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Date : 20141103


Dossier : A-301-12

Référence : 2014 CAF 251

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 

 

 

ENTRE :

RACHEL EXETER

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE NEAR

 


Date : 20141103


Dossier : A-301-12

Référence : 2014 CAF 251

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 

 

 

ENTRE :

RACHEL EXETER

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

I.                   Introduction

[1]Rachel Exeter (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision du président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) de refuser de désigner un arbitre de grief autre que celui qui était déjà saisi des neuf griefs de la demanderesse pour qu’il se prononce sur la prétention de la demanderesse selon laquelle le protocole d’entente censé régler lesdits griefs devrait être déclaré nul.

[2]               La demanderesse et son ancien employeur, Statistique Canada (l’employeur), ont réglé à l’amiable, avec l’aide de l’arbitre de grief Pineau (l’arbitre de grief), les neuf griefs présentés par la demanderesse sans qu’il soit porté atteinte à la compétence de l’arbitre de grief de trancher les questions non résolues (voir le paragraphe 226(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la Loi)). Les deux parties étaient représentées par un avocat lors de la longue séance de médiation ayant mené à la signature d’un protocole d’entente énonçant les modalités convenues. L’audition des griefs, censée reprendre le lendemain, a donc été annulée.

[3]               Dans la requête, datée du 17 août 2011, qu’elle a présentée à la Commission, la demanderesse sollicitait une ordonnance :

                                                                 (i)                        interdisant à l’arbitre de grief de fixer la date d’une audition pour entendre toute question visée par le protocole d’entente, et de tenir une audition ou de rendre une ordonnance à cet égard;

                                                               (ii)                        désignant un arbitre de grief indépendant afin qu’il se prononce sur la validité du protocole d’entente.

[4]               À l’appui de sa requête, la demanderesse faisait pour l’essentiel valoir que l’arbitre de grief ne pouvait conserver compétence sur l’affaire parce qu’elle était partiale et qu’elle était en conflit d’intérêts au sens du paragraphe 224(2) de la Loi en raison de sa participation directe au processus ayant mené à la conclusion du protocole d’entente, que la demanderesse avait, selon ses allégations, signé sous la contrainte et seulement après que l’arbitre de grief – qui avait en outre rejeté ses demandes d’ajournement – ait exercé des pressions sur elle. La demanderesse soutient que la Commission a le pouvoir d’intervenir en vertu de l’article 36 de la Loi et qu’elle devrait le faire pour éviter qu’il y ait violation du droit de la demanderesse à une procédure équitable que lui garantit la Constitution.

[5]               Le 24 février 2012, dans sa décision répertoriée sous la référence 2012 CRTFP 24, la Commission a rejeté la requête de la demanderesse pour deux motifs. La Commission a d’abord conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir sous le régime de la Loi de dessaisir un arbitre déjà saisi d’un grief. Elle s’est notamment dite d’avis que l’ingérence de la Commission dans les questions dont un arbitre de grief est régulièrement saisi irait à l’encontre de l’objectif d’une procédure d’arbitrage juste, crédible et efficace (paragraphes 12 et 13 de la décision).

[6]               La Commission a ensuite conclu que, même si elle avait compétence en vertu de l’article 36 de la Loi pour dessaisir l’arbitre de grief, comme le soutenait la demanderesse, il serait « inapproprié que la Commission exerce ce pouvoir » étant donné qu’« il est plus approprié de laisser l’arbitre de grief saisi des griefs de Mme Exeter rendre une décision relativement à la demande de récusation » (paragraphe 15 de la décision). À cet égard, la Commission a fait observer qu’il ne faisait aucun doute qu’un arbitre de grief a compétence pour rendre une décision sur sa propre récusation, et qu’un arbitre de grief saisi d’un grief est lié par les règles de justice naturelle et d’équité procédurale. La Commission a en outre précisé que tout manquement à cet égard serait susceptible de contrôle judiciaire (paragraphes 12 et 14 de la décision).

[7]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d’avis que la conclusion de la Commission selon laquelle il est plus approprié de laisser l’arbitre de grief décider s’il y a ou non lieu qu’elle se récuse est raisonnable. J’estime en outre qu’il n’y a pas eu manquement de la part de la Commission à l’équité procédurale dans le cadre de la procédure ayant mené à cette décision. Je suis donc d’avis qu’il convient de rejeter la demande.

