Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20141117


Dossier : A-301-13

Référence : 2014 CAF 268

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

BANQUE NATIONALE DU CANADA

appelante

et

DORIS LAVOIE

ET

LINE GAGNON

intimées

Audience tenue à Québec (Québec), le 20 octobre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y A (ONT) SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20141117


Dossier : A-301-13

Référence : 2014 CAF 268

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

BANQUE NATIONALE DU CANADA

appelante

et

DORIS LAVOIE

ET

LINE GAGNON

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Le 20 août 2009, les intimées sont congédiées par l’appelante, leur employeur. Au moment du congédiement, les intimées ont chacune plus de 30 ans de service, dont environ 19 passées depuis 1990 au bureau de change de la ville de Québec, situé sur la rue St-Jean.

[2]               Le 7 mai 2012, Me François G. Fortier, un arbitre désigné sous l’autorité de la partie III du Code canadien du travail, L.R.C. 1985 ch. L-2 (Code du travail), accueille les plaintes de congédiement injuste des intimées, substitue au congédiement une suspension d’un (1) mois sans salaire, ordonne la réintégration des intimées dans leurs emplois avec tous les droits et privilèges dont elles ont été privées depuis le 20 septembre 2009.

[3]               Le 12 juin 2013, le juge Martineau de la Cour fédérale (le juge) rejette avec dépens la demande de contrôle judiciaire de l’appelante visant l’annulation de la décision arbitrale et le 11 septembre 2013 l’appelante dépose un avis d’appel devant cette Cour nous demandant d’annuler le jugement de la Cour fédérale, d’accueillir sa demande de contrôle judiciaire et d’annuler la décision de l’arbitre. En outre, l’appelante nous demande de rendre le jugement qu’aurait dû rendre l’arbitre, soit le maintien de la décision de congédier les intimées.

[4]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’appel doit être accueilli.

Décision de l’arbitre

[5]               L’audition des plaintes des intimées s’est déroulée sur neuf jours, soit huit jours de preuve et une journée pour les arguments. L’appelante a déposé 75 pièces et les intimées en ont déposé cinq. En outre, l’arbitre a entendu sept témoins, dont les intimées.

[6]               Dans sa décision l’arbitre commence par relater les témoignages qu’il a entendus. Par la suite, il fait état des arguments des parties pour ensuite passer à une analyse que je résume comme suit.

[7]               Pour l’arbitre, il s’agit de décider, à la lumière de la preuve, si l’appelante était justifiée de congédier les intimées le 20 août 2009. Son examen de la preuve l’amène aux constats suivants:

              i.      Les intimées ont contrevenu à la Loi des banques, au code de déontologie de l’appelante et aux instructions permanentes de l’appelante dans l’exécution de leur travail au bureau de change de Québec.

            ii.      Les agissements des intimées sont tels qu’ils doivent être sanctionnés.

          iii.      L’appelante a choisi la sanction ultime, soit le congédiement.

          iv.      Tout comme les employé(e)s ont des devoirs et obligations envers leur employeur, ce dernier a aussi des droits et obligations envers ses employé(e)s.

            v.      L’employeur a laissé les intimées sans supervision.

          vi.      Les intimées ont adopté des pratiques non-conformes aux normes établies par leur employeur et ont pris des décisions relevant de leurs supérieurs, par exemple en ce qui a trait au taux de change devant être appliqué lors de l’achat et de la vente de monnaies.

        vii.      Les pratiques des intimées sont inacceptables.

      viii.      L’appelante, comme employeur, aurait pu découvrir ce qui se passait à son bureau de change de Québec si elle avait suivi ses consignes d’effectuer des vérifications et/ou des inspections à tous les mois.

          ix.      Conséquemment, l’appelante a été négligente, n’ayant pas rempli son rôle de contrôle et de supervision, i.e. «de bon gestionnaire».

            x.      Les intimées étaient justifiées de penser que leur modus operandi était acceptable pour leur employeur puisqu’elles opéraient ainsi depuis plusieurs années.

          xi.      Puisque les pratiques et les manquements des intimées existaient «depuis longtemps», l’appelante aurait dû découvrir ce qu’elle a découvert durant l’été 2009 et, par conséquent, elle n’avait pas fait preuve de diligence.

        xii.      Rien ne serait arrivé si l’appelante avait mieux encadré les intimées et avait effectué des vérifications à tous les mois.

      xiii.      Les intimées n’ont pas agi avec l’intention de voler leur employeur ou de s’enrichir.

      xiv.      Même si les intimées ont mal agi en faisant fi des règlements de leur employeur et en prenant des décisions relevant de leurs supérieurs, sans les informer, le lien de confiance, dans les circonstances de l’affaire, n’a pas été définitivement rompu.

        xv.      Leur employeur n’ayant pas exercé de sanction contre elles avant le mois d’août 2009, les intimées étaient en droit de croire «qu’elles pouvaient continuer comme elles faisaient et «s’arranger pour que ça marche»» .

      xvi.      L’appelante était en droit de sanctionner la conduite des intimées mais le congédiement constituait une mesure exagérée dans les circonstances du dossier.

    xvii.      Une suspension d’un mois était le remède approprié.

