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Date : 20141215


Dossier : IMM-6376-13

Référence : 2014 CF 1219

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2014

En présence de monsieur le juge O'Reilly

ENTRE :

CARLO FABBIANO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               M. Carlo Fabbiano, né en Italie en 1957, vit au Canada depuis 1963. Il a demandé la citoyenneté canadienne en 2005, mais il ne l’a jamais obtenue.

[2]               Dans les années 1990, M. Fabbiano « a commencé » à tisser des liens avec les Hells Angels. Déclaré coupable de trafic de stupéfiants en 1999, il a purgé une peine d’une année au sein de la collectivité. En 2006, un représentant de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) l’a informé par écrit qu’il pourrait être interdit de territoire au Canada en raison de son appartenance à une organisation criminelle (en application de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) – les dispositions citées sont reproduites en annexe).

[3]               En 2008, soit seize mois après que M. Fabbiano eut présenté ses observations à l’ASFC concernant son interdiction de territoire, une agente d’exécution a recommandé que l’affaire soit déférée pour enquête en application du paragraphe 44(1) de la LIPR, et un analyste principal de l’ASFC a souscrit à cette recommandation. En 2009, un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a déféré l’affaire pour enquête conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR. Ce n’est toutefois qu’en 2013 que M. Fabbiano a appris l’existence de ces décisions. Il conteste maintenant la décision du délégué du ministre par voie de contrôle judiciaire.

[4]               M. Fabbiano soutient que le délai écoulé avant qu’on l’informe de la décision du délégué constitue un abus de procédure. Il allègue en outre que la procédure suivie était abusive parce qu’elle faisait suite à son refus d’agir comme informateur pour la GRC et constituait une forme de représailles. Il affirme aussi qu’il a été traité de façon inéquitable et que la décision du délégué était déraisonnable. Il me demande d’ordonner l’arrêt des procédures relatives à son interdiction de territoire ou d’annuler la décision et d’ordonner à un autre délégué de réexaminer la question de son interdiction de territoire.

[5]               À mon avis, la lenteur des autorités à communiquer à M. Fabbiano la décision du délégué du ministre constitue un abus de procédure, a causé un préjudice à M. Fabbiano et a porté atteinte à l’intégrité de l’administration de la justice. Par conséquent, je dois faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire et surseoir à l’enquête visant M. Fabbiano. Il est inutile d’examiner les autres questions que M. Fabbiano a soulevées.

II.                La décision du délégué

[6]               Le délégué du ministre s’est entièrement appuyé sur le raisonnement présenté dans les rapports de l’agente de l’ASFC et de l’analyste principal.

[7]               Dans son rapport d’août 2008, l’agente a examiné les antécédents personnels, la situation familiale, les lettres de recommandation et les activités criminelles de M. Fabbiano en lien avec les Hells Angels. Mais surtout, l’agente s’est appuyée sur les témoignages de quatre agents d’exécution qui ont déclaré que M. Fabbiano était un membre des Hells Angels. Se fondant sur cette preuve, elle a recommandé que l’affaire soit déférée pour enquête au motif qu’il était membre d’une organisation criminelle. Le 19 janvier 2009, l’analyste principal a souscrit à cette recommandation, renvoyant essentiellement aux mêmes renseignements, et a demandé que l’affaire soit déférée au délégué du ministre pour qu’il statue en dernier ressort sur celle‑ci. Le lendemain, le délégué a décidé de déférer l’affaire pour enquête. Comme je l’ai indiqué précédemment, M. Fabbiano a reçu la décision en 2013.

III.             Y a-t-il eu abus de procédure?

A.                Qu’est-ce qu’un abus de procédure?

[8]               Un abus de procédure est un principe de common law dont peuvent se prévaloir les tribunaux pour mettre un terme à des procédures qui sont devenues inéquitables ou oppressives, notamment lorsqu’un délai inacceptable a causé un préjudice important (Blencoe c Colombie‑Britannique (Commission des droits de la personne), [2000] 2 RCS 307, au paragraphe 101). Ainsi, la question fondamentale qui se pose est la suivante : le délai « compromet[-t-il] la capacité d’une partie à répondre à la plainte[?] » (au paragraphe 102). Un tribunal peut aussi accorder une réparation lorsqu’une procédure est devenue oppressive pour d’autres raisons, notamment dans le cas où une personne poursuit sa vie en croyant raisonnablement qu’aucune autre action ne serait prise contre elle (Ratzclaff c British Columbia (Medical Services Commission) (1996), BCJ No 36 (CA C-B) (QL), au paragraphe 23).