II.                Contexte

[8]               Bien que cela ne soit pas strictement nécessaire pour trancher les questions soulevées dans la présente instance, il demeure utile de décrire les événements qui ont conduit à la présentation de la demande dont la Cour est saisie pour mettre en contexte les points soulevés par la demanderesse en l’espèce. Pour ce faire, je me suis servi principalement des documents figurant dans le dossier de la demanderesse, dont la décision de l’arbitre de grief.

[9]               Premièrement, la demanderesse affirme qu’elle ne s’était pas préparée à participer à la longue séance de médiation qui a commencé dans l’après-midi du 11 février 2009 et qui a duré près de douze heures. Malgré la présence de son avocate, elle dit ne pas avoir bénéficié de conseils.

[10]           Elle dit avoir souffert de migraines, qu’elle était malade et fatiguée, et qu’elle avait faim. Elle s’est sentie obligée de signer le protocole d’entente en raison de la pression que l’arbitre de grief a exercée sur elle, notamment en insistant sur le fait que l’audition des griefs reprendrait le lendemain si l’affaire n’était pas réglée.

[11]           Elle allègue en outre avoir communiqué avec son avocate vers 8 h 15 le 12 février 2009 pour parler de la « négation » du protocole d’entente, mais que celle-ci n’avait été d’aucun secours en ce qu’elle lui avait dit que rien ne pouvait être fait et que cela échappait à son contrôle.

[12]           Les parties ont néanmoins pris des mesures pour donner effet au protocole d’entente. À titre d’exemple, l’employeur a versé à la demanderesse le montant convenu, par chèque, qu’elle a encaissé peu après. Toutefois, selon la demanderesse, l’employeur ne s’est pas conformé aux autres clauses du protocole d’entente selon la compréhension qu’elle avait de celles-ci.

[13]           Le 28 mai 2009, la demanderesse a informé la Commission qu’elle ne serait plus représentée par un avocat et que, comme cela avait été expliqué dans une lettre antérieure, datée du 30 avril 2009, l’[traduction« arbitre de grief, Mme Pineau qui est saisie de l’affaire » devrait intervenir étant donné que l’employeur refuse de se conformer au protocole d’entente. Le 19 juin 2009, l’employeur a répondu que c’était plutôt la demanderesse qui ne se conformait pas au protocole d’entente. Le 17 juillet 2009, l’employeur a demandé que l’arbitre de grief demeure saisi de l’affaire.

[14]           Par une lettre datée du 2 février 2010, l’arbitre de grief a informé la demanderesse que ses griefs seraient suspendus jusqu’à l’issue d’une demande distincte dont la Cour d’appel fédérale était alors saisie, et dans laquelle celle‑ci était appelée à déterminer si un arbitre désigné pour entendre des griefs sous le régime de la Loi conservait compétence à l’égard de différends relatifs à une entente de règlement intervenue entre les parties concernant lesdits griefs. Comme dans le cas de la présente demande, le grief de M. Amos avait été réglé dans le cadre d’un processus de médiation avec l’aide de l’arbitre de grief saisi de son grief, et un protocole d’entente avait été signé. À l’instar de la demanderesse, M. Amos n’avait pas retiré son grief lorsque le différend relatif au protocole d’entente est survenu.

[15]           Pour des raisons qu’elle n’expose pas dans sa lettre, la demanderesse a écrit à la Commission le 26 mars 2010 pour retirer sa demande que l’arbitre de grief intervienne davantage dans l’affaire. Toutefois, l’employeur a maintenu la sienne.

[16]           La demanderesse a été avisée le 6 mai 2010, que [traduction« ses griefs continueraient d’être suspendus en attendant l’issue de l’affaire Amos. Ce n’est qu’après que la Cour d’appel fédérale aura rendu sa décision que l’arbitre de grief Pineau donnera des directives quant à la façon de procéder dans vos dossiers […]. »

[17]           Le 3 février 2011, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans l’affaire Andrew Donnie Amos c. Le procureur général du Canada, 2011 CAF 38, [2012] 4 R.C.F. 67 [Amos]. Cet arrêt confirme la conclusion de l’arbitre portant qu’il a compétence pour examiner l’allégation selon laquelle une partie ne respecte pas un règlement définitif et contraignant, dans les cas où le différend en question est lié à un grief n’ayant pas été retiré par le plaignant.

