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Date : 20020719

Dossier : T-1325-00

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 805

ENTRE :

           

                                                            PFIZER CANADA INC. et

                                                                          PLIVA d.d.

demanderesses

- et -

                                                                     APOTEX INC. et

                                                        LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION


[1]                 Pfizer Canada Inc. et Pliva d.d. (les demanderesses) sollicitent une ordonnance en vertu du paragraphe 6(2) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), (DORS/93-133), tel qu'il a été modifié (le Règlement), interdisant au ministre de la Santé défendeur de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. (la défenderesse Apotex)[1] au sujet des capsules d'azithromycine de 250 mg pour administration par voie orale tant que ne sera pas expiré le brevet canadien 1,191,843 (le brevet 843).

LES FAITS

[2]                 La demanderesse Pliva d.d. est propriétaire du brevet 843. Ce brevet comprend des revendications de procédé liées à un produit visant le médicament azithromycine.

[3]                 La demanderesse Pfizer Canada Inc. commercialise au Canada le médicament, l'azithromycine dihydrate, sous le nom commercial zithromax. Pfizer Canada Inc. a mentionné le brevet 843 sur les listes de brevets présentées au ministre relativement aux avis de conformité qui lui ont été délivrés pour l'azithromycine dihydrate.

[4]                 La défenderesse Apotex s'occupe également de la fabrication de produits pharmaceutiques. Dans une lettre du 7 juin 2000, elle a présenté un avis d'allégation en vertu du Règlement. Voici la teneur de la lettre adressée à la demanderesse Pfizer :

  • [TRADUCTION] La présente est un avis d'allégation formulé en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).
  • En ce qui concerne le brevet 1191843, nous alléguons qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par nous de capsules contenant le médicament azithromycine à une posologie de 250 mg par capsule pour administration par voie orale.

  • Sur le plan juridique et factuel, cette allégation est fondée sur le fait que nous nous engageons par la présente, malgré la délivrance de l'avis de conformité, à ne pas entreprendre la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente des capsules autrement que d'une manière jugée ne pas constituer une contrefaçon au sens des paragraphes 55.2(1) et 55.2(2) de la Loi sur les brevets. [le caractère gras n'est pas dans l'original]
  • Plus particulièrement, nous entendons faire délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet afin d'être en mesure de produire un dossier d'information aux provinces, de manière à ce que les ventes effectuées dans le cadre des régimes provinciaux puissent commencer aussitôt après l'expiration du brevet, exactement de la manière prévue par les paragraphes 55.2(1) et 55.2(2) de la Loi sur les brevets. [le caractère gras n'est pas dans l'original]
  • Nous le répétons, vous pouvez compter sur notre engagement que nous n'entreprendrons pas de ventes commerciales ni ne ferons quoi que ce soit jugé ne pas constituer une contrefaçon au sens des paragraphes 55.2(1) et 55.2(2) de la Loi sur les brevets.

[5]                 Les demanderesses ont contesté la suffisance de cette lettre en tant qu'avis d'allégation; à cet égard, elles ont adressé des lettres tant à Apotex qu'au ministre défendeur le 6 juillet 2000, soulignant les insuffisances relevées. Elles ont demandé au ministre de prendre les mesures nécessaires pour annuler les avis d'allégation. Le ministre n'a pas donné suite à cette demande.

[6]                 La défenderesse a signifié son avis d'allégation parce qu'elle veut obtenir un avis de conformité pour sa version d'azithromycine avant l'expiration du brevet afin de pouvoir présenter une demande d'inscription sur les formulaires provinciaux. Les formulaires provinciaux sont des listes que tiennent les provinces de tous les produits pharmaceutiques approuvés par les ministères provinciaux de la Santé.

[7]                 Conformément au Règlement, les demanderesses ont alors introduit la présente instance le 20 juillet 2000.


[8]                 Les affidavits de Mmes Theresa Firestone et Diane Azzarello ont été déposés par les demanderesses afin d'expliquer l'objet et l'effet d'une inscription sur un formulaire provincial.

[9]                 Mme Firestone, cadre chez Pfizer Canada Inc., a examiné ce processus d'examen que met en branle une province sur réception d'une demande d'inscription. Elle a déclaré qu'un avis de conformité constitue une condition préalable à l'inscription d'un fabricant de médicaments sur un formulaire provincial et que l'avis de conformité, et non l'inscription sur le formulaire provincial, permet la vente de produits pharmaceutiques. Elle a ajouté que, puisqu'un fabricant de médicaments génériques comme la défenderesse ne commercialise pas directement ses produits auprès des prescripteurs, il se servira de l'inscription sur le formulaire provincial comme un outil de commercialisation en vue d'augmenter ses ventes.

[10]            Mme Azzarello, pharmacienne titulaire de licence, a souligné le but et l'effet du formulaire provincial. Le rôle du formulaire est double : il énumère les produits pharmaceutiques dont le paiement est remboursable par les gouvernements provinciaux dans le cadre de leurs régimes d'assurance-médicaments et énumère aussi tous les produits pharmaceutiques - d'origine et génériques - dont l'utilisation a été approuvée dans une province et qui peuvent être utilisés de manière interchangeable avec les produits pharmaceutiques d'origine.


[11]            Mme Azzarello s'est intéressée aux aspects des formulaires provinciaux relatifs à la commercialisation et à l'avantage éventuel qu'il procure à un fabricant de médicaments génériques, lui donnant accès à un marché plus vaste et conférant un avantage commercial. Elle a également mentionné certaines des exigences relatives à l'obtention d'une inscription dont la remise d'échantillons et la formule de déclaration de drogues. Cette formule est délivrée sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues (1978), C.R.C., ch. 870, et demande doit en être faite dans les trente jours suivant la première vente commerciale du produit pharmaceutique. Selon elle, pour se conformer aux exigences provinciales régissant l'obtention d'une inscription sur les formulaires provinciaux, la défenderesse devra effectuer des ventes commerciales avant de demander l'inscription.

