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Date : 20140731


Dossier : A-145-14

Référence : 2014 CAF 249

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BLAIS

LA JUGE DAWSON

LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT une demande présentée par XXXXXXXXXXXX visant la délivrance de mandats en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C-23

 

ET DANS L’AFFAIRE INTÉRESSANT XXXX XXXXXXXXX

 

Appel entendu à Ottawa (Ontario), le 17 mars  2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT:

LA COUR

 


Date: 20140731


Dossier : A-145-14

Référence : 2014 CAF 249

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BLAIS

LA JUGE DAWSON

LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT une demande présentée par XXXXXXXXXXXX visant la délivrance de mandats en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C-23

 

ET DANS L’AFFAIRE INTÉRESSANT XXXX XXXXXXXXX

MOTIFS CAVIARDÉS DU JUGEMENT DE LA COUR

I.                   Introduction

[1]               En 2007, dans l'affaire SCRS-10-07, le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) a présenté à la Cour fédérale une demande en mandat afin de faciliter son enquête à l’égard d’activités susceptibles de constituer des menaces auxquelles, selon le SCRS, des personnes pourraient se livrer au cours de déplacements à l’étranger. Par les motifs formulés dans la décision Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), 2008 CF 301, le juge Blanchard (juge désigné de la Cour fédérale a rejeté la demande en mandat. Selon le juge Blanchard, la Cour fédérale n’avait pas compétence pour autoriser les employés du SCRS à mener à l’extérieur du Canada des enquêtes comportant intrusion dans des circonstances où les interventions autorisées par le mandat étaient susceptibles de constituer des violations de la loi étrangère.

[2]               Aucun appel n’a été interjeté de cette décision.

[3]               Plutôt que d’interjeter appel, le SCRS, en 2009, dans le dossier SCRS-30-08, a demandé à la Cour fédérale de réexaminer la décision du juge et d’opérer une distinction. Un autre juge désigné de la Cour fédérale, le juge Mosley (le juge), s’est laissé convaincre de décerner un mandat autorisant le SCRS à intercepter des communications étrangères et à effectuer XXXXXXXX des fouilles en territoire canadien. Par les motifs énoncés dans la décision  X (Re), 2009 CF 1058, le juge a conclu que la décision rendue par le juge Blanchard devait faire l’objet d’une distinction et il a décerné le mandat demandé. En résumé, le juge a tiré cette conclusion en se fondant sur un argument juridique différent de celui qui avait été invoqué devant le juge Blanchard et sur un exposé des faits concernant les méthodes d’interception et la collecte de renseignements différent de celui qui avait été fait devant le juge Blanchard.

[4]               Plus précisément, le SCRS a soutenu que la Cour fédérale avait compétence pour décerner le mandat demandé afin d’assurer un certain degré de surveillance judiciaire sur les activités exercées par des représentants du gouvernement intervenant au Canada relativement à une enquête qui s’étendait au-delà des frontières du Canada. L’avocat du SCRS a justifié cet argument en faisant valoir que les interventions qu’on demandait à la Cour d’autoriser auraient toutes lieu au Canada.

[5]               Depuis que le juge a décerné ce mandat, d’autres juges désignés de la Cour fédérale ont décerné, en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C-23 (la Loi sur SCRS), de nouveaux mandats ou reconduit des mandats relatifs aux personnes visées par l’enquête. Ces mandats sont désignés par l'expression « mandats d’interception au Canada de télécommunications étrangères » (ICTE).

[6]               Dans le rapport annuel 2012-2013 du Commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications Canada, l’honorable Robert Décary, c.r., a recommandé que le Centre de la  sécurité des télécommunications Canada (le CST) conseille au SCRS de produire devant la Cour fédérale des éléments de preuves explicite dans les demandes de délivrance de mandats d’ICTE portant que l’assistance apportée par le CST au SCRS pourrait comprendre l’interception de communications privées de Canadiens visés par les mandats d’ICTE par les partenaires de seconde partie du CST, à savoir les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, et pourrait comporter également la communication aux quatre partenaires de renseignements sur l’identité de ces Canadiens. Ces partenaires, ainsi que le Canada, sont membres du « Groupe des cinq ».

[7]               Après avoir lu la version publique du rapport du commissaire Décary, le juge a ordonné que les avocats du CST et du SCRS comparaissent devant lui. L’ordonnance portait :

[…] les avocats doivent être prêts à dire si l’application de la recommandation du commissaire du CST que « le Centre conseille au SCRS de fournir à la Cour fédérale certains éléments de preuve supplémentaires quant à la nature et à l’ampleur de l’aide qu’il peut apporter au SCRS » a trait à la recommandation présentée à la Cour dans le cadre de la demande SCRS-30-08 et à toutes les autres demandes similaires, et, dans l’affirmative, si la preuve aurait été importante quant à la décision d’autoriser l’émission du (des) mandat(s) dans la demande SCRS-30-08 ou dans toute demande ultérieure.

[8]               Sur la foi de documents produits pour cette audience, le juge a conclu que le commissaire était principalement préoccupé par le fait que les renseignements qui avaient été produits devant le juge Blanchard dans le cadre de la demande SCRS-10-07 n’avaient pas été produits devant la Cour fédérale à l'occasion de la demande SCRS-30-08 ou de quelque demande ultérieure de délivrance de mandat d’ICTE que ce soit. Selon les éléments de preuve produits devant le juge Blanchard, si le mandat était décerné, le CST assurerait une assistance au SCRS, notamment en demandant à ses partenaires membres du « Groupe des cinq » de surveiller les cibles des mandats.

[9]               Après avoir lu la version très secrète du rapport du commissaire Décary pour 2012-2013 (l’un des documents produits à l’audience initiale), et après avoir entendu les observations préliminaires des avocats du SCRS et du CST, le juge a ordonné que d’autres éléments de preuve et d’autres témoignages soient produits quant à deux questions. Ces questions sont les suivantes :

1)      Le SCRS a-t-il respecté son obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue et d’exposer les faits de manière complète, franche et impartiale lorsqu’il a demandé l’émission d’un mandat d’ICTE dans le cadre de la demande SCRS-30-08 et de toute demande ultérieure de délivrance d’un mandat d’ICTE?

2)      Le SCRS avait-il le pouvoir légal de demander, par l’intermédiaire du CST, à des partenaires étrangers de l’aider à intercepter les télécommunications de Canadiens pendant que ceux-ci se trouvent à l’étranger?

[10]           Le juge a nommé Me Gordon Cameron amicus curiae pour l’aider à examiner ces deux questions.

[11]           Après avoir reçu des éléments de preuve additionnels et après avoir entendu les plaidoiries de l’avocat du sous-procureur général du Canada (le procureur général) et de l’amicus, le juge a conclu que le SCRS a manqué à son obligation de franchise en n’avisant pas la Cour fédérale à l'occasion des demandes de mandat d’ICTE qu’il allait demander à des agences étrangères d’intercepter les communications de Canadiens qui se trouvent à l’étranger. Le juge a également conclu que le SCRS n’était pas autorisé par l’article 12 de la Loi sur le SCRS à faire ces demandes et que l’article 21 de la Loi sur le SCRS ne permettait pas à la Cour d’autoriser le SCRS à demander à des agences étrangères d’intercepter les communications de Canadiens qui se trouvent à l’étranger. Le juge a ordonné que, à l’avenir :

         Lorsqu’une demande de mandat d’ICTE est faite à la Cour, il faut l'informer si une demande d’assistance étrangère a été faite et, le cas échéant, il faut l'informer quant aux conséquences subies par les personnes visées par la demande.

         Il faut préciser que, dans tous les cas de délivrance d’un mandat d’ICTE, celui-ci n’autorise pas l’interception, directement ou indirectement, de communications de Canadiens par une agence étrangère pour le compte du SCRS par l’intermédiaire du CST.

         Le SCRS ou le CST, ou leurs conseillers juridiques, ne doivent plus affirmer, lorsqu’ils évoquent l’utilisation d’équipements de seconde partie, qu’une telle utilisation est autorisée par un mandat décerné par la Cour fédérale en vertu de l’article 21.

         Enfin, une copie des motifs de la Cour doit être remise au président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et au commissaire du CST.

[12]           Les conclusions du juge figuraient dans un document intitulé « Motifs supplémentaires d’ordonnance ». Le juge a expliqué dans ses motifs supplémentaires d’ordonnance que ceux-ci visaient à répondre à de récents développements et à clarifier la portée et les limites des motifs prononcés par le juge en 2009. Par la suite, des motifs supplémentaires d’ordonnance modifiés (motifs supplémentaires) ont été prononcés par le juge afin que soient corrigées quatre erreurs d’écriture figurant dans la version initiale des motifs. Cela importe peu.

[13]           Malgré l'intitulé du document, aucune ordonnance n’a été rendue par le juge et il a rejeté la demande, faite par le procureur général, d’une ordonnance exprimant ses opinions.

[14]           Le procureur général interjette maintenant appel quant aux motifs supplémentaires.

