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Date : 20141209


Dossier : T-13-14

Référence : 2014 CF 1185

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2014

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

ALLAN ADAM, EN SON PROPRE NOM ET EN CELUI DE DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION CHIPEWYAN D’ATHABASCA; LA PREMIÈRE NATION CHIPEWYAN D’ATHABASCA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT,
LE PROCUREUR GÉNÉRAL ET
SHELL CANADA LIMITÉE

défendeurs

MOTIFS ET JUGEMENT

[1]               Le demandeur, Allan Adam, en son propre nom et en celui de la Première Nation Chipewyan d’Athabasca [la PNCA], sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions que le gouvernement du Canada [le Canada] a rendues en application de l’article 52 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19, [la LCEE] : 1) le décret 2013‑1349, pris par le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 52(4) et portant que « les effets environnementaux négatifs importants susceptibles d'être causés par le projet d’expansion de la mine Jackpine de Shell Canada sont justifiables dans les circonstances », et 2) la déclaration du défendeur, le ministre de l’Environnement [le ministre], faite en vertu de l’article 54 et énonçant les conditions obligatoires qui s’appliquent au projet en question.

I.                   GRANDES LIGNES

[2]               Le Projet d’expansion de la mine Jackpine [le Projet] est une proposition d’expansion d’une concession minière de sables bitumineux à ciel ouvert de Shell Canada Limitée [Shell] dans la région des sables bitumineux de l’Athabasca, près de Fort McMurray (Alberta). Le Projet serait réalisé sur les terres traditionnelles de la PNCA, une nation autochtone jouissant de droits conférés par le traité no 8.

[3]               S’opposant au Projet, la PNCA a commencé à consulter la Couronne et Shell en 2007. Elle souhaitait que l’on rejette carrément le Projet ou, du moins, que l’on prenne des mesures d’accommodement appropriées pour en contrer les effets préjudiciables sur ses droits. La Couronne a invité la PNCA à exprimer ses préoccupations à une commission d’examen conjoint, chargée de procéder à l’évaluation environnementale du Projet.

[4]               Le Projet nécessitait une évaluation environnementale ainsi qu’une décision du ministre. Le 6 décembre 2013, ce dernier a décidé que le Projet était justifié, sous réserve d’une liste de conditions liant le promoteur du projet, Shell.

[5]               La PNCA soutient que la Couronne a rendu sa décision en violation des obligations de consultation et d’accommodement de cette dernière envers elle. Elle demande donc à la Cour de déclarer que la décision est invalide et d’exiger que l’on prenne des mesures de consultation et d’accommodement appropriées.

II.                LES FAITS

[6]               En 2007, la défenderesse Shell a proposé le Projet, qui hausserait la capacité de production de bitume de la mine Jackpine de 100 000 barils par jour civil. Des camps, des routes d’accès, des installations d’extraction et de transformation, des réseaux de services publics, de nouvelles mines ainsi que des bassins de résidus seraient tous construits ou agrandis. Le Projet détruirait un tronçon, long de 21 kilomètres, de la rivière Muskeg, dont une bonne part est constituée de terres traditionnelles de la PNCA, y compris plus de 10 000 hectares de terres humides, dont 85 % de tourbières qui ne seraient pas récupérables. De plus, le Projet aurait un effet préjudiciable sur les droits de la PNCA, notamment ceux qui lui sont conférés par le traité no 8 en vue de la chasse, de la pêche et de la récolte d’animaux et de végétaux. Enfin, il ferait obstacle à la préservation de sa culture et de son mode de vie. L’annexe A jointe ci-après présente une carte de la zone régionale et locale que couvre le projet de Shell.

[7]               Le projet de Shell a déclenché les processus réglementaire fédéral et provincial, lesquels exigent chacun que l’on obtienne une autorisation en vertu des lois environnementales et d’autre nature. Premièrement, le Projet exigeait la tenue d’une évaluation environnementale, conformément à la LCEE. Les autres autorisations fédérales et provinciales ne pouvaient être obtenues qu’après une décision de la Couronne fédérale confirmant que les effets environnementaux négatifs importants du Projet étaient justifiés et fixant des conditions obligatoires pour l’exécution du Projet (LCEE, alinéa 7b), paragraphe 52(4), article 53).

[8]               La Couronne et l’Alberta ont convenu d’intégrer leurs processus réglementaires respectifs. Elles ont créé une commission d’examen conjoint indépendante [la Commission] en vue de procéder à l’évaluation environnementale au moyen d’audiences, de consultations de nations autochtones et d’examens de données. La Commission était tenue de présenter sa justification, ses conclusions et ses recommandations relatives au Projet dans un rapport destiné au ministre.

[9]               Avant que la Commission entreprenne ses audiences, la PNCA, soutenue par des fonds attribués par la Couronne, a pris part à une consultation préalable aux audiences avec Shell et la Couronne au sujet de la propre évaluation des incidences environnementales de Shell, de l’entente visant à former la Commission, du plan de consultation et de la capacité de la Commission de procéder à la tenue d’une audience à partir des informations dont elle disposait.

[10]           La Commission a tenu ses audiences du 29 octobre au 21 novembre 2012. La PNCA y a participé de près, produisant des centaines de pages d’observations, interrogeant et contre‑interrogeant des témoins ordinaires et experts et déposant des observations finales.

[11]           Le 9 juillet 2013, la Commission a publié son rapport de 405 pages, dans lequel elle analyse en détail les preuves présentées par la PNCA, la Couronne, Shell et d’autres parties. Elle a conclu que le Projet offrait d’importants avantages économiques et qu’il ne fallait pas le retarder. Par ailleurs, il causerait vraisemblablement des effets environnementaux négatifs importants – certains d’entre eux irréversibles et insuffisamment atténués – au paysage, à la flore, à la faune et aux Autochtones vivant sur les terres en question. Toutefois, les effets cumulatifs de ce projet et d’autres situés dans la région causeraient vraisemblablement un préjudice considérable aux droits ancestraux ainsi qu’à l’environnement. La gestion de ces effets cumulatifs débordait le cadre du Projet et ne pouvait pas relever de la responsabilité exclusive de Shell, le promoteur du Projet.

[12]           La Commission a également publié 88 recommandations en vue de la bonne mise en œuvre du Projet. Ces recommandations visent expressément à répondre aux préoccupations d’ordre environnemental (sol, eau, air, terres humides, forêts, végétaux, poisson, bison, caribou, orignal, oiseaux migrateurs) ainsi qu’aux questions relatives au bien-être des nations autochtones de la région.

[13]           Après la publication du rapport de la Commission, la Couronne a poursuivi ses consultations dans le cadre de ce que la PNCA appelle la phase IV du processus de consultation. Là encore, la Couronne a attribué des fonds pour que la PNCA puisse y participer.

[14]           La PNCA a présenté non seulement ses préoccupations de fond, mais aussi un certain nombre de préoccupations d’ordre procédural, dont le souhait que la Couronne fasse connaître son propre point de vue au cours de la phase IV, l’insuffisance de l’ébauche de rapport de la Couronne sur le processus de consultation, une demande pour que les représentants de la Couronne présents aux réunions reçoivent le mandat de négocier des mesures d’accommodement, le souhait de consulter directement d’autres intervenants, de même que plusieurs moyens proposés pour prendre en compte les droits de la PNCA.

[15]           Des représentants de la Couronne ont rencontré des représentants de la PNCA les 13 et 16 août 2013 en vue de discuter du rapport, ainsi que le 15 octobre 2013, en vue de discuter des réponses possibles du gouvernement fédéral au rapport. Une ébauche de rapport ultérieure mentionne, sans les régler toutefois, certaines des préoccupations de la PNCA quant à l’insuffisance des mesures de consultation et d’accommodement.

[16]           Le 25 octobre 2013, le ministre s’est acquitté de l’obligation que lui imposait le paragraphe 52(1) de la LCEE en décidant que le Projet causerait vraisemblablement des effets environnementaux négatifs importants.

[17]           Le 13 novembre 2013, des hauts fonctionnaires d’Environnement Canada [EC] ont rencontré des représentants de la PNCA en vue de discuter de questions relevant du mandat d’EC et à propos desquelles la PNCA avait fait part de ses préoccupations, dont l’élaboration d’une stratégie de rétablissement concernant le bison des bois et de plans relatifs aux aires de répartition du caribou des bois, la demande de la PNCA en vue d’obtenir des décrets d’urgence pour chaque espèce visée par la Loi sur les espèces en péril, l’utilisation possible de crédits de conservation et l’utilisation, par le Canada, du Plan régional concernant la Basse-Athabasca [PRBA] du gouvernement de l’Alberta.

