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Date : 20141120


Dossier : A-209-14

Référence : 2014 CAF 270

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 

 

ENTRE :

LE COMMISSAIRE À L'INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC

appelant (défendeur)

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(défendeur)

et

SYLVAIN MARCHAND

intimé (demandeur)

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20141120


Dossier : A-209-14

Référence : 2014 CAF 270

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 

 

ENTRE :

LE COMMISSAIRE À L'INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC

appelant (défendeur)

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(défendeur)

et

SYLVAIN MARCHAND

intimé (demandeur)

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1]               Dans cet appel, le commissaire à l’intégrité du secteur public (le Commissaire) conteste la décision du juge Annis de la Cour fédérale rejetant son appel de la décision de la protonotaire Tabib tout en modifiant les paragraphes 2 à 6 de ladite ordonnance. Le Commissaire nous demande de casser la décision du juge et d’accueillir son appel de la décision de la protonotaire.

[2]               Dans son ordonnance portant sur une requête du demandeur en vertu des paragraphes 317, 318 et 359 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), la protonotaire ordonne au Commissaire de transmettre aux procureurs des parties certains documents en sa possession qui n’étaient pas devant le décideur (paragraphe 2 de l’ordonnance) et prévoit que ceux ci ne devront pas les dévoiler à quiconque y inclus leurs clients jusqu’à ordonnance contraire de la Cour (ordonnance, paragraphe 3). La protonotaire met aussi en place un processus pour la gestion de l’instance et de l’information confidentielle (aux paragraphes 4 et 5) et elle accorde leurs dépens au Commissaire et au procureur général du Canada parce que l’argument retenu pour faire droit à la demande de divulgation « n’avait pas été soulevé dans le dossier de requête » (paragraphe 6).

[3]               La question devant la protonotaire n’en était pas une ayant une influence déterminante sur l’issue de la demande de contrôle judiciaire. Dans les circonstances, le juge ne pouvait modifier l’ordonnance de la protonotaire que si celle-ci avait exercé « son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits » (Z. I. Pompey Industrie c. ECU-Line, 2003 FC 27, [2003] 1 S.C.R. 450 au paragraphe 18).

[4]               Pour obtenir la divulgation de documents qui n’étaient pas devant le Commissaire lorsqu’il a pris sa décision, le demandeur devait établir que les documents recherchés sont pertinents au sens de la Règle 317. Premièrement, puisque règle générale, un contrôle judiciaire doit être décidé sur la base de l’information devant le décideur au moment de sa prise de décision, le demandeur devait avoir soulevé dans sa demande un motif de contrôle qui permettrait à la Cour de prendre en compte des éléments de preuve qui n’étaient pas devant le Commissaire. Ces exceptions au principe général sont bien établies dans la jurisprudence. Dans l’espèce, la seule exception pertinente était un manquement à l’équité procédurale, soit –la partialité de l’enquêteur qui aurait entaché tout le processus d’enquête. Deuxièmement, le motif de contrôle invoqué devait avoir un fondement factuel étayé par une preuve appropriée au besoin (Access Information Agency Inc. c. Canada (Transports), 2007 CAF 224, [2007] A.C.F. no 814, paragraphes 17 à 21). Ce dernier critère est particulièrement important puisqu’il permet d’éviter qu’un demandeur invoque un manquement à l’équité procédurale simplement pour avoir accès à des documents auxquels il ne pourrait avoir accès autrement.

[5]               Devant nous et devant le juge, le Commissaire a fait valoir que la protonotaire n’a pas appliqué ce test. Toujours selon le Commissaire, la protonotaire a erré compte tenu que la pertinence de l’intégralité des témoignages est hautement spéculative et consistait essentiellement à se demander si les documents recherchés « pourraient révéler » une partialité dans la conduite de l’enquête. Il ajoute qu’elle n’a pas non plus considéré le véritable objectif du demandeur tel que spécifié dans son affidavit qui indique que ces informations étaient nécessaires afin qu’il puisse « attaquer la force probante et la véracité des plaintes déposées à son égard ».

[6]               Je comprends des paragraphes 30 à 38 des motifs du juge qui traite de ce qu’il décrit comme la première question (2004 FC 329) qu’il a conclu qu’eu égard au test applicable, la protonotaire avait suffisamment de preuve devant elle pour justifier sa décision de donner « droit à une divulgation supplémentaire sur la base des allégations de partialité de l’enquêteur ». Le Commissaire ne m’a pas persuadée que le juge a erré en concluant ainsi. Je ne partage pas la crainte du Commissaire que la décision de la protonotaire aura pour effet d’ouvrir grande la porte à des «expéditions de pêche». La trame factuelle très particulière de cette affaire et les documents devant la protonotaire permettaient à cette dernière d’exercer sa discrétion comme elle l’a fait. Il ne s’agissait pas ici d’une simple «expédition de pêche».