[15]           Lors d’une conférence de gestion de l’instance tenue par le juge en chef de la Cour de l’époque, trois questions préliminaires ont été relevées :

i.                    La Cour a-t-elle compétence pour entendre un appel interjeté des motifs supplémentaires étant donné qu’aucune ordonnance officielle n’a été rendue par le juge?

ii.                  La Cour doit-elle accorder à l’appelant une prorogation de délai pour déposer l’avis d’appel visant les motifs supplémentaires?

iii.                La contestation des motifs supplémentaires est-elle théorique vu que le mandat décerné dans l'affaire SCRS-30-08 est échu?

[16]           Le juge en chef a ordonné que ces questions soient débattues lors de l’audience fixée au 17 mars 2014. La nomination de Me Cameron à titre d’amicus a été renouvelée et il a été enjoint aux avocats d’être prêts à défendre leurs thèses quant au fond de l’appel à l’audience.

[17]           Le 17 mars 2014, notre Cour a entendu toutes les observations portant sur les questions préliminaires. Notre Cour a mis l’affaire en délibéré, puis elle a entendu les observations portant sur le fond de l’appel.

[18]           Voici les motifs de notre Cour pour proroger le délai prévu pour déposer l’avis d’appel, pour se déclarer compétente pour entendre l’appel, pour conclure que l’appel n’est pas théorique et qu’il doit être rejeté.

II.                Questions préliminaires

A.                Notre Cour a-t-elle compétence pour entendre un appel interjeté des motifs supplémentaires étant donné qu’aucune ordonnance officielle n’a été rendue par le juge?

[19]           L’amicus soutient que les motifs supplémentaires ont été rendus à l'occasion d’une demande de mandat, lequel a été décerné et est maintenant échu. Les motifs supplémentaires n’ont donc eu aucune incidence sur l’issue de la demande de mandat. Par conséquent, il ne peut être interjeté appel des motifs supplémentaires.

[20]           Notre Cour ne retient pas cette thèse, et ce, pour les deux raisons suivantes.

[21]           Premièrement, notre Cour retient la qualification de l’instance devant le juge faite par le procureur général : il s’agissait d’une enquête générale plutôt que de la suite de la procédure de demande de mandat. Cela ressort de l’ordonnance rendue au début de l’enquête. Il a été demandé aux avocats du SCRS et du CST de comparaître et d’être prêts à débattre la question de savoir si la recommandation faite par le commissaire Décary au CST [traduction] « a trait aux éléments de preuve présentés devant la Cour dans le cadre de la demande d’acquisition SCRS-30-08 et à toutes les autres demandes ultérieures » (Ordonnance, volume 1, Dossier d’appel, onglet 13, à la page 245).

[22]           La nature générale de l’enquête ressort également des motifs du juge, au paragraphe 75. Le juge a relevé que bien qu’il n’y ait pas eu de non-communication à l’occasion de la demande SCRS-30-08, il n’y a pas eu communication des demandes d’aide étrangère à l’occasion des demandes qui ont suivi. Le juge a ensuite renvoyé à la reconnaissance par le procureur général que [traduction] « la question devait être discutée dans le cadre d’une seule instance plutôt que d’être discutée dans le cadre de chacun des dossiers ». Compte tenu de ceci et de l’importance de la conclusion du juge selon laquelle le SCRS a à maintes reprises manqué à son obligation de franchise, l’absence d’une ordonnance officielle ne doit pas nuire au droit qu’a l’appelant de demander que les conclusions de fait et de droit du juge soient examinées par notre Cour. Dans les circonstances uniques de l’espèce, l’absence d’une ordonnance officielle constitue une irrégularité.

[23]           La deuxième raison pour laquelle notre Cour a tiré cette conclusion est que les motifs supplémentaires du juge étaient de nature déclaratoire. Le droit est bien fixé : une déclaration expose l’état du droit. L'entité qui fait l’objet d’une déclaration est liée par celle-ci et est donc tenue de s’y conformer. Si l’entité a des doutes quant une déclaration d’un juge, elle est tenue d’en appeler de celle-ci (Assiniboine c. Meeches, 2013 CAF 114, 444 N.R. 285, aux paragraphes 12 à 15). La constat de manque de franchise et les conclusions juridiques relatives à la portée des articles 12 et 21 de la Loi sur le SCRS étaient de nature déclaratoire. Elles sont d’une telle importance qu’elles ne peuvent pas échapper à l'examen du juge.

B.                 Notre Cour doit-elle accorder une prorogation de délai pour déposer l’avis d’appel visant les motifs supplémentaires?

[24]           Le juge a prononcé ses motifs supplémentaires le 22 novembre 2013. Par conséquent, un avis d’appel aurait dû être déposé au plus tard le 23 décembre 2013. L’avocate du procureur général a, à tort, cru que, en raison du congé de Noël, le délai de 30 jours pour déposer l’avis était suspendu. Selon ses calculs, le délai pour interjeter appel prenait fin le 9 janvier 2014. Le greffe a refusé l’avis d’appel présenté pour dépôt le 8 janvier 2014 au motif que le délai d’appel était échu. Le procureur général a donc présenté une requête en prorogation du délai prévu pour déposer l’avis d’appel.

[25]           L’amicus n’a pris aucune position concernant la requête en prorogation de délai.

[26]           Lorsqu’il s’agit de décider s’il convient d’accorder une prorogation de délai pour déposer un avis d’appel, le critère le plus important est celui qui consiste à rechercher s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation. Les facteurs à considérer sont les suivants :

(a)                s’il y a des questions défendables dans l’appel;

(b)               s’il existe des circonstances particulières justifiant le non-respect du délai prévu pour déposer l’avis d’appel;

(c)                si le retard est excessif;

(d)               si la prorogation du délai imparti causera un préjudice à l’intimé.

[27]           Notre Cour est d'avis qu'il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation. Notre Cour tire cette conclusion pour les raisons suivantes :

(a)                des questions défendables on été soulevées dans l’appel et elles sont importantes;

(b)               la méprise de l’avocate quant à l’incidence du congé de Noël est une circonstance particulière justifiant le retard;

(c)                le retard n’était pas excessif;

(d)               la prorogation ne cause aucun préjudice à l’amicus.

[28]           Par ces motifs, la prorogation est accordée.

C.                 La contestation des motifs supplémentaires est-elle théorique vu que le mandat décerné à l'occasion de l'affaire SCRS-30-08 est échu?

[29]           Selon notre Cour, l’appel n’est pas devenu théorique, et ce, pour les deux raisons suivantes.

[30]           Premièrement, comme il a déjà été expliqué, l’instance devant le juge était de la nature d’une enquête générale. Elle a donc une incidence sur les demandes de mandat en cours.

[31]           Deuxièmement, également comme il a déjà été expliqué, les motifs supplémentaires étaient de nature déclaratoire. Par conséquent, ces motifs lient, et continuent de lier le SCRS.

[32]           L’appel n’a donc pas un caractère théorique.

III.             Les questions en litige

[33]           Deux questions de fond sont soulevées dans le présent appel :

1)      Le SCRS a-t-il manqué à son obligation de franchise envers la Cour lorsqu’il a demandé la délivrance d’un mandat d’ICTE à l'occasion de la demande SCRS‑30-08 ou à l'occasion de toute demande ultérieure de délivrance d’un mandat d’ICTE?

2)      Le SCRS a-t-il le pouvoir légal de demander, par l’intermédiaire du CST, à des partenaires étrangers de l’aider à intercepter les télécommunications de Canadiens pendant que ceux-ci se trouvent à l’étranger?

[34]           Avant de se pencher sur ces questions, il est utile d’examiner les conclusions pertinentes du juge.

IV.             La décision du juge

[35]           Après avoir exposé en détail les faits, formulé les questions à trancher et discuté la question préliminaire de la confidentialité, le juge a entamé son analyse. Aucun appel n’est interjeté au sujet de la conclusion du juge selon laquelle certains documents n’étaient pas confidentiels.

[36]           Les questions formulées par le juge étaient les suivantes :

1)      Le SCRS a-t-il respecté son obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue et d’exposer les faits de manière complète, franche et impartiale lorsqu’il a demandé l’émission d’un mandat d’ICTE dans le cadre de la demande SCRS 30-08 et de toute demande ultérieure de délivrance d’un mandat d’ICTE?

2)      Le SCRS avait-il le pouvoir légal de demander, par l’intermédiaire du CST, à des partenaires étrangers de l’aider à intercepter les télécommunications de Canadiens pendant que ceux‑ci se trouvent à l’étranger?