Décision de la Cour fédérale

[8]               Le juge a rejeté la demande de contrôle judiciaire. Selon lui, la décision de l’arbitre était raisonnable. Plus particulièrement, il se disait d’avis que le raisonnement de l’arbitre n’était ni arbitraire, ni capricieux ou déraisonnable et que ses conclusions étaient appuyées par la preuve.

[9]               Par ailleurs, dans ses motifs, le juge faisait état des principes applicables en l’espèce, à savoir que la norme de la décision raisonnable s’appliquait (Banque de Montréal c. Payne, 2012 CF 431), qu’une décision raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47) (Dunsmuir), et que la jurisprudence enseignait que trois questions se posaient lors de la détermination d’une cause juste et suffisante de congédiement, à savoir l’employé(e) a-t’il commit l’acte reproché, cet acte mérite t-il une mesure disciplinaire de l’employeur et si oui, la gravité de l’acte justifie-t-elle le congédiement (Heustis c. Nouveau-Brunswick, (Commission d’énergie électrique) [1979] 2 R.C.S. 768 à la page 772) (Heustis).

[10]           Selon le juge, la gravité d’un acte pouvait entrainer le congédiement « lorsqu’elle entraine une rupture définitive du lien de confiance […] », ajoutant que dans le milieu bancaire, une importance accrue était accordée «à l’intégrité du personnel et au respect de consignes générales et des codes de conduite, gages du maintien de la confiance du public» (paragraphe 8 des motifs du juge). En outre, le juge soulignait que le lien de confiance entre une institution bancaire et ses employé(e)s, tout comme le lien de confiance entre cette institution et ses clients, était primordial (voir Banque Nationale du Canada c. Lepire, 2004 CF 1555; et Deschênes c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2009 CF 799, conf. par 2011 CR 216).

[11]           Finalement, le juge indiquait qu’il se devait de favoriser une approche contextuelle dans la détermination de la sanction et tout particulièrement dans le cas d’un congédiement et qu’il fallait établir un équilibre entre la gravité des actes posés par un employé et la sanction imposée par son employeur (voir McKinley c. BC Tel 2001 CSC 38, [2001] 2 R.C.S. 161 aux paragraphes 48 à 57) (McKinley).

Analyse

[12]           Puisqu’il s’agit d’un appel d’une décision concernant une demande de contrôle judiciaire, le rôle de notre Cour consiste à décider si, en l’espèce, la Cour fédérale a compris la norme de contrôle qu’elle devait utiliser et si elle a correctement appliqué cette norme aux fins de l’instance. Par conséquent, afin de décider si le juge a erré ou non, nous devons porter notre attention sur la décision de l’arbitre (voir Canada Agence de Revenu c. Telfer 2009 CAF 23, paragraphe 18 et Payne c. Banque de Montréal, 2013 CAF 33, paragraphe 35).

[13]           Il ne peut faire de doute que le juge a bien compris que la norme qu’il devait utiliser était celle de la décision raisonnable. Par ailleurs, selon l’appelante, le juge a erré dans l’application de cette norme en concluant que la décision de l’arbitre était raisonnable. Plus particulièrement, l’appelante prétend que le résultat auquel en est arrivé l’arbitre ne fait pas partie des issues possibles (voir Newfoundland and Labrador Nurses’union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708) (Newfoundland). En effet, selon l’appelante, puisque l’arbitre a conclu que les intimées avaient commis plusieurs manquements sérieux lesquels constituaient, à plusieurs égards, une violation flagrante de leurs obligations d’honnêteté et d’intégrité, la sanction qu’il a imposée était déraisonnable et que la seule sanction possible était le maintien du congédiement des intimées.