[18]           Le 5 décembre 2013, le gouverneur en conseil a décidé que les effets environnementaux vraisemblablement négatifs du Projet étaient « justifiables dans les circonstances ». Le gouverneur en conseil n’a pas motivé sa décision, et la Couronne allègue l’existence d’un privilège sur les documents qui pourraient clarifier les motifs.

[19]           Le 6 décembre 2013, conformément aux obligations que lui impose l’article 53 de la LCEE, le ministre a fait la déclaration requise, et celle-ci a, d’une part, confirmé la décision de la Couronne selon laquelle les effets environnementaux étaient justifiés et, d’autre part, fixé aussi des conditions liant Shell. Le Canada a également publié sa réponse aux recommandations de la Commission auxquelles il était impossible de donner suite au moyen de conditions imposées dans la déclaration. Le Canada a réitéré un certain nombre d’engagements au sujet de questions qui avaient été évoquées lors du processus et qui n’étaient pas propres au Projet. Il a également confirmé qu’il travaillerait de concert avec l’Alberta au sujet de questions relevant de la compétence de cette province.

III.             UNE QUESTION PRÉLIMINAIRE

[20]           Shell demande à la Cour de radier l’affidavit de Hechtenthal, que le demandeur a déposé. Je suis d’accord avec Shell. L’affidavit ne présente pas de « faits dont le déclarant a une connaissance personnelle », comme l’exige le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, mais une opinion d’expert sur la décision ainsi que sur les conditions du Projet. Il n’est donc pas admissible.

[21]           Lors d’un contrôle judiciaire, « [h]abituellement, la Cour ne tient compte que du dossier dont disposait le décideur. Il peut être justifié de faire exception à cette règle lorsqu’une preuve extrinsèque se rapporte à une allégation en matière de manquement à l’équité procédurale ou encore à une erreur de compétence », comme dans les cas où un tribunal administratif a outrepassé ses pouvoirs [Bande indienne de Shubenacadie c Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 2 CF 198, à la page 221, 154 DLR (4th) 344]. « La preuve extrinsèque peut aussi être admissible lorsqu’elle décrit la procédure ainsi que la preuve présentée au décideur dont la décision est à l’examen » (Alberta Wilderness Association c Canada (Ministre de l’Environnement), 2009 CF 710, au paragraphe 30, 94 Admin LR (4th) 81 [Alberta Wilderness]). Cet affidavit ne satisfait à aucun de ces critères.

[22]           Dans la décision Première Nation des Dénés Yellowknives c Canada (PG), 2010 CF 1139, [2011] 1 CNLR 385, le juge Michael Phelan a fait droit à un affidavit portant sur l’existence de l’obligation de consultation parce que les demandeurs n’avaient pas eu l’occasion d’être consultés et n’avaient donc jamais eu la chance de produire les preuves avant le procès. En l’espèce, par contraste, l’affidavit présente une preuve d’expert qui porte non pas sur l’existence d’une obligation de consultation mais sur le caractère approprié des conditions imposées à Shell. Les demandeurs ont eu l’occasion de produire de telles preuves; ils ne peuvent donc pas le faire maintenant par la voie d’un affidavit.

[23]           La décision Alberta Wilderness envisage bel et bien la possibilité que « malgré [l’article 81 des Règles], la preuve d’opinion d’un expert qualifié à juste titre comme tel peut être admissible si elle est pertinente et nécessaire pour aider le juge des faits. Elle ne doit pas non plus être assujettie à une règle d’exclusion » (Alberta Wilderness, au paragraphe 33). Cependant, la preuve d’opinion présentée dans l’affidavit ne vient pas d’un expert qualifié à juste titre comme tel. Quoi qu’il en soit, cet affidavit n’est ni pertinent ni nécessaire pour aider la Cour, qui peut trancher les questions de droit sans une aide interprétative externe.

[24]           Je radie donc l’affidavit de Hechtenthal car il n’est pas admissible.

IV.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[25]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.               La Couronne a-t-elle manqué à une obligation de consulter la PNCA?

2.               La Couronne a-t-elle manqué à une obligation de prendre des mesures d’accommodement en faveur de la PNCA?

V.                LES OBSERVATIONS DES PARTIES

A.                L’obligation de consultation

1)                  Les observations du demandeur

[26]           Le demandeur soutient que la Couronne a mené précipitamment le processus de consultation. La phase IV, qui a duré cinq mois, était une période trop courte pour examiner les nombreuses questions qui avaient été soulevées. La Couronne n’a pas tenu compte des demandes de temps supplémentaire de la PNCA. De plus, elle a mis subitement fin au processus avant d’examiner toutes les préoccupations de la PNCA.

[27]           La Couronne a rendu sa décision avant de terminer les consultations. Elle a omis de recueillir les informations requises pour déterminer de quelle façon elle traiterait des préoccupations de la PNCA et s’il y avait lieu d’approuver le Projet ou non. Dans ses recommandations concernant la décision, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale a simplement mentionné la préoccupation générale des nations autochtones selon laquelle l’Alberta ne faisait pas assez pour protéger les droits conférés par l’article 35; elle n’a explicité aucune des préoccupations de la PNCA. Le ministre a rendu la décision sans autre forme d’enquête.

[28]           Le processus était dénué du degré de transparence requis. La Couronne n’a pas fait part à la PNCA de son avis au Cabinet, des conditions qu’elle proposait pour le Projet, ainsi que des informations qu’elle avait reçues de l’Alberta. Cette opacité a miné le processus de consultation.

[29]           La Couronne a manqué à ses propres engagements envers la PNCA lors du processus de consultation. Après avoir amené la PNCA à croire que le processus d’examen de la Commission éclairerait dans une large mesure ses décisions, la Couronne n’a pas consulté la PNCA sur les recommandations de la Commission, et elle ne les a même pas toutes adoptées. Dans le même ordre d’idées, la Couronne a manqué à sa promesse de se servir de la phase IV pour cerner les questions en suspens et examiner des mesures d’accommodement qui pourraient aller au-delà du Projet lui-même.

[30]           Les consultations n’ont donc pas été suffisamment sensibles aux préoccupations de la PNCA et n’ont pas fait montre d’une attention suffisante aux effets cumulatifs du Projet. Ces lacunes, qui rendaient les consultations inadéquates, constituent un manquement à l’obligation de consultation de la Couronne.

2)                  Les observations des défendeurs fédéraux

[31]           Les défendeurs fédéraux soutiennent que l’on a accordé à la PNCA la possibilité de tenir des consultations approfondies pendant toute la durée du processus. Ces consultations ne se sont pas limitées aux cinq mois de la phase IV; elles ont débuté il y a plus de six ans et se poursuivent encore aujourd’hui. La PNCA a eu la possibilité de faire part de son point de vue à la Couronne, à Shell et à la Commission, tant par écrit qu’en personne; elle a même reçu des fonds à cette fin. La Commission a traité en détail et de manière exhaustive des préoccupations de la PNCA. Lors de la phase IV, la Couronne a consulté la PNCA sur des questions qui subsistaient. Une période de cinq mois a été suffisante à cette fin.

[32]           Bien que la décision soit définitive, tant le Canada que l’Alberta continuent de consulter la PNCA sur le Projet lui-même. De ce fait, la présente demande se limite à la décision; elle ne vise pas le Projet dans son ensemble.

[33]           La Couronne n’a pas commis d’erreur en se fondant sur les observations de l’Alberta au sujet des réponses aux effets cumulatifs régionaux. L’Alberta avait compétence principale pour réglementer le Projet et elle était assujettie à la même obligation de consultation que la Couronne. L’Alberta avait aussi compétence principale sur un grand nombre des effets cumulatifs régionaux. Il était donc approprié de se fonder sur ses observations.

[34]           Le processus a été suffisamment transparent. Tant l’avis du ministre au Cabinet que les motifs des décisions de ce dernier sont confidentiels; la PNCA n’avait pas droit à la communication d’informations.

[35]           Comme l’indique l’ampleur des mesures d’accommodement, la Couronne a examiné sérieusement le point de vue de la PNCA avant de rendre la décision.

[36]           Pour ces raisons, la Couronne s’est acquittée de son obligation de consulter la PNCA.

3)                  Les observations de la défenderesse Shell

[37]           La défenderesse Shell soutient que l’Alberta assumait la majeure partie de la responsabilité du Projet proposé. La Couronne fédérale n’avait qu’une obligation de consultation restreinte.

[38]           Néanmoins, la Couronne a entrepris des consultations sérieuses et appropriées, dans la mesure où sa compétence le permettait. La PNCA a été invitée à présenter des observations par écrit et de vive voix pendant toute la durée du processus, ainsi qu’à faire part de son avis à la Couronne sur la manière dont le rapport de la Commission répondait à ses préoccupations. La PNCA a également reçu une aide financière pour faciliter sa participation au processus de consultation.