[37]           En ce qui concerne la première question, le juge a conclu :

i.                    Il n’est pas clair qu’une demande d’aide étrangère a été faite à l'occasion de la demande SCRS-30-08. Le procureur général a cependant concédé qu’une demande d’aide étrangère avait été faite relativement aux mandats d’ICTE décernés suivant le raisonnement exposé dans l'affaire SCRS-30-08 et a aussi concédé que ces demandes n’avaient pas été communiquées à la Cour fédérale. Le procureur général a reconnu que la question du respect de l’obligation de divulgation complète et franche ne devrait pas être tranchée en fonction du fait qu’il n’y avait pas eu de véritable non-communication à l’occasion de la demande SCRS-30-08 (motifs, au paragraphe 75).

ii.                  L’employé du CST qui a témoigné par affidavit et qui a été contre‑interrogé devant le juge a « déclaré avec franchise que le témoignage qu’il avait rendu dans le cadre de la demande SCRS-30-08 avait été “élaboré” avec les avocats afin que soit exclue toute mention du rôle joué par les secondes parties décrites dans l’affidavit présenté au juge Blanchard » (motifs, au paragraphe 76).

iii.                Le CST était au courant des efforts déployés pour recueillir des XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX. XXXXXXXX (motifs, au paragraphe 76).

iv.                En ce qui concerne les personnes qui ont été visées par un mandat d’ICTE au cours des 12 mois précédents XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX. Il était raisonnable de conclure que les résultats obtenus au cours des années précédentes seraient semblables (motifs, au paragraphe 78).

v.                  Bien que le SCRS ait reconnu que l’obligation de communication complète et franche (également qualifiée d’obligation de bonne foi la plus absolue) jouait dans toutes les demandes de mandat ex parte, il a soutenu qu’il avait respecté cette obligation (motifs, aux paragraphes 82 et 83).

vi.                Plus précisément, le SCRS a soutenu que :

[traduction]

[…] le fait que, en plus de demander des mandats à la Cour, le Service peut également demander de l’assistance, par l’intermédiaire du CST, de la part de partenaires étrangers afin d’intercepter, en vertu de leurs propres cadres juridiques, les télécommunications d’un Canadien visé par une enquête se trouvant à l’étranger, dans le cadre d’une enquête légale au Canada, n’est pas un fait important qui aurait pu être considéré comme pertinent par le juge désigné dans les décisions nécessaires à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire dans le contexte d’une demande de mandat présentée au titre de l’article 21 de la Loi sur le SCRS.

vii.              Pour avancer cette thèse, le procureur général a invoqué la définition de « faits importants » consacrée par la jurisprudence relative aux instances pénales. Dans un tel contexte, l’élément de preuve est important si ce qu’il vise à prouver ou à réfuter est un fait controversé. La controverse est fonction des allégations figurant dans l’acte d’accusation et des règles de fond et procédurales applicables à l’affaire (motifs, au paragraphe 85).

viii.            Le procureur général a soutenu que, en matière de demande de mandat, le caractère important faisait référence aux éléments probants quant à la conclusion sur le plan juridique ou factuel que le juge tirerait pour décider de décerner, ou non, le mandat demandé. Il s'ensuit, selon lui, que le renvoi aux demandes d’assistance de la part de partenaires étrangers n’avait aucune pertinence sur le plan juridique et sur le plan factuel quant à la délivrance du mandat demandé. Cela découlait de la décision antérieure du juge Blanchard selon laquelle la Cour fédérale n’avait pas compétence pour gérer la relation entre le SCRS et les partenaires étrangers (motifs, au paragraphe 86).

ix.                Le juge a retenu la thèse portant que, en matière de demande de mandat, les faits importants sont ceux qui peuvent aider le juge à rechercher si les critères énoncés aux paragraphes 21(2) et (3) de la Loi sur le SCRS sont réunis. Le juge a défini les critères de la manière suivante :

(a)                les faits sur lesquels le demandeur s’appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire aux fins visées au paragraphe (1);

(b)               le fait que d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l’urgence de l’affaire est telle qu’il serait très difficile de mener l’enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées au paragraphe (1) ne pourraient être acquises.

x.                  Cela dit, le juge a rejeté une conception étroite de la pertinence. À son avis, les éléments pertinents comprenaient l’historique des tentatives faites en vue d’obtenir de la Cour fédérale l’autorisation de recueillir des renseignements de sécurité à l’étranger et les incidences que peut comporter le partage de renseignements concernant des Canadiens avec des agences étrangères de sécurité et de renseignements (motifs, au paragraphe 89).

xi.                Compte tenu des éléments de preuve dont il était saisi, le juge a conclu « que les représentants du SCRS, après avoir consulté leurs conseillers juridiques, ont décidé d’omettre [stratégiquement], dans les demandes [de mandats d’ICTE], les renseignements concernant leur intention de demander l’assistance de partenaires étrangers. Par conséquent, la Cour a été amenée à croire que les activités d’interception auraient toutes eu lieu au Canada ou seraient toutes contrôlées par les autorités canadiennes » (motifs, au paragraphe 90).

xii.              Le juge a conclu que le témoin du CST comprenait l’importance de produire devant la Cour fédérale les renseignements concernant le processus [traduction] « afin que la Cour puisse bien comprendre comment ces activités seraient entreprises ». Au paragraphe 91 de ses motifs, le juge a cité l’extrait suivant du contre‑interrogatoire du témoin :

[traduction]

[…] si nous demandons cette aide, la Cour doit savoir ce que la seconde partie verra et ce qu’elle peut décider de faire ou de ne pas faire avec ces renseignements. (Transcription, le 23 octobre 2013, à la page 59)

xiii.            Le juge a conclu que « [l]e service [avait] omis un renseignement important en n’expliquant pas à la Cour sa nouvelle et différente thèse selon laquelle, contrairement à ce qu’il [avait] affirmé devant le juge Blanchard, il n’avait pas besoin d’être autorisé par mandat pour mettre à contribution les ressources des pays alliés constituant des secondes parties afin d’effectuer des interceptions à l’étranger » (motifs, au paragraphe 92).

[38]           En ce qui concerne la deuxième question en litige, le juge a retenu le raisonnement suivant :

i.                    L’interception de communications pour laquelle une autorisation avait été sollicitée par les demandes présentées au juge Blanchard en 2008 et au juge en 2009 est visée par le mot « intercepter », pris au sens large, tel qu’il est défini à l’article 2 de la Loi sur le SCRS par renvoi à la définition figurant dans le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. L’article 26 de la Loi sur le SCRS dispose que la partie VI du Code criminel ne vise pas l’interception de communications autorisée par un mandat décerné en vertu de l’article 21 de la Loi. Sans cette protection, la partie VI du Code criminel viserait l’interception de toute « communication privée »; c’est‑à‑dire toute communication privée dont l’auteur ou le destinataire se trouvait au Canada. Comme le lieu d’« interception » selon le Code criminel a été interprété comme le lieu où l’appel a été acquis et enregistré, la crainte de faire l’objet de poursuites en l’absence d’un mandat qui a été signalée à la Cour fédérale dans la demande présentée au juge Blanchard était réaliste (motifs, aux paragraphes 23 et 24).

ii.                  La mission du CST est énoncée dans la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, modifiée par la Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41. Selon l’alinéa 273.64(1)a) de cette loi, le CST est autorisé à acquérir et à utiliser l’information provenant de systèmes de communication, de systèmes de technologie de l’information, de réseaux et d’autres systèmes semblables dans le but de fournir des renseignements de provenance étrangère au gouvernement du Canada. Avant les modifications de 2001, le CST n’avait pas le droit d’intercepter les communications d’une cible étrangère en provenance du Canada ou destinées au Canada. La loi de 2001 a conféré au ministre de la Défense nationale le pouvoir d’autoriser le CST à cibler des entités étrangères matériellement situées à l’extérieur du pays qui peuvent établir des communications à destination ou en provenance du Canada, dans le seul but d’obtenir des renseignements étrangers (motifs, aux paragraphes 13 et 14).

iii.                Le paragraphe 273.64(2) de la Loi sur la défense nationale interdit expressément au CST de viser, par ces activités, les citoyens canadiens et les résidents permanents (ensemble les « Canadiens ») peu importe où ils se trouvent ou toute autre personne au Canada, peu importe sa nationalité. Les limites concernant les Canadiens et toute personne au Canada ne visent pas l’assistance technique et opérationnelle que le CST peut assurer aux forces de l'ordre fédérales et aux agents chargés de la sécurité dans l’exercice des fonctions prévues à l’alinéa 273.64(1)c) de la Loi sur la défense nationale. Le paragraphe 273.64(3) de cette loi dispose que ces activités d’assistance sont assujetties aux limites que la loi impose à l’exercice des fonctions des organismes fédéraux (motifs, aux paragraphes 15 et 16).

iv.                Dans la demande de mandat présentée au juge Blanchard, le SCRS a principalement soutenu que le mandat demandé était nécessaire afin de garantir que les fouilles et les perquisitions intrusives que les agents canadiens mèneraient à l’étranger soient conformes au droit canadien, parce que les activités d’enquête controversées pourraient, à défaut de mandat, être contraires à la Charte et au Code criminel. Le SCRS a soutenu que le mandat demandé pouvait être décerné au titre de l’article 21 de la Loi sur le SCRS et que cette approche était conforme au principe de la primauté du droit ainsi qu'au régime de contrôle judiciaire prescrit par la Loi (motifs, au paragraphe 93).