[14]           Dans McKinley, la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Iacobucci, énonçait, dans le contexte d’une action devant jury pour congédiement injustifié en raison de malhonnêteté, que le juge devait demander au jury de décider deux questions, à savoir si la preuve démontrait que l’employé avait eu un comportement dolosif et si oui, « si la nature et la gravité de la malhonnêteté justifiait un congédiement » (paragraphe 49), ajoutant que la gravité des actes commis par l’employé exigeait que les faits mis en preuve soient examinés et sous-pesés attentivement. En outre, le juge Iacobucci ajoutait que le cadre analytique qu’il proposait devait traiter chaque cas comme un cas d’espèce « et qui tient compte de la nature et de la gravité de la malhonnêteté pour déterminer si elle est conciliable avec la relation employeur-employé » (paragraphe 57). Selon le juge Iacobucci, cette approche avait pour effet de diminuer le risque résultant d’une assimilation de toutes les formes de malhonnêteté à un motif valable de congédiement et avait aussi pour effet de faire en sorte « que la malhonnêteté qui touche au cœur même de la relation employeur-employé » puisse permettre à l’employeur de congédier l’employé.

[15]           En outre, le juge Iacobucci indiquait que le but de l’exercice qu’il proposait était de déterminer si la conduite de l’employé avait comme conséquence de rompre la relation employeur-employé. En d’autres mots, il y aura matière à congédiement si la conduite de l’employé « viole une condition essentielle du contrat de travail, constitue un abus de la confiance inhérente à l’emploi ou est fondamentalement ou directement incompatible avec les obligations de l’employé envers son employeur » (paragraphe 48).

[16]           En l’instance, il ne fait aucun doute que les intimées ont commis les actes que leur reproche l’appelante. Il ne fait aussi aucun doute que ces actes méritaient une mesure disciplinaire. La question qui se posait devant l’arbitre, et à laquelle nous devons nous adresser afin de disposer de l’appel, est celle à savoir si la gravité des actes posés par les intimées devait nécessairement mener au congédiement, comme le suggère l’appelante. En d’autres mots, est-ce que la conduite des intimées a violé une condition essentielle de leurs contrats de travail, a-t-elle constitué un abus de la confiance inhérente à leurs emplois ou, finalement, est-ce que leur conduite est fondamentalement incompatible avec leurs obligations comme employées envers l’appelante?

[17]           Voyons comment l’arbitre caractérise les actes et les manquements des intimées. À la page 32 de ses motifs, il énonce, sans se dire en désaccord, que l’appelante a mis en preuve que les intimées avaient contrevenu à la Loi sur les banques L.C. 1991, ch. 46, à son code de déontologie et à ses instructions permanentes dans l’exécution de leur travail. Selon l’arbitre, ces agissements méritaient une sanction.

[18]           Plus loin, à la page 33, il ajoute que les intimées ont développé au fil des années des pratiques dérogatoires aux normes dictées par leur employeur et qu’en outre, elles ont pris des décisions qui étaient du ressort exclusif de leurs supérieurs, par exemple la politique du taux de change, à savoir le taux quotidien que devaient appliquer les intimées lorsqu’elles vendaient ou achetaient des monnaies étrangères.

[19]           À la page 36 de ses motifs, l’arbitre constate à nouveau que les intimées ont mal agi, qu’elles ont omis de suivre certains règlements de leur employeur et qu’elles ont pris des décisions qui relevaient de leurs supérieurs, lesquels n’avaient jamais été avisés ou consultés.

[20]           Par ces propos, l’arbitre relatait la nature des actes et des manquements des intimées. Par la suite, il s’attardait aux manquements de l’appelante, à savoir son omission de superviser de façon adéquate les intimées. Voici ce que dit l’arbitre sur ce sujet.

[21]           À la page 34 de ses motifs, l’arbitre énonce que si l’appelante avait effectué des inspections ou des vérifications une fois par mois, comme elle devait le faire selon ses propres directives, les gestes et manquements des intimées auraient été découverts et le problème aurait été réglé bien avant la date du congédiement. Par conséquent, selon l’arbitre, l’appelante avait été négligente, n’ayant pas « bien rempli son rôle de contrôle et de supervision, c’est-à-dire de bon gestionnaire ». Plus loin, à la même page de ses motifs, l’arbitre ajoute que l’appelante n’avait pas été diligente en ce qui a trait aux gestes et manquements des intimées. En outre, il se dit d’avis que puisque les agissements et les manquements des intimées s’étaient produits au cours de plusieurs années, l’employeur avait eu « tout le temps et le loisir d’agir » pour régler la situation. N’ayant pas agi, l’appelante n’avait pas fait diligence. Plus loin, à la page 35 de ses motifs, l’arbitre ajoute que l’appelante avait la responsabilité de faire en sorte que ses employé(e)s respectaient les règles qu’elle avait édictées, cela faisant partie de son devoir de gestionnaire, c’est-à-dire que si les intimées avaient été encadrées de façon adéquate et que des vérifications avaient été effectuées de façon régulière « rien de tout ceci ne serait arrivé ».