[12]            La défenderesse a déposé l'affidavit du Dr Sherman en réponse aux affidavits invoqués par les demanderesses. Le Dr Sherman est président du conseil d'administration et directeur général de la défenderesse. Lui aussi a traité de l'objet du formulaire provincial et des exigences régissant l'obtention d'une inscription, dont la réception d'un avis de conformité.

[13]            Le Dr Sherman a parlé de la réglementation provinciale de la vente de médicaments par la législation gouvernant l'interchangeabilité des produits pharmaceutiques et par le contrôle du prix à payer pour les produits pharmaceutiques dans le cadre des régimes provinciaux d'assurance-médicaments.


[14]            Le Dr Sherman a déclaré que la défenderesse doit recevoir un avis de conformité avant l'expiration du brevet de manière à faciliter l'inscription et la vente du produit générique au moment de l'expiration du brevet. Il a ajouté que le paragraphe 55.2 (1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-5, modifié (la « Loi » ), l'autorise.

[15]            Le Dr Sherman a également confirmé l'engagement suivant lequel la défenderesse ne fera rien relativement à sa demande d'inscription sur les formulaires provinciaux qui n'est pas soustrait à la contrefaçon en vertu du paragraphe 55.2 (1) avant l'expiration du brevet.

[16]            Enfin, le Dr Sherman nie qu'une demande d'inscription sur le formulaire provincial équivaut à la commercialisation ou à l'offre du produit en vente. Il nie également que les formulaires provinciaux constituent un régime à des fins commerciales plutôt qu'un régime réglementaire régissant l'utilisation et la vente de produits pharmaceutiques par les provinces. Il prétend que, au titre du paragraphe 55.2(1) de la Loi, les activités proposées de la défenderesse sont réputées ne pas constituer une contrefaçon.

LÉGISLATION PERTINENTE

[17]            Les dispositions législatives pertinentes sont les paragraphes 55.2(1) et 55.2(2) ainsi que l'article 5 du Règlement. Voici le texte de ces dispositions :


55.2(1) Il n'y a pas contrefaçon de brevet lorsque l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d'une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d'information qu'oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente d'un produit.

55.2 (1) It is not an infringement of a patent for any person to make, construct, use or sell the patented invention solely for uses reasonably related to the development and submission of information required under any law of Canada, a province or a country other than Canada that regulates the manufacture, construction, use or sale of any product.

55.2(2)    Il n'y a pas contrefaçon de brevet si l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d'une invention brevetée, au sens du paragraphe (1), a lieu dans la période prévue par règlement et qu'elle a pour but la production et l'emmagasinage d'articles déterminés destinés à être vendus après la date d'expiration du brevet.

55.2(2) It is not an infringement of a patent for any person who makes, constructs, uses or sells a patented invention in accordance with subsection (1) to make, construct or use the invention, during the applicable period provided for by the regulations, for the manufacture and storage of articles intended for sale after the date on which the term of the patent expires.

5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

5(1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(a) state that the person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires; or

(b) allege that

(i) the statement made by the first person pursuant to paragraph 4(2)(c) is false,

(ii) the patent has expired,

(iii) the patent is not valid, or

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

(1.1) Sous réserve du paragraphe (1.2), lorsque le paragraphe (1) ne s'applique pas, la personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament que l'on trouve dans une autre drogue qui a été commercialisée au Canada par suite de la délivrance d'un avis de conformité à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre visant cette autre drogue contenant ce médicament, lorsque celle-ci présente la même voie d'administration et une forme posologique et une concentration comparables :

(1.1) Subject to subsection (1.2), where subsection (1) does not apply and where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug that contains a medicine found in another drug that has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent included on the register in respect of the other drug containing the medicine, where the drug has the same route of administration and a comparable strength and dosage form,

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne soit pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

(a) state that the person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires; or

(b) allege that

(i) the statement made by the first person pursuant to paragraph 4(2)(c) is false,

(ii) the patent has expired,

(iii) the patent is not valid, or

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

(1.2) Si une personne visée au paragraphe (1.1) a signifié, conformément aux alinéas (3)b) ou c), un avis d'allégation à une première personne à l'égard d'un brevet inscrit au registre, elle n'est tenue de signifier un avis d'allégation à l'égard de la même demande, de la même allégation et du même brevet à aucune autre première personne.

(1.2) Where a person referred to in subsection (1.1) has served, in accordance with paragraph (3)(b) or (c), a notice of allegation on a first person in respect of a patent included on the register, the person is not required to serve a notice of allegation in respect of the same submission, the same allegation and the same patent on another first person.

(2) Lorsque, après le dépôt par la seconde personne d'une demande d'avis de conformité mais avant la délivrance de cet avis, une liste de brevets ou une modification apportée à une liste de brevets est soumise à l'égard d'un brevet aux termes du paragraphe 4(4), la seconde personne doit modifier la demande pour y inclure, à l'égard de ce brevet, la déclaration ou l'allégation exigées par les paragraphes (1) ou (1.1), selon le cas.

(2) Where, after a second person files a submission for a notice of compliance but before the notice of compliance is issued, a patent list or an amendment to a patent list is submitted in respect of a patent pursuant to subsection 4(4), the second person shall amend the submission to include, in respect of that patent, the statement or allegation that is required by subsection (1) or (1.1), as the case may be.