[9]               L’arrêt des procédures pour abus de procédure est un recours extraordinaire que l’on réserve aux cas les plus manifestes de préjudice. Pour faire droit à un tel recours, « la cour doit être convaincue que [traduction“le préjudice qui serait causé à l’intérêt du public dans l’équité du processus administratif, si les procédures suivaient leurs cours, excéderait celui qui serait causé à l’intérêt du public dans l’application de la loi, s’il était mis fin à ces procédures” » (Blencoe, au paragraphe 120, citant Brown and Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto : Canvasback, 1998) à 9-68).

[10]           Pour déterminer si un délai justifie un arrêt des procédures, il faut examiner l’ensemble des circonstances, notamment l’objet et la nature de l’affaire, sa complexité, les faits et questions en cause ainsi que la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai (Blencoe, au paragraphe 122). Le critère consiste à déterminer si le délai a causé « un préjudice réel d’une telle ampleur qu’il heurte le sens de la justice et de la décence du public » (au paragraphe 133). Un test comportant trois étapes permet de déterminer s’il convient d’ordonner un arrêt des procédures :

1.                  Il doit y avoir une atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable ou à l’intégrité du système de justice.

2.                  Il ne doit y avoir aucune autre réparation susceptible de corriger l’atteinte.

3.                  S’il subsiste une incertitude quant à l’opportunité de l’arrêt des deux premières étapes, le tribunal doit mettre en balance les intérêts militant en faveur de cet arrêt (par exemple le fait de dénoncer la conduite répréhensible et de préserver l’intégrité du système de justice, d’une part, et l’intérêt public à ce qu’un jugement statuant sur le fond soit rendu, d’autre part) (R c Babos, 2014 CSC 16, au paragraphe 32).

B.                 Le moyen de M. Fabbiano fondé sur l’abus de procédure

[11]           En l’espèce, le moyen invoqué par M. Fabbiano fondé sur l’abus de procédure découle de ses affirmations selon lesquelles on aurait dû lui donner la possibilité de mettre à jour ses observations avant que la décision du délégué du ministre ne soit rendue et le délai écoulé avant qu’on lui communique la décision (de 2009 à 2013) lui a causé un préjudice important. En fait, de 2006 à 2013, personne ne lui avait parlé de la possibilité qu’il puisse être interdit de territoire au Canada.

[12]           En réponse, les défendeurs font valoir qu’il n’existait pas d’obligation de donner à M. Fabbiano une autre possibilité de présenter des observations. Ils soutiennent par ailleurs que de bonnes raisons expliquent le délai et que M. Fabbiano n’a pas subi de préjudice. Ils affirment que l’importance de protéger les Canadiens des membres des organisations criminelles l’emporte sur tout inconvénient qui pourrait être causé à M. Fabbiano. Ce dernier pourra présenter à l’enquête toute preuve qu’il souhaite invoquer, de sorte que s’il n’a pas eu l’occasion de présenter des observations, cette situation pourra être corrigée à ce moment-là.

C.                 Les facteurs pertinents

(1)               L’objet et la nature de l’affaire, et sa complexité

[13]           L’objet des procédures visant M. Fabbiano était de prendre des mesures en vue de son renvoi du Canada en raison de sa présumée appartenance à une organisation criminelle. Pour une personne comme M. Fabbiano, qui a vécu au Canada pendant plus de cinquante ans et y a élevé une famille, il est évident que de telles procédures pourraient avoir de graves conséquences pour lui et les membres de sa famille. De même, sous l’angle de l’intérêt public, si l’appartenance à une organisation criminelle ne constitue pas en soi un crime, il s’agit clairement d’une affaire sérieuse - les graves conséquences en matière d’immigration qui peuvent en découler en témoignent d’ailleurs. Vu ces deux objets, il convient de faire doublement preuve de prudence avant d’arriver à une décision touchant une personne se trouvant dans la situation de M. Fabbiano.