[18]           Le 18 mai 2011, une téléconférence préparatoire à l’audience a été organisée en vue de discuter de toutes les questions non résolues dans les dossiers de grief de la demanderesse.

[19]           Les 24 et 26 mai 2011, la demanderesse a écrit au président de la Commission pour lui demander de déterminer, [traduction« avant de trancher la question de savoir si les parties s’étaient conformées au protocole d’entente », si ce dernier devait être annulé [traduction] « parce qu’il avait été signé sous l’intimidation, la contrainte, l’influence indue, la coercition, et alors qu’elle souffrait d’incapacités médicales et physiques, et que cela était abusif ». Elle demandait en outre à la Commission de mener [traduction« une enquête au sujet de la conduite de l’arbitre de grief de façon à déterminer si elle avait respecté le principe de l’équité procédurale ».

[20]           La demanderesse a participé à une téléconférence le 6 juin 2011 au cours de laquelle elle a fait savoir qu’elle estimait qu’en ce qui concerne la question de la validité du protocole d’entente, l’arbitre de grief était selon elle dans une situation de conflit d’intérêts en raison des allégations que la demanderesse avait formulées contre l’arbitre (page 32 du dossier de la demanderesse).

[21]           S’étant vu refuser ses demandes informelles adressées au président de la Commission visant à ce qu’un autre arbitre de grief soit désigné pour déterminer la validité du protocole d’entente, la demanderesse a déposé le 17 août 2011 la requête qui a donné lieu à la décision datée du 24 février 2012 (2012 CRTFP 24) faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[22]           Plus tard le même jour, l’arbitre de grief a rendu sa propre décision (répertoriée sous la référence 2012 CRTFP 25) concernant toutes les questions encore non résolues dans les dossiers de grief de la demanderesse, y compris sa demande de récusation. Après avoir analysé les arguments et les éléments de preuve présentés par la demanderesse à l’appui de sa requête datée du 17 août 2011, l’arbitre de grief a rejeté la demande de la demanderesse, déclaré que le protocole d’entente constituait une entente définitive qui liait les parties, et tiré des conclusions au sujet de la question de savoir si les parties s’étaient conformées au protocole d’entente. L’arbitre a aussi ordonné que les neuf dossiers de grief soient fermés.

[23]           La demanderesse, qui agissait pour son propre compte, a eu de la difficulté à déterminer quel tribunal devait être saisi de ses demandes de contrôle judiciaire des décisions susmentionnées. La situation a finalement été clarifiée, et il a été confirmé que la décision de la Commission devait être soumise à l’examen de la Cour d’appel fédérale, alors que la Cour fédérale devait être saisie de la décision de l’arbitre de grief. La Cour fédérale n’a pas encore entendu la demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’arbitre de grief (dossier numéro T-943-12).

III.             Questions en litige

[24]           La demanderesse allègue que la Commission a commis plusieurs erreurs, qu’elle énumère à la page 2 de son mémoire des faits et du droit. Compte tenu de l’objet des observations détaillées qu’elle a présentées lors de l’audience, j’estime que les questions soulevées peuvent être regroupées comme suit :

                                                                (i)                        La Commission a-t-elle interprété erronément les pouvoirs qui lui sont attribués en vertu de l’article 36 de la Loi?

                                                               (ii)                        La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que, même si elle avait le pouvoir d’accueillir la demande de la demanderesse, elle la rejetterait de toute façon au motif qu’il était plus approprié que l’arbitre de grief se prononce sur celle-ci?

                                                             (iii)                        La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas invité la demanderesse à présenter une réponse?

IV.             Loi

[25]           La disposition la plus pertinente de la Loi est l’article 36. Cet article est libellé comme suit :

Pouvoirs et fonctions de la Commission

 

Powers and Functions of the Board

 

36. La Commission met en œuvre la présente loi et exerce les pouvoirs et fonctions que celle-ci lui confère ou qu’implique la réalisation de ses objets, notamment en rendant des ordonnances qui exigent l’observation de la présente loi, des règlements pris sous le régime de celle-ci ou des décisions qu’elle rend sur les questions qui lui sont soumises.

36. The Board administers this Act and it may exercise the powers and perform the functions that are conferred or imposed on it by this Act, or as are incidental to the attainment of the objects of this Act, including the making of orders requiring compliance with this Act, regulations made under it or decisions made in respect of a matter coming before the Board.