[39]           Les consultations ont été suffisamment transparentes. La PNCA n’avait pas droit à la divulgation des communications confidentielles et du processus décisionnel du Cabinet. De plus, le caractère approprié des consultations dépend non pas des documents que le Cabinet a pris en considération, mais de la conduite de la Couronne lors des consultations.

[40]           Pour ces raisons, la Couronne s’est acquittée de son obligation de consulter la PNCA.

B.                 L’obligation d’accommodement

1)                  Les observations du demandeur

[41]           Le demandeur soutient qu’au vu des effets négatifs importants du Projet, la Couronne se devait de prendre des mesures d’accommodement envers la PNCA et elle avait également la compétence requise pour agir. Toutefois, elle n’a apporté que de légers changements aux conditions du Projet, des changements qui faisaient abstraction de la totalité des mesures d’accommodement les plus importantes que souhaitait obtenir la PNCA ou que la Commission indépendante avait recommandées.

[42]           En particulier, même si elle avait la compétence voulue pour agir, la Couronne n’a donné suite à aucune des recommandations suivantes de la Commission :

1.      faire des crédits de conservation une condition du Projet;

2.      financer la PNCA et l’aider par ailleurs à mettre au point un plan de gestion de l’utilisation des terres traditionnelles (PGUTT);

3.      octroyer des fonds au titre de la préservation de la culture;

4.      adopter à titre de conditions du Projet les recommandations nos 44 et 45 de la Commission, qui portent sur le caribou;

5.      modifier la stratégie de rétablissement en vue d’activer l’achèvement des plans d’action et des plans d’aires de répartition concernant le caribou;

6.      s’engager à mettre au point la stratégie fédérale de rétablissement du bison des bois dans un délai suffisant pour éclairer les décisions relatives au lac Redclay;

7.      fixer des conditions de Projet plus strictes pour les oiseaux migrateurs ainsi que pour les consultations de Shell avec la PNCA.

[43]           C’est donc dire que la Couronne a manqué à son obligation de prendre des mesures d’accommodement à l’égard des préoccupations de la PNCA.

2)                  Les observations des défendeurs fédéraux

[44]           Les défendeurs fédéraux soutiennent que les mesures d’accommodement ont préservé l’honneur de la Couronne. Cette dernière a imposé au Projet de nombreuses conditions visant à prendre en compte les droits et les intérêts des groupes autochtones touchés par le Projet, dont la PNCA. Ces mesures n’ont pas satisfait la PNCA, mais il s’agit de mesures d’accommodement appropriées.

[45]           Quand la Couronne était compétente pour répondre aux préoccupations de la PNCA, elle l’a fait dans le cas des sept questions que cette dernière a soulevées et qui ont été énumérées plus tôt.

[46]           Premièrement, pour ce qui est des crédits de conservation, la Couronne n’avait pas compétence pour agir; la question relève de la compétence exclusive de l’Alberta. Deuxièmement, on peut en dire autant de l’élaboration d’un PGUTT. En ce qui concerne ces deux points, le Canada allait [traduction« travailler de concert avec l’Alberta […] à l’intégration de l’utilisation des terres traditionnelles ancestrales dans les activités de gestion et de planification régionales dans la région de la Basse-Athabasca » ainsi qu’à [traduction« la planification régionale, la gestion des ressources traditionnelles et la gestion des ressources naturelles en collaboration avec les groupes autochtones ».

[47]           Troisièmement, la Couronne n’avait aucune obligation d’octroyer des fonds au titre de la préservation de la culture; elle pouvait décider de répondre à cette préoccupation en recourant à des moyens autres que l’octroi de fonds.

[48]           Quatrièmement, les recommandations concernant le caribou des bois relevaient de la compétence de la province; la Couronne n’avait pas le pouvoir d’agir. Néanmoins, elle a établi pour le caribou des bois une stratégie de rétablissement exhaustive allant au-delà de la portée du Projet.

[49]           Cinquièmement, la PNCA n’a pas prouvé que les changements demandés à la stratégie de rétablissement du caribou des bois sont nécessaires, voire avantageux. La Couronne gère de façon raisonnable sa stratégie de rétablissement en collaboration avec l’Alberta.

[50]           Sixièmement, la stratégie de rétablissement du bison des bois qui a été demandée est en voie d’élaboration; la Couronne juge donc la question prioritaire. Cette mesure d’accommodement est appropriée.

[51]           Septièmement, la PNCA ne présente aucune preuve à l’appui de sa demande de [traduction« conditions de projet plus strictes pour les oiseaux migrateurs ainsi que pour les consultations de Shell avec la PNCA ». Le ministre a produit une page et demie de conditions axées sur la protection des oiseaux migrateurs. La PNCA ne fait pas état de lacunes précises qu’il est nécessaire de corriger. De plus, l’imposition de conditions plus strictes pourrait faire obstacle à d’autres régimes législatifs et réglementaires conçus pour protéger les oiseaux migrateurs.

[52]           La Couronne a donc pris des mesures d’accommodement raisonnables à l’égard des préoccupations de la PNCA.

3)                  Les observations de la défenderesse Shell

[53]           La défenderesse Shell soutient que la Couronne a pris raisonnablement en compte toutes les préoccupations de fond du demandeur : les effets du Projet et les effets cumulatifs régionaux sur le bison, le caribou et les oiseaux migrateurs, le détournement de la rivière Muskeg, l’utilisation des terres traditionnelles, de même que les droits ancestraux. Ces préoccupations sont analysées séparément dans les paragraphes qui suivent.

[54]           La Commission a conclu que les effets particuliers du Projet et les effets cumulatifs sur le bison, en raison de la perte d’habitat due à l’aménagement du projet de lac de compensation risquaient peu d’être importants. De plus, il est possible que l’approbation du lac de compensation exige d’autres mesures de consultation et d’accommodement. Le Canada traite également des préoccupations relatives au bison des bois dans le cadre d’une stratégie qui déborde le cadre du Projet.

[55]           La Commission a conclu que les effets du Projet proprement dit sur le caribou étaient minimes. Néanmoins, la décision a imposé à Shell des conditions concernant la protection du caribou. La Commission a effectivement relevé des effets cumulatifs négatifs importants et elle a recommandé que l’Alberta et la Couronne interviennent sur le plan régional. Ces mesures d’accommodement reflètent de manière appropriée la capacité qu’a la Couronne d’agir dans un secteur qui relève en grande partie de la compétence de la province. De plus, la Couronne a promis d’aider l’Alberta.

[56]           La Commission a relevé des effets négatifs importants, tant propres au Projet lui-même que cumulatifs, sur certaines espèces d’oiseaux migrateurs. Elle a formulé des recommandations à cet effet. La Couronne a pris en compte de nombreuses façons les préoccupations de la PNCA : elle a imposé cinq conditions importantes au Projet; elle a priorisé les stratégies de rétablissement concernant les espèces en question; elle a promis de faire des recherches et de surveiller les effets de l’exposition des oiseaux migrateurs aux étangs de résidus; elle a offert de collaborer avec l’Alberta à l’égard des responsabilités de la province. Là encore, ces mesures d’accommodement sont suffisantes.

[57]           La Commission a relevé d’importants effets négatifs cumulatifs, mais non propres au Projet, sur les droits et l’utilisation des terres traditionnelles de la PNCA. La Couronne a pris raisonnablement en compte les préoccupations de la PNCA en ajoutant plusieurs conditions au Projet.

[58]           La Commission a décidé que le détournement de la rivière Muskeg était une question d’intérêt public mais elle a recommandé la prise d’autres mesures de consultation, d’atténuation ou d’accommodement à l’égard des préoccupations de la PNCA avant que le détournement puisse être approuvé. Même si l’Alberta a compétence exclusive sur l’utilisation des terres et la gestion des eaux, la Couronne a néanmoins imposé plusieurs conditions destinées à répondre aux préoccupations de la PNCA. Shell a elle aussi cherché à atténuer ces préoccupations en remaniant le plan de détournement.

[59]           La Couronne a donc pris des mesures d’accommodement raisonnables à l’égard des préoccupations de la PNCA.

VI.             LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[60]           La LCEE régit l’évaluation environnementale qu’exige le Projet. En voici les dispositions pertinentes.

