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Date : 20141113


Dossier : A-104-14

Référence : 2014 CAF 264

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

 

CONSEIL DE LA NATION HURONNE-WENDAT

 

appelant

 

Et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 20 octobre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20141113


Dossier : A-104-14

Référence : 2014 CAF 264

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

 

CONSEIL DE LA NATION HURONNE-WENDAT

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

[1]               Notre Cour est saisie d’un appel d’une décision de Madame la juge Gagné de la Cour fédérale (la juge), rendue en date du 27 janvier 2014. La juge a rejeté une action en dommages et intérêts dans laquelle le Conseil de la Nation Huronne-Wendat (l’appelant) réclamait des dommages au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (Ministère) suite à la décision de ce dernier de plafonner sa contribution au financement du régime de retraite à prestations déterminées des employés de l’appelant.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il y a lieu de rejeter l’appel en cause.

I.                   Le contexte

[3]               Le contexte du litige ainsi que les faits ne font pas problème et aucune conclusion de la juge à leur égard n’est remise en question.

[4]               À la fin des années 1970, le Ministère a décidé de transférer aux différents conseils de bandes indiennes la responsabilité d’offrir différents services gouvernementaux à leurs membres avec l’objectif de créer une fonction publique autochtone. Pour ce faire, le Ministère a décidé de financer la contribution de l’employeur aux différents régimes de retraite, notamment ceux des employés des conseils de bandes.

[5]               En 1979, le Régime des Bénéfices Autochtones, un régime de retraite à prestations déterminées, voit le jour et l’appelant y adhère en 1985.

[6]               En 1991, le Conseil du Trésor, à la demande du Ministère, approuve de nouvelles modalités ainsi que des fonds supplémentaires pour les régimes de retraite des employés des bandes. À cette époque, tous les employeurs ont choisi un régime de retraite à cotisations déterminées à l’exception de quatre employeurs, dont l’appelant, qui ont plutôt opté pour un régime de retraite à prestations déterminées.

[7]               Un régime de retraite à prestations déterminées garantit à l’employé qui y adhère la rente qui lui sera versée au moment de sa retraite. Afin de garantir le montant de la rente au moment de la retraite, les montants qui seront versés par l’employeur et l’employé varieront au fil des années. En revanche, un régime à cotisations déterminées fixe le montant de la cotisation qui sera versée par l’employeur et l’employé jusqu’à l’âge de la retraite de l’employé qui participe à ce régime.

[8]               Dans sa décision de 1991, le Conseil du Trésor établit que le niveau de financement maximum par le Ministère est fixé à 5,5% du salaire de l’employé admissible et que ce dernier doit verser une contribution au moins égale à celle de l’employeur. Toutefois, le Conseil du Trésor considère les quatre régimes à prestations déterminées comme des exceptions. En d’autres termes, le financement du coût réel par le Ministère de la contribution de l’employeur est maintenu pour les régimes à prestations déterminées. (décision du Conseil du Trésor (1991), D.A. onglet 25 aux p. 350 et 419).

[9]               La situation demeure inchangée jusqu’en 2005. Cette année-là, le Conseil du Trésor approuve une nouvelle politique : le programme des avantages sociaux des employés des bandes (PASEB). La politique du PASEB réitère le plafonnement de la contribution de financement du Ministère à 5,5% mais maintient l’exception de 1991 pour les régimes de retraite à prestations déterminées.

[10]           En 2007, le bureau régional du Ministère est informé par le bureau central du Ministère qu’il n’y aura pas davantage de fonds d’alloués afin de financer le coût réel de la contribution de l’employeur aux régimes à prestations déterminées. Face à cette situation, le bureau du Ministère choisit de plafonner le financement de la contribution de l’employeur aux régimes de retraite à prestations déterminées. En prenant cette décision le 1er avril 2008, le Ministère cesse donc de financer le coût réel du régime à prestations déterminées de l’appelant et le financement est plafonné en fonction de la masse salariale.

[11]           Cette décision du bureau régional du Ministère occasionne dans les années subséquentes un manque à gagner pour l’appelant. Si ce manque à gagner est plutôt faible pour les années 2008-2009, il devient substantiel pour les années 2010, 2011 et 2012. L’appelant intente alors une action en dommages-intérêts devant la Cour fédérale afin de récupérer le montant correspondant au manque à gagner pour les années 2008-2013.

II.                Les motifs de la juge de première instance

[12]           Dans ses motifs, la juge a tout d’abord écarté le moyen préliminaire soulevé par le Ministère selon lequel l’appelant aurait dû procéder en premier lieu par voie de contrôle judiciaire dans les délais prévus au paragraphe 18.1 (2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. En se fondant notamment sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 RCS 585, la juge rejette l’argument du Ministère et décide que, dans le cadre d’un recours en dommages-intérêts fondé principalement sur une faute contractuelle, l’appelant n’était pas tenu de procéder par voie de contrôle judiciaire.