(3) Lorsqu'une personne fait une allégation visée aux alinéas (1)b) ou (1.1)b) ou au paragraphe (2), elle doit :

a) fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;

b) si l'allégation est faite aux termes de l'un des sous-alinéas (1)b)(i) à (iii) ou (1.1)b)(i) à (iii), signifier un avis de l'allégation à la première personne;

(3) Where a person makes an allegation pursuant to paragraph (1)(b) or (1.1)(b) or subsection (2), the person shall

(a) provide a detailed statement of the legal and factual basis for the allegation;

(b) if the allegation is made under any of subparagraphs (1)(b)(i) to (iii) or (1.1)(b)(i) to (iii), serve a notice of the allegation on the first person;

c) si l'allégation est faite aux termes des sous-alinéas (1)b)(iv) ou (1.1)b)(iv) :

(i) signifier à la première personne un avis de l'allégation relative à la demande déposée selon les paragraphes (1) ou (1.1), au moment où elle dépose la demande ou par la suite,

(ii) insérer dans l'avis d'allégation une description de la forme posologique, de la concentration et de la voie d'administration de la drogue visée par la demande;

d) signifier au ministre une preuve de la signification effectuée conformément aux alinéas b) ou c).

(c) if the allegation is made under subparagraph (1)(b)(iv) or (1.1)(b)(iv),

(i) serve on the first person a notice of the allegation relating to the submission filed under subsection (1) or (1.1) at the time that the person files the submission or at any time thereafter, and

(ii) include in the notice of allegation a description of the dosage form, strength and route of administration of the drug in respect of which the submission has been filed; and

(d) serve proof of service of the information referred to in paragraph (b) or (c) on the Minister.

Le paragraphe 55.2(2), qui était en vigueur au moment de l'introduction de la présente instance, a été abrogé par l'article 2 du ch. 10 des L.C. de 2001.


OBSERVATIONS DES DEMANDERESSES

[18]            Les demanderesses soulèvent deux arguments. D'abord, l'avis d'allégation signifié par la défenderesse serait défectueux et insuffisant puisqu'il ne fournit pas un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels Apotex fonde sa demande de délivrance d'un avis de conformité. Selon elles, l'avis d'allégation n'est pas valide et la Cour est incompétente pour statuer sur la question. Ensuite, Apotex n'aurait pas réussi à démontrer que ses activités proposées relèvent des exceptions que prévoient les paragraphes 55.2(1) et (2) de la Loi.

[19]            Les demanderesses font valoir que l'avis d'allégation n'est pas conforme

à l'alinéa 5(1)b) du Règlement parce qu'il ne contient aucune allégation prévue par cette disposition. Elles disent qu'Apotex tente de combiner une déclaration faite en vertu de l'alinéa 5(1)a) avec une allégation faite en vertu du sous-alinéa 5(1)b)(iv) comme fondement de son avis d'allégation. Selon elles, Apotex allègue essentiellement qu'elle attendra l'expiration du brevet, mais tente de se prévaloir de l'exemption prévue au sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement.


[20]            Pour les demanderesses, la jurisprudence établit clairement que, l'avis d'allégation étant donné, il ne peut être réécrit. Dans la mesure où la défenderesse n'invoque plus que l'exemption prévue au paragraphe 55.2(1) de la Loi, plutôt que les deux paragraphes mentionnés dans son avis d'allégation, elles disent qu'Apotex réécrit irrégulièrement son avis d'allégation. Elles prétendent que celle-ci aurait dû retirer l'avis d'allégation daté du 7 juin 2000 et en déposer un nouveau. À l'appui de leurs arguments concernant l'irrégularité consistant à réécrire l'avis d'allégation, elles invoquent les arrêts Merck Frosst Canada and Co. et al. c. Le ministre de la Santé et autres (2001), 189 F.T.R. 126 (C.F. 1re inst.), paragraphes 29, 32-33, AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), à la page 289, et Schering Canada Inc. c. Nu-Pharm Inc. (1996), 68 C.P.R. (3d) 332, à la page 343 (C.F. 1re inst.).

[21]            S'agissant du bien-fondé de l'avis d'allégation, les demanderesses font valoir que l'allégation d'absence de contrefaçon de la défenderesse n'est pas fondée. Elles ajoutent que la mention du paragraphe 55.2(2) de la Loi dans l'avis d'allégation signifie que, à la date de son avis d'allégation, Apotex fabriquait déjà un produit contenant de l'azithromycine, portant ainsi atteinte aux droits des demanderesses en violation de la loi.

[22]            Pour ce qui est de l'appui pris sur le paragraphe 55.2(1), les demanderesses affirment que le fait de présenter aux provinces une demande d'inscription sur les formulaires provinciaux est assimilable à un acte commercial qui constitue une offre de vendre le produit, activité qui échappe à l'exemption accordée par le paragraphe 55.2(1).


[23]            De plus, les demanderesses font valoir qu'Apotex ne pourra pas se conformer aux exigences relatives à l'inscription sur les formulaires provinciaux sans présenter de preuve des ventes de son produit, ce qui constituera un acte de contrefaçon. À cet égard, elles se fondent sur l'affidavit de Diane Azzarello, laquelle s'est dite d'avis que certaines provinces exigent une preuve de ventes commerciales comme condition préalable à pareille inscription.

[24]            Selon les demanderesses, le simple fait de demander l'inscription sur un formulaire provincial constitue un acte de contrefaçon qui ne bénéficie pas de l'exemption prévue au paragraphe 55.2(1). À cet égard, elles invoquent la décision rendue par la Cour d'appel de la Nouvelle-Zélande dans Smith Kline and French Laboratories c. Douglas Pharmaceuticals Limited, [1991] FSR 522 (C.A. N.-Z.).

[25]            Aux dires des demanderesses, une demande d'inscription sur un formulaire provincial implique nécessairement l'acceptation d'un produit pharmaceutique comme étant, d'une part, un produit interchangeable pour les besoins de prescription et, d'autre part, un produit pour lequel le régime provincial d'assurance-médicaments remboursera le pharmacien qui délivre le médicament. Ces deux éléments d'interchangeabilité et de reconnaissance comme produit pharmaceutique remboursable échappent, disent-elles au régime du « règlement » que prévoit le paragraphe 55.2(1) de la Loi.


[26]            Les demanderesses prétendent également que les lois provinciales en matière d'assurance-médicaments ne réglementent pas la fabrication ou la vente de produits pharmaceutiques. Ce sont, disent-elles, des lois qui accordent des prestations sociales. En conséquence, cette législation ne constitue pas une loi qui peut fournir le fondement d'une exemption au titre du paragraphe 55.2 (1).