[61]           L’article 5 définit ce que sont les « effets environnementaux » pour l’application de la LCEE :

5. (1) Pour l’application de la présente loi, les effets environnementaux qui sont en cause à l’égard d’une mesure, d’une activité concrète, d’un projet désigné ou d’un projet sont les suivants :

a) les changements qui risquent d’être causés aux composantes ci-après de l’environnement qui relèvent de la compétence législative du Parlement :

(i) les poissons et leur habitat, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les pêches,

(ii) les espèces aquatiques au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les espèces en péril,

(iii) les oiseaux migrateurs au sens du paragraphe 2(1) de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs,

(iv) toute autre composante de l’environnement mentionnée à l’annexe 2;

b) les changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas :

(i) sur le territoire domanial,

(ii) dans une province autre que celle dans laquelle la mesure est prise, l’activité est exercée ou le projet désigné ou le projet est réalisé,

(iii) à l’étranger;

c) s’agissant des peuples autochtones, les répercussions au Canada des changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas :

(i) en matière sanitaire et socio-économique,

(ii) sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel,

(iii) sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles,

(iv) sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural.

Exercice d’attributions par une autorité fédérale

(2) Toutefois, si l’exercice de l’activité ou la réalisation du projet désigné ou du projet exige l’exercice, par une autorité fédérale, d’attributions qui lui sont conférées sous le régime d’une loi fédérale autre que la présente loi, les effets environnementaux comprennent en outre :

a) les changements — autres que ceux visés aux alinéas (1)a) et b) — qui risquent d’être causés à l’environnement et qui sont directement liés ou nécessairement accessoires aux attributions que l’autorité fédérale doit exercer pour permettre l’exercice en tout ou en partie de l’activité ou la réalisation en tout ou en partie du projet désigné ou du projet;

b) les répercussions — autres que celles visées à l’alinéa (1)c) — des changements visés à l’alinéa a), selon le cas :

(i) sur les plans sanitaire et socio-économique,

(ii) sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel,

(iii) sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural.

(3) Le gouverneur en conseil peut, par décret, modifier l’annexe 2 pour y ajouter ou en retrancher toute composante de l’environnement.

5. (1) For the purposes of this Act, the environmental effects that are to be taken into account in relation to an act or thing, a physical activity, a designated project or a project are

(a) a change that may be caused to the following components of the environment that are within the legislative authority of Parliament:

(i) fish and fish habitat as defined in subsection 2(1) of the Fisheries Act,

(ii) aquatic species as defined in subsection 2(1) of the Species at Risk Act,

(iii) migratory birds as defined in subsection 2(1) of the Migratory Birds Convention Act, 1994, and

(iv) any other component of the environment that is set out in Schedule 2;

(b) a change that may be caused to the environment that would occur

(i) on federal lands,

(ii) in a province other than the one in which the act or thing is done or where the physical activity, the designated project or the project is being carried out, or

(iii) outside Canada; and

(c) with respect to aboriginal peoples, an effect occurring in Canada of any change that may be caused to the environment on

(i) health and socio-economic conditions,

(ii) physical and cultural heritage,

(iii) the current use of lands and resources for traditional purposes, or

(iv) any structure, site or thing that is of historical, archaeological, paleontological or architectural significance.

(2) However, if the carrying out of the physical activity, the designated project or the project requires a federal authority to exercise a power or perform a duty or function conferred on it under any Act of Parliament other than this Act, the following environmental effects are also to be taken into account:

(a) a change, other than those referred to in paragraphs (1)(a) and (b), that may be caused to the environment and that is directly linked or necessarily incidental to a federal authority’s exercise of a power or performance of a duty or function that would permit the carrying out, in whole or in part, of the physical activity, the designated project or the project; and

 

(b) an effect, other than those referred to in paragraph (1)(c), of any change referred to in paragraph (a) on

(i) health and socio-economic conditions,

(ii) physical and cultural heritage, or

(iii) any structure, site or thing that is of historical, archaeological, paleontological or architectural significance.

(3) The Governor in Council may, by order, amend Schedule 2 to add or remove a component of the environment.

[62]           L’article 52 décrit la décision qu’il est nécessaire de prendre au sujet de la probabilité que le Projet proposé cause des effets environnementaux négatifs importants visés au paragraphe 55(1) :

52. (1) Pour l’application des articles 27, 36, 47 et 51, le décideur visé à ces articles décide si, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation qu’il estime indiquées, la réalisation du projet désigné est susceptible :

a) d’une part, d’entraîner des effets environnementaux visés au paragraphe 5(1) qui sont négatifs et importants;

b) d’autre part, d’entraîner des effets environnementaux visés au paragraphe 5(2) qui sont négatifs et importants.

(2) S’il décide que la réalisation du projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux visés aux paragraphes 5(1) ou (2) qui sont négatifs et importants, le décideur renvoie au gouverneur en conseil la question de savoir si ces effets sont justifiables dans les circonstances.

(3) Si le décideur est une autorité responsable visée à l’un des alinéas 15a) à c), le renvoi se fait par l’entremise du ministre responsable de l’autorité devant le Parlement.

(4) Saisi d’une question au titre du paragraphe (2), le gouverneur en conseil peut décider :

a) soit que les effets environnementaux négatifs importants sont justifiables dans les circonstances;

b) soit que ceux-ci ne sont pas justifiables dans les circonstances.

52. (1) For the purposes of sections 27, 36, 47 and 51, the decision maker referred to in those sections must decide if, taking into account the implementation of any mitigation measures that the decision maker considers appropriate, the designated project.

(a) is likely to cause significant adverse environmental effects referred to in subsection 5(1); and

b) is likely to cause significant adverse environmental effects referred to in subsection 5(2).

(2) If the decision maker decides that the designated project is likely to cause significant adverse environmental effects referred to in subsection 5(1) or (2), the decision maker must refer to the Governor in Council the matter of whether those effects are justified in the circumstances.

(3) If the decision maker is a responsible authority referred to in any of paragraphs 15(a) to (c), the referral to the Governor in Council is made through the Minister responsible before Parliament for the responsible authority.

(4) When a matter has been referred to the Governor in Council, the Governor in Council may decide

(a) that the significant adverse environmental effects that the designated project is likely to cause are justified in the circumstances; or

(b) that the significant adverse environmental effects that the designated project is likely to cause are not justified in the circumstances.

[63]           L’article 53 précise l’obligation qu’a le décideur d’établir des conditions propres au Projet à l’égard de ses effets environnementaux négatifs importants, tels que définis au paragraphe 53(1);

53. (1) Dans le cas où il décide, au titre de l’alinéa 52(1)a), que la réalisation du projet désigné n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux visés au paragraphe 5(1) qui sont négatifs et importants ou dans le cas où le gouverneur en conseil décide, en vertu de l’alinéa 52(4)a), que les effets environnementaux visés à ce paragraphe négatifs et importants que la réalisation du projet est susceptible d’entraîner sont justifiables dans les circonstances, le décideur fixe les conditions que le promoteur du projet est tenu de respecter relativement aux effets environnementaux visés à ce paragraphe.

(2) Dans le cas où il décide, au titre de l’alinéa 52(1)b), que la réalisation du projet désigné n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux visés au paragraphe 5(2) qui sont négatifs et importants ou dans le cas où le gouverneur en conseil décide, en vertu de l’alinéa 52(4)a), que les effets environnementaux visés à ce paragraphe négatifs et importants que la réalisation du projet est susceptible d’entraîner sont justifiables dans les circonstances, le décideur fixe les conditions — directement liées ou nécessairement accessoires aux attributions que l’autorité fédérale doit exercer pour permettre la réalisation en tout ou en partie du projet — que le promoteur du projet est tenu de respecter relativement aux effets environnementaux visés à ce paragraphe.

(3) Ces dernières conditions sont toutefois subordonnées à l’exercice par l’autorité fédérale des attributions en cause.

(4) Les conditions visées aux paragraphes (1) et (2) sont notamment les suivantes :

a) la mise en œuvre des mesures d’atténuation dont il a été tenu compte dans le cadre des décisions prises au titre du paragraphe 52(1);

b) la mise en œuvre d’un programme de suivi.

53. (1) If the decision maker decides under paragraph 52(1)(a) that the designated project is not likely to cause significant adverse environmental effects referred to in subsection 5(1), or the Governor in Council decides under paragraph 52(4)(a) that the significant adverse environmental effects referred to in that subsection that the designated project is likely to cause are justified in the circumstances, the decision maker must establish the conditions in relation to the environmental effects referred to in that subsection with which the proponent of the designated project must comply.

(2) If the decision maker decides under paragraph 52(1)(b) that the designated project is not likely to cause significant adverse environmental effects referred to in subsection 5(2), or the Governor in Council decides under paragraph 52(4)(a) that the significant adverse environmental effects referred to in that subsection that the designated project is likely to cause are justified in the circumstances, the decision maker must establish the conditions — that are directly linked or necessarily incidental to the exercise of a power or performance of a duty or function by a federal authority that would permit a designated project to be carried out, in whole or in part — in relation to the environmental effects referred to in that subsection with which the proponent of the designated project must comply.