[26]           Deux autres dispositions de la Loi sont reproduites à l’annexe A des présents motifs : le paragraphe 224(2), sur lequel la demanderesse s’est appuyée, mais qui ne s’applique pas à un arbitre de grief, ainsi que le paragraphe 226(2).

V.                Analyse

A.                Norme de contrôle

[27]           La demanderesse soutient que la première question en litige soulève une question de compétence, alors que la deuxième constitue un refus d’exercer une compétence. Elle est d’avis que la norme de la décision correcte s’applique dans les deux cas. J’estime que la demanderesse ne qualifie pas correctement ces questions.

[28]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 35, la Cour suprême du Canada met les tribunaux en garde contre la tentation de catégoriser les questions simplement en fonction du fait qu’elles soulèvent une question de compétence et d’ainsi les assujettir à un examen judiciaire plus étendu (voir également l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 34). J’estime que la question de savoir si la Commission a le pouvoir de récuser un arbitre saisi d’un grief n’est pas une véritable question de compétence, pas plus que ne l’était la question dont notre Cour était saisie dans l’arrêt Amos (voir l’arrêt Amos, au paragraphe 24).

[29]           La demanderesse ne met pas en doute que la Commission a le pouvoir d’interpréter la Loi. De fait, il ressort à l’évidence de l’article 36 de la Loi que cette tâche est au cœur de son mandat. Bien qu’elle ait été menée dans un contexte quelque peu différent, j’adopte l’analyse du juge Evans dans l’arrêt Bernard c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 92, [2012] 4 R.C.F. 370, aux paragraphes 32 à 38 (conf. par 2014 CSC 13). Selon moi, la norme déférente de la décision raisonnable est également appropriée en l’espèce compte tenu de l’expertise que possède la Commission pour interpréter sa loi constitutive et de la disposition privative rigoureuse énoncée à l’article 51(1) de la Loi.

[30]           Cette norme s’applique aussi aux questions mixtes de fait et de droit et, plus particulièrement en l’espèce, aux conclusions de la Commission sur la façon dont elle exercerait son pouvoir si, comme il a été soutenu, il lui était loisible de récuser l’arbitre de grief.

[31]           Pour ce qui est de la question de l’équité procédurale, il est bien établi en droit que la norme applicable est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43; Exeter c. Canada (Procureur général), 2011 CF 86, aux paragraphes 16‑17, conf. sur ce point par 2012 CAF 119, au paragraphe 6).

B.                 La Commission a-t-elle interprété erronément l'article 36 de la Loi?

[32]           La demanderesse fait valoir que la Commission a mal compris l’objet de sa requête. Selon elle, cela a donné lieu à une interprétation erronée de la Loi parce que la Commission a centré son attention sur les pouvoirs qu’elle possède à l’égard des « griefs » plutôt que sur son pouvoir de récuser l’arbitre de grief uniquement pour ce qui est de se prononcer sur la validité du protocole d’entente pour manquement à l’équité procédurale (mémoire des faits et du droit de la demanderesse, page 1, paragraphes 6, 20-23 et 33).

[33]           La demanderesse tente de dissocier la compétence de l’arbitre de grief de se prononcer sur la validité du protocole d’entente de sa compétence à l’égard des griefs de la demanderesse. Mais il reste que dans l’arrêt Amos notre Cour a clairement établi que l’arbitre de grief a, du fait qu’il est saisi des griefs, le pouvoir de se prononcer sur le caractère exécutoire du protocole d’entente et le respect de ses modalités.

[34]           Ainsi, bien qu’il eût été préférable que la Commission décrive avec plus de précision la demande de la demanderesse, j’estime qu’elle savait exactement ce que cette dernière sollicitait. La Commission a à juste titre dit que « [f]ondamentalement, Mme Exeter demande la récusation de l’arbitre de grief qui est saisi de ses griefs » (voir le paragraphe 14 de la décision).

[35]           Cela dit, j’estime également que le raisonnement de la Commission est convaincant et qu’il suffit pour trancher la demande, telle que formulée par la demanderesse. La Commission a considéré non seulement sa compétence en matière de « griefs », au regard des allégations de la demanderesse, mais aussi les objectifs de la Loi et l’argument de la demanderesse concernant l’équité procédurale. La décision de la Commission portant qu’elle n’a pas le pouvoir de récuser un arbitre de grief saisi d’une affaire est raisonnable, que la demande de récusation s’applique à tout ou partie des questions non encore résolues dans les dossiers de grief.

