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Date : 20141127


Dossier : A-438-13

Référence : 2014 CAF 279

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

appelante

 

et

 

CAISSE DESJARDINS DE QUÉBEC

 

intimée

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 4 novembre 2014.

Jugement rendu à Ottawa, le 27 novembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

 

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20141127


Dossier : A-438-13

Référence : 2014 CAF 279

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

appelante

 

et

 

CAISSE DESJARDINS DE QUÉBEC

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF NOËL

[1]               Il s’agit d’un appel dirigé à l’encontre d’une décision rendue par le juge Archambault de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la CCI) accueillant l’appel de la Caisse Desjardins de Québec (la Caisse) à l’encontre d’une cotisation émise en vertu du paragraphe 317(3) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (la Loi).

[2]               Cette cotisation découle du fait que la Caisse n’a pas obtempéré à une demande formelle de paiement (demande formelle) relative à la taxe sur les produits et services due par la débitrice fiscale, Café de la Paix (1980) inc. (la débitrice fiscale) et a pour effet de rendre la Caisse responsable de cette dette fiscale jusqu’à concurrence du montant qui était dû à cette dernière par la débitrice fiscale au moment de la réception de la demande formelle.

[3]               Le paragraphe 317(3) de la Loi se lit comme suit :

317. (3) Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout texte législatif fédéral à l’exception de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, tout texte législatif provincial et toute règle de droit, si le ministre sait ou soupçonne qu’une personne est ou deviendra, dans les douze mois, débitrice d’une somme à un débiteur fiscal, ou à un créancier garanti qui, grâce à un droit en garantie en sa faveur, a le droit de recevoir la somme autrement payable au débiteur fiscal, il peut, par avis écrit, obliger la personne à verser au receveur général tout ou partie de cette somme, immédiatement si la somme est alors payable, sinon dès qu’elle le devient, au titre du montant dont le débiteur fiscal est redevable selon la présente partie. Sur réception par la personne de l’avis, la somme qui y est indiquée comme devant être versée devient, malgré tout autre droit en garantie au titre de cette somme, la propriété de Sa Majesté du chef du Canada, jusqu’à concurrence du montant dont le débiteur fiscal est ainsi redevable selon la cotisation du ministre, et doit être versée au receveur général par priorité sur tout autre droit en garantie au titre de cette somme.

317. (3) Despite any other provision of this Part, any other enactment of Canada other than the Bankruptcy and Insolvency Act, any enactment of a province or any law, if the Minister has knowledge or suspects that a particular person is, or will become within one year, liable to make a payment

(a) to a tax debtor, or

(b) to a secured creditor who has a right to receive the payment that, but for a security interest in favour of the secured creditor, would be payable to the tax debtor,

the Minister may, by notice in writing, require the particular person to pay without delay, if the moneys are payable immediately, and in any other case as and when the moneys become payable, the moneys otherwise payable to the tax debtor or the secured creditor in whole or in part to the Receiver General on account of the tax debtor’s liability under this Part, and on receipt of that notice by the particular person, the amount of those moneys that is so required to be paid to the Receiver General shall, despite any security interest in those moneys, become the property of Her Majesty in right of Canada to the extent of that liability as assessed by the Minister and shall be paid to the Receiver General in priority to any such security interest.

[4]               La question en litige consiste à déterminer si le juge de la CCI a eu raison de conclure que les montants dus par la Caisse à la débitrice fiscale avaient déjà été assujettis à la compensation légale en vertu de l’article 1673 du Code civil du Québec (C.c.Q.) au moment de la réception de la demande formelle de sorte qu’elle n’était redevable d’aucun montant envers la débitrice fiscale au moment de la réception de la demande formelle.

[5]               Pour les motifs exposés ci-après, je suis d’avis que c’est à bon droit que le juge de la CCI a conclu que la compensation s’était déjà opérée entre les montants dus par la Caisse à la débitrice fiscale et ceux dus par la débitrice fiscale à la Caisse et que, par conséquent, la demande formelle était sans objet. Cependant, j’en arrive à cette conclusion pour des motifs qui diffèrent en partie de ceux du juge de la CCI.

[6]               Les faits ne sont pas contestés et je m’en remets à cet égard au sommaire qu’en fait le juge de la CCI aux paragraphes 5 à 9 de ses motifs. Seule la question à savoir s’il y a eu compensation légale en temps utile fait l’objet d’un litige. Les paragraphes 4 et 6 du contrat de crédit variable intervenu entre la Caisse et la débitrice fiscale sont au cœur du problème :

4. DEMANDE DE REMBOURSEMENT

La caisse se réserve le privilège d’exiger en tout temps le remboursement immédiat de tout solde dû en capital, intérêts, frais et accessoires. La caisse aura alors la faculté de ne plus donner suite au contrat, sous réserve de tous ses autres droits et recours.