(3) The conditions referred to in subsection (2) take effect only if the federal authority exercises the power or performs the duty or function.

(4) The conditions referred to in subsections (1) and (2) must include

(a) the implementation of the mitigation measures that were taken into account in making the decisions under subsection 52(1); and

(b) the implementation of a follow-up program.

[64]           L’article 54 indique la teneur de la déclaration requise :

54. (1) Le décideur fait une déclaration qu’il remet au promoteur du projet désigné dans laquelle :

a) il donne avis des décisions qu’il a prises relativement au projet au titre des alinéas 52(1)a) et b) et, le cas échéant, de la décision que le gouverneur en conseil a prise relativement au projet en vertu du paragraphe 52(4);

b) il énonce toute condition fixée en vertu de l’article 53 relativement au projet que le promoteur est tenu de respecter.

(2) Dans le cas où il a pris les décisions au titre des alinéas 52(1)a) et b) pour l’application de l’article 47, le décideur est tenu de faire la déclaration dans les vingt-quatre mois suivant la date où il a renvoyé, au titre de l’article 38, l’évaluation environnementale du projet pour examen par une commission.

(3) Il peut prolonger ce délai de la période nécessaire pour permettre toute coopération avec une instance à l’égard de l’évaluation environnementale du projet ou pour tenir compte des circonstances particulières du projet. Il ne peut toutefois prolonger le délai de plus de trois mois.

(4) Le gouverneur en conseil peut, sur la recommandation du ministre, prolonger le délai prolongé en vertu du paragraphe (3).

(5) L’Agence affiche sur le site Internet un avis de toute prolongation accordée en vertu des paragraphes (3) ou (4) relativement au projet.

(6) Dans le cas où l’Agence, la commission ou le ministre exigent du promoteur, au titre de l’article 39 ou des paragraphes 44(2) ou 47(2), selon le cas, qu’il procède à des études ou à la collecte de renseignements relativement au projet, ne sont pas comprises dans le calcul du délai dont dispose le décideur pour faire la déclaration :

a) la période prise, de l’avis de l’Agence, par le promoteur pour remplir l’exigence au titre de l’article 39;

b) la période prise, de l’avis de la commission, par le promoteur pour remplir l’exigence au titre du paragraphe 44(2);

c) la période prise, de l’avis du ministre, par le promoteur pour remplir l’exigence au titre du paragraphe 47(2).

54. (1) The decision maker must issue a decision statement to the proponent of a designated project that

(a) informs the proponent of the designated project of the decisions made under paragraphs 52(1)(a) and (b) in relation to the designated project and, if a matter was referred to the Governor in Council, of the decision made under subsection 52(4) in relation to the designated project; and

(b) includes any conditions that are established under section 53 in relation to the designated project and that must be complied with by the proponent.

(2) When the decision maker has made a decision under paragraphs 52(1)(a) and (b) in relation to the designated project for the purpose of section 47, the decision maker must issue the decision statement no later than 24 months after the day on which the environmental assessment of the designated project was referred to a review panel under section 38.

(3) The decision maker may extend that time limit by any further period – up to a maximum of three months – that is necessary to permit cooperation with any jurisdiction with respect to the environmental assessment of the designated project or to take into account circumstances that are specific to the project.

 

(4) The Governor in Council may, on the recommendation of the Minister, extend the time limit extended under subsection (3).

(5) The Agency must post a notice of any extension granted under subsection (3) or (4) on the Internet site.

(6) If the Agency, the review panel or the Minister, under section 39 or subsection 44(2) or 47(2), respectively, requires the proponent of the designated project to collect information or undertake a study with respect to the designated project, the calculation of the time limit within which the decision maker must issue the decision statement does not include :

(a) the period that is taken by the proponent, in the opinion of the Agency, to comply with the requirement under section 39;

(b) the period that is taken by the proponent, in the opinion of the review panel, to comply with the requirement under subsection 44(2); and

(c) the period that is taken by the proponent, in the opinion of the Minister, to comply with the requirement under subsection 47(2).

VII.          L’ANALYSE

A.                La norme de contrôle applicable

[65]           Le caractère adéquat de la manière dont la Couronne s’est acquittée de ses obligations en matière de consultation et d’accommodement est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511, [Nation haïda], la juge en chef Beverley McLachlin a expliqué, au paragraphe 62, ce qu’impliquent des mesures de consultation et d’accommodement raisonnables :

Le processus lui‑même devrait vraisemblablement être examiné selon la norme de la décision raisonnable. La perfection n’est pas requise; il s’agit de se demander si, « considéré dans son ensemble, le régime de réglementation [ou la mesure gouvernementale] respecte le droit ancestral collectif en question » […] Le gouvernement doit déployer des efforts raisonnables pour informer et consulter. Cela suffit pour satisfaire à l’obligation. [Référence interne omise.]

[66]           Le fait que la Couronne aurait pu en faire davantage pour consulter le demandeur ou prendre à son égard des mesures d’accommodement ne rend pas ses efforts déraisonnables. Des imperfections n’appellent pas à soumettre à un contrôle judiciaire un processus par ailleurs raisonnable. Le processus d’accommodement « ne donne pas aux groupes autochtones un droit de veto sur » les projets (Nation haïda, au paragraphe 48); il met en balance leurs intérêts avec des intérêts politiques ou sociaux de plus grande envergure.

B.                 L’obligation de consultation

[67]           La portée et le contexte de l’obligation de consultation varient selon les circonstances, comme l’a reconnu le juge en chef Antonio Lamer dans l’arrêt Delgamuukw c Colombie‑Britannique, [1997] 3 RCS 1010, où il explique, au paragraphe 168 :

[…] La nature et l’étendue de l’obligation de consultation dépendront des circonstances. Occasionnellement, lorsque le manquement est moins grave ou relativement mineur, il ne s’agira de rien de plus que la simple obligation de discuter des décisions importantes qui seront prises au sujet des terres détenues en vertu d’un titre aborigène. Évidemment, même dans les rares cas où la norme minimale acceptable est la consultation, celle-ci doit être menée de bonne foi, dans l’intention de tenir compte réellement des préoccupations des peuples autochtones dont les terres sont en jeu. […]

[68]           L’obligation de consultation « dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué, et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre » (Nation haïda, au paragraphe 39). Plus précisément, comme je l’ai indiqué dans la décision Première Nation Tzeachten c Canada (PG), 2008 CF 928, au paragraphe 29, 297 DLR (4th) 300, ils « sont déterminés par de multiples facteurs, notamment la solidité à première vue de la revendication, l’importance du droit et de l’atteinte potentielle ainsi que la nature du préjudice potentiel au droit ou au titre revendiqué. […] [L]orsque la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé, il peut s’avérer nécessaire de tenir une consultation approfondie ». Cette consultation peut comporter « la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision » (Nation haïda, au paragraphe 44). L’analyse oblige à recourir à une méthode souple qui tient compte des particularités de l’affaire (Nation haïda, au paragraphe 45).

[69]           La consultation a pour objet de « préserver l’honneur de la Couronne et [de] concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones. Tant que la question n’est pas réglée, le principe de l’honneur de la Couronne commande que celle-ci mette en balance les intérêts de la société et ceux des peuples autochtones lorsqu’elle prend des décisions susceptibles d’entraîner des répercussions sur les revendications autochtones » (Nation haïda, au paragraphe 45). Les conflits entre les intérêts de la nation autochtone et ceux de la société en général doivent être réglés en faisant preuve d’« une attitude de pondération et de compromis » (ibidem).

[70]           Dans son ouvrage intitulé Revisiting the Duty to Consult Aboriginal Peoples (Saskatoon : Purich Publishing, 2014), Dwight G. Newman explique que [traduction« [d]ans une affaire donnée, la portée de l’obligation de consultation est de nature contextuelle et factuelle » (à la page 103). Il relève ceci : [traduction« les éléments fondamentaux d’une consultation véritable : un avis et des délais de réponse appropriés, la communication appropriée d’informations pertinentes, des discussions adaptées aux circonstances, une réponse aux préoccupations soulevées lors des discussions, de même que la possibilité de prendre des mesures d’accommodement à l’égard de ces préoccupations quand les circonstances s’y prêtent » (ibidem).

[71]           Dans la présente affaire, la Couronne avait une obligation « approfondie » de consulter la PNCA. Lorsque « le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et [que] le risque de préjudice non indemnisable est élevé […], il peut s’avérer nécessaire de tenir une consultation approfondie en vue de trouver une solution provisoire acceptable » (Nation haïda, au paragraphe 44). Le Projet allait détruire une grande part des terres traditionnelles de la PNCA et risquait aussi de porter atteinte à la préservation de sa culture et de son mode de vie. Une partie du préjudice causé à la PNCA est potentiellement irréversible ou n’a pas été atténué en recourant à des moyens dont l’efficacité est prouvée.