[14]           En même temps, toutefois, les procédures en cause ne sont pas particulièrement compliquées en l’espèce. La preuve de l’appartenance de M. Fabbiano aux Hells Angels devait être mise en balance avec les facteurs qui sont favorables à M. Fabbiano, comme des considérations d’ordre humanitaire. Tant l’agente que l’analyste principal de l’ASFC ont examiné ces éléments de preuve en quelques pages.

(2)               Les faits et questions en cause

[15]           Le rôle du délégué du ministre est d’examiner la preuve pertinente concernant son interdiction de territoire et d’exercer son pouvoir discrétionnaire en tenant compte des circonstances, notamment les considérations d’ordre humanitaire, le cas échéant (Faci c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 693, au paragraphe 31). Celles‑ci sont plus importantes dans les affaires intéressant des personnes qui, comme M. Fabbiano, sont des résidents permanents établis depuis longtemps au Canada. Selon les directives ministérielles, le délégué doit tenir compte de l’âge de l’intéressé, de la durée de sa résidence au Canada, de ses circonstances familiales, des conditions dans son pays d’origine, de son degré d’établissement au Canada, de ses antécédents criminels et de son attitude (voir Citoyenneté et Immigration Canada, « ENF 6 – Examen des rapports établis en vertu de la L44(1) » à 19.2).

[16]           Comme nous l’avons vu, le délégué disposait d’éléments de preuve démontrant que M. Fabbiano était associé aux Hells Angels. Certains membres de la GRC affirment plus précisément que M. Fabbiano était membre des Hells Angels depuis 1992 et qu’il a été vu à de nombreuses occasions arborant les « couleurs » des Hells Angels. En fait, M. Fabbiano a reconnu devant la GRC qu’il était membre de l’organisation. Toutefois, rien ne prouve que M. Fabbiano a effectivement participé aux activités criminelles des Hells Angels.

[17]           La preuve contenait aussi de l’information sur la situation personnelle de M. Fabbiano. Dans ses observations de 2007, il a présenté plusieurs considérations d’ordre humanitaire jouant en sa faveur :

  • Il a vécu presque toute sa vie au Canada, et n’est allé en Italie qu’une seule fois lorsqu’il était âgé de 13 ans. Il a peu de famille en Italie, voire aucune famille.
  • Il ne parle pas italien et aurait de la difficulté à trouver un emploi en Italie.
  • Il a quatre enfants nés au Canada, dont deux habitent avec lui et sa conjointe de fait.
  • Il a un emploi stable de charpentier depuis 1975 et il exploite aussi une petite entreprise de vitres.
  • Il n’a fait l’objet que d’une seule déclaration de culpabilité pour laquelle il a purgé une peine d’un an à la maison.
  • En raison de son travail, il a subi une perte auditive et des blessures aux mains.
  • Sa conjointe et l’un de ses fils ont le statut de membres des Premières nations et pourraient perdre leurs liens avec leur patrimoine s’ils devaient le suivre en Italie.
  • Ses deux filles ont de graves problèmes de santé, notamment de dépression, qui pourraient empirer si leur père devait être expulsé.
  • Son renvoi du Canada pourrait avoir des conséquences négatives importances sur les autres membres de sa famille, notamment sur ses parents âgés qui ne seraient pas en mesure d’aller lui rendre visite en Italie.

[18]           Certains de ces éléments ont été mentionnés dans les rapports de l’agente et de l’analyste principal, mais rien n’indique que les considérations d’ordre humanitaire ont été prises en considération. Il semble que la seule question pertinente à laquelle ils se soient attardés était l’appartenance de M. Fabbiano aux Hells Angels.

(3)               La personne touchée a‑t‑elle contribué ou renoncé au délai?

[19]           Nul ne prétend en l’espèce que M. Fabbiano a contribué ou renoncé au délai.

[20]           Les défendeurs ont expliqué de deux façons le délai. Premièrement, ils ont essayé de trouver un témoin de la GRC pour témoigner à l’enquête de M. Fabbiano. Ils l’ont trouvé à l’été 2009. Deuxièmement, les agents ont été occupés par l’arrivée préoccupante sur la côte ouest du Canada des navires MV Ocean Lady et MV Sun Sea, respectivement en octobre 2009 et à l’automne 2010. Aucun de ces délais ne pouvait bien sûr être attribuable à M. Fabbiano.

[21]           Les défendeurs soulignent aussi que M. Fabbiano ne s’est pas informé sur son dossier ni n’a fourni par lui‑même des renseignements additionnels après 2007.