v.                  Le SCRS soutient maintenant qu’il a accepté la solution retenue par le juge Blanchard, notamment sa conclusion selon laquelle la Cour n’avait pas compétence pour décerner le mandat demandé. Compte tenu de cela, avec l’aide de ses conseillers juridiques, le SCRS a conclu qu’il n’avait pas besoin d’un mandat pour demander aux secondes parties, par l’intermédiaire du CST, de l’aider à intercepter les communications privées de Canadiens se trouvant à l’étranger. Le SCRS a soutenu que le CST n’avait pas violé l’interdiction de cibler des Canadiens prévue par la Loi sur la défense nationale lorsqu’il lui avait fourni une assistance alors qu’il intervenait en vertu du pouvoir général d’enquête qui lui est accordé par l’article 12 de la Loi sur le SCRS (motifs, au paragraphe 94).

vi.                Compte tenu des éléments dont le juge était saisi, il semble que ce n’est qu’après que la Cour fédérale eut décerné le premier mandat d’ICTE qu’on a tenté d’invoquer l’article 12 à titre de pouvoir légal exigé par le CST pour cibler des Canadiens (motifs, au paragraphe 95).

vii.              Selon l’amicus, cette interprétation de la portée de l’article 12 autorise le SCRS [traduction] « à sous-traiter à un autre intervenant la mission qui consiste à intercepter les communications de Canadiens où à accéder aux renseignements de Canadiens, et ce, sans mandat et sans surveillance de la Cour ». Bien que l’amicus ait soutenu que le juge n’avait pas à trancher la question de la portée de l’article 12 de la Loi, ce dernier ne fut pas de cet avis. Selon lui, il était nécessaire que la Cour fédérale se prononce sur la question en raison du rapport public du commissaire du CST et du lien qui est fait entre la délivrance des mandats d’ICTE par la Cour fédérale et les demandes d’assistance de la part des secondes parties (motifs, aux paragraphes 96 et 97).

viii.            L’article 12 de la Loi sur le SCRS accorde au SCRS le pouvoir de mener des enquêtes, de recueillir, d’analyser et de conserver des renseignements sur les activités pour lesquelles il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada et d’en faire rapport au gouvernement canadien. La portée de ce pouvoir doit être interprétée au regard de l’économie de la Loi, des garanties et des protections énoncées dans la Charte et des limites imposées par le droit interne (comme le Code criminel) (motifs, au paragraphe 99).

ix.                L’article 12 ne soustrait pas le SCRS à l’application de ces lois d’application générale. Lorsque cela est nécessaire, le SCRS peut demander, au titre de l’article 21 de la Loi sur le SCRS, un mandat l’autorisant à utiliser des méthodes d’enquête qui constitueraient par ailleurs un crime ou une violation de la garantie prévue par la Charte contre les fouilles et les saisies abusives (motifs, au paragraphe 100).

x.                  L’article 12 n’autorise pas expressément le SCRS à faire appel aux capacités d’interception d’agences étrangères. Bien que de telles interceptions puissent être légales lorsqu’elles sont faites en vertu des lois du pays dont l’assistance est demandée, elles peuvent être illégales dans le territoire où l’interception est faite. Une loi comme le Foreign Intelligence Surveillance Act of 1978, Pub. L. 95-511, 92 Stat. 1783, 50 U.S.C. ch. 36 (le FISA) avalise les fouilles sans mandat aux fins de collecte de renseignements étrangers qui sont approuvées par le président des États‑Unis. Cette loi autorise aussi la surveillance des étrangers en vertu d’une ordonnance de la cour. Le FISA autorise donc la violation de la souveraineté de pays étrangers d’une manière qui, selon la Cour suprême du Canada, contrevient aux principes du droit international coutumier, mais qui est acceptée selon le droit américain – un pouvoir législatif exprès (R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292.) (motifs, au paragraphe 102).

xi.                Il ne ressort nullement de la Loi sur le SCRS ou des travaux préparatoires que, en adoptant l’article 12, le législateur a accordé au SCRS le pouvoir légal explicite de violer le droit international et la souveraineté de pays étrangers, directement ou indirectement, par l’intermédiaire du CST et des secondes parties (motifs, au paragraphe 103).

xii.              Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé par l’arrêt Hape, aux paragraphes 51, 52 et 101, et dans l’arrêt Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, [2008] 2 R.C.S. 125, au paragraphe 18, le principe de la courtoisie entre pays selon lequel le responsable canadien en mission à l’étranger se plie aux règles de droit et de procédure étrangères cesse dès que la participation du Canada aux activités d’un État étranger ou de ses représentants constitue une violation manifeste du droit international et des droits fondamentaux de la personne. En chargeant les autres membres du « Groupe des cinq » d’intercepter les communications de cibles canadiennes, les représentants du SCRS et du CST savaient, compte tenu de l’avis juridique qu’ils avaient reçu à propos de l’incidence de la jurisprudence Hape et de la décision du juge Blanchard, qu’en s’exécutant les secondes parties violeraient le droit international (motifs, au paragraphe 105).

xiii.            Il ressort du dossier dont le juge était saisi que le CST a toujours interprété les mots « fonctions que la loi lui confère » et « restrictions que la loi impose » employés par le législateur dans les modifications apportées en 2001 à la Loi sur la défense nationale comme exigeant la délivrance d’un mandat. L’avis juridique donné au CST en mai 2009 signalait que le SCRS ne présenterait une demande d’assistance de la part d’une seconde partie que lorsqu’un mandat serait décerné (motifs, au paragraphe 107).

xiv.            Le témoin du SCRS chargé du processus concernant les mandats en 2009 a reconnu que le SCRS s’appuyait surtout sur l’existence de mandats décernés par la Cour fédérale pour autoriser la demande au CST pour l’assistance des secondes parties dans l’interception et la collecte des communications de Canadiens (motifs, au paragraphe 108).

xv.              L’exercice du pouvoir de la Cour fédérale d’émettre des mandats a été utilisé pour protéger des activités que la Cour fédérale n’avait pas autorisées (motifs, au paragraphe 110).

xvi.            Le juge n’a pas été convaincu que l’intention du législateur était de donner au SCRS le pouvoir de mettre à contribution les moyens de collecte des secondes parties alliées afin d’intercepter, en vertu du pouvoir général d’enquête prévu à l’article 12, les communications privées de Canadiens. De plus, il ne ressortait nullement des travaux préparatoires concernant les modifications apportées à la Loi sur la défense nationale en 2001 que le législateur avait envisagé que le CST pouvait fournir une telle assistance au SCRS sur le seul fondement de l’article 12 (motifs, au paragraphe 111).

xvii.          Le juge a conclu que le SCRS et le CST avaient « décidé de n’agir en fonction de la nouvelle interprétation élargie, non mise à l’épreuve, de la portée de l’article 12 que lorsqu’un [mandat d’ICTE avait] été décerné ». Cette opinion sur la question a été renforcée par le rapport annuel 2012-2013 du Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité (le CSARS), lequel signale un examen du nouveau pouvoir accordé au moyen d’un mandat en vertu de l’article 21. Après avoir examiné la version publique et la version secrète de ce rapport, le juge s’est dit d’avis qu'il ressort de certains extraits du rapport que le CSARS opère en pensant à tort que les mandats d’ICTE décernés par la Cour fédérale autorisent la collecte, par les agences étrangères, d’interceptions concernant des Canadiens (motifs, aux paragraphes 112 et 115).

xviii.        Dès qu’il a été décidé que le SCRS se fierait au pouvoir général d’enquête énoncé à l’article 12 de la Loi sur le SCRS pour demander à une seconde partie de l’aider à intercepter les communications de Canadiens qui se trouvent à l’étranger, cette décision constituait un fait connu par les affiants dont les affidavits présentés à l’appui de mandats pouvaient amener la Cour fédérale à conclure que l’enquête n'appelait pas la délivrance d’un mandat d’ICTE. Le défaut de communiquer ces renseignements est la conséquence de la décision délibérée « de ne pas informer la Cour [fédérale] quant à la portée et l’ampleur des opérations de collecte étrangères qui découleraient de la délivrance du mandat par la Cour ». Il y avait là manquement à l’obligation de franchise à laquelle le SCRS et ses conseillers juridiques sont tenus envers la Cour fédérale, et ce manquement a donné lieu à des déclarations inexactes dans le dossier public à propos de la portée de l’autorisation accordée au SCRS par la délivrance des mandats d’ICTE (motifs, aux paragraphes 117 et 118).

xix.            La conclusion selon laquelle la Cour fédérale a compétence pour décerner un mandat en vertu de l’article 21 pour l’interception au Canada de télécommunications étrangères sous certaines conditions précises demeure vraie. Cette compétence ne comprend pas l’autorisation de permettre au SCRS de demander que des agences étrangères interceptent, directement ou par l’entremise du CST en vertu de sa mission d’assistance, les communications de Canadiens qui voyagent à l’étranger (motifs, au paragraphe 119).

xx.              L’interprétation de l’article 12 avancée par le SCRS et le procureur général n’est pas conforme à l’économie de la Loi dans son ensemble ni avec l'enseignement de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hape, portant que la violation du droit international ne peut être justifiée que par une autorisation expresse de la part du législateur (motifs, au paragraphe 122).

V.                Les erreurs invoquées

[39]           Le procureur général soutient qu’en ce qui concerne la première question, soit celle de savoir si le SCRS a manqué à son obligation de franchise envers la Cour, le juge a commis les erreurs suivantes :

i)                    il a conclu à tort que les renseignements avaient été stratégiquement omis parce qu’une telle conclusion n’était pas fondée par le dossier;

ii)                  il a conclu à tort que les renseignements qui auraient été omis étaient importants en ce qui concerne les demandes de mandat en question.