[72]           En tenant compte des éléments fondamentaux d’une consultation véritable, je vais passer en revue ce qui a été fait en l’espèce.

[73]           La Couronne a bel et bien donné avis à la PNCA. La participation active de cette dernière dénote qu’elle était au courant du Projet et, plus précisément, des questions qui suscitaient des préoccupations.

[74]           Il ressort de la preuve que la Couronne a donné à la PNCA la possibilité d’être consultée. La PNCA a participé à tout le processus, qui a duré six ans, en déposant plus de 6 000 pages d’observations, en faisant défiler des témoins et en prenant la parole à des douzaines de réunions. La Couronne lui a accordé des fonds afin de faciliter sa participation, tout comme Shell.

[75]           La Couronne a examiné avec sérieux le point de vue de la PNCA. Cette dernière reconnaît avoir [traduction« pleinement participé aux audiences de la Commission », dans le cadre desquelles elle a [traduction« proposé d’éventuelles mesures d’accommodement ». Lors de la phase IV, la Couronne a cherché à relever quelles étaient les questions en suspens qui préoccupaient la PNCA. Les mesures que la Couronne a prises pour répondre aux besoins de la PNCA - et il en sera question plus loin - corroborent le fait que la Couronne a examiné de manière sérieuse les préoccupations de la PNCA.

[76]           La Couronne s’est montrée disposée à modifier la proposition initiale concernant le Projet. En fait, elle a fait de nombreux changements, certains sous la forme de conditions imposées à Shell. De plus, ces changements, qui répondent à un grand nombre des préoccupations soulevées par la PNCA lors des consultations, illustrent l’effort fait par la Couronne pour « trouver une solution provisoire acceptable » (Nation haïda, au paragraphe 44) qui protégerait les intérêts de la PNCA.

[77]           Je ne souscris pas à l’allégation de la PNCA selon laquelle le processus de consultation s’est déroulé de manière précipitée. La PNCA associe le processus de consultation à la phase IV, qui a duré cinq mois; cependant, les consultations ont eu lieu pendant toute la période de six ans, et non seulement au cours de la phase IV. De son propre aveu, la PNCA [traduction« a commencé à consulter la Couronne et Shell au sujet du Projet en 2007 », et les consultations se sont poursuivies pendant toute la phase IV, qui a pris fin en décembre 2013.

[78]           En fait, le processus de consultation se poursuit toujours : la Couronne et Shell doivent toutes deux consulter la PNCA sur certaines des conditions du Projet, et l’Alberta doit la consulter sur le grand nombre de questions qui relèvent de sa compétence exclusive ou principale avant que le Projet puisse être approuvé. Rien ne prouve que le processus a porté atteinte à l’honneur de la Couronne ou a causé un préjudice quelconque aux droits de consultation de la PNCA.

[79]           Le dossier ne révèle pas un manque de transparence; au contraire, il montre que la Couronne a systématiquement partagé des informations, répondu aux lettres de la PNCA, rencontré les représentants de la PNCA et pris des décisions de principe en tenant compte des préoccupations de la PNCA. Le demandeur n’a pas eu droit à la communication de l’avis du ministre au Cabinet : comme il le reconnaît, le ministre a invoqué à juste titre un privilège (Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5, paragraphe 39(2)). De plus, l’obligation de consultation est déterminée par les mesures que le Canada a prises lors du processus de consultation, et non par les éléments que le gouverneur en conseil peut avoir pris en considération.

[80]           La Cour pourrait tirer une inférence défavorable si la Couronne n’avait communiqué sélectivement que les documents qui lui étaient favorables (Babcock c Canada (PG), 2002 CSC 57, au paragraphe 36, [2002] 3 RCS 3), ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Aucune inférence défavorable ne peut découler de l’exercice, par la Couronne, d’un privilège.

[81]           La Couronne n’avait pas non plus à justifier à la PNCA les décisions prises par le Cabinet sur le Projet (Babcock, aux paragraphes 21 à 27). Le demandeur ne cite aucune source à l’appui de son prétendu droit à une telle justification. L’obligation de consultation obligeait la Couronne à justifier pourquoi elle avait rejeté la position de la PNCA mais non à communiquer l’explication qu’elle avait donnée au Cabinet en vue de recommander l’approbation du Projet (West Moberly First Nations c British Columbia (Chief Inspector of Mines), 2011 BCCA 247, au paragraphe 148, 333 DLR (4th) 31).

[82]           Le demandeur allègue que la Couronne a manqué à d’importants engagements à l’égard d’au moins trois points procéduraux importants. Cependant, au vu du dossier, les promesses censément rompues ne semblent pas avoir été l’objet de consultations insuffisantes. Je rejette la prétention du demandeur selon laquelle la Couronne a créé une [traduction« attente raisonnable que le processus d’examen de la Commission guiderait dans une large mesure les décisions que prendrait la Couronne à l’égard du Projet » et qu’elle n’y a pas donné suite. Comme nous le verrons plus loin, le rapport de la Commission a bel et bien guidé les décisions de la Couronne. La preuve n’étaye pas la prétention selon laquelle la Couronne a omis de consulter la PNCA à propos de [traduction« questions en suspens et […] n’a pas analysé et examiné des mesures d’accommodement, au-delà des mesures d’atténuation appropriées qui s’appliquaient au Projet lui-même ».

[83]           La prétention selon laquelle la Couronne a rompu la promesse de consulter la PNCA au sujet de questions de nature provinciale n’est pas prouvée non plus. Le demandeur allègue que la Couronne a fondé irrégulièrement certaines décisions sur le PRBA, un plan albertain qui, comme la Commission l’a conclu, ne traitait pas des droits ancestraux. Cependant, le demandeur ne montre pas que la Couronne a effectivement fondé des décisions sur le PRBA, et qu’elle n’était pas en droit de le faire. De plus, la Commission a recommandé que l’Alberta, et non la Couronne fédérale, corrige les lacunes relevées dans le PRBA. La PNCA peut faire état de ses préoccupations lors des consultations qu’elle mène avec l’Alberta.

[84]           Le dossier n’étaye pas la prétention du demandeur selon laquelle la Couronne n’a pas été suffisamment sensible aux préoccupations de la PNCA. Au contraire, la Couronne a entrepris dès le départ des consultations constantes et sérieuses avec elle. Certes, le processus de consultation a été imparfait : par exemple, la Couronne reconnaît qu’à la suite d’un [traduction« oubli », elle a omis de remettre à la PNCA la copie promise d’une lettre du gouvernement de l’Alberta vers la fin de la phase IV. Cependant, de simples omissions n’amoindrissent pas le caractère adéquat d’une consultation.

[85]           Il ne ressort pas non plus du dossier que la Couronne n’a pas porté une attention suffisante aux effets cumulatifs du Projet. Le demandeur cite avec raison l’arrêt West Moberly à l’appui de la thèse selon laquelle les effets négatifs cumulatifs sont pertinents dans le cas d’une proposition de projet; toutefois, la Couronne a bel et bien consulté la PNCA au sujet des effets négatifs cumulatifs sur les droits conférés par le traité no 8, sur la flore et la faune, ainsi que sur la préservation de sa culture et de son mode de vie. Une bonne partie du travail de la Commission a porté sur ces questions-là; en fait, celle-ci a formulé de nombreuses recommandations en faveur de la PNCA, et un grand nombre d’entre elles sont devenues des conditions du Projet. Par exemple, des sections entières de la liste des conditions visent à [traduction« [p]rotéger les oiseaux migrateurs et l’utilisation traditionnelle que font les Autochtones des terres et des ressources », à [traduction« [p]réserver l’utilisation que font les Autochtones des terres et des ressources traditionnelles et [à] protéger leur santé », à [traduction« [p]rotéger la santé des Autochtones – émissions et odeurs des véhicules hors route », à [traduction« [p]rotéger le poisson, l’habitat du poisson, les oiseaux migrateurs ainsi que la santé des Autochtones » et à [traduction« [p]rotéger les oiseaux migrateurs ainsi que l’utilisation traditionnelle des terres et des ressources ».

