridgen ne pouvait pas invoquer le moyen de défense tiré de l’autorisation de l’employeur. Il s’est fondé sur le fait que ce moyen de défense n’avait pas été avancé devant l’arbitre.

[44]           Cette question précise ne porte pas sur la décision de l’arbitre. Seule la décision du juge de la Cour fédérale est en cause en l’espèce. Il faut donc établir la norme de contrôle applicable à cette dernière décision. Bien qu’elle soit de nature discrétionnaire, la décision ayant pour effet de faire obstacle à un moyen dans le cadre d’une procédure en contrôle judiciaire doit néanmoins reposer sur les principes appropriés.

[45]           Il ne fait aucun doute que le décideur ne peut commettre d’erreur en ne tranchant pas une question qui n’est pas soulevée dans la procédure dont il est saisi. En l’espèce, l’arbitre a clairement signalé que l’appelante n’avait pas invoqué le moyen de défense tiré de l’autorisation de l’employeur (motifs de l’arbitre, au par. 175). Voilà, à mon avis, le motif pour lequel le juge de la Cour fédérale a conclu, sans avoir procédé à un examen et sans avoir cité de jurisprudence, que l’appelante ne pouvait pas invoquer le moyen en question dans le cadre de la procédure en contrôle judiciaire.

[46]           Or, le juge de la Cour fédérale semble avoir omis de tenir compte du fait que, même si l’appelante n’a pas invoqué ce moyen de défense, l’arbitre a choisi de le discuter et l’a rejeté par la suite. Plus précisément, il a reconnu que la conduite de Mme Bridgen s’inscrivait dans une « initiative globale de la direction » (motifs de l’arbitre, au par. 182). L’arbitre a repris plus loin ce point de vue en signalant que l’appelante était « tenue responsable d’actes que la haute direction [avait] ordonné au personnel de commettre » (motifs de l’arbitre, au par. 190) et qu’elle était intervenue et avait réévalué la situation de Mme Smith d’une manière qui « concordait avec les directives de ses supérieurs à l’époque » (motifs de l’arbitre, au par. 201). Le juge a cependant conclu que Mme Bridgen n’était pas tout à fait sans reproche.

[47]           L’arbitre a ainsi rejeté tout argument portant qu’était absolu le moyen de défense tiré de l’autorisation de l’employeur. Il s’est fondé sur le dossier qu’il a jugé suffisant à cette fin, ce qui n’est pas d’ailleurs matière à controverse (voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] A.C.S. no 61, au par. 47).

[48]           Étant donné que l’arbitre a bel et bien examiné et rejeté la prétention que participant à l’initiative de la direction ou agissant conformément aux directives reçues écartait la possibilité d’imposer la sanction disciplinaire en l’espèce, je ne vois pas comment cette question saurait échapper au contrôle judiciaire. Conclure autrement reviendrait à priver de tout recours la partie touchée par les conclusions défavorables tirées par le décideur de sa propre initiative.

[49]           Compte tenu de ce qui précède, le juge de la Cour fédérale ne pouvait pas empêcher Mme Bridgen d’attaquer la conclusion de l’arbitre concernant la question de l’autorisation de l’employeur.

[50]           Il faut donc rechercher si l’arbitre pouvait raisonnablement conclure que l’appelante ne pouvait invoquer, à titre de moyen de défense au caractère absolu, sa participation à une initiative globale de la direction et sa conduite conforme aux directives reçues. L’arbitre a ainsi jugé que l’initiative ou les directives en question ne constituaient pas une justification pour avoir enfreint les politiques du SCC sur les urgences médicales impliquant une détenue. Plus précisément, la sanction disciplinaire imposée était justifiée parce que, comme je l’ai déjà signalé, les interventions de Mme Bridgen avaient donné lieu à confusion et contribué à retarder l’intervention du personnel dans plusieurs cas d’urgences médicales.

[51]           L’arbitre explique d’une façon raisonnable sa conclusion selon laquelle Mme Bridgen a enfreint les politiques du SCC et examine en détail le libellé même des politiques en question. La Directive du commissaire 567 à elle seule contient, entre autres, les définitions et les règles suivantes (motifs de l’arbitre, au par. 60) :

[…]

6.      Urgence médicale : blessure ou état pathologique qui présente une menace immédiate pour la santé ou la vie d’une personne et requiert une intervention médicale.