[22]           Or, force est de constater que le dossier M. Fabbiano avait déjà été traité en janvier 2009, avant l’arrivée du MV Ocean Lady et du MV Sun Sea. Rien n’explique pourquoi M. Fabbiano n’a été informé de la décision sur son interdiction de territoire qu’en 2013.

D.                M. Fabbiano a‑t‑il subi un préjudice en raison du délai de traitement?

[23]           Le préjudice causé par la lenteur des procédures relatives à l’interdiction de territoire de M. Fabbiano au Canada se manifeste principalement de deux façons.

(1)               Perte de la possibilité de présenter de nouvelles observations

[24]           Étant donné que M. Fabbiano, qui avait présenté ses observations en 2007, n’a jamais entendu parler d’une possible interdiction de territoire avant 2013, il croyait raisonnablement que les agents ne s’occupaient plus de l’affaire, et il a bien évidemment été surpris lorsqu’il a reçu la décision de 2013. Rien ne le portait à penser qu’il devait déposer des observations supplémentaires. Il ne s’agit pas d’une demande qu’il aurait lui‑même présentée, à l’égard de laquelle il pourrait avoir une obligation de tenir le décideur au courant de l’existence d’informations additionnelles. Au contraire, ce sont les défendeurs qui le poursuivaient.

[25]           Dans les circonstances, il était raisonnable de la part de M. Fabbiano de conclure que ses observations avaient été concluantes et qu’il ne risquait plus d’être renvoyé. De plus, au moment où la décision lui a été communiquée, les renseignements sur lesquels elle se fondait dataient déjà de sept ans. Il ne fait pas de doute que la situation de ses enfants et des autres membres de sa famille a changé pendant cette période, tout comme la sienne, notamment son emploi, sa santé et, peut-être, ses rapports avec les Hells Angels, le cas échéant. À mon avis, il était clairement préjudiciable à M. Fabbiano de recevoir une décision en 2013 concernant son interdiction de territoire au Canada sur le fondement de renseignements recueillis en 2007.

(2)               Perte de la possibilité de présenter des éléments de preuve relatifs à des considérations d’ordre humanitaire

[26]           Comme je l’ai déjà mentionné, le rôle du délégué est d’apprécier la preuve et, notamment à l’égard des résidents permanents établis depuis longtemps au pays, de tenir compte de considérations d’ordre humanitaire. M. Fabbiano a présenté un grand nombre d’éléments de preuve qui auraient pu être pertinents pour un examen tenant compte de telles considérations.

[27]           Toutefois, après que le délégué du ministre eut déféré l’affaire concernant M. Fabbiano pour enquête, il n’était plus possible d’examiner des considérations d’ordre humanitaire (al 45d) LIPR). M. Fabbiano n’aurait pas non plus de droit d’appel à la suite d’une conclusion d’interdiction de territoire et ne pourrait par conséquent pas présenter d’éléments de preuve relatifs à des considérations d’ordre humanitaire (art 64 LIPR). Il ne pourrait pas non plus bénéficier d’un examen indépendant sur le bien‑fondé de considérations d’ordre humanitaire (art 25, 25.1 LIPR).

[28]           Par conséquent, la seule possibilité qu’a eue M. Fabbiano de présenter des observations concernant des considérations d’ordre humanitaire a eu lieu en 2007. Il convient par ailleurs de répéter que même alors, rien ne permet de penser que l’agente de l’ASFC, l’analyste principal ou le délégué du ministre a prêté attention à la situation personnelle de M. Fabbiano.

[29]           En conséquence, en raison du délai de traitement de la question de l’interdiction de territoire, M. Fabbiano n’a pu présenter d’éléments de preuve pour faire échec à son renvoi du Canada. Si l’affaire est déférée pour enquête, la prise d’une mesure de renvoi est inéluctable et il ne lui restera plus aucun recours (voir Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 ACF no 533, au paragraphe 47). Le délai de traitement lui a clairement causé un préjudice.

E.                 Y a‑t‑il eu abus de procédure?

[30]           À mon avis, les circonstances décrites précédemment constituent un abus de procédure en raison tant de l’iniquité que de l’atteinte à l’intégrité de notre système de justice. Le préjudice causé à l’intérêt public qui résulterait de la poursuite des procédures serait supérieur à celui qui découlerait de leur arrêt maintenant.