[86]           Je conclus que la Couronne s’est acquittée de son obligation de consulter la PNCA. Elle lui a donné avis du Projet et a engagé avec elle des discussions sérieuses et exhaustives dans le but de traiter de ses préoccupations. Une fois que la Commission a été établie, la PNCA a participé entièrement au processus; elle a été consultée à chacune des étapes et a déposé des observations qui ont été examinées de manière sérieuse. Fait important, après que la Commission a publié son rapport, la PNCA a été invitée à présenter son opinion sur la mesure dans laquelle ce document faisait état de ses préoccupations. Elle a été consultée sur les ébauches d’éventuelles conditions ainsi que sur les réponses possibles du Canada aux aspects que l’on n’avait pas pu transformer en conditions. Lorsqu’il était impossible de faire des changements, la Couronne a donné des explications raisonnables. Il ressort également de la preuve que l’on continuera de consulter la PNCA. Je ne vois pas ce que l’on aurait pu faire de plus pour garantir que les consultations soient véritables.

C.                 L’obligation d’accommodement

[87]           À l’instar du caractère adéquat des consultations, le caractère adéquat des mesures d’accommodement est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Ka’a’gee Tu, aux paragraphes 91 à 93; Nation haïda, aux paragraphes 61 à 63).

[88]           Le processus d’accommodement comporte « la recherche d’un compromis dans le but d’harmoniser des intérêts opposés et de continuer dans la voie de la réconciliation ». Il n’exige pas que la Couronne accède à tous les souhaits de la nation autochtone, pas plus qu’il n’est nécessaire qu’il mène à une entente (Nation haïda, aux paragraphes 45 à 49).

[89]           Dans l’arrêt Nation haïda (au paragraphe 50), la juge en chef McLachlin a expliqué à grands traits quelle est la portée de cette obligation :

La mise en équilibre et le compromis font partie intégrante de la notion de conciliation. Lorsque l’accommodement est nécessaire à l’occasion d’une décision susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur des revendications de droits et de titre ancestraux non encore prouvées, la Couronne doit établir un équilibre raisonnable entre les préoccupations des Autochtones, d’une part, et l’incidence potentielle de la décision sur le droit ou titre revendiqué et les autres intérêts sociétaux, d’autre part.

[90]           Nombreux sont les intervenants qui aimeraient obtenir plus d’indications sur les exigences du processus d’accommodement (Newman, à la page 104). Toutefois, les droits et les revendications des Autochtones varient à un point tel qu’il est difficile de formuler des règles précises qui s’appliquent à tous les cas. Pour évaluer la portée de l’obligation d’accommodement il est nécessaire d’entreprendre une analyse axée sur les faits, dont l’objet est de mettre en balance de manière raisonnable des intérêts contradictoires de façon à favoriser la conciliation.

[91]           Dans la présente affaire, le Canada a pris en compte les préoccupations de la PNCA en imposant à Shell une longue liste de conditions. Je ne crois pas que l’obligation d’accommodement obligeait le Canada à adopter la totalité des mesures d’atténuation recommandées par la Commission. Comme l’a expliqué dans son affidavit M. Bruce Morgan, l’auteur des conditions, de nombreux facteurs ont été pris en considération : il fallait que les conditions tombent sous le coup des pouvoirs énoncés dans la LCEE et elles devaient être claires, mesurables et applicables. Par ailleurs, un grand nombre des recommandations de la Commission visaient l’Alberta et reflétaient les responsabilités constitutionnelles du gouvernement provincial en matière de gestion des terres et des ressources.

[92]           Le partage des pouvoirs entre le palier fédéral et le palier provincial a restreint la capacité de la Couronne de répondre aux intérêts de la PNCA. Les terres, ainsi que les droits miniers qui y sont accessoires, appartiennent à la province de l’Alberta (Loi constitutionnelle de 1930 (R.-U.), 20‑21 Geo V, c 26, annexe 2, article premier). L’Alberta jouit donc d’une compétence exclusive à l’égard de la plupart des questions se rapportant à l’utilisation de ces terres (Nation Tsilhqot’in c Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, au paragraphe 102, 374 DLR (4th) 1; Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 et 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, annexe II, no 5, paragraphe 92(13)). Comme la Couronne l’a fait remarquer à maintes reprises, un grand nombre des mesures d’accommodement que la PNCA souhaitait obtenir ne relevaient pas de la compétence de la Couronne.

[93]           La Couronne a néanmoins offert de collaborer avec l’Alberta au sujet d’un certain nombre de questions qui relèvent de la compétence exclusive de l’Alberta. Dans sa réponse du 6 décembre 2013 aux recommandations de la Commission, la Couronne s’est engagée à collaborer avec l’Alberta :

         au sujet d’une étude de base sur la santé de la collectivité, en collaboration avec des groupes autochtones;

         au sujet du Cadre de gestion de la qualité de l’eau de la Basse-Athabasca, dans le cadre de son Plan régional concernant la Basse-Athabasca;

         au sujet des prélèvements d’eau de la rivière Athabasca;

         au sujet du Cadre de gestion de la quantité des eaux de surface de la Basse‑Athabasca, dans le cadre de son Plan régional concernant la Basse‑Athabasca;

         pour surveiller l’effet de l’exploitation des sables bitumineux sur l’environnement de la région et, plus précisément, les aspects suivants : les substances préoccupantes dans l’air et dans l’eau, la santé des poissons et des oiseaux, de même que la biodiversité, y compris certaines espèces à risque et certains oiseaux migrateurs;

         pour fournir, sur demande, des informations sur les crédits de conservation, dans le contexte des politiques de l’Alberta en matière de planification de l’utilisation des sols;

         pour fournir des conseils techniques en vue de la mise au point, par l’Alberta, d’un plan relatif aux aires de distribution du caribou pour la harde de Richardson et d’autres hardes de la province;

         pour fournir des connaissances ou une expertise sur le plan technique ou des politiques, en vue d’améliorer la remise en état et la recolonisation de l’habitat faunique dans la région des sables bitumineux;

         au sujet de l’intégration de l’utilisation traditionnelle autochtone des terres aux activités régionales de planification et de gestion dans la région de la Basse‑Athabasca;

         Au sujet de la planification régionale, de la gouvernance des ressources traditionnelles et de la gestion des ressources naturelles, en collaboration avec les groupes autochtones.

[94]           En résumé, un grand nombre des préoccupations de la PNCA relèvent de la compétence de la province et devraient être réglées dans la cadre de consultations avec l’Alberta, qui a la même obligation de consultation que la Couronne fédérale (Nation haïda, aux paragraphes 57 à 59).

[95]           Le demandeur cite en particulier sept mesures d’accommodement que le Canada aurait dû prendre. Je les passerai en revue une par une.

[96]           Premièrement, la PNCA a demandé que l’on fasse des crédits de conservation une condition du Projet. La Commission a toutefois appelé l’Alberta et la Couronne à [traduction« examiner de concert le besoin de prévoir des crédits de conservation ». Comme l’Alberta possède les terres en question et exerce une compétence exclusive sur leur utilisation, la Couronne fédérale ne peut pas exiger que l’on crée des crédits de conservation. Elle peut collaborer avec l’Alberta au sujet de la gestion régionale des mesures de conservation, mais elle n’est pas compétente pour offrir les mesures d’accommodement que souhaite la PNCA.

[97]           Deuxièmement, la Commission a recommandé la mise au point d’un PGUTT – mais par l’Alberta, qui a compétence exclusive sur ce secteur. Le rôle de la Couronne s’est limité à consulter. Là encore, la Couronne n’était pas compétente pour prendre la mesure d’accommodement demandée. Toutefois, comme il a été mentionné plus tôt, le Canada a promis de [traduction« collaborer avec l’Alberta […] au sujet de l’intégration de l’utilisation traditionnelle autochtone des terres aux activités régionales de planification et de gestion dans la région de la Basse-Athabasca » et [traduction« au sujet de la planification régionale, de la gouvernance des ressources traditionnelles et de la gestion des ressources naturelles, en collaboration avec les groupes autochtones ». Cet engagement traduit le sérieux de la Couronne pour ce qui est de répondre aux besoins de la PNCA, même si elle ne jouit pas d’une compétence absolue.

[98]           Troisièmement, la PNCA a sollicité des fonds au titre de la préservation de la culture en vue de compenser les [traduction« effets de niveaux communautaire et régional » du Projet, comme le fait de porter atteinte à leurs droits de chasse, de pêche et de récolte. Cette préoccupation au sujet de la préservation de la culture nécessitait la prise de mesures d’accommodement, mais pas nécessairement sous la forme d’un octroi de fonds. Dans son rapport, la Commission a conclu que le PRBA était le moyen qui convenait le mieux pour traiter des effets cumulatifs régionaux de l’exploitation des sables bitumineux et de leur effet connexe sur les cultures autochtones. Pour ce qui est des questions relevant de la compétence du gouvernement fédéral, la Couronne a décidé de prendre en compte les intérêts de la PNCA en atténuant les menaces pour la préservation de la culture, comme les risques pour la flore, la faune et l’environnement : elle a imposé à Shell de nombreuses conditions, promis de collaborer avec l’Alberta au sujet de questions relevant de la compétence de la province et fait des efforts plus généraux pour contrer les risques écologiques. La PNCA préférait peut-être recevoir de l’argent, mais le choix des mesures d’accommodement que la Couronne a fait est raisonnable et n’est pas susceptible de contrôle par la Cour.