[22]           Le raisonnement de l’arbitre peut se résumer comme suit. Les intimées ont mal agi. Leurs agissements et manquements se sont produits au cours de plusieurs années. Pendant toutes ces années, leur employeur n’a rien fait et aurait dû découvrir ce qui se passait. Les intimées étaient en droit de croire qu’elles pouvaient continuer d’agir comme elles le faisaient. En aucun temps, les intimées avaient eu l’intention de voler leur employeur ou de s’enrichir. Donc, l’appelante avait à bon droit sévi contre ses employées mais la sanction du congédiement constituait une mesure excessive. Par conséquent, le lien de confiance entre l’appelante et les intimées ne pouvait pas être définitivement rompu.

[23]           Il m’apparaît que l’on doive lire les motifs de l’arbitre comme exprimant, à tout le moins de façon implicite, le point de vue que peu importe la gravité des agissements des intimées, la négligence de l’appelante relativement à son devoir de supervision et son omission d’effectuer des contrôles réguliers à l’égard des activités exercées par les intimées au bureau de change, sont suffisants pour excuser, en grande partie, les agissements et les manquements des intimées.

[24]           À mon avis, la décision de l’arbitre est déraisonnable. Il devait, en l’instance, déterminer si le lien de confiance entre la banque et les intimées avait été définitivement rompu et il devait donc, en premier lieu, évaluer la gravité des actes posés par les intimées et il devait faire cette évaluation dans le contexte précis qui était devant lui, à savoir une opération bancaire au sein de l’une des grandes banques canadiennes. En outre, l’arbitre devait aussi évaluer les conséquences des actes posés par les intimées sur la relation employeur-employé afin de déterminer si la conduite des intimées violait une condition essentielle de leurs contrats de travail, constituait un abus de la confiance inhérente à leurs emplois ou était fondamentalement incompatible avec leurs obligations à l’égard de leur employeur. L’arbitre n’a ni tenté d’évaluer la gravité des actes dans le contexte du milieu bancaire et n’a non plus tenté d’évaluer les conséquences de ces actes sur la relation employeur-employé, s’attardant principalement à ce qu’il a qualifié de négligence de la part de l’appelante.

[25]           La conduite de l’employeur est définitivement un facteur pertinent à toute analyse visant à déterminer si un employeur peut congédier un(e) employé(e). Par ailleurs, la conduite de l’employeur ne permet pas à un arbitre d’outrepasser l’analyse de la gravité des actes posés par un(e) employé(e) et des conséquences possibles sur la relation employeur-employé, et, en l’instance, dans le contexte bancaire. Le but de cette analyse, comme le suggère le juge Iacobucci dans McKinley, est de déterminer si la conduite des intimées est telle que la relation employeur-employé est rompue.

[26]           J’en profite pour noter que l’arbitre s’en est tenu uniquement aux généralités en ce qui a trait aux manquements des intimées. Il ne donne nulle part, dans sa décision, d’exemples concrets de ce qui est reproché aux intimées par l’appelante. En voici quelques exemples :

1)      Malgré le fait, que l’appelante leur donnait des directives dans un bulletin transmis à tous les jours concernant les taux de change qu’elles devaient utiliser, les intimées n’obéissaient pas à ces directives et négociaient, sans autorisation ou approbation, les taux de change.

2)      Les intimées, à plusieurs reprises, chargeaient des frais de transaction inférieurs à ceux exigés par l’appelante.

3)      Malgré les directives de l’appelante, les intimées ne complétaient pas les relevés d’opérations requis par l’appelante pour chaque opération. Cela, selon les dires de l’appelante, avait pour effet de masquer certaines opérations de façon à pouvoir contourner les mécanismes de contrôle mis en place par l’appelante.

4)      Les intimées conservaient dans le tiroir-caisse des encaisses supérieures aux montants autorisés par l’appelante.

5)      Les intimées cachaient une clé du bureau de change de la rue St-Jean à l’arrière de l’entrée adjacente à une galerie d’art, rendant donc, selon l’appelante, la clé accessible au public.

6)      Les intimées rendaient accessibles les combinaisons des différents coffres bancaires se trouvant sur les lieux du bureau de change et, en outre, elles avaient conservé les mêmes combinaisons pendant une période d’environ cinq ans.

7)      Les intimées ne se sont nullement conformées aux directives de l’appelante concernant la procédure à suivre pour déclarer des différences de caisse.

