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Date : 20141125

Dossier : A‑399‑13

Référence : 2014 CAF 277

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

ENTRE :

BANDE INDIENNE DE COLDWATER et LE CHEF HAROLD ALJAM, agissant en sa qualité de chef de la bande de Coldwater au nom de tous les membres de la bande de Coldwater

appelants/intimés dans l'appel incident

et

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

intimé

 

et

 

KINDER MORGAN CANADA INC.

 

intimée/appelante dans l'appel incident

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 25 novembre 2014.

Jugement prononcé à l'audience à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 25 novembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE NADON



Date : 20141125

Dossier : A‑399‑13

Référence : 2014 CAF 277

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

ENTRE :

BANDE INDIENNE DE COLDWATER et LE CHEF HAROLD ALJAM, agissant en sa qualité de chef de la bande de Coldwater au nom de tous les membres de la bande de Coldwater

appelants/intimés dans l'appel incident

et

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

intimé

 

et

 

KINDER MORGAN CANADA INC.

 

intimée/appelante dans l'appel incident

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l'audience à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 25 novembre 2014)

LE JUGE NADON

[1]               La Cour est saisie de l'appel et de l'appel incident à l’encontre d'une décision du 7 novembre 2013 (2013 CF 1138) par laquelle le juge Hughes de la Cour fédérale (le juge de première instance) a fait droit en partie à la demande de contrôle judiciaire présentée par les appelants (Coldwater) et a prononcé un jugement déclaratoire.

[2]               L'instance fait suite à une demande adressée par l'intimée Kinder Morgan Canada Inc. (Kinder Morgan) au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre) afin qu'il donne son consentement à la cession de deux servitudes pour des pipelines situées en partie sur l'une des réserves de Coldwater.

[3]               Avant que le ministre puisse répondre à la demande de Kinder Morgan, Coldwater a introduit une demande de contrôle judiciaire par laquelle elle sollicitait notamment une ordonnance visant à interdire au ministre d'accorder son consentement à la cession ainsi qu'un jugement déclarant que le ministre est juridiquement tenu de suivre les instructions de Coldwater en ce qui concerne la demande présentée par Kinder Morgan en vue d'obtenir le consentement du ministre à la cession des servitudes.

[4]               En réponse aux questions qui lui étaient soumises, le juge de première instance a conclu que le ministre n'avait pas l'obligation absolue de refuser de consentir aux cessions après avoir été informé que Coldwater s'y opposait. Il a également conclu que le ministre devait se demander à nouveau si l'accord de Coldwater était requis, particulièrement en ce qui avait trait à la seconde servitude, et qu'il devait déterminer s'il était dans l'intérêt de Coldwater et dans l'intérêt du public de donner le consentement sollicité par Kinder Morgan. Les réponses à ces questions ont amené le juge à déclarer que le ministre devait tenir compte du fait que Coldwater lui demandait de refuser son consentement à moins d'obtenir de Kinder Morgan des conditions plus favorables.

[5]               Coldwater interjette appel de cette décision sur le fondement de l'obligation fiduciaire à laquelle Sa Majesté est tenue envers les Premières Nations. Coldwater nous demande de déclarer que le ministre doit suivre ses directives et refuser d'accorder son consentement. Coldwater sollicite également une ordonnance interdisant au ministre de consentir à la cession des servitudes.

[6]               Kinder Morgan a formé un appel incident et nous demande d'annuler la décision du juge de première instance et de rejeter la demande de contrôle judiciaire dans son intégralité. Kinder Morgan affirme également que la demande de contrôle judiciaire était prématurée en ce que le juge de première instance a outrepassé sa compétence en prononçant un jugement déclaratoire.

[7]               Dans ses observations écrites, le ministre demande le rejet de l'appel, mais il n'a pas pris position au sujet de l'appel incident. À l'audience, Me Mackenzie a déclaré, au nom du ministre, qu'il était d'accord avec Kinder Morgan pour affirmer que la demande de contrôle judiciaire était prématurée.

[8]               Nous sommes d'avis que la demande de contrôle judiciaire était prématurée et que rien ne justifie la Cour fédérale ou notre Cour d'intervenir dans le processus administratif dans lequel le ministre doit décider s'il devrait consentir aux deux cessions demandées par Kinder Morgan.

[9]               Dans l'arrêt C.B. Powell Ltd. c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332 (C.B. Powell), aux paragraphes 30 à 33, notre Cour a bien précisé que nous devons nous abstenir d'intervenir dans un processus administratif en cours tant que toutes les voies de recours utiles qu'offre le processus n'ont pas été épuisées, à moins qu'il n'existe des « circonstances exceptionnelles ». Nous avons précisé, dans l'arrêt C.B. Powell, que ces circonstances exceptionnelles sont rares et que le critère permettant de qualifier des circonstances d'« exceptionnelles » est exigeant. En particulier, le juge Stratas, s'exprimant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit au paragraphe 33 :