[…]

17.    Les membres du personnel doivent s’assurer qu’ils :

a.         connaissent et comprennent les dispositions législatives, les politiques et les procédures applicables;

[…]

c.         prendront toutes les mesures raisonnables pour rétablir le plus rapidement possible un environnement sûr et sécuritaire au sein de l’établissement dès qu’ils prennent connaissance d’une situation qui compromet la sécurité de l’établissement ou de toute personne dans celui‑ci;

[…]

18.    Lors d’une intervention justifiée par une urgence médicale, le but principal est la préservation de la vie, et chaque employé a un rôle important à jouer :

a.         le personnel non médical qui arrive sur les lieux d’une urgence médicale potentielle doit immédiatement appeler à l’aide, sécuriser les lieux et entamer les manœuvres de RCR/administrer les premiers soins;

[…]

[52]           L’arbitre a conclu que Madame Bridgen avait, concrètement, donné aux agents la directive explicite de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith tant que cette dernière respirait encore, et même d’avoir, à un certain moment, donné un tel ordre lorsque les agents pouvaient entendre Mme Smith suffoquer (motifs de l’arbitre, aux par. 110, 121 à 129). Ce fait n’est pas controversé devant notre Cour.

[53]           Conclure que cette conduite ne pouvait pas être tout à fait excusée au motif qu’elle s’inscrivait dans une initiative globale de la direction n’était pas déraisonnable. Même s’il a pris en compte cet élément pour réduire la sanction disciplinaire imposée à Mme Bridgen, l’arbitre a conclu que cette dernière était néanmoins « personnellement responsable des décisions qu’elle [avait] prises et des directives qu’elle [avait] données au personnel » (motifs de l’arbitre, au par. 165). Il s’agit d’une conclusion saine, vu que Mme Bridgen se trouvait elle‑même en position d’autorité en qualité de membre de la direction (motifs de l’arbitre, au par. 182). J’ajouterais qu’au vu du dossier dont disposait l’arbitre, il était loin d’être évident que les interventions de d’autres membres de la direction, comme M. Allen et Mme Berry, avaient précédé les cas où l’inconduite de Mme Bridgen avait été établie (motifs de l’arbitre, aux par. 24, 138, 179).

[54]           À mon avis, il n’a pas été démontré que la décision de l’arbitre de rejeter la défense d’autorisation comme moyen de défense au caractère absolu était déraisonnable.

[55]           En ce qui concerne le caractère discriminatoire de la sanction disciplinaire, l’arbitre a rejeté l’argument de l’appelante essentiellement parce que la preuve ne lui permettait pas de discerner des tendances dans les mesures disciplinaires imposées aux autres employés ni d’établir des comparaisons (motifs de l’arbitre, au par. 189). Bien qu’il ait affirmé que son rôle ne consistait pas à apprécier les circonstances de ces cas (motifs de l’arbitre, au par. 187), l’arbitre a conclu que les éléments de preuve versés aux débats ne permettaient pas d’établir la validité d’une sanction disciplinaire discriminatoire.

[56]           L’appelante attaque cette conclusion, qu’elle qualifie de déraisonnable.

[57]           L’argument que l’appelante a avancée devant l’arbitre reposait sur la liste des mesures disciplinaires prises à la suite du décès de Mme Smith (motifs de l’arbitre, au par. 103; dossier d’appel, vol. II, onglet 18). Cette liste comprend les noms de quatorze employés, dont six avaient été licenciés, quatre avaient fait l’objet d’une suspension de soixante jours et quatre autres se sont vu imposer des sanctions moins lourdes. L’arbitre affirme ce qui suit au sujet de ces employés (motifs de l’arbitre, au par. 103) :

[…] Je n’ai reçu aucune preuve concernant les circonstances individuelles de chacun de ces autres employés, ni aucun détail expliquant pourquoi la sanction disciplinaire imposée à l’une ou l’autre de ces personnes a été modifiée. […]

[58]           Dans son mémoire des faits et du droit, l’appelante attaque cette conclusion à l’égard de deux employés du SCC, à savoir M. Allen et Mme Berry. À l’audience, l’argument a été repris uniquement en ce qui concerne M. Allen. Selon l’appelante, le fait que M. Allen avait adopté une conduite semblable à la sienne ou encore pire et qu’il n’avait fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire établit la réalité d’une mesure disciplinaire discriminatoire. L’arbitre a donc statué de manière déraisonnable en refusant de tenir compte de ces éléments de preuve.