[27]           Est-ce que ces manquements de la part des intimées vont au cœur de la relation employeur-employé? Est-ce que ces manquements, ou certains d’entre eux, violent une condition essentielle de leurs contrats de travail? Est-ce que ces manquements, considérés dans leur ensemble, constituent un abus de la confiance inhérente à leurs emplois ou sont-ils fondamentalement ou indirectement incompatibles avec leurs obligations en tant qu’employées? À toutes ces questions, l’arbitre n’apporte aucune réponse.

[28]           À la page 36 de ses motifs, l’arbitre conclut que le lien de confiance entre les intimées et l’appelante n’est pas définitivement rompu. Cette conclusion, sans le soutien de l’analyse que devait faire l’arbitre quant à la gravité des gestes et des manquements des intimées et conséquences possibles de ceux-ci sur la relation employeur-employé, est tout à fait déraisonnable.

[29]           Dans son arrêt Newfoundland, la Cour suprême, sous la plume de la juge Abella, réitère les critères énoncés dans Dunsmuir à savoir qu’une Cour de révision devrait se demander si la décision du tribunal administratif possédait les attributs de la raisonnabilité, à savoir, la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Newfoundland paragraphe 11).

[30]           Au paragraphe 12 de ses motifs dans l’arrêt Newfoundland, la juge Abella ajoutait que la raisonnabilité d’une conclusion s’entendait du fait que les motifs appuyaient, effectivement ou en principe, la conclusion. À mon avis, les motifs de l’arbitre n’appuient nullement sa conclusion voulant que le lien de confiance n’a pas été rompu.

[31]           En outre, au paragraphe 14 de ses motifs, la juge Abella énonçait que les motifs devaient être examinés « en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». À mon avis, le résultat auquel en arrive l’arbitre, eu égard à ses motifs, ne fait pas partie des issues possibles.

[32]           Pour ces motifs, la décision de l’arbitre est déraisonnable et par conséquent, le juge a erré en refusant d’intervenir.

[33]           L’appelante nous demande non seulement d’annuler la décision de l’arbitre et de rendre le jugement que le juge aurait dû rendre, soit l’annulation de la décision arbitrale, mais nous demande aussi de rendre le jugement qu’aurait dû rendre l’arbitre, soit le maintien du congédiement des intimées. Même s’il est possible pour nous, dans certains cas, de rendre la décision qu’aurait dû rendre le décideur administratif (voir Giguère c. Chambre des notaires du Québec, 2004 CSC 1, [2004] R.C.S. 3), je suis d’avis qu’il est préférable, en l’instance, de retourner le dossier à un autre arbitre. Premièrement, comme le signale le juge au paragraphe 10 de ses motifs, nous n’avons pas le bénéfice d’une transcription des témoignages, ce qui nous permettrait de bien comprendre et apprécier la preuve faite devant l’arbitre. Deuxièmement, la preuve qui est devant nous résulte uniquement du dépôt d’affidavits ayant pour but de « reconstruire » la preuve qui aurait été déposée devant l’arbitre. Dans ces circonstances, il ne m’apparaît pas sage pour nous de substituer notre décision à celle qui revient de droit à l’arbitre. Troisièmement, je ne suis pas convaincu qu’il n’existe qu’une seule solution envisageable dans la présente affaire, soit le congédiement des intimées. Ce sera à l’arbitre qui sera chargé du dossier de déterminer, compte tenu de la gravité des actes commis par les intimées et des manquements que leur reproche l’appelante, si le lien de confiance est définitivement rompu.

[34]           Par conséquent, j’accorderais l’appel avec dépens, j’annulerais la décision de la Cour fédérale, j’accorderais la demande de contrôle judiciaire avec dépens, j’annulerais la décision de l’arbitre rendue le 7 mai 2012 et je retournerais le dossier à un autre arbitre pour qu’il réentende, à la lumière de ces motifs, les plaintes de congédiement injuste des intimées.

« M. Nadon »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

            A.F. Scott, j.c.a.»

«Je suis d’accord.

            Richard Boivin, j.c.a.»

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-301-13

INTITULÉ :

BANQUE NATIONALE DU CANADA c. DORIS LAVOIE, ET, LINE GAGNON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 octobre 2014

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

 

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 novembre 2014

 

 

COMPARUTIONS :

Me Louis Bernier

Me Erik Morissette

 

Pour l'appelante

BANQUE NATIONALE DU CANADA

 

Me Rénald Labbé

 

Pour les intimées

DORIS LAVOIE ET LINE GAGNON

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin

Québec (Québec)

 

Pour l'appelante

BANQUE NATIONALE DU CANADA

 

RÉNALD LABBÉ AVOCAT INC.

Québec (Québec)

 

Pour les intimées

DORIS LAVOIE ET LINE GAGNON

 

 

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