[40]           En ce qui concerne la deuxième question, la portée de l’article 12 de la Loi sur le SCRS, le juge aurait commis les erreurs suivantes :

i)                    il a conclu à tort que l’article 12 ne donne pas au SCRS le pouvoir de demander à des partenaires étrangers d’intercepter les télécommunications de Canadiens à l’étranger;

ii)                  il a conclu à tort que le fait de demander à des partenaires étrangers d’intercepter les télécommunications de Canadiens à l’étranger est contraire au droit international.

VI.             La norme de contrôle applicable en appel

[41]           Les parties n’ont pas présenté d’observations détaillées sur la norme de contrôle applicable par les juges d’appel à la décision du juge de première instance. À notre avis, la norme applicable est celle que la Cour suprême du Canada a formulée à l'occasion de l'affaire Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

[42]           Il s’ensuit que :

i)                    La norme de contrôle applicable à une pure question de droit est celle de la décision correcte (Housen, au paragraphe 8).

ii)                  Les conclusions de fait ne peuvent être infirmées que s’il est établi que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante. La même norme doit être appliquée aux inférences de fait tirées par le juge. Une erreur manifeste et dominante est une erreur qui est évidente (Housen, aux paragraphes 7, 10 et 19 à 23).

iii)                Les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins qu’il ne soit établi qu’une erreur de principe isolable a été commise. Une telle erreur isolable doit être examinée suivant la norme de la décision correcte (Housen, au paragraphe 36).

VII.          Application de la norme de contrôle pertinente

A.                Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que le SCRS avait manqué à son obligation de franchise?

[43]           Comme il a été expliqué ci-dessus, deux erreurs sont invoquées relativement à cette conclusion. La première est que les éléments de preuve versés aux débats ne vont pas dans le sens de la conclusion selon laquelle il a été décidé d« omettre [stratégiquement] » des renseignements dans les demandes de mandats d’ICTE. La Cour peut seulement annuler cette conclusion si une erreur manifeste et dominante a été commise en ce qui concerne les conclusions de fait sous‑jacentes ou si le raisonnement suivi pour tirer cette conclusion était manifestement erroné.

[44]           Le procureur général soutient qu’une erreur manifeste et dominante a été commise compte tenu de ce qui suit :

i)                    les renseignements omis avaient été entièrement communiqués à l'occasion de la demande antérieurement présentée au juge Blanchard, lequel aurait conclu que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour autoriser la délivrance de tels mandats;

ii)                  nul élément de preuve ne tendait à confirmer la conclusion selon laquelle la preuve du CST avait été « élaborée ».

[45]           Selon notre Cour, ces arguments ne peuvent pas être retenus pour les raisons suivantes.

[46]           Tout d’abord, le fait de soutenir que les renseignements que le juge a considérés comme importants aux fins de la demande de mandat dont il était saisi avaient été communiqués à la Cour fédérale dans la demande de mandat présentée antérieurement au juge Blanchard n’est d'aucune utilité au SCRS, surtout lorsque l’on tient compte du fait que le juge a conclu que la Cour avait compétence pour décerner le mandat demandé en fonction d’un exposé différent des faits relatifs aux méthodes d’interception et de saisie de renseignements de la description donnée au juge Blanchard. Plus précisément, il a été dit au juge que les activités qu’on lui demandait d’autoriser auraient toutes lieu au Canada. Vu les éléments de preuve dont le juge Blanchard était saisi, il était établi que, s’il était décerné, le mandat autoriserait certaines activités à l’extérieur du Canada.

[47]           Dans un deuxième temps, il est injuste de soutenir que le juge Blanchard a conclu que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour décerner un mandat autorisant la présentation de demandes d’assistance à des secondes parties. Il ne fait aucun doute, à la lecture des motifs du juge Blanchard que, dans le cas de la demande de mandat en cause, le SCRS a reconnu que les activités à l’égard desquelles le SCRS demandait l’autorisation sous forme de mandat étaient « susceptibles de constituer une violation du droit étranger » (motifs du juge Blanchard, au paragraphe 29; voir aussi au paragraphe 50).

[48]           Le juge Blanchard a bel et bien conclu que l’article 21 de la Loi sur le SCRS n’autorisait pas la Cour fédérale à décerner le mandat demandé, parce que les interventions comportant intrusion visées par le mandat seraient susceptibles de violer les lois du ressort où elles doivent être menées (motifs du juge Blanchard, au paragraphe 50).

[49]           En outre, et cela est d’une grande importance, le juge Blanchard a expressément reconnu que les activités extraterritoriales comportant intrusion ne seraient pas nécessairement illégales dans tous les ressorts. Il a donc ainsi conclu le paragraphe 50 :

[…] [Le Service] a l’intention d’exécuter le mandat peu importe où les cibles se trouvent. Naturellement, la demande ne fait mention d’aucun État étranger en particulier, puisque le Service est sans doute incapable de prévoir où ces cibles peuvent se rendre une fois qu’elles ont quitté le Canada. Il est donc difficile, voire impossible, de présenter une preuve quant à la légalité, dans un ressort donné, des investigations dont on vise l’autorisation, et ce, à l’étape de la demande, puisqu’aucun État étranger n’est désigné.

[50]           Ces observations sont complètement incompatibles avec la thèse du procureur général selon laquelle le juge Blanchard a conclu que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour autoriser les demandes à une seconde partie. Elles sont aussi incompatibles avec l’observation supplémentaire du procureur général selon laquelle le juge Blanchard a conclu que l’article 21 n’autorise pas la délivrance de mandats ayant un effet extraterritorial.

[51]           Il ressort manifestement de la lecture attentive de l’ensemble des motifs de la décision du juge Blanchard, qu’il était préoccupé par le fait que l’on demandait à la Cour de décerner un mandat lequel, de l’aveu même du SCRS, aurait été susceptible de violer les principes d’égalité souveraine et de non‑intervention et, par conséquent, de contrevenir au droit international.

[52]           En dernier lieu, le procureur général a brièvement soutenu à l’audience que les éléments de preuve versés au dossier ne vont pas dans le sens de la conclusion du juge selon laquelle le témoignage rendu par l’affidavit joint à la demande de mandat avait été « élaboré » de manière à exclure toute mention du rôle joué par les secondes parties. Selon notre compréhension de cet argument, le témoignage n’a pas été élaboré, et il n’aurait pas pu l’être, puisque la décision de demander l’aide d’une seconde partie n’a été prise qu’après la délivrance du premier mandat d’ICTE.

[53]           Notre Cour conclut que cette thèse doit être rejetée, parce que le procureur général a convenu que les demandes d’aide à une deuxième partie n’ont pas été communiquées dans les demandes qui ont suivi le dossier CSIS‑30‑08, et parce qu’il a aussi convenu que, plutôt que de discuter la question de la communication dans tous les autres dossiers subséquents, la question du caractère adéquat de la communication devrait être traitée dans une seule demande. Notre Cour conclut qu’il était loisible au juge de conclure, à tout le moins, que dès que l’on a décidé d’avoir régulièrement recours à l’assistance étrangère, on a décidé, pour des raisons stratégiques, de ne pas inclure cette information dans les affidavits produits à l’appui des mandats d’ICTE.

[54]           Notre Cour passe donc maintenant à la deuxième thèse du procureur général sur cette question : les renseignements qui auraient été omis étaient-ils importants aux fins des demandes de mandat en question?

[55]           Comme il a été expliqué plus en détail aux alinéas 37(vi) à (vii) ci dessus, le juge a retenu l'idée que ce qui était important pour décider d’émettre ou non le premier mandat d’ICTE, c’était les renseignements pertinents permettant d’établir si les critères énoncés aux alinéas 21(2)a) et b) de la Loi sur le SCRS avaient été réunis.

[56]           Le procureur général reconnaît que tel était le bon critère juridique (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 49). Cependant, il soutient que le juge a commis une erreur dans l'application du critère. Il soutient que cette erreur ressort clairement de la lecture du paragraphe 89 des motifs du juge, où il observe :

Toutefois, je ne retiens pas la conception étroite de la pertinence préconisée par le SPGC en cette matière car elle exclut les renseignements concernant le cadre élargi dans lequel les demandes de délivrance de mandat au titre de la Loi sur le SCRS sont présentées. Selon moi, cela revient à dire que la Cour ne doit pas être informée quant à des questions au sujet desquelles elle pourrait avoir des réserves si elle en était informée. Dans les circonstances de l’espèce, cela comprendrait les questions ayant trait à l’historique des tentatives qui ont été faites en vue d’obtenir de la Cour l’autorisation de recueillir des renseignements de sécurité à l’étranger et les incidences que peut comporter le partage de renseignements concernant des Canadiens avec des agences étrangères de sécurité et de renseignement.