IV.             Faut‑il ordonner l’arrêt des procédures?

[31]           J’estime que le droit de M. Fabbiano à une audience équitable a été violé en raison du délai de traitement. Il a perdu la possibilité de présenter des éléments de preuve pertinents.

[32]           Par ricochet, il a été porté atteinte à l’intégrité de notre système de justice. Dans l’état actuel des choses, un résident permanent établi depuis longtemps au pays ayant fait l’objet d’une déclaration de culpabilité 15 ans auparavant peut être renvoyé du Canada et séparé de sa famille sans qu’il y ait eu un examen approprié des éléments de preuve pertinents. La lenteur des procédures démontre que les agents n’étaient pas préoccupés par le risque pour les Canadiens posé par la présence de M. Fabbiano au Canada.

[33]           Il n’existe en outre aucun autre recours adéquat en l’espèce. Le délai de traitement a non seulement créé une iniquité, mais a aussi porté atteinte à l’intégrité de notre système de justice et causé de graves préjudices personnels et psychologiques à M. Fabbiano et sa famille. Le seul autre recours possible aurait été de renvoyer l’affaire au délégué pour qu’il effectue une analyse convenable des éléments de preuve. Toutefois, ce recours ne ferait que prolonger encore de façon importante les délais, engendrer davantage de stress psychologique et alourdir les coûts.

[34]           Par conséquent, j’estime que le bénéfice de l’arrêt des procédures l’emporte largement sur l’intérêt du public au renvoi de l’affaire pour enquête pour laquelle l’issue est décidée d’avance, sans avoir auparavant examiné attentivement la situation personnelle d’un résident permanent installé depuis longtemps au Canada et de sa famille.

V.                Conclusion et dispositif

[35]           Le délai de traitement de la question de la possible interdiction de territoire de M. Fabbiano était oppressif et a causé un abus de procédure. Je dois par conséquent accueillir la présente demande et ordonner l’arrêt définitif des procédures concernant l’interdiction de territoire de M. Fabbiano. Toute demande concernant une question de portée générale doit être déposée dans les 10 jours du prononcé du présent jugement.


JUGEMENT

LA COUR :

1.                  FAIT DROIT à la demande de contrôle judiciaire;

2.                  ORDONNE l’arrêt définitif des procédures d’interdiction de territoire visant M. Fabbiano;

3.                  EXAMINERA toute demande relative à une question certifiée déposée dans les dix (10) jours suivant la date des présents motifs.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


Annexe

Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, LC 2013, c 16

Faster Removal of Foreign Criminals Act, SC 2013, c 16

9. Le paragraphe 25(1) de la même loi est remplacé par ce qui suit :

9. Subsection 25(1) of the Act is replaced by the following:

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 — ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 —, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 —, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

10. Le paragraphe 25.1(1) de la même loi est remplacé par ce qui suit :

10. Subsection 25.1(1) of the Act is replaced by the following:

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à l’initiative du ministre

Humanitarian and compassionate considerations — Minister’s own initiative

25.1 (1) Le ministre peut, de sa propre initiative, étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 — ou qui ne se conforme pas à la présente loi; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25.1 (1) The Minister may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning a foreign national who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Activités de criminalité organisée

Organized criminality

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants:

37. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for:

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern; or

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

(b) engaging, in the context of transnational crime, in activities such as people smuggling, trafficking in persons or money laundering.

Application

Application

(2) Les faits visés à l’alinéa (1)a) n’emportent pas interdiction de territoire pour la seule raison que le résident permanent ou l’étranger est entré au Canada en ayant recours à une personne qui se livre aux activités qui y sont visées.

(2) Paragraph (1)(a) does not lead to a determination of inadmissibility by reason only of the fact that the permanent resident or foreign national entered Canada with the assistance of a person who is involved in organized criminal activity.

Rapport d’interdiction de territoire

Preparation of report

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

Suivi

Referral or removal order

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telle des décisions suivantes :

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

[…]

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

(d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.

64. (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6376-13

 

INTITULÉ :

CARLO FABBIANO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O'REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 DÉCEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Catherine A. Sas

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Cheryl D. Mitchell

 

POUR LES DÉFENDEURs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Waldman et associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURs

 

 

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