[7]               Quant à la question du véritable objectif poursuivi par le demandeur, ni le juge ni la protonotaire n’avait à en traiter puisque la divulgation de l’information supplémentaire n’a pas pour effet de rendre admissible une preuve qui ne l’est pas autrement. La règle générale déjà mentionnée au paragraphe 4 ci-dessus continue de s’appliquer quant à la preuve qui peut être considérée par le juge. Donc, le juge du fond ne pourra tenir compte de l’information supplémentaire qui sera ultimement incluse dans les dossiers des parties aux termes des Règles 309 et 310 que pour décider s’il y eu un manquement à l’équité procédurale en l’espèce.

[8]               Pour ce qui est de la pertinence de l’intégralité des témoignages, cette question pourra être traitée dans le cadre du processus mis en place par la protonotaire. Le Commissaire aura l’opportunité de faire ses représentations à ce sujet à ce moment-là et de s’assurer que la confidentialité de cette information soit protégée le cas échéant.

[9]               Seul les défendeurs en avaient appelé de l’ordonnance de la protonotaire et ils contestaient le droit du demandeur à la divulgation de l’information recherchée. Le demandeur n’avait pas fait d’appel incident et ne contestait pas les modalités prévues aux paragraphes 2 à 6 de l’ordonnance. Donc, après avoir conclu que la protonotaire n’avait pas erré en ordonnant la divulgation, le juge aurait dû rejeter l’appel purement et simplement, renvoyant le tout à la protonotaire afin qu’elle puisse modifier son ordonnance pour y inclure un nouvel échéancier.

[10]           Le Commissaire prétend qu’en plus d’avoir erré en modifiant les paragraphes 2 à 6 de l’ordonnance du protonotaire sans que ces questions aient été devant lui, le juge en appel a aussi erré en soulevant les questions 2 et 3 (voir paragraphe 20 des motifs) dont il s’est servi pour commenter sur des questions fondamentales qui devront être décidées par le juge au fond et qui n’ont pas fait l’objet d’un débat contradictoire devant lui. Le Commissaire a aussi souligné plusieurs exemples de conclusions de fait tirées par le juge à même le dossier certifié sans que les parties n’aient eu l’opportunité de présenter toute la preuve pertinente sur ces sujets à ce stade préliminaire du dossier.

[11]           Le demandeur convient que c’est le juge qui a soulevé ces questions de son propre chef, mais selon lui, il l’a fait pour faire avancer le dossier, puisque ces questions fondamentales seront pertinentes et les commentaires du juge utiles lorsque l’affaire sera entendue au mérite, sinon avant.

[12]           Dans une toute récente décision (R. c Mian, 2014 CSC 54, [2014] A.C.S. no 54 [Mian]), la Cour suprême du Canada rappelle de quelle façon et dans quel contexte une cour d’appel peut soulever de nouveaux moyens d’appel ou d’autres questions de son propre chef. Il n’est pas utile d’examiner tous les arguments soulevés par le Commissaire à ce sujet. Il suffit en effet de souligner à nouveau que lorsqu’une cour d’appel exerce son pouvoir discrétionnaire de soulever une nouvelle question et de trancher l’affaire sur cette base, elle doit en avoir informé les parties en temps utile pour leur permettre de présenter toutes leurs observations (Mian, paragraphe 54 à 59). Elle doit aussi être convaincue qu’il y a suffisamment d’éléments au dossier pour la trancher (Mian, paragraphe 51) et que l’une ou l’autre des parties ne subirait un préjudice d’ordre procédural (Mian, paragraphe 52).

[13]           J’ajouterai qu’ il est souvent plus préjudiciable qu’utile de commenter à un stade interlocutoire sur des questions qui seront devant le juge du fond, surtout lorsque, comme dans l’espèce, les réponses à ces questions dépendront du contexte et des faits qui devront être établis à la satisfaction du juge du fond.

[14]           Pour ces motifs, je suis d’avis que cette Cour doit intervenir en cassant la décision du juge et en rendant la décision qu’il aurait dû rendre, soit de rejeter l’appel de l’ordonnance de la protonotaire avec dépens.

[15]           Je propose donc que l’appel soit accueilli en partie. Compte tenu du résultat partagé, chaque partie devrait assumer ses frais. 

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

         Marc Noël, Juge en chef »

« Je suis d’accord

         A.F. Scott, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-209-14

 

INTITULÉ :

LE COMMISSAIRE À L’INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC C. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET SYLVAIN MARCHAND

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 novembre 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 novembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Benoit Duclos

 

Pour le DEMANDEUR/L’INTIMÉ

SYLVAIN MARCHAND

 

Me Monica Song

 

Pour le défendeur/L’APPELANT

LE COMMISSAIRE À L'INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LETELLIER GOSSELIN

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le DEMANDEUR/L’INTIMÉ

SYLVAIN MARCHAND

 

DENTONS CANADA LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur/L’APPELANT

LE COMMISSAIRE À L'INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC

 

 

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