[27]            Les demanderesses ajoutent aussi que 1a législation régissant l'interchangeabilité des produits pharmaceutiques ne peut être considérée comme réglementant la vente de produits pharmaceutiques puisqu'il y aurait incompatibilité avec la compétence permettant au gouvernement fédéral, sous l'empire de la Loi sur les aliments et drogues, L.R., ch. F-27, de réglementer la fabrication et la vente de drogues au Canada. À cet égard, elles invoquent l'arrêt Pharmaceutical Manufacturers Assn. of Canada c. British Columbia (Attorney General) (1997), 74 C.P.R. (3d) 417, à la page 444 (C.A. C.-B.).

[28]            Les demanderesses affirment que seul le gouvernement fédéral réglemente la fabrication et la vente de produits pharmaceutiques par voie de la Loi sur les aliments et drogues, précitée, et de la délivrance d'un avis de conformité. Selon elles, l'affidavit du Dr Sherman montre que la défenderesse elle-même sait que son avis d'allégation n'est pas fondé parce qu'elle ne peut remplir les exigences applicables à l'inscription sur les formulaires provinciaux sans vendre son produit. L'acte de vente constitue un acte de contrefaçon.


[29]            Aux dires des demanderesses, l'avis d'allégation n'est pas fondé parce qu'il dépend d'une interprétation du paragraphe 55.2(1) et du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement qui contredit le régime réglementaire. À cet égard, elles invoquent le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation (RÉIR) qui était joint au Règlement en 1993, les modifications du Règlement en 1998 et l'abrogation de certains règlements connexes en 2000.

[30]            Selon la thèse des demanderesses, le régime réglementaire envisage la protection d'un droit exclusif du breveté dans un produit jusqu'à l'expiration du brevet et la position adoptée par la défenderesse ne peut trouver de fondement dans la législation. Le régime réglementaire prévoit la délivrance d'un avis de conformité, comme approbation de commercialisation, après l'expiration du brevet ou lorsqu'il est manifeste qu'aucune activité de contrefaçon ne sera entreprise par la seconde personne.

[31]            Ce n'est pas le cas en l'espèce. La défenderesse a affirmé qu'elle entend obtenir un avis de conformité de manière à demander à être inscrite sur les formulaires provinciaux. La preuve établit que l'objet de l'inscription sur les formulaires provinciaux est de renforcer l'accès à un marché. Cette inscription ne constitue ni une exigence préalable à la vente de produits pharmaceutiques ni une approbation de commercialisation, ce rôle étant réservé à l'avis de conformité.

[32]            D'après les demanderesses, la défenderesse n'a pas le droit d'obtenir un avis de conformité avant l'expiration du brevet. Elle n'a pas pu démontrer qu'elle est en mesure de remplir toutes les exigences relatives à l'inscription sur les formulaires provinciaux puisqu'elle s'est engagée à ne pas effectuer de ventes commerciales avant l'expiration du brevet.


OBSERVATIONS DE LA DÉFENDERESSE

[33]            Selon la thèse de la défenderesse, son avis d'allégation est valide et conforme aux exigences du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement. La défenderesse a clairement énoncé le fondement juridique et factuel sur lequel elle prend appui pour demander la délivrance d'un avis de conformité. En particulier, elle a affirmé que les activités qu'elle propose ne constitueront pas une contrefaçon en ce qui concerne la demande d'inscription de ses produits sur les formulaires provinciaux.

[34]            D'après la défenderesse, la contestation faite par les demanderesses de la validité de l'avis d'allégation se fonde erronément sur la présomption selon laquelle les activités qu'elle propose constitueront des offres de vente du produit pharmaceutique, ou qu'il y aura effectivement des ventes commerciales, le tout relativement au respect des exigences provinciales concernant l'inscription du produit sur les formulaires provinciaux. Les arguments des demanderesses, dit-elle, n'ont aucun fondement factuel à cet égard.

[35]            La défenderesse a clairement déclaré dans son avis d'allégation qu'elle ne fera rien qui pourrait constituer une contrefaçon; de plus, elle a pris un engagement à ce sujet. Elle fait valoir que l'avis d'allégation mentionne les activités qu'elle propose, lesquelles se limiteront à des activités ne constituant pas des actes de contrefaçon. Elle ne fera que ce que lui permet de faire le paragraphe 55.2(1).


[36]            La défenderesse nie qu'elle tente de réécrire son avis d'allégation en cessant d'invoquer le paragraphe 55.2(2) de la Loi. Cette disposition a été abrogée par le Parlement. En conséquence, elle ne peut plus se prévaloir de l'exemption qui y était prévue. Toutefois, au moment de la signification de l'avis d'allégation, le paragraphe 55.2(2) constituait un fondement juridique sur lequel elle pouvait prendre appui.

[37]            La défenderesse prétend que l'élimination d'un motif légitime d'allégation par suite d'une intervention législative n'équivaut pas à l'introduction d'un nouveau motif d'allégation après la signification d'un avis d'allégation. Elle dit qu'on peut établir une distinction fondée sur les faits avec la situation qui existait dans l'affaire AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), précitée. Dans cette espèce, la Cour a commenté les exigences obligeant qu'un avis d'allégation comporte les motifs juridiques et factuels invoqués afin d'éviter de causer une surprise au breveté. On ne peut assimiler l'élimination d'un motif dans un avis d'allégation à l'introduction d'un nouveau motif.


[38]            En réponse aux prétentions des demanderesses concernant le bien-fondé de l'avis d'allégation, la défenderesse affirme simplement qu'elle a le droit de bénéficier de l'exemption prévue au paragraphe 55.2(1) de la Loi parce que les activités qu'elle propose, relativement à l'obtention d'une inscription sur les formulaires provinciaux, remplissent tous les critères du paragraphe 55.2(1). Cette disposition exige la production d'un dossier d'information qu'oblige à fournir une loi réglementant la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente d'un produit, et la fabrication, l'utilisation ou la vente de l'invention doit se limiter à des utilisations raisonnablement nécessaires à la préparation et à la production du dossier d'information exigé.