[57]           Le procureur général soutient que :

i)                    toute obligation portant que le SCRS communique à la Cour « les questions au sujet desquelles elle pourrait avoir des réserves » n’est pas une norme intelligible;

ii)                  la préoccupation concernant l’historique des tentatives visant à obtenir l’autorisation de la Cour est [traduction] « déroutante », puisque la décision du juge Blanchard [traduction] « était sans équivoque quant au fait que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour décerner des mandats relatifs à des demandes à d’assistance de la part de partenaires étrangers »;

iii)                la dernière préoccupation, qui a trait au partage de renseignements, bien qu’importante, n’est pas pertinente pour établir si les conditions préalables énoncées aux alinéas 21(2)a) et b) de la Loi sur le SCRS ont été réunies.

[58]           Notre Cour est d’avis que le procureur général n’a pas réussi à établir que le juge a commis une erreur manifeste et dominante, ou une erreur de principe qui peut être isolée. Voici les motifs pour lesquels notre Cour tire cette conclusion.

[59]           Tout d’abord, selon une lecture juste des motifs, le juge n’a pas formulé une norme inintelligible en ce qui a trait à la communication. Bien qu’il soit possible que le paragraphe 89 aurait pu être rédigé de manière plus élégante, la mention, par le juge, des questions qui pourraient raisonnablement préoccuper la Cour reflète la nature discrétionnaire de la délivrance d’un mandat en vertu de l’article 21. La nature discrétionnaire de la mesure ne fait aucun doute, à la lecture du paragraphe 21(3) de la Loi sur le SCRS, qui dispose que le juge « peut » décerner le mandat s’il est convaincu de l’existence des faits énumérés aux alinéas 21(2)a) et b).

[60]           La nature discrétionnaire d’une décision quant à une demande de mandat a été reconnue par le sous‑procureur général dans l’avis juridique daté du 2 octobre 2008 qu’il a fourni au SCRS (volume 2 du cahier d’appel, page 431, à la page 437).

[61]           Comme l’a soutenu l’amicus, il découle de ce caractère discrétionnaire que la décision de décerner ou non un mandat en vertu de l’article 21 ne consiste pas simplement à [traduction] « cocher les cases d'un formulaire », comme le soutient le procureur général. Compte tenu des faits particuliers dont la Cour est saisie dans le cadre d’une demande de mandat, certains facteurs, outre ceux énumérés aux alinéas 21(2)a) et b), sont pertinents quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge. Si le législateur en avait voulu autrement, le paragraphe 21(3) aurait disposé que le juge « doit » décerner le mandat s’il est convaincu de la véracité des faits mentionnés.

[62]           Notre Cour convient avec le juge que, compte tenu des éléments versés au dossier, il était pertinent qu’il tienne notamment compte, pour se prononcer sur la question de savoir s’il devait décerner ou non le mandat, de la demande précédente dont avait été saisi le juge Blanchard et des incidences éventuelles du partage avec des agences étrangères de sécurité et de renseignements sur des Canadiens.

[63]           L’observation du procureur général selon laquelle la préoccupation du juge concernant la demande tranchée par le juge Blanchard est « déroutante » relève, à notre avis, de la même interprétation erronée des motifs du juge Blanchard dont j’ai discuté plus haut. Le juge Blanchard n’a pas conclu que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour décerner des mandats autorisant le SCRS à demander l’assistance de partenaires étrangers par l’entremise du CST. Il a plutôt conclu que l’article 21 n’autorisait aucun juge de la Cour fédérale à décerner un tel mandat lorsque le SCRS admettait que ce mandat était susceptible de violer le droit national d’un autre ressort et, par conséquent, de violer le droit international. Comme il a été signalé plus haut, le juge Blanchard a tenu compte du fait que les activités d’investigation pouvaient être légales dans certains ressorts.

[64]           Les observations du procureur général ayant été rejetées par notre Cour, il s’ensuit qu'il n’a pas établi l’existence d’une erreur manifeste et dominante dans l’application du critère relatif à la pertinence.

[65]           En guise de conclusion quant à la première question, compte tenu des éléments versés au dossier :

i)                    Le juge Blanchard comprenait que s’il faisait droit à la demande de mandat, le CST, conformément à son mandat d’assistance, utiliserait ses systèmes de collecte de renseignements électromagnétiques à l’étranger ainsi que ceux des agences alliées.

ii)                  Le juge Blanchard comprenait aussi que le CST avait la capacité de mener des activités de l’intérieur du Canada en vue de XXXXXXXXXXX rechercher XXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXX en vue d’obtenir des renseignements et que le mandat, s’il était décerné, autoriserait de telles activités.

iii)                À la suite de la décision du juge Blanchard, le SCRS a cherché quelles autres possibilités s’offraient à lui pour qu’il puisse procéder à l’interception, en toute légalité, des télécommunications de Canadiens et qu’il puisse fouiller XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX qui sont à l’extérieur du Canada. Le SCRS a alors demandé au ministère de la Justice de rédiger un avis juridique sur cette question. Par conséquent, le 2 octobre 2008, le sous‑procureur général a transmis un avis juridique au SCRS. Dans cet avis, le sous‑procureur général opinait que le SCRS pourrait entreprendre de telles activités sans mandat, conformément au pouvoir d’investiguer par l’entremise de demandes d’assistance formulées pour son propre compte à des partenaires étrangers conféré par l’article 12 de la Loi sur le SCRS.

iv)                Après avoir reçu cet avis juridique, le SCRS a décidé de présenter une demande de mandat l’autorisant à intercepter, à partir du Canada, les télécommunications de Canadiens qui faisaient l’objet d’une enquête et qui se trouvaient à l’étranger et de fouiller XXXXXXXXXXXXXXX XXXXX.

v)                  À la suite de cette demande, le premier mandat d’ICTE a été décerné dans le dossier CSIS‑30‑08. Ce mandat autorisait le SCRS à intercepter, à partir du Canada, les télécommunications de Canadiens qui faisaient l’objet d’une enquête et qui se trouvaient à l’étranger et à fouiller XX XXXXXXXXXXXXXXXXX.

vi)                Le juge, lorsqu’il a décerné le mandat du dossier CSIS‑30‑08, n’avait pas compris que des demandes seraient faites à des agences étrangères. Selon lui, l’interception des communications des personnes visées aurait lieu à partir de sites exploités à partir du Canada, conformément à l’autorisation conférée par le mandat.

vii)              Après que ce mandat a été décerné, des discussions supplémentaires ont eu lieu entre le SCRS et le CST au sujet de la possibilité de demander l’assistance de partenaires étrangers.

viii)            Le CST a expliqué au SCRS que seul XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXX le CST a recommandé que les demandes d’assistance aux partenaires étrangers soient faites en même temps que les demandes d’assistance que le SCRS envoie au CST en vertu d’un mandat d’ICTE. Le SCRS a accepté cette recommandation.

ix)                Par la suite, le SCRS a rédigé une note de service interne intitulée [traduction] « Interception au Canada de télécommunications étrangères (ICTE) – possibilités selon les régions et procédures ». Cette note portait sur les questions se rapportant à l’exécution des mandats d’ICTE ainsi que des demandes d’assistance adressées à des partenaires étrangers. Voici ce que la note de service mentionnait à propos des demandes d’assistance adressées à des partenaires étrangers :

[traduction]

RESSOURCES APPARTENANT AUX SECONDES PARTIES : Il s’agit des contreparties du CST en matière de ROEM au sein du Groupe des cinq – soit, les É.‑U., le R.‑U., l’Australie et la Nouvelle‑Zélande. Permettre au CST de partager nos besoins en matière de cueillette des renseignements avec les équipements de seconde partie XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX Bien que le Service ait reconnu que le recours aux ressources de ROEM appartenant aux secondes parties en ce qui a trait au ciblage pourrait éventuellement faire en sorte que les missions soient attribuées au Service, la haute direction du Service a convenu que le recours aux ressources appartenant aux secondes parties sera la norme. Les ressources appartenant aux secondes parties ne seront pas mises au courant des détails précis à propos de nos cibles; XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX et l’on pourrait déduire que la cueillette est effectuée pour le compte du Service, puisque cela ne respecterait pas la pratique courante du CST, en ce sens que l’inclusion de ces Canadiens XXXXXXXXXXXXXXXXXXX

[Non souligné dans l’original.]

Il s’ensuit que demander l’assistance d’agences étrangères est devenue la norme lorsqu’un mandat d’ICTE est décerné.

x)                  Les activités qui sont visées par le mandat d’assistance du CST sont menées par le CST pour le compte du SCRS, sous l’autorité légalement compétente du SCRS et sous réserve de toute limite qui lui est imposée.

xi)                Le juge a conclu que le CST a toujours interprété les critères d’« exercice des fonctions que la loi leur confère » et de « limite que la loi impose » prévus à l’alinéa 273.64(1)c) et au paragraphe 273.64(3) de la Loi sur la défense nationale, comme signifiant que le SCRS avait l’obligation d’obtenir un mandat. L’avis juridique donné au CST en mai 2009 précisait que le SCRS présenterait une demande au CST en vue d’obtenir de l’assistance d’une seconde partie uniquement dans le cas où mandat avait été décerné.

xii)              Le témoin du SCRS qui était chargé du processus relatif aux mandats en 2009 a reconnu que le SCRS considérait les mandats décernés par la Cour fédérale surtout comme autorisation pour le SRCS de demander au CST de solliciter l’aide de secondes parties pour intercepter et recueillir les communications de Canadiens.

xiii)            Le juge a aussi conclu que les mandats d’ICTE donnaient aux agents du SCRS et à ceux du CST l'assurance qu’ils intervenaient dans les limites du pouvoir que la loi leur confère.

xiv)            Les demandes d’assistance à un partenaire étranger ont uniquement été faites lorsqu’un mandat d’ICTE a été décerné par la Cour fédérale. Le CST ciblait uniquement les communications mentionnées dans le mandat d’ICTE, pour la durée du mandat, et se conformait à toutes les conditions prévues au mandat d’ICTE.