[36]           Je ne me pencherai pas davantage sur la question de l’interprétation de l’article 36 étant donné que la Commission a conclu que, même si elle avait le pouvoir de faire droit à la demande de la demanderesse, elle rejetterait sa requête. Cette conclusion suffirait à justifier la décision de la Commission quelle que soit son interprétation de l’article 36. Je vais donc maintenant examiner le caractère raisonnable de cette conclusion.

C.                 Était-il raisonnable que la Commission conclue que, même si elle avait le pouvoir d’accueillir la demande de la demanderesse, elle la rejetterait de toute façon au motif qu’il était plus approprié que l’arbitre de grief se prononce sur celle-ci?

[37]           En ce qui concerne le raisonnement de la Commission sur la question susmentionnée, la demanderesse s’en est tenue à dire que le fait de laisser le soin à l’arbitre de grief de se prononcer sur sa récusation constituait un refus d’exercer son pouvoir de le faire, et qu’elle avait par conséquent commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour. Je ne suis pas d’accord.

[38]           Si la Commission a effectivement le pouvoir de se prononcer sur la demande de la demanderesse, elle a aussi le pouvoir discrétionnaire de refuser de l’exercer lorsqu’elle estime qu’il existe, comme en l’espèce, un autre recours approprié.

[39]           Je conviens avec la Commission que le décideur saisi de l’affaire dans le cadre de laquelle une demande de récusation fondée sur l’existence d’une crainte raisonnable de partialité ou d’un conflit d’intérêts est présentée est mieux en mesure de décider de cette demande. C’est exactement de cette façon que les autres organes décisionnels, y compris les tribunaux, traitent les demandes de récusation : voir par exemple l’arrêt Première Nation Denesuline de Fond du Lac c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 73, 430 N.R. 190; la décision Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CF 533 (juge Mosley); la décision Ihasz v. Ontario, 2013 HRTO 233, [2013] O.H.R.T.D. no 326; la décision Ng v. Bank of Montreal, [2008] C.L.A.D. no 221.

[40]           Dans notre système, on ne peut présumer qu’un décideur ne peut se prononcer de façon équitable sur des demandes de cette nature simplement parce qu’il est allégué qu’il est partial ou qu’il est en conflit d’intérêts. La décision de la Commission ne porte pas atteinte aux droits constitutionnels de la demanderesse ni ne constitue un manquement à son obligation d’agir équitablement, étant donné que la demanderesse avait le droit – qu’elle exerce actuellement – de demander le contrôle de la décision de l’arbitre de grief suivant la norme de la décision correcte. L’application de cette norme garantit que le droit de la demanderesse à ce qu’il soit statué sur sa demande de récusation de façon équitable et impartiale est respecté à tous égards. De fait, toutes les préoccupations de la demanderesse seront examinées par le juge qui entendra sa demande dans le dossier T-943-12.

D.                Équité procédurale

[41]           La demanderesse fait valoir que la Commission l’a privée de ses droits de participation, de sorte qu’elle a manqué à son obligation d’agir équitablement en omettant de communiquer avec elle ou de lui offrir la possibilité de produire une réponse aux observations de l’employeur. Selon elle, cela témoigne aussi du fait que la Commission a agi de façon discriminatoire et a fait preuve de mauvaise foi, étant donné qu’elle a écrit à l’employeur pour lui demander de fournir des observations (paragraphe 46 du mémoire de l’appelante).

[42]           Par lettre datée du 22 septembre 2011, la Commission a fait parvenir une copie de la requête de la demanderesse à l’employeur, qui n’y était pas désigné comme partie défenderesse et qui ne semblait pas en avoir reçu copie. La Commission a aussi fixé un court délai à l’intérieur duquel l’employeur pouvait déposer ses observations, s’il le jugeait indiqué.