[39]            En l'espèce, la défenderesse affirme que les lois et les règlements qui régissent les inscriptions sur les formulaires provinciaux sont des « lois d'une province » qui réglementent l'utilisation et la vente d'un produit. Les provinces ne jouissent d'aucune compétence principale leur permettant de réglementer la vente de produits pharmaceutiques au Canada; cette matière relève de la compétence du gouvernement fédéral. Toutefois, les provinces interviennent dans la prescription et l'interchangeabilité des produits pharmaceutiques. Elles paient également pour certains produits pharmaceutiques en vertu des lois sur l'assurance-médicaments. La défenderesse prétend que la législation provinciale concernant l'interchangeabilité de produits pharmaceutiques et la législation sur l'assurance-médicaments sont des lois réglementant l'utilisation et la vente de produits pharmaceutiques.


[40]            Selon la thèse de la défenderesse, le formulaire provincial constitue un processus de réglementation de l'utilisation et de la vente de produits pharmaceutiques et il y a tout lieu d'assimiler les mesures préalables menant à l'inscription sur le formulaire provincial à la préparation et à la production du dossier d'information exigé par une loi provinciale. Elle prétend aussi que le terme « réglementer » devrait être interprété de manière large comme signifiant le contrôle et l'orientation quant à l'utilisation et à la vente du produit en question; Renvoi relatif à une Loi concernant une taxe sur le gaz naturel, [1982] 5 W.W.R. 577 (C.S.C.), à la page 638. Selon elle, le mot « seule » au paragraphe 55.2(1) se rapporte à l'objet pour lequel la seconde personne utilise le dossier d'information produit, et non aux fins d'une loi provinciale. Il n'est pas nécessaire que les lois provinciales en question portent uniquement sur la réglementation de l'utilisation et de la vente de produits pharmaceutiques.

ANALYSE

[41]            La présente demande cherche à interdire la délivrance à la défenderesse d'un avis de conformité pour son produit pharmaceutique, l'azithromycine. Les demanderesses contestent l'avis d'allégation, aussi bien au regard de la procédure que sur le fond.

Le cadre législatif

[42]            Le Règlement fixe le cadre pertinent. L'avis de conformité accorde l'autorisation de commercialiser des produits pharmaceutiques au Canada. Délivré par le gouvernement fédéral, il indique qu'ont été remplies toutes les exigences du Règlement sur les aliments et drogues relatives à la protection de la santé et de la sécurité publiques. Le Règlement autorise les propriétaires de brevets existants concernant des produits pharmaceutiques à déposer une « liste de brevets » se rapportant aux produits pour lesquels ils sont titulaires d'un avis de conformité. Le Règlement qualifie la personne qui dépose la liste de « première personne » . En l'espèce, les demanderesses sont la « première personne » .


[43]            Les fabricants de médicaments génériques peuvent se fonder sur l'approbation préalable de produits pharmaceutiques connexes dans une demande d'approbation visant la commercialisation de la forme générique des produits.

[44]            D'autres fabricants qui produisent le même médicament peuvent déposer une demande d'avis de conformité qui mentionne le fait - tout en se fondant sur celui-ci - que l'approbation préalable a été accordée pour le médicament d'origine. Un tel fabricant est appelé la « seconde personne » , et c'est la qualité de la défenderesse.

[45]            Le Règlement interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité tant que les brevets relatifs au produit original et à son utilisation indiqués dans la liste de brevets sont encore en vigueur. Par conséquent, une seconde personne doit attendre jusqu'à l'expiration du brevet avant de recevoir un avis de conformité ou elle peut présenter au ministre un avis d'allégation qui accompagne sa présentation de drogue nouvelle.

[46]            Le Règlement exige que l'avis d'allégation soit signifié à la première personne. L'article 5 du Règlement énonce les motifs sur lesquels l'avis d'allégation doit se fonder. En bref, l'avis d'allégation doit affirmer ou bien que la première personne n'est pas le breveté, ou bien que le brevet est expiré ou n'est pas valide, ou encore qu'il ne serait pas contrefait advenant la délivrance d'un avis d'allégation.


[47]            Après la signification de l'avis d'allégation, le ministre peut délivrer un avis de conformité à la seconde personne, à moins que la première personne n'exerce le droit que lui reconnaît le paragraphe 6(1) du Règlement pour solliciter une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité. Toute mesure de ce genre doit être prise par la première personne dans les quarante-cinq jours de la réception de l'avis d'allégation et, une fois la procédure entamée, il y a suspension de la délivrance de l'avis de conformité pour une période maximale de vingt-quatre mois.

Les questions de procédure

(i) L'avis d'allégation est-il valide?

[48]            La première question que soulève l'instance est de savoir si l'avis d'allégation de la défenderesse est valide. Est-il conforme à l'article 5 du Règlement en énonçant les motifs juridiques et factuels sur lesquels est fondée l'allégation d'absence de contrefaçon?

[49]            Il convient de le répéter, les demanderesses disent que l'avis d'allégation n'est pas conforme à l'alinéa 5(1)b) parce qu'il n'énonce pas de façon suffisamment détaillée les activités proposées de la défenderesse. Par ailleurs, la défenderesse dit que l'avis d'allégation précise l'activité proposée, c'est-à-dire toute activité qui ne contrefait pas le brevet.


[50]            Puisque l'avis d'allégation repose sur le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, il incombe à la défenderesse, selon le paragraphe 5(3), de démontrer le fondement juridique et factuel complet de cette prétention. L'avis d'allégation prévoit en partie ce qui suit :

Sur le plan juridique et factuel, cette allégation est fondée sur le fait que nous nous engageons par la présente, malgré la délivrance de l'avis de conformité, à ne pas entreprendre la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente des capsules autrement que d'une manière jugée ne pas constituer une contrefaçon au sens des paragraphes 55.2(1) et 55.2(2) de la Loi sur les brevets.