[99]           Quatrièmement, la PNCA a demandé à la Couronne de transformer en conditions de Projet les recommandations nos 44 et 45 de la Commission, qui concernent le caribou des bois. Là encore, cependant, c’est l’Alberta qui est responsable de la gestion du caribou des bois sur les terres en question. C’est ce que la Couronne a indiqué dans ses réponses aux recommandations, et elle a offert de soutenir les efforts de l’Alberta. La Couronne, avec raison, a laissé le soin de répondre à ces deux recommandations à l’Alberta, qui a l’obligation de consulter la PNCA à leur sujet. De plus, la Couronne contre les menaces pour le caribou des bois au moyen d’un régime exhaustif relevant de la Loi sur les espèces en péril (LC 2002, c 29 [LEP]). Ce régime, qui protège les habitats essentiels situés à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du secteur visé par le Projet, répond de manière raisonnable aux préoccupations de la PNCA quant à la survie de cette espèce animale.

[100]       Cinquièmement, la PNCA a demandé à la Couronne de changer sa stratégie de rétablissement de façon à activer l’exécution des plans d’action et des plans d’aires de distribution concernant le caribou. La stratégie de rétablissement est un programme que la Couronne fédérale a constitué en 2012, conformément à l’article 41 de la LEP. La PNCA n’a présenté à la Cour aucune preuve à l’appui de la prétention selon laquelle une action accélérée est une mesure d’accommodement nécessaire, voire raisonnable.

[101]       Sixièmement, la PNCA a demandé que l’on établisse une stratégie de rétablissement pour le bison des bois. La Couronne s’occupe bel et bien d’en établir une : dans ses réponses aux recommandations de la Commission, elle [traduction« réitère son engagement à […] [m]ettre en priorité la dernière main aux documents de rétablissement (stratégies de rétablissement, plans de gestion, plans d’action) pour les espèces en péril dans la région des sables bitumineux, comme l’exige la Loi sur les espèces en péril, lesquelles espèces comprennent, notamment, le bison des bois, la paruline du Canada, le moucherolle à côtés olive, l’engoulevent d’Amérique et le quiscale rouilleux ». De plus, la Couronne entend consulter la PNCA sur cette stratégie. M. Greg Wilson, d’Environnement Canada, affirme qu’il a [traduction« continué de communiquer avec des représentants de la PNCA […] depuis la publication de la déclaration du ministre de l’Environnement ».

[102]       Septièmement, la PNCA a demandé que l’on fixe des conditions de projet plus strictes pour les oiseaux migrateurs ainsi que pour les consultations de Shell. La Couronne a conçu des conditions importantes en vue de prendre en compte les préoccupations de la PNCA quant à la protection des oiseaux migrateurs, dont seize conditions énumérées sous les rubriques suivantes : [traduction« Éviter les perturbations et la destruction d’oiseaux migrateurs », [traduction« Éviter la mortalité d’oiseaux migrateurs » et [traduction« Protéger les oiseaux migrateurs et l’utilisation traditionnelle autochtone des terres et des ressources ». Certaines de ces conditions comportent des obligations positives explicites (comme : [traduction« Le promoteur est tenu de retirer la végétation, au départ et de façon continue, de la surface des bassins de résidus et à côté de ces derniers » de façon à tenir au loin les oiseaux migrateurs), ou des obligations négatives (comme : [traduction« Il est interdit au promoteur de déverser des résidus de mousse non traités dans les étangs de résidus »). De plus, la Couronne a imposé d’autres conditions qui obligent Shell à continuer de consulter des groupes autochtones tels que la PNCA à propos de questions relatives à la protection des oiseaux migrateurs. La PNCA n’a pas fait état de lacunes précises dans les conditions applicables du Projet ou n’a pas expliqué la mesure dans laquelle il fallait que les conditions soient [traduction« plus rigoureuses ». La Couronne n’était pas tenue de répondre par une mesure d’accommodement à cette vague demande.

[103]       Même si la liste des mesures d’accommodement que le Canada aurait dû prévoir, d’après la PNCA, ne mentionne pas expressément le détournement de la rivière Muskeg, je signale que la Commission a bel et bien reconnu dans son rapport que la PNCA avait d’importantes préoccupations non réglées sur ce plan et qu’elle a recommandé que l’on prenne d’autres mesures de consultation et d’accommodement à cet égard. L’utilisation des terres et la gestion des eaux relèvent de la compétence exclusive de l’Alberta. Le Canada a néanmoins conçu des conditions qui obligent Shell à mettre au point des outils quantitatifs, à surveiller l’efficacité des mesures d’atténuation ainsi qu’à établir des exigences en matière de production de rapports. Je suis d’avis que cette mesure d’accommodement est adéquate dans les circonstances. Elle montre que le Canada s’efforce de traiter efficacement de toutes les préoccupations, plutôt que de circonscrire son champ d’action à des motifs de forme ou de compétence.

[104]       Je suis donc convaincue que la Couronne s’est acquittée de son obligation d’accommodement à l’égard des préoccupations de la PNCA. Grâce au processus de consultation, elle a ajouté de nombreuses conditions de projet et a également pris d’autres mesures d’accommodement raisonnables. L’obligation d’accommodement ne garantit pas aux groupes autochtones tout ce qu’ils souhaitent obtenir. Comme la Cour suprême nous l’a rappelé à maintes reprises, ces groupes doivent faire preuve de souplesse quand ils discutent d’options d’accommodement.

VIII.       CONCLUSION

[105]       L’obligation de consulter les nations autochtones et de prendre des mesures d’accommodement à leur égard reflète l’objectif de conciliation. Depuis les sept dernières années, le Canada poursuit cet objectif de conciliation en consultant de manière sérieuse la PNCA au sujet des préoccupations que suscite le Projet d’expansion de la mine Jackpine. À chaque étape du processus de consultation permanent, le Canada a encouragé et facilité l’entière participation de la PNCA. Dans les limites de sa compétence, le Canada s’est efforcé de répondre aux besoins de la PNCA en imposant des conditions à Shell et en adoptant des régimes réglementaires plus exhaustifs; dans les secteurs relevant de la compétence exclusive de la province, le Canada s’est engagé à collaborer avec l’Alberta et à lui offrir son aide. Les conditions du Projet ont été conçues avec un certain degré de souplesse, précisément pour pouvoir les adapter aux changements et à l’évolution du Projet, qui en est encore au stade préliminaire. Les mesures d’accommodement du Canada, adéquates en soi, témoignent des consultations attentives et sensibles que le Canada a accordées à la PNCA pendant tout le processus.

[106]       La Cour est convaincue que le Canada s’est raisonnablement acquitté de ses obligations de consulter la PNCA et de répondre à ses préoccupations de manière à réduire le plus possible les effets environnementaux négatifs du Projet. Je rejette donc la demande, avec dépens en faveur des défendeurs.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

La présente demande est rejetée, avec dépens en faveur des défendeurs.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


ANNEXE A

Secteur d’étude régional et secteur d’étude local concernant les projets

[Compensation proposée – Lac North Redclay
Projet minier de la rivière Pierre
Expansion de la mine de la rivière Pierre et de la mine Jackpine - Lac de compensation
Projet d’expansion de la mine Jackpine
Mines de Shell existantes]

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

T-13-14

INTITULÉ :

ALLAN ADAM, EN SON PROPRE NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION CHIPEWYAN D’ATHABASKA; LA PREMIÈRE NATION CHIPEWYAN D’ATHABASKA c MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT, PROCUREUR GÉNÉRAL ET SHELL CANADA LIMITÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 15, 16 ET 17 octobre 2014

 

MOTIFS ET JUGEMENT :

LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 9 décembre 2014

COMPARUTIONS :

Jenny Biem, Dominique Nouvet, Eamon P. Murphy

 

pour les demandeurs

 

Brian McLaughlin, James Elford, Robert Drummond

 

POUR LES DÉFENDEURS,

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Maureen Killoran, Thomas Gelbman

 

POUR LA défenderesse

 

SHELL
 CANADA LIMITÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Woodward & Co. Lawyers LLP

Victoria (Colombie-Britannique)

 

POUR LES demandeurS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS,

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Osler Hoskin & Harcourt

Calgary (Alberta)

pour la défenderesse

SHELL CANADA LIMITÉE 

 

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