6. DÉFAUT

Si l’emprunteur tire un chèque qui porte le solde de l’ouverture de crédit à un montant supérieur à celui qu’autorise le présent contrat, s’il fait faillite, s’il cède ses biens ou devient insolvable ou encore s’il n’observe pas l’une ou l’autre des conditions et obligations convenues aux présentes, tout solde alors dû en capital, intérêts, frais et accessoires deviendra immédiatement exigible.

[Je souligne.]

[7]               Il y a aussi lieu de mentionner la clause 2 qui prévoit que dès que le compte courant de la débitrice fiscale est approvisionné d’une somme excédant 10,000 $, pareille somme sera débitée par la Caisse en paiement du solde de la marge de crédit dont disposait la débitrice fiscale.

[8]               Comme l’indique le juge de la CCI, deux dispositions législatives sont en cause en regard de la compensation légale, à savoir :

Article 1673 du Code civil du Québec, RLRQ, c. C-1991 :

1673. La compensation s’opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l’une ou l’autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d’argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce.

1673. Compensation is effected by operation of law upon the coexistence of debts that are certain, liquid and exigible and the object of both of which is a sum of money or a certain quantity of fungible property identical in kind.

Une partie peut demander la liquidation judiciaire d’une dette afin de l’opposer en compensation.

A party may apply for judicial liquidation of a debt in order to set it up for compensation.

Article 69 de la Loi sur les coopératives de services financiers, RLRQ, ch. C‑67.3 :

69. Une coopérative de services financiers peut retenir, pour le remboursement de toute créance certaine, liquide et exigible qu’elle détient contre un membre ou un déposant, les sommes qu’elle lui doit et en faire la compensation, sauf lorsqu’il s’agit du remboursement des parts de qualification qu’elle a émises.

69. A financial services cooperative may, to obtain payment of any specific, liquid and exigible claim it has against a member or depositor, withhold any sum of money it owes to the member or depositor and use it to compensate its claim, except in the case of the redemption of qualifying shares issued by it.

[9]               Parmi les cinq conditions qui sont nécessaires à l’application de la compensation légale, soit la réciprocité de deux dettes; leur fongibilité, leur certitude, leur liquidité et leur exigibilité, seule la dernière est contestée. Plus précisément, la Couronne accepte que les sommes déposées par la débitrice fiscale dans le compte bancaire qu’elle détenait auprès de la Caisse étaient exigibles en tout temps. Elle prétend cependant que le montant correspondant dû par la débitrice fiscale à l’appelante en vertu du contrat de crédit variable ne l’était pas.

[10]           Selon la Couronne, les clauses 4 et 6 du contrat de crédit variable doivent être lues de façon harmonieuse et le libellé de ces dispositions démontre sans équivoque que dans les situations non prévues à la clause 6, la créance de la Caisse n’est pas exigible à moins d’un avis.

[11]           Le juge de la CCI a reconnu que ces deux clauses, lorsque lues selon les principes d’interprétation énoncés au C.c.Q. (i.e. selon les règles de l’art), ont l’effet préconisé par la Couronne (motifs au paragraphe 14). Il a cependant jugé que la clause 6 est le fruit d’une erreur de rédaction (motifs aux paragraphes 16 et 20). Faisant abstraction de la clause 6 et s’en remettant à la clause 4, le juge de la CCI a conclu que le solde dû, soit le « capital, intérêts et accessoires » était exigible en tout temps (motifs au paragraphe 15).

[12]           Le juge de la CCI a écarté la clause 6 du contrat au motif que les parties n’ont jamais eu l’intention d’y souscrire. Il a tiré cette conclusion même si ni l’une ni l’autre s’est dite victime d’une telle erreur. De fait, la débitrice fiscale n’a pas comparu et la Caisse a maintenu devant le juge de la CCI (motifs au paragraphe 18), et maintient toujours, que la clause 6 fait bel et bien partie du contrat. De fait, l’avocat de la Caisse a confirmé lors de l’audition que la clause 6 s’inscrit dans le cadre d’un contrat-type, ce qui exclu, à toutes fins pratiques, l’idée que la clause 6 puisse être le fruit d’une erreur.

[13]           Dans ces circonstances, le juge de la CCI ne pouvait résoudre le problème d’interprétation contractuelle auquel il était confronté en faisant abstraction de la clause trouble. Il devait comme le propose les parties s’en remettre aux principes d’interprétation énoncés au C.c.Q. notamment à son article 1428 qui stipule qu’une clause s’entend dans le sens qui lui confère un effet utile plutôt que dans celui qui n’en produit aucun. Il devait aussi tenter d’interpréter les clauses les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier (article 1427 C.c.Q.).