[51]            À mon avis, cet énoncé suffit pour remplir l'exigence réglementaire obligeant la défenderesse à faire état du fondement juridique de son avis d'allégation.

[52]            Le fondement factuel se trouve dans le paragraphe suivant de l'avis d'allégation :

Plus particulièrement, nous entendons faire délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet afin d'être en mesure de produire un dossier d'information aux provinces, de manière à ce que les ventes effectuées dans le cadre des régimes provinciaux puissent commencer aussitôt après l'expiration du brevet, exactement de la manière prévue par les paragraphes 55.2(1) et 55.2(2) de la Loi sur les brevets.

[53]            Je conclus que cet énoncé fait suffisamment état du fondement factuel de l'avis d'allégation.

[54]            Dans les circonstances, je suis convaincue que la défenderesse a démontré la validité de son avis d'allégation dans la mesure où elle a fourni des informations à propos du fondement juridique et factuel sur lequel repose sa demande de délivrance d'un avis de conformité.


(ii) L'avis d'allégation a-t-il été réécrit?

[55]            Les demanderesses ont attaqué l'avis d'allégation en invoquant un autre moyen. Elles disent que la défenderesse tente maintenant de réécrire irrégulièrement son avis d'allégation en cessant d'invoquer le paragraphe 55.2(2) de la Loi qui avait été mentionné dans l'avis d'allégation.

[56]            Le Dr Sherman explique pourquoi la défenderesse n'invoque plus cette exemption légale. Le paragraphe 55.2(2) de la Loi, bien qu'il ait été en vigueur le 7 juin 2000, a été abrogé en 2001. L'exemption n'existe plus, du fait du Parlement, situation qui est indépendante de la volonté de la défenderesse.

[57]            À mon avis, on peut distinguer cette situation de celle que la Cour a examinée dans l'affaire Hoffmann-La Roche Ltée c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.). Dans cette espèce, une seconde personne a essayé de soulever un nouveau moyen après la signification de l'avis d'allégation. Le tribunal a refusé d'autoriser la modification et a déclaré, à la page 6 :

... il est incontestable qu'une deuxième personne dans la position de l'appelante par incidence devait, aux termes de l'alinéa 5(3)a) du Règlement, « fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde » (non souligné dans l'original). Je ne suis donc pas convaincu que le juge des requêtes a eu tort de refuser de permettre la production d'éléments de preuve nouveaux alors qu'il était évident que l'objet de cette production était simplement de combler une lacune de la part de l'appelante par incidence elle-même, qui ne s'est pas conformée aux exigences prescrites en omettant, dans son énoncé détaillé, d'indiquer tous les faits qu'elle avait l'intention d'invoquer ...

[58]            En l'espèce, la défenderesse n'avance tout simplement plus l'un des fondements juridiques de son allégation, en réponse à une loi du Parlement. Il ne s'agit pas de la même situation et il n'y a pas réécriture de l'avis d'allégation.

La question de fond : L'avis d'allégation est-il fondé?

[59]            La question suivante à laquelle il faut répondre est de savoir si l'avis d'allégation est fondé. Ici, le fardeau incombe aux demanderesses. Dans l'affaire Merk Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), à la page 319, le tribunal se prononce comme suit sur la démarche à adopter pour déterminer si un avis d'allégation est fondé :

Au surplus, étant donné que le règlement habilite le ministre, si une demande fondée sur l'article 6 n'est pas intentée dans les délais, à délivrer l'avis de conformité sur la foi des assertions contenues dans l'avis d'allégation, il semblerait qu'à l'audition de cette demande, du moins dans le cas où l'avis allègue la non-contrefaçon, la Cour doive présumer que les allégations de fait contenues dans l'avis d'allégation sont avérées sauf dans la mesure que la partie requérante prouve le contraire. Pour décider si les allégations sont « fondées » (art. 6(2)), la Cour doit examiner si, à la lumière de ces faits tels qu'ils sont présumés ou prouvés, ces allégations engageraient en droit à conclure que le brevet ne serait pas contrefait par la partie intimée.


[60]            Les allégations en l'espèce s'inspirent du désir de la défenderesse d'obtenir un avis de conformité afin de demander l'inscription sur les formulaires provinciaux de manière à commencer la vente de ses produits le plus tôt possible après l'expiration du brevet. La défenderesse s'engage à ne pas fabriquer, construire, utiliser ou vendre des capsules contenant le médicament azithromycine autrement que d'une manière jugée ne pas constituer une contrefaçon au sens du paragraphe 55.2(1) de la Loi, si l'avis de conformité est accordé avant l'expiration du brevet.

[61]            Le but visé dans la présente instance est la délivrance à la défenderesse d'un avis de conformité. Le Règlement définit comme suit l'avis de conformité :

« avis de conformité » Avis délivré au titre de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues.

[62]            La question est de savoir si la délivrance à la défenderesse d'un avis de conformité, pour les besoins de sa demande d'inscription sur les formulaires provinciaux, fait partie de l'exception relative à la présomption d'absence de contrefaçon créée par le paragraphe 55.2(1). La réponse à cette question dépend de l'interprétation à la fois du paragraphe 55.2(1) et du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, en comparaison avec la législation provinciale régissant l'interchangeabilité et le paiement de produits pharmaceutiques.

[63]            Le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation qui était joint au Règlement lorsqu'il a été pris en 1993 comporte un guide d'interprétation à la fois du paragraphe 55.2(1) de la Loi et du Règlement. Bien que ne faisant pas partie du Règlement, le RÉIR sert de guide à l'intention du Parlement quant à l'objet et à l'effet de la législation proposée. À cet égard, je me fonde sur l'arrêt Bayer Inc. c. Canada (Procureur général) (1999), 87 C.P.R. (3d) 295 (C.A.F.), à la page 296.