[66]           Vu ces éléments de preuve, notre Cour conclut que, à partir du moment où la décision a été prise de demander régulièrement l’aide des agences étrangères après la délivrance d’un mandat d’ICTE, le SCRS, en vertu de l’obligation de franchise et de bonne foi absolue, devait communiquer à la Cour fédérale la portée de l’enquête envisagée, et surtout le fait qu’il se considérait lui-même autorisé, en application de l’article 12 de la Loi sur le SCRS, à demander l’aide d’agences étrangères, sans mandat. Le SCRS ne l’a jamais fait.

B.                 Le juge a‑t‑il commis une erreur en concluant que la loi n’accordait pas au SCRS le pouvoir de demander de l’assistance, par l’entremise du CST, à des partenaires étrangers pour intercepter les télécommunications des Canadiens alors que ceux‑ci sont à l’extérieur du Canada?

[67]           La question de savoir si le SCRS peut présenter une telle demande d’assistance dépend de l’interprétation que l’on donne à l’article 12 de la Loi sur le SCRS.

[68]           La méthode privilégiée en ce qui a trait à l’interprétation des lois a été ainsi définie par la Cour suprême du Canada :

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution: il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Voir : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21. Voir aussi R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, au paragraphe 29.

[69]           La Cour suprême a réaffirmé ce principe par l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10 :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative au sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[70]           Cet enseignement quant à la bonne méthode à retenir en matière d’interprétation des lois a été rappelé par les arrêts Celgene Corp. c. Canada (procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 21, et Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, au paragraphe 27.

[71]           L’approche contextuelle de l’interprétation des lois est fondée sur l'idée que le sens grammatical et ordinaire d’une disposition n’est pas déterminant quant à son sens. Il faut tenir compte du contexte global de la disposition à interpréter, « même si, à première vue, le sens de son libellé peut paraître évident » (ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, au paragraphe 48). C’est à partir du libellé et du contexte global que le juge appelé à interpréter le texte recherche l’intention du législateur, qui est « [l]’élément le plus important de cette analyse » (R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, au paragraphe 26).

[72]           L’article 12 est libellé ainsi :

Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.

The Service shall collect, by investigation or otherwise, to the extent that it is strictly necessary, and analyse and retain information and intelligence respecting activities that may on reasonable grounds be suspected of constituting threats to the security of Canada and, in relation thereto, shall report to and advise the Government of Canada.

[73]           Les mots « menaces envers la sécurité du Canada », que l’on retrouve à l’article 12, sont ainsi définis à l’article 2 de la Loi sur le SCRS :

a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;

(a) espionage or sabotage that is against Canada or is detrimental to the interests of Canada or activities directed toward or in support of such espionage or sabotage,

b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

(b) foreign influenced activities within or relating to Canada that are detrimental to the interests of Canada and are clandestine or deceptive or involve a threat to any person,

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

(c) activities within or relating to Canada directed toward or in support of the threat or use of acts of serious violence against persons or property for the purpose of achieving a political, religious or ideological objective within Canada or a foreign state, and

d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.

(d) activities directed toward undermining by covert unlawful acts, or directed toward or intended ultimately to lead to the destruction or overthrow by violence of, the constitutionally established system of government in Canada.

[74]           Les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou d’opposition ne constituent pas des menaces envers la sécurité du Canada, à moins que ces activités ne soient exercées au moyen de l’une des quatre activités énumérées ci-dessus.

[75]           Notre Cour amorce son examen de la portée de l’article 12 en faisant remarquer, et cela n’est pas controversé, qu'il ne ressort pas de celui-ci qu’il existe une limite de nature géographique au champ des activités du Service. En fait, les renvois à la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » à des éléments comme « les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou qui s’y déroulent » et « les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave […] dans le but d’atteindre un objectif […] au Canada ou dans un État étranger » ne sont pas compatibles avec quelque notion que ce soit de limite géographique aux champs d’activité du SCRS.

[76]           Cette analyse textuelle s'appuie sur une analyse contextuelle lorsque l’on compare l’article 12 avec le paragraphe 16(1) de la Loi sur le SCRS. L’article 16 vise la cueillette d’informations se rapportant à des personnes ou à des États étrangers, et prévoit que le Service peut assister les ministres de la Défense nationale et des Affaires étrangères « dans les limites du Canada ». Il ressort donc de l’analyse contextuelle que, lorsque le législateur a voulu limiter le champ d'opérations du Service sur le plan géographique, il l’a fait expressément.

[77]           En ce qui a trait à l’analyse téléologique qu’il convient de faire, il n’est pas controversé que la capacité d’un État à assurer sa protection à l’encontre des menaces envers la sécurité nationale dépend de sa capacité à obtenir des renseignements précis et en temps utile concernant de telles menaces. Pour ce motif, la Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie Royale du Canada (la Commission McDonald), qui a eu lieu en 1981, a recommandé que les services de renseignement canadiens ne soient pas tenus de limiter leurs activités visant à recueillir des renseignements et à déjouer des menaces au seul territoire canadien; sans quoi, ils pourraient perdre les renseignements et les sources de renseignements qui sont importants pour la sécurité du Canada. Compte tenu du fait que le rapport de la Commission McDonald a abouti à la création du SCRS, ses recommandations vont dans le sens de la conclusion selon laquelle l'intention du législateur était que le SCRS puisse effectuer ses opérations à domicile et à l’étranger.

[78]           Après avoir conclu, en se fondant sur les nécessaires analyses textuelles, contextuelles et téléologiques, que les activités du Service ne sont pas limitées aux frontières du Canada, notre Cour est maintenant appelée à examiner la question de savoir si l’article 12 de la Loi sur le SCRS lui permet de solliciter l’assistance d’entités étrangères afin d'intercepter les télécommunications de Canadiens se trouvant à l’étranger.

[79]           Comme il a été expliqué de manière assez fouillée au paragraphe 38 ci‑dessus, le juge a conclu que le législateur n’avait pas l’intention de conférer au Service le pouvoir d’avoir recours aux agences internationales afin d'intercepter les communications de Canadiens au titre du pouvoir général d’enquête que l’article 12 de la Loi sur le SCRS accorde au Service.

[80]           Notre Cour retient, avec une réserve, la conclusion du juge, essentiellement pour les motifs qu’il a formulés. La réserve, que nous développons plus loin, est celle portant que notre Cour ne retient pas la conclusion du juge selon laquelle les activités d’enquête comportant intrusion menées à l’étranger contreviendraient nécessairement au droit international ou au principe de courtoisie entre nations.

[81]           Notre Cour ajoute ce qui suit aux motifs du juge : compte tenu de l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique, l’autorisation de la Cour, qui prend la forme d’un mandat décerné en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS, est nécessaire lorsque les méthodes d’enquête du Service comportent intrusion, comme c’est le cas lors de l’interception de télécommunications, que cette interception soit effectuée directement, ou indirectement par l’intermédiaire d’un service de renseignement étranger. Voici la raison pour laquelle notre Cour tire cette conclusion.

[82]           Comme le juge l’a fait remarquer, l’article 12 n’accorde pas au SCRS une dispense de l’application des lois d’application générale. Il s’ensuit que, lorsque les méthodes d’enquête comportent intrusion et que ces méthodes constitueraient autrement un acte criminel ou une violation du droit à la protection contre les fouilles et les saisies déraisonnables garanti par la Charte, le Service peut demander à la Cour fédérale qu'elle décerne un mandat en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS.

[83]           La condition préalable pour une telle demande est que le directeur du SCRS, ou un employé désigné du SCRS, ait « des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur les menaces envers la sécurité du Canada […] ».

[84]           Là encore, l’article 21 ne prévoit aucune limite géographique. Puisque les « menaces envers la sécurité du Canada » peuvent englober des faits qui se produisent hors du Canada, il semble que l’intention du législateur était qu’il soit possible de présenter une demande en vue d’obtenir un mandat dans le contexte d’activités extraterritoriales.

[85]           Cette analyse textuelle est appuyée, d’un point de vue contextuel, par l’article 26 de la Loi sur le SCRS, qui rend la partie VI du Code criminel inapplicable à toute interception d’une communication autorisée par un mandat ainsi qu’à la communication elle‑même. On peut en inférer que l’intention du législateur était que l’ensemble du personnel du Service jouisse de cette protection légale, sans égard au lieu où ils effectuent une enquête. Une telle interprétation garantit aussi que les questions ayant trait à la recevabilité en preuve de toute communication interceptée ou de toute preuve qui en est dérivée sont peu susceptibles de se poser.