[59]           Je rejette cette argument. S’il ressort du dossier que M. Allen n’avait pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire, il faut alors rechercher pour quelle raison. Comme l’a expliqué notre Cour (opinion du juge Marceau) dans l’affaire Barrett (au par. 25), il existe [traduction] « de nombreuses raisons permettant de justifier une différence de traitement, des raisons qui peuvent faire tout à fait abstraction d’une appréciation rigoureuse du degré respectif de faute ». Même si, à l’audience, il a invoqué les observations du juge Marceau, l’avocat de Mme Bridgen n’a été en mesure de mentionner aucun élément de preuve autre que ce qui avait été qualifié d’insuffisant dans l’affaire citée, soit [traduction] « seule une différence de traitement » (ibidem).

[60]           Élément important, Mme Stableforth, sous‑commissaire régionale de la région de l’Ontario, a été contre‑interrogée en détail sur les actes de M. Allen (motifs de l’arbitre, au par. 102). Toutefois, lorsque l’avocat de l’appelante lui a demandé pourquoi d’autres employés avaient fait l’objet de mesures disciplinaires différentes, elle a répondu qu’elle « ne pouvait pas [traduction] “expliquer les motifs” des décisions définitives prises dans leurs cas » (motifs de l’arbitre, au par. 187). Si l’avocat de l’appelante voulait savoir pourquoi M. Allen n’avait pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire, il lui incombait de demander au SCC de produire un témoin bien informé.

[61]           Compte tenu des éléments de preuve limités dont il disposait, l’arbitre a conclu (motifs de l’arbitre, au par. 189) :

Selon moi, il n’est pas possible de discerner des tendances dans les mesures disciplinaires imposées aux autres employés; et encore moins, des tendances qui pourraient aider à réduire celle imposée à la fonctionnaire. Encore une fois, sauf pour souligner le fait que certains agents et gestionnaires ont fait l’objet de mesures disciplinaires (et d’autres non), il m’est impossible d’établir des comparaisons utiles, puisque je ne connais pas les circonstances propres à chacun de leurs cas. Ce que j’ai devant moi, c’est un compte rendu exhaustif du rôle de la fonctionnaire dans les événements survenus à l’EGV avant le décès de Mme Smith. Et je ne peux que prendre ce compte rendu en considération pour rendre une décision.

[62]           Il est donc manifeste que l’arbitre n’a pas refusé d’examiner l’argument de l’appelante fondée sur le caractère discriminatoire de la sanction disciplinaire. Il a plutôt conclu que l’appelante n’avait produit aucun élément de preuve qui lui permet de « discerner des tendances » établissant l’existence d’une discrimination (ibidem). Cette conclusion est tout à fait raisonnable. Par conséquent, je ne relève aucune erreur dans le refus du juge de la Cour fédérale d’intervenir à cet égard (motifs, au par. 27).

[63]           Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner l’argument de l’intimé, fondé sur la jurisprudence Barrett, portant que peu importe la teneur de la preuve, l’arbitre n’a pas compétence pour examiner la question du caractère discriminatoire de la sanction disciplinaire.

[64]           Je rejetterais l’appel avec dépens.

« Marc Noël »

Juge en chef

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

Traduction


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-352-13

 

 

INTITULÉ :

MICHELLE BRIDGEN c. ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL, (SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 SEPTEMBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Christopher J. Edwards

J.D. Sharp

 

POUR L’AppelantE

 

Richard Fader

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

TEMPLEMAN MENNINGA, LLP

Kingston (Ontario)

EMOND HARNDEN, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR L’AppelantE

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

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