[13]           Poursuivant son analyse sur la question de la faute contractuelle du Ministère, la juge refuse de conclure que l’autorisation du Conseil du Trésor et la politique du PASEB sont sources d’obligations contractuelles. Plus particulièrement, selon la juge, les termes de la politique du PASEB approuvés par le Conseil du Trésor ne recèlent pas la « rencontre de volontés sur les éléments essentiels du contrat » (motifs de la juge au paragraphe 37) et ne révèlent aucun engagement unilatéral de la part du Ministère (motifs de la juge au paragraphe 42). Sur la base de son interprétation du contenu de la politique du PASEB, la juge rejette l’argument de l’appelant voulant que le non-respect de l’engagement qui y serait prévu engendrerait la responsabilité extracontractuelle du Ministère (motifs de la juge au paragraphe 53).

[14]           Abordant ensuite la question des Ententes Globales de Financement (EGF), par lesquelles est transféré l’ensemble du financement accordé à l’appelant par le Ministère, la juge mentionne que la politique du PASEB est mise en œuvre par le biais de ces ententes. La juge conclut que les EGF en cause ne révèlent pas d’engagement de la part du Ministère d’assumer le coût réel de la part de l’appelant au régime de retraite de ses employés et qu’elles ne renferment aucune des caractéristiques d’un contrat unilatéral ou d’un contrat d’adhésion (articles 1372, 1380 et 1435 à1437 du Code civil du Québec).

[15]           Devant notre Cour, le débat juridique s’est modifié en ce que certaines questions qui étaient devant la juge en première instance ne sont plus remises en cause et des arguments ont été abandonnés. Ainsi, la conclusion de la juge selon laquelle l’appelant ne devait pas procéder par voie de contrôle judiciaire n’est pas contestée en appel par le Ministère. De son côté, l’appelant a informé notre Cour lors de sa plaidoirie qu’il abandonnait son argument relativement à la faute extracontractuelle du Ministère.

III.             Questions en litige

[16]           Le présent appel soulève donc les deux questions suivantes :

  1. La juge a-t-elle erré en concluant que ni la décision du Conseil du Trésor autorisant la politique du PASEB, ni les Ententes globales de financement entre les deux parties ne créaient un engagement contractuel du Ministère d’assumer le coût réel de la contribution de l’appelant au régime de retraite à prestations déterminées de ses employés?

2.      La juge a-t-elle erré en omettant de conclure que le Ministère avait pris un engagement formel d’adopter une éventuelle recommandation de l’actuaire concernant la variation du taux de contribution de l’employeur?

IV.             Analyse

A.                La juge a-t-elle erré en concluant que ni la décision du Conseil du Trésor autorisant la politique PASEB, ni les Ententes globales de financement entre les deux parties ne créaient un engagement contractuel du Ministère d’assumer le coût réel de la contribution de l’appelant au régime de retraite à prestations déterminées de ses employés?

[17]           La norme de contrôle à appliquer aux conclusions de droit de la juge est celle de la décision correcte. Par ailleurs, les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit de la juge sont soumises à la norme de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

[18]           Devant notre Cour, l’appelant allègue essentiellement que le Ministère avait une obligation contractuelle en vertu de la décision du Conseil du Trésor autorisant la politique du PASEB de continuer à assumer le coût réel, soit la totalité de sa contribution de l’employeur au régime de retraite à prestations déterminées. Le Ministère aurait donc commis une faute contractuelle en plafonnant le financement de la contribution de l’employeur au régime de retraite à prestations déterminées car l’intention du Conseil du Trésor est reflétée dans le PASEB.

[19]           La politique du PASEB étant autorisée par la décision du Conseil du Trésor en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11, il importe donc à mon avis de déterminer si la politique du PASEB est source d’engagement contractuel pour répondre à la première question.

[20]           Une lecture attentive de la politique du PASEB suffit à me convaincre qu’elle définit et encadre l’exercice du pouvoir qui est octroyé au Ministère, sans plus. Les termes employés dans les sections intitulées « Aperçu du programme » et dans l’annexe 3 comme « peut verser », « peut participer » et « peut s’effectuer » démontrent que la politique du PASEB ne peut être qualifiée de contrat ou d’engagement contractuel unilatéral, comme l’allègue l’appelant. Affirmer le contraire constitue à donner au texte une interprétation qu’il ne saurait avoir.