[43]           Bien que l’employeur a effectivement déposé de brèves observations, dont copie a été remise à la demanderesse le 29 septembre 2012, il s’en est pour l’essentiel tenu à s’opposer à la requête et à répondre aux arguments présentés par la demanderesse dans les observations écrites qu’elle avait soumises à la Commission. D’ailleurs, dans sa décision, la Commission résume ainsi la thèse de l’employeur « [l]’administrateur général de Statistique Canada s’oppose à la demande, alléguant qu’elle est [traduction] "[…] futile, frivole, vexatoire et de mauvaise foi […]". L’administrateur général nie que l’arbitre de grief a un intérêt dans le règlement des griefs de Mme Exeter. »

[44]           Ces questions ne sont pas nouvelles, et ce sont justement des questions nouvelles qu’une partie est habituellement en droit de réfuter en réplique. Quoi qu’il en soit, il est difficile de comprendre pour quelle raison la demanderesse a cru qu’il était nécessaire qu’on l’invite à répondre aux observations de l’employeur si elle avait de nouveaux et importants points à ajouter. Comme l’a signalé le défendeur, absolument rien n’empêchait la demanderesse, si tel était son souhait, de déposer une réplique au cours de la période de cinq mois qui s’est écoulée entre le dépôt desdites observations et le prononcé de la décision.

[45]           De fait, comme la demanderesse ne soulève pas cette question dans son affidavit, nous ne disposons d’aucun élément de preuve établissant qu’à la date pertinente la demanderesse a cru qu’elle n’avait pas le droit de déposer une réplique. Elle ne précise aucunement ce qu’elle aurait ajouté aux observations détaillées fournies avec le dossier de requête qu’elle a déposé devant la Commission.

[46]           Dans les circonstances, bien qu’il eût peut‑être été préférable que la Commission fasse savoir à la plaignante, qui agissait pour son propre compte, qu’elle pouvait déposer des observations en réplique, si nécessaire, je ne puis conclure que cette omission constitue un manquement à l’équité procédurale.

VI.             Dispositif

[47]           Pour les motifs qui précèdent, il y a lieu de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[48]           Il reste la question des dépens à l’égard de laquelle la demanderesse a fait valoir avec vigueur ses arguments lors de l’audience. Elle a notamment fait valoir que le défendeur a retiré les paragraphes 18 à 20 de ses observations, dans lesquels il avait soutenu, seulement deux jours avant l’audience, qu’il y avait lieu de radier plusieurs des paragraphes de l’affidavit produit par la demanderesse à l’appui de sa demande. Cela lui a causé préjudice étant donné qu’elle s’était déjà préparée à répondre à cet argument à l’audience. Elle fait observer que dans une autre procédure dont la Cour a été saisie (Rachel Exeter c. Procureur général du Canada, 2014 CAF 105 au paragraphe 22), la présentation tardive par le défendeur de la thèse voulant que la demande soit théorique a suffi à justifier qu’aucuns dépens ne lui soient octroyés.

[49]           Chaque instance doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres. Selon moi, il y a une grande différence entre contester les paragraphes d’un affidavit en raison de leur caractère purement argumentatif, ou parce qu’ils se fondent sur du ouï-dire, et soulever un argument de fond comme l’argument du caractère théorique. Cela étant dit, j’estime qu’il y a lieu de limiter le montant des dépens attribués au défendeur. Je propose donc d’octroyer au titre des dépens un montant global de 500 $.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Marc Noël, Juge en chef »

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


Annexe A

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2)

 

Public Service Labour Relations Act (S.C. 2003, c. 22, s. 2)

Conseil d’arbitrage de grief

Composition

Incompatibilité

224. (2) L’appartenance au conseil est incompatible avec tout intérêt, direct ou indirect, à l’égard du grief renvoyé à l’arbitrage, de son instruction ou de son règlement.

Board of Adjudication

Constitution

Ineligibility

224. (2) A person is not eligible to be a member of a board of adjudication if the person has any direct interest in or connection with the grievance referred to the board of adjudication, its handling or its disposition.

 

Médiation

226. (2) En tout état de cause, l’arbitre de grief peut, avec le consentement des parties, les aider à régler tout désaccord entre elles, sans qu’il soit porté atteinte à sa compétence à titre d’arbitre de grief chargé de trancher les questions qui n’auront pas été réglées.

Power to mediate

226. (2) At any stage of a proceeding before an adjudicator, the adjudicator may, if the parties agree, assist the parties in resolving the difference at issue without prejudice to the power of the adjudicator to continue the adjudication with respect to the issues that have not been resolved.

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑301‑12

 

INTITULÉ :

RACHEL EXETER c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 SEPTEMBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Rachel Exeter

 

POUR L’APPELANTE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Léa Bou Karam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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