Partout au Canada, les cours de justice ont reconnu et appliqué rigoureusement le principe général de non‑ingérence dans les procédures administratives, comme l'illustre la portée étroite de l'exception relative aux « circonstances exceptionnelles ». Il n'est pas nécessaire d'épiloguer longuement sur cette exception, puisque les parties au présent appel ne prétendent pas qu'il existe des circonstances exceptionnelles qui permettraient un recours anticipé aux tribunaux judiciaires. Qu'il suffise de dire qu'il ressort des précédents que très peu de circonstances peuvent être qualifiées d'« exceptionnelles » et que le critère minimal permettant de qualifier des circonstances d'exceptionnelles est élevé (voir à titre général l'ouvrage de D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (édition à feuilles mobiles) (Toronto : Canvasback, 1998), aux paragraphes 3:2200, 3:2300 et 3:4000, ainsi que l'ouvrage de David J. Mullan, Administrative Law (Toronto : Irwin Law, 2001), aux pages 485 à 494). Les meilleurs exemples de circonstances exceptionnelles se trouvent dans les très rares décisions récentes dans lesquelles les tribunaux ont accordé un bref de prohibition ou une injonction contre des décideurs administratifs avant le début de la procédure ou au cours de celle‑ci. Les préoccupations soulevées au sujet de l'équité procédurale ou de l'existence d'un parti pris, de l'existence d'une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces (voir Harelkin, précité; Okwuobi, précité, paragraphes 38 à 55; et University of Toronto v. C.U.E.W, Local 2 (1988), 52 D.L.R. (4th) 128 (Cour div. Ont,)). Ainsi que je le démontrerai sous peu, l'existence de ce qu'il est convenu d'appeler des questions de compétence ne constitue pas une circonstance exceptionnelle justifiant un recours anticipé aux tribunaux. [Non souligné dans l'original.]

[10]           Coldwater affirme que sa demande était justifiée dans les circonstances, étant donné que le ministre agira à l'encontre de son obligation fiduciaire et que, par conséquent, il outrepassera sa compétence. De plus, de par leur nature constitutionnelle, les obligations fiduciaires du ministre justifient l'intervention de notre Cour. Coldwater affirme également que le consentement du ministre servirait d’exonération au défaut de Terasen Inc. d'avoir fait signer régulièrement les actes, ajoutant que le consentement du ministre est susceptible de [TRADUCTION] « redonner vie au [second] acte, qui est peut‑être expiré » et qu'il est susceptible d'accorder à Kinder Morgan un intérêt juridique dans la réserve qui ne pourrait être par la suite annulé.

[11]           Maître Kirchner, l'avocat de Coldwater, a déclaré avec franchise devant nous qu'il tentait en réalité d'obtenir une réparation qui s'apparente à un verdict imposé dans un procès avec jury. À son avis, le ministre ne pouvait, en droit, trancher la question du consentement autrement que de la manière proposée par Coldwater.

[12]           À notre avis, les circonstances invoquées par Coldwater pour justifier son attaque préventive ne constituent pas des circonstances exceptionnelles. Par ailleurs, nous ne pouvons qualifier de préjudice irréparable le fait que le ministre ait à décider de la question qui lui est soumise. Nous ajouterions par ailleurs que nous sommes convaincus que le ministre peut accorder la réparation sollicitée par Coldwater en empêchant que les actes soient cédés à Kinder Morgan.

[13]           La raison pour laquelle on doit éviter de s'adresser trop rapidement aux tribunaux judiciaires a été expliquée en des termes non équivoques par notre Cour dans l'arrêt C.B. Powell, au paragraphe 32 :

On évite ainsi le fractionnement du processus administratif et le morcellement du processus judiciaire, on élimine les coûts élevés et les délais importants entraînés par une intervention prématurée des tribunaux et on évite le gaspillage que cause un contrôle judiciaire interlocutoire alors que l'auteur de la demande de contrôle judiciaire est de toute façon susceptible d'obtenir gain de cause au terme du processus administratif [...].

[14]           En l'espèce, la demande de contrôle judiciaire a entraîné précisément ce type de conséquence négative. En particulier, le processus administratif ainsi que la décision finale du ministre ont été retardés et les parties ont manifestement supporté des dépenses élevées pour soumettre la présente affaire à la Cour fédérale et à notre Cour en appel. Si le ministre devait suivre les instructions de Coldwater ou les accepter, la présente instance deviendrait vraisemblablement théorique. En revanche, peu importe que le ministre donne ou non son consentement, il est fort probable qu'une demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la décision du ministre sera introduite. En fait, Coldwater a introduit sa demande de contrôle judiciaire le 21 mars 2013, de sorte que le ministre n'a pas encore rendu sa décision en réponse à la demande de Kinder Morgan.

[15]           Par conséquent, nous sommes convaincus que le juge de première instance aurait dû refuser de statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire et qu'il aurait dû laisser le processus administratif suivre son cours.

[16]           Pour ces motifs, l'appel sera rejeté avec dépens, l'appel incident sera accueilli avec dépens, la décision du 7 novembre 2013 de la Cour fédérale sera annulée et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

« M. Nadon »

j.c.a.

Traduction


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

A‑399‑13

(APPEL D'UNE DÉCISION RENDUE LE 7 NOVEMBRE 2013 DANS LE DOSSIER NO T‑491‑13 PAR LE JUGE HUGHES DE LA COUR FÉDÉRALE)

INTITULÉ :

BANDE INDIENNE DE COLDWATER ET AL. c. LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN ET AL.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 25 NOVEMBRE 2014

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :

LE JUGE NADON

COMPARUTIONS :

F. Matthew Kirchner

Michelle Bradley

POUR LES APPELANTS/les INTIMÉS dans l'appel incident

James M. Mackenzie

Ronald Lauenstein

POUR L'INTIMÉ

Maureen Killoran, c.r.

Thomas Gelbman

POUR L'INTIMÉE/l'APPELANTE dans l'appel INCIDENt

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ratcliff & Company LLP

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES APPELANTS/LES INTIMÉS dans l'appel incident

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉ

Osler, Hoskin et Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

POUR L'INTIMÉE/L'APPELANTE dans l'appeL incident

 

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