[14]           L’interprétation proposée par la Couronne donne effet à ce principe. Selon cette interprétation, les montants dont fait état la clause 4 ne sont pas exigibles en l’absence d’une demande de paiement hormis les trois cas prévus à la clause 6 – faillite, insolvabilité ou non conformisme au contrat – lesquels rendent les montants exigibles sans préavis.

[15]           La Caisse pour sa part fonde son interprétation sur la jurisprudence en la matière, notamment la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Syndicat d’épargne des épiciers du Québec (In re), (1975) C.A. 599, SOQUIJ AZ-75011180. Cette décision précise qu’une dette payable sur demande est exigible en tout temps et qu’une demande de paiement n’est nécessaire qu’afin de mettre le débiteur en demeure de payer (voir au même effet In Re Hil-A-Don Ltd. : Bank of Montreal c. Kwiat, [1975] C.A. 157). Selon la Caisse, c’est dans cet esprit que doivent se lire les clauses 4 et 6 du contrat de crédit variable.

[16]           Je reconnais qu’une dette payable sur demande est exigible en tout temps. Il demeure cependant que les parties à un contrat peuvent s’entendre pour déroger à cette règle si telle est leur intention et qu’elles l’expriment clairement (Société canadienne des postes c. Morel, [2004] 2 JQ 2405 [Morel]).

[17]           La question qui se pose ici est de savoir si c’est ce que les parties entendaient faire en stipulant à la clause 6 que le solde dont fait état la clause 4, “deviendra immédiatement exigible” que dans les trois cas qui y sont prévus. Comme le souligne la Couronne, un sens quelconque doit être donné à ces mots.

[18]           À mon avis, une lecture du contrat dans son ensemble et de ces deux clauses en particulier mène à la conclusion que les parties ont prévu que le solde en question sera exigible sans préavis ou demande lorsque s’avère l’un ou l’autre des trois cas prévus à la clause 6. Il s’ensuit qu’autrement (i.e. hormis les trois cas), un préavis ou une demande est requise afin de rendre le solde exigible. Selon moi, il y a ici dérogation non équivoque au sens de l’arrêt Morel puisque le contrat ne peut être lu autrement.

[19]           Conséquemment, la Caisse ne peut se dégager de la responsabilité qui lui incombe en vertu du paragraphe 317(3) de la Loi au seul motif que les sommes prévues à la clause 4 étaient exigibles en tout temps.

[20]           Le juge de la CCI a cependant retenu un motif alternatif pour justifier sa conclusion. S’en remettant à cette même clause 6, il a conclu que la débitrice fiscale est devenue insolvable à un moment qui précède la signification de la demande formelle en date du 24 janvier 2011, rendant ainsi la créance de la Caisse exigible selon les termes de ladite clause avant cette date (motifs aux paragraphes 21 à 27).

[21]           La Couronne s’attaque aussi à cette conclusion dans le cadre du présent appel. Selon elle, les documents sur lesquels se fonde le juge de la CCI pour conclure à l’insolvabilité de la débitrice fiscale n’en font pas « une nette démonstration » (mémoire de la Couronne au paragraphe 53). Une meilleure preuve aurait été requise pour conclure à l’insolvabilité de la débitrice fiscale.

[22]           Avec égard, la question à savoir si la débitrice fiscale était en état d’insolvabilité avant le 24 janvier 2011 en est une de fait. La conclusion tirée par le juge de la CCI en réponse à cette question ne peut être écartée en l’absence d’une erreur manifeste et dominante. Aucune telle erreur n’a été démontrée.

[23]           L’argument principal de la Couronne à l’encontre de la conclusion tirée par le juge de la CCI tient du fait que la Caisse a continué à effectuer des avances de crédit après le 24 janvier 2011. Cependant, comme le souligne le juge de la CCI, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3 (paragraphe 50.4(1)) obligeait la Caisse de continuer à respecter les termes régissant la marge de crédit même s’il y avait insolvabilité à compter du 25 janvier 2011, date à laquelle la débitrice fiscale a déposé un avis d’intention de faire une proposition, (motifs au paragraphe 24).

[24]           Par ailleurs, les motifs étayés du juge de la CCI démontre, preuve à l’appui, l’existence d’une inférence grave, précise et concordante à l’effet que la débitrice fiscale était en état d’insolvabilité en date du 24 janvier 2011. Aucune erreur n’a été démontrée sur ce plan.

[25]           Je rejetterais donc l’appel avec dépens.

« Marc Noël »

Juge en chef

« Je suis d’accord

               Johanne Gauthier j.c.a. »

« Je suis d’accord

               Richard Boivin j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-438-13

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. CAISSE DESJARDINS DE QUÉBEC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 novembre 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Christian Boutin

 

 

Pour l'appelante

 

Reynald Auger

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larivière Meunier (Revenu Québec)

Québec (Québec)

 

Pour l'appelante

 

KSA, avocats , s.e.n.c.r.l.

Lévis (Québec)

 

Pour l'intimée

 

 

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