[64]            Le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation de 1993, qui se trouve dans la Gazette du Canada, partie II, vol. 127, no 6, aux pages 1388 à 1389, prévoit en partie ce qui suit :

  • En vertu du règlement, il est interdit au ministre de la Santé et du Bien-être social (SBSC) d'approuver la mise en marché (avis de conformité) d'un médicament qui s'inspire d'un médicament connexe déjà approuvé tant que les brevets relatifs au produit original et à son utilisation soient [sic] encore en vigueur.
  • Aux termes du Règlement, les demandeurs peuvent indiquer le numéro et la date d'expiration de tous les brevets pertinents qui s'appliquent au médicament d'origine et au mode d'utilisation de ce médicament. SBSC doit maintenir l'enregistrement public des renseignements contenus dans ce brevet. Lorsque les fabricants de médicaments génériques ou autres présentent des demandes d'avis de conformité pour un médicament s'inspirant d'un médicament déjà approuvé pour lequel il existe des brevets, le demandeur doit confirmer l'état des brevets en question. Si ce demandeur allègue que certains de ces brevets sont nuls ou qu'il n'y a pas de contrefaçon, il doit signifier un avis en ce sens au propriétaire du ou des brevet(s). Ce dernier dispose alors de 45 jours, à compter de la date de réception de l'avis, pour entamer des poursuites contre le fabricant de médicaments génériques et pour faire appliquer le brevet contesté. Si le titulaire d'un brevet intente des oursuites dans ce délai, l'émission de l'avis de conformité pourra être retardée pendant 30 mois au maximum, jusqu'à ce que les poursuites soient réglées.
  • ...
  • Le présent règlement est nécessaire si on veut éviter que cette nouvelle exception en matière de contrefaçon soit mal utilisée par les fabricants de produits génériques désireux de vendre leurs produits au Canada pendant que le brevet original est encore valide. En vertu du règlement, ces fabricants peuvent toutefois entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir l'approbation réglementaire et ainsi commercialiser leurs produits dès que les brevets pertinents arrivent à expiration.
  • Ce règlement et le paragraphe 55.2(1) favoriseront l'investissement dans le domaine de l'innovation parce qu'ils permettront aux titulaires d'un brevet de bénéficier de la protection complète conférée par les brevets tout en donnant aux concurrents la possibilité de mettre leurs produits sur le marché dès que les brevets pertinents seront arrivés à expiration.

[65]            Selon le RÉIR cité ci-dessus, les droits exclusifs du breveté de jouir de son brevet et de l'utiliser sont maintenant limités par la capacité des fabricants de produits génériques d'utiliser un objet par ailleurs breveté en présentant une demande d'approbation réglementaire de leurs produits, comme la présentation d'une demande d'avis de conformité.

[66]            Dans les circonstances de l'espèce, la question est de savoir si une demande d'inscription sur les formulaires provinciaux constitue une telle approbation réglementaire.

[67]            Essentiellement donc, déterminer si une allégation est fondée en l'espèce reviendrait à conclure que les activités proposées ne constituent pas une contrefaçon des brevets. L'essentiel de la position de la défenderesse est que ses activités méritent l'exemption de la contrefaçon qui est prévue au paragraphe 55.2(1). Cette disposition a été examinée en ces termes par le juge Evans dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [2000] 4 C.F. 264, à la page 285 :

Toutefois, afin d'assurer qu'une société fabriquant des produits génériques soit en mesure de mettre sur le marché le médicament contrefait dès l'expiration du brevet relatif au médicament d'origine, les paragraphes 55.2(1) et (2) autorisent des activités qui constitueraient par ailleurs une contrefaçon du brevet. Le paragraphe (1) permet à une « seconde personne » d'utiliser l'invention brevetée afin de démontrer, dans la présentation de drogue nouvelle visant à l'obtention d'un ADC, que le médicament équivaut au médicament breveté ...

[68]            Cet énoncé donne à entendre que l'exemption de la contrefaçon peut clairement être utilisée relativement aux activités entreprises par une seconde personne en présentant aux autorités fédérales une demande de délivrance d'un avis de conformité. Toutefois, la question en l'espèce a trait à la possibilité de se prévaloir de l'exemption lorsque les processus d'approbation réglementaire des provinces entrent en jeu.


[69]            Selon la défenderesse, la désignation de certains médicaments comme médicaments interchangeables et remboursables dans le cadre des régimes d'assurance-médicaments est un processus réglementaire qui se rapporte à l'utilisation et à la vente de médicaments. La défenderesse fait reposer ses arguments à cet égard sur la législation pertinente de l'Ontario, soit la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation, L.R.O. (1990), ch. P. 23, et la Loi sur le régime de médicaments gratuits de l'Ontario, L.R.O. (1990), ch. O.10, et leurs règlements d'application.

[70]            De leur côté, les demanderesses contestent le pouvoir des provinces, dont l'Ontario, de réglementer la vente et l'utilisation de produits pharmaceutiques, faisant valoir que ces matières relèvent de la compétence exclusive du gouvernement fédéral. De plus, l'avis de conformité est la seule autorisation de commercialisation requise pour la vente d'un produit pharmaceutique.

[71]            Le régime législatif de l'Ontario a été examiné comme suit dans Apotex Inc. c. Ontario (Minister of Health), 71 O.R. (2d) 525 (C. de justice, C. div.), aux pages 527 et 528, relativement à la Loi de 1986 sur la réglementation des prix des médicaments délivrés sur ordonnance, L.O. (1986), ch. 28, la loi qui a précédé la Loi sur l'interchangeabilité des médicaments :

[TRADUCTION] On ne peut comprendre les questions en litige soulevées dans la présente demande sans décrire le régime réglementaire en cause. En Ontario, l'interchangeabilité des médicaments est régie par les dispositions de la Loi de 1986 sur la réglementation des prix des médicaments délivrés sur ordonnance qui s'intitule « Loi visant à protéger le public à l'égard du coût de certains médicaments délivrés sur ordonnance » . Elle prévoit la sélection obligatoire et permissive de médicaments interchangeables et réglemente le prix auquel les produits pharmaceutiques peuvent être revendus.