[86]           Une interprétation téléologique appelle la même conclusion. La nécessité d’assujettir à des contrôles stricts les interventions des agences de renseignement et de sécurité est reconnue depuis longtemps. A l'occasion de l'affaire Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’objet visé par la loi ainsi que sur les principes directeurs ayant abouti à la création du SCRS. Au paragraphe 22 des motifs de son arrêt, la Cour suprême a cité l’extrait suivant rapport du Comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité :

Un service du renseignement de sécurité doit, pour être crédible et efficace, jouir de pouvoirs extraordinaires et être en mesure de recueillir et d’analyser de l’information en empiétant parfois sur les libertés civiles des uns ou des autres. Mais il doit aussi être assujetti à des contrôles sévères et ne pas disposer de plus de pouvoirs qu’il ne lui en faut pour atteindre ses objectifs, qui doivent eux‑mêmes se limiter à ce qui est requis pour assurer la sécurité du Canada.

(Rapport du comité sénatorial spécial, par. 25)

[87]           L’obligation d’obtenir une autorisation judiciaire pour procéder à toute interception de télécommunications de nature privée est compatible avec la nécessité d’imposer des contrôles stricts quant aux méthodes de cueillette comportant intrusion employées par le SCRS.

[88]           Cette conclusion cadre aussi avec la Loi sur la Défense nationale. Aux termes du paragraphe 273.65(2) de cette loi, l’autorisation du ministre est nécessaire pour intercepter les communications provenant du Canada ou à destination du Canada. L’alinéa 273.64(2)a) de cette loi interdit au CST de procéder à des opérations de cueillette visant les Canadiens. L'interprétation de l’article 12 de la Loi sur le SCRS qui aurait pour effet de permettre au CST de mener des activités par ailleurs interdites, sans surveillance du ministre ou des juges, serait incompatible avec ce régime.

[89]           Étant donné la conclusion de notre Cour selon laquelle la supervision judiciaire est requise, il convient ensuite de se pencher sur la compétence de la Cour fédérale de décerner les mandats en question. Pour cela, il faut, dans une certaine mesure, tenir compte de l’effet de la décision du juge Blanchard portant que, compte tenu des faits dont il était saisi, la Cour fédérale n’avait pas compétence pour décerner le mandat demandé.

[90]           En l’espèce, notre Cour retient sans réserve l’observation de l’amicus selon laquelle le juge Blanchard n’était pas saisi de la question de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour décerner un mandat autorisant le Service à intercepter, de manière légale, les communications de Canadiens à l’étranger (par l’intermédiaire du CST et d’un autre pays). De plus, notre Cour ne voit aucun obstacle juridique à ce qu’un tel mandat soit décerné. Il s’ensuit, à titre d’exemple, que la Cour fédérale pourrait décerner un mandat lorsque l’interception visée par celui‑ci est conforme au droit national de l’État ou cette interception aura lieu.

[91]           Le juge Blanchard a conclu que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour décerner un mandat autorisant des interventions dans un autre pays dans le cas où, de l'aveu même du SCRS, les interventions en question seraient contraires aux lois de ce pays. Cette question n'est pas vraiment en jeu dans le présent dossier et notre Cour ne peut donc pas la trancher.

[92]           Cela dit, notre Cour est d’avis que la thèse avancée devant le juge Blanchard ne semble pas avoir été bien développée. Notamment, deux principes juridiques importants et étroitement liés ne semblent pas avoir été soulevés devant le juge Blanchard.

[93]           Tout d’abord, comme l’a signalé le juge LaForest dans l’arrêt R. c. Libman, [1985] 2 R.C.S. 178, aux pages 212 et 213, il est nécessaire qu’il y ait un « lien réel et important » entre l’activité (dans cette affaire, une infraction criminelle) et le Canada pour qu’une activité menée à l’extérieur du Canada relève de la compétence des tribunaux canadiens. Le critère du lien réel et important est bien établi, autant en droit international public qu’en droit international privé.

[94]           Dans l’arrêt Hape, au paragraphe 62, les juges majoritaires ont cité et repris l’observation formulée par le juge LaForest dans l’arrêt Libman portant qu'une activité comportant un « lien réel et important » fondant la compétence territoriale peut « coïncider avec les exigences de la courtoisie internationale ».

[95]           Il semble, selon les paragraphes 61 et 64 de l’arrêt Hape, que plus le lien réel et important entre le Canada et l’application extraterritoriale de sa loi est fort, moins cette application de sa loi contrevient au principe de courtoisie.

[96]           C’est à une autre occasion, dans le cadre d’une autre demande, comportant un dossier plus étoffé, que la Cour fédérale se penchera sur la question de savoir si, en matière de sécurité nationale, il existe nécessairement, entre les mandats décernés en vertu de l’article 21 et le Canada, un lien suffisamment réel et important pour que cette Cour décerne un mandat autorisant des interventions extraterritoriales comportant intrusion, sans pour autant contrevenir au principe de courtoisie et aux principes du droit international.

[97]           La deuxième thèse qui n’a apparemment pas été avancée devant le juge Blanchard est celle qui se rapporte aux principes particuliers de la compétence extraterritoriale qui peuvent être soulevés en matière de sécurité nationale.

[98]           A l’occasion de l’affaire Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, la juge en chef a reconnu, à la toute première ligne du premier paragraphe, que l’une des responsabilités les plus fondamentales d’un gouvernement est d’assurer la sécurité de ses citoyens. Il en est ainsi, parce que le maintien de la sécurité nationale est essentiel au maintien de la primauté du droit.

[99]           Il découle ce qui suit du caractère primordial de la sécurité nationale :

[traduction]

La sécurité nationale est probablement la plus importante des justifications qui puisse être invoquée à l’appui de la loi, en raison de la nécessité de protéger et de préserver l’existence même de l’État et de ses institutions démocratiques, ainsi que d’assurer leur survie. La nécessité de protéger la sécurité de la nation peut aussi tirer sa source de la capacité du Canada à prendre des mesures pour protéger l’intérêt national, assurer sa défense nationale ou du pouvoir du Canada d’adopter des lois pour garantir la « paix, l’ordre et le bon gouvernement ». [renvois omis.]

(Stanley A. Cohen « Safeguards in and Justifications for Canada’s New Anti‑terrorism Act », 14 N.J.C.L. 99)

[100]       Une fois de plus, le juge Blanchard aurait pu être éclairé par des thèses juridiques bien argumentées portant sur la capacité des autorités canadiennes à prendre des mesures proportionnelles aux menaces posées à la sécurité nationale, y compris les thèses fondées sur les principes de la nécessité, de l’autodéfense et des mesures préventives prises par l’État.

[101]       Par conséquent, nous avons des réserves, avec égard, quant à la conclusion selon laquelle la Cour fédérale n’a pas compétence pour décerner des mandats autorisant le SCRS à effectuer des interventions dans un autre État lorsque ces interventions peuvent contrevenir au droit de cet État. Vu les subtilités du droit international et la complexité des questions relatives à la sécurité nationale, il n’est pas possible de se prononcer à ce sujet en l’absence d’un dossier plus étoffé et d’arguments suffisamment développées.

VIII.       Conclusion

[102]       Par les motifs qui précèdent, notre Cour conclut qu’il peut être interjeté appel de la décision du juge, que la prorogation de délai nécessaire doit être accordée et que l'affaire n’est pas théorique. Notre Cour décide aussi que le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que le SCRS a manqué à son devoir de franchise ou en concluant que l’article 12 de la Loi sur le SCRS n’autorise pas le SCRS à demander à des partenaires étrangers d’intercepter des télécommunications de Canadiens se trouvant à l’étranger.

[103]       Notre Cour relève également que le Service doit obtenir un mandat lorsque, directement ou par l’intermédiaire d’un service de renseignement étranger, il a recours à des méthodes d’enquête comportant intrusion, comme l’interception de télécommunications. Selon notre Cour, la Cour fédérale a compétence pour décerner un tel mandat lorsque l’interception en question est légale dans le lieu où elle se produit. De plus, notre Cour est d’avis que la question de savoir si la Cour fédérale dispose d'une telle compétence lorsque l’interception n’est pas légale dans le pays où elle a lieu n’est toujours pas réglée.

[104]       Notre Cour rejettera donc l’appel. Les avocats du Service et l’amicus ont 10 jours pour produire des observations écrites quant à tout caviardage qui pourrait être nécessaire avant traduction et publication des présents motifs.

« Pierre Blais »

juge en chef

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-145-14

 

INTITULÉ :

AFFAIRE INTÉRESSANT une demande présentée par XXXXXXXXXX visant la délivrance de mandats en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le service canadien de renseignement secret, L.R.C. 1985, c. C‑23 ET DANS L’AFFAIRE INTÉRESSANT

XXXXXXXXXXXX

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MARS 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE EN CHEF BLAIS, LES JUGES DAWSON ET MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 31 JUILLET 2014

COMPARUTIONS :

Robert Frater

Isabelle Chartier

Jacques-Michel Cyr

 

POUR L’APPELANT

 

Gordon Cameron

(Amicus Curiae)

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L.

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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