[21]           Plus particulièrement, si le texte de la politique du PASEB autorise le Ministère à verser une contribution maximale de 5,5% à un employeur admissible, je ne puis affirmer qu’elle l’y oblige et je suis d’accord avec la juge que « rien ne s’oppose à ce qu’il [le Ministère] verse un montant inférieur » (motifs de la juge au paragraphe 42). Le statu quo ante préservé par les décisions du Conseil du Trésor en 1991 et en 2005, auquel réfère l’appelant, permet en fait aux régimes à prestations déterminées de continuer à exister dans leur forme et ne peut être interprété comme une obligation de la part du Ministère de financer le coût réel de la contribution de l’appelant.

[22]           Je suis donc d’avis que la juge n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de la décision du Conseil du Trésor et de la politique du PASEB.

[23]           Le lien contractuel qu’allègue l’appelant existe, mais il se retrouve plutôt dans les EGF (D.A. onglets 29 et 30). En effet, la politique du PASEB est mise en œuvre pour une période déterminée par le biais d’EGF. Ce sont les EGF qui donnent effet au transfert de financement accordé à l’appelant par le Ministère. Si l’appelant n’allègue aucun manquement aux EGF de la part du Ministère, il soutient toutefois que les EGF sont des contrats d’adhésion et qu’elles ne respectent pas l’esprit de la décision du Conseil du Trésor dans la présente affaire. Je ne peux souscrire à cet argument.

[24]           Comme l’a souligné la juge, les EGF en question ont été conclues et signées en toute connaissance de cause par les parties prenantes et je suis d’accord avec la juge qu’elles ne contiennent pas les attributs propres au contrat d’adhésion (motifs de la juge au paragraphe 44). Au surplus, la juge a bien noté que « dans les EGF signées après le 1er avril 2008, les montants du financement du PASEB sont fixés en fonction du plafonnement, tel qu’interprété pas le Ministère, soit à environ 90% de la masse salariale des employés admissibles » (motifs de la juge au paragraphe 41). Tel que je l’ai indiqué précédemment, aucun engagement relatif au niveau du financement du coût réel du régime à prestations déterminées ne se dégage de la décision du Conseil du Trésor et de la politique du PASEB. L’appelant ne m’a pas convaincu que la juge a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les parties étaient liées par les EGF et que ces dernières ne sont pas contraires à l’esprit de la décision du Conseil du Trésor et de la politique du PASEB.

B.                 La juge a-t-elle erré en omettant de conclure que le Ministère avait pris un engagement formel d’adopter une éventuelle recommandation de l’actuaire concernant la variation du taux de contribution de l’employeur?

[25]           Bien que l’appelant n’invoque plus en appel la faute extracontractuelle du Ministère, il allègue néanmoins que ce dernier aurait commis une faute en faisant défaut de modifier le niveau de sa contribution suite à une recommandation de l’actuaire (mémoire de l’appelant au paragraphe 41). Cette question n’est que brièvement abordée par la juge dans ses motifs au paragraphe 54 :

Toutefois et tel qu’indiqué plus haut, puisque le Ministère n’est pas l’employeur et qu’il n’a aucun contrôle sur la masse salariale, ni sur quelque mesure réductrice pouvant être prise pour combler un déficit d’opération ou un déficit de solvabilité du régime, sa décision de plafonner son financement comme il l’a fait en 2008, particulièrement s’il assume toute variation au taux de contribution de l’employeur recommandée par l’actuaire, est raisonnable et elle s’inscrit dans le cadre d’une saine gestion des fonds publics.

[26]           Le Ministère explique la brièveté des motifs sur ce point par le fait que cet élément n’aurait été que partiellement élaboré devant la juge. Quoi qu’il en soit, il se dégage des documents que le Ministère était prêt à considérer des ajustements proposés par l’actuaire et non qu’il les suivrait sans équivoque (D.A., vol. 1, onglets 6, 17, 18 et vol. 3, onglet 44). Les termes employés dans la documentation, jumelés à la preuve fragmentaire au dossier sur cette question, ne vont pas dans le sens de l’interprétation avancée par l’appelant. Je suis donc d’avis qu’il n’existe pas d’engagement formel de la part du Ministère d’adopter une éventuelle recommandation de l’actuaire.

[27]           Pour tous ces motifs, je propose de rejeter l’appel avec dépens en faveur de l’intimée.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

M. Nadon j.c.a. »

« Je suis d’accord.

A.F. Scott j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-104-14

 

INTITULÉ :

CONSEIL DE LA NATION HURONNE-WENDAT c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 octobre 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Serge Belleau

Kateri Vincent

 

Pour l'appelant

CONSEIL DE LA NATION HURONNE-WENDAT

 

Mireille-Anne Rainville

Louis-Alexandre Guay

 

Pour l'intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GAGNÉ LETARTE SENCRL

Québec (Québec)

 

Pour l'appelant

CONSEIL DE LA NATION HURONNE-WENDAT

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l'intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

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