[72]            Cet énoncé donne à entendre que la législation ontarienne régissant l'interchangeabilité et les bas prix des produits pharmaceutiques est considérée comme réglementant l'utilisation et la vente de produits pharmaceutiques.

[73]            Je suis disposée à accepter que le législateur provincial réglemente l'utilisation et la vente de produits pharmaceutiques sans empiéter sur la compétence fédérale à cet égard. Ce point a été examiné dans l'affaire Pharmaceutical Manufacturers Assn. of Canada c. British Columbia (Attorney General), précitée, à la page 444; le tribunal a examiné alors la question de l'incompatibilité entre la Loi sur les aliments et drogues, précitée, et la politique du régime d'assurance-médicaments de la Colombie Britannique :

[TRADUCTION] Dans la mesure où il s'agit d'une incompatibilité entre les objectifs, le procureur général admet facilement que l'objet de l'établissement du coût en fonction du produit de référence est de contrôler le montant que la province remboursera pour les médicaments sur ordonnance dans le cadre de Pharmacare. Je ne suis pas convaincu que l'existence d'une incompatibilité a été démontrée entre l'objet et le but de la Loi sur les aliments et drogues, qui est de contrôler le développement, la fabrication, la promotion et la vente de produits pharmaceutiques au Canada. Rien dans la politique provinciale n'empêche un produit pharmaceutique dont la vente a été approuvée au Canada d'être vendu ou administré dans la province, et rien dans la politique n'exige qu'un produit pharmaceutique qui est dangereux ou dont la vente au Canada n'a pas été approuvée soit vendu ou administré dans la province. D'après mon interprétation de la jurisprudence sur la doctrine de la suprématie qui a été invoquée devant nous, je conclus que l'établissement du coût en fonction du produit de référence et le régime fédéral d'administration des aliments et des drogues peuvent coexister validement...


[74]            D'après la preuve qui a été présentée à l'instance, toutes les provinces exigent qu'un fabricant de produits pharmaceutiques soit titulaire d'un avis de conformité avant qu'un produit pharmaceutique ne soit inscrit sur un formulaire provincial. Voilà la situation dans laquelle la défenderesse se trouve maintenant. Toutefois, elle ne peut se fonder sur le régime législatif provincial en matière d'interchangeabilité des produits pharmaceutiques et leur inclusion dans les régimes provinciaux d'assurance-médicaments pour fonder sa demande d'avis de conformité.

[75]            C'est ce que la défenderesse tente de faire ici quand elle affirme que la législation provinciale réglemente l'utilisation et la vente de produits pharmaceutiques.

[76]            La législation provinciale joue un rôle de réglementation de la vente et de l'utilisation des produits pharmaceutiques, mais uniquement après que le processus fédéral a été entamé et s'est achevé. Les régimes provinciaux sont subordonnés au régime fédéral prescrit par la Loi sur les aliments et drogues, précitée, et le Règlement.

[77]            La défenderesse a avancé un nouvel argument, mais il ne peut être accueilli parce qu'il est contraire au régime réglementaire touchant à la fois l'autorisation des produits pharmaceutiques et la protection des droits afférents aux brevets.


[78]            L'interprétation du paragraphe 55.2(1) que la défenderesse nous prie d'adopter est contraire à l'objet de la Loi, qui est de protéger les droits exclusifs du breveté. Selon la Cour suprême du Canada, s'exprimant dans Rizzo et Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, à la page 41, la bonne interprétation d'une loi doit s'affranchir du libellé même de la loi; il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global eu égard à l'économie de la loi et à son objet ainsi qu'à l'intention du législateur.

[79]            La défenderesse cherche à obtenir une interprétation du paragraphe 55.2(1) qui est contraire tant à l'objet de la Loi qu'à l'article 5 du Règlement.

[80]            Bien que je ne sois pas disposée à accepter l'argument des demanderesses selon lequel le simple fait de présenter une demande d'inscription sur un formulaire provincial constitue une offre de vente et, par conséquent, un acte de contrefaçon, je suis convaincue qu'elles se sont déchargées du fardeau d'établir que l'avis d'allégation de la défenderesse n'est pas fondé.

[81]            La demande est accueillie. Par application de l'article 6 du Règlement, il est interdit au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet.

[82]            L'adjudication des dépens est reportée après que les parties auront présenté leurs observations à ce sujet, à moins que les parties ne puissent s'entendre.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.        Que la demande en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction soit rejetée; et


2.        Que l'adjudication des dépens soit reportée après que les parties auront présenté leurs observations à ce sujet, à moins que les parties ne puissent s'entendre.

                                                                                         « E. Heneghan »      

                                                                                                             Juge                 

OTTAWA (Ontario)

Le 19 juillet 2002

   

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                           T-1325-00

INTITULÉ :                                          PFIZER CANADA INC. ET AL. c.

APOTEX INC. ET AL.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                 OTTAWA

DATES DE L'AUDIENCE :             LES 6 et 7 MAI 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PAR LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                       LE 19 JUILLET 2002

   

COMPARUTIONS :

ANTHONY CREBER                                                   POUR LES DEMANDERESSES

HARRY RADOMSKI                                                   POUR LA DÉFENDERESSE,

APOTEX INC.

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP POUR LES DEMANDERESSES

OTTAWA

GOODMANS LLP                                                         POUR LA DÉFENDERESSE,

TORONTO                                                                      APOTEX INC.

MORRIS ROSENBERG                                                POUR LE DÉFENDEUR,

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL                                LE MINISTRE DE LA SANTÉ

DU CANADA



[1]Le ministre de la Santé défendeur n'a pas participé à l'audition de la présente demande.

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