Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20141212


Dossier : IMM-2845-14

Référence : 2014 CF 1209

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2014

En présence de monsieur le juge S. Noël

ENTRE :

SAROM YIN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, présentée sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre de la décision datée du 19 mars 2014 par laquelle Stephen J. Gallagher, de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], qui avait conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Cambodge âgée de 57 ans.

[3]               Elle risque d’être persécutée en raison des activités politiques de son mari.

[4]               Le mari de la demanderesse a été battu par des voyous le 2 juin 2012 après avoir décidé de se porter candidat aux élections pour le parti de sauvetage national du Cambodge [CNRP].

[5]               Après avoir été accusé par la police de tenir des rassemblements politiques illégaux dans sa maison, il a été contraint d’abandonner son poste de fonctionnaire au ministère des Finances et de l’Économie.

[6]               Le mari de la demanderesse avait reçu certains membres haut placés du CNRP à sa résidence en mars 2013. Quatre policiers sont arrivés et ont menacé de l’accuser du crime d’avoir tenu un rassemblement politique illégal.

[7]               La demanderesse et son mari ont fui le Cambodge et, le 22 mai 2013, ils sont arrivés au Canada, où vivent leurs trois enfants. Ils ont demandé l’asile peu après. Le mari de la demanderesse est décédé le 20 juin 2013.

III.             Décision de la SPR

[8]               Dans sa décision datée du 15 août 2013, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, ayant jugé non crédibles les allégations de la demanderesse concernant la persécution subie par son mari et, par extension, par elle‑même.

[9]               La demanderesse a interjeté appel de cette décision devant la SAR le 9 décembre 2013.

[10]           La SAR a rendu une décision défavorable le 26 mars 2014.

IV.             Décision contestée

[11]           La demanderesse n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve ni demandé la tenue d’une audience.

[12]           La SAR analyse d’abord la norme de contrôle applicable à la décision de la SPR. Elle estime que la détermination de la crédibilité de la demanderesse par la SPR commande la norme du caractère raisonnable, que la Cour fédérale applique quand elle évalue les décisions de la SPR concernant la crédibilité. La SAR a donc pour objectif « d’examiner la décision de la SPR pour en vérifier le caractère raisonnable, lequel “tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit”. Cette interprétation est tirée de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. »

[13]           La SAR énonce comme suit la question centrale qu’elle doit trancher : La conclusion tirée par la SPR quant à la crédibilité de la demandeure d’asile est‑elle [traduction] « déraisonnable »? En répondant à cette question, la SAR énumère les différentes conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR. Selon la SAR, la SPR a conclu de manière raisonnable que la demanderesse n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que son mari ou elle avaient été pris pour cibles par le parti populaire cambodgien [CCP] et que les voyages faits par la demanderesse et son mari ne correspondaient pas au comportement attendu de personnes réellement exposées à un risque de persécution ou de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[14]           La SAR analyse ensuite les documents d’information sur la situation politique au Cambodge et constate que « l’idée générale qui y est véhiculée est que la corruption et le copinage sont à grande échelle au Cambodge, mais que le ciblage d’opposants politiques n’est pas répandu [...] ce qui ne cadre pas avec les allégations de l’appelante » (décision de la SAR, au paragraphe 6).

[15]           La SAR conclut enfin que la SPR a fait une analyse raisonnable du témoignage de la demanderesse et des éléments de preuve corroborants, et que, par conséquent, la décision de la SPR « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (décision de la SAR, au paragraphe 24).

V.                Observations des parties

[16]           La demanderesse soutient d’abord que la norme de contrôle que doit appliquer la SAR est celle de la décision correcte et non celle du caractère raisonnable. La demanderesse fonde cette thèse sur l’arrêt The Halifax Regional Municipality v Anglican Diocesan Centre Corporation, 2010 NSCA 38, dans lequel la Cour d’appel a statué que [traduction] « [l]e Conseil de révision, lui-même un tribunal administratif relevant d’un régime établi par la loi, ne se plonge pas dans l’analyse relative à la norme de contrôle exposée dans l’arrêt Dunsmuir, qui régit le contrôle judiciaire par une cour. Le Conseil de révision doit tout simplement faire ce que la loi lui prescrit de faire ». La demanderesse affirme ensuite que, d’après les articles 110, 111, 111.1, 171 de la LIPR, l’article 159.91 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, et l’article 24 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 [Règles de la SAR], l’intention du législateur était que la SAR applique la norme de la décision correcte, plus particulièrement parce que l’article 111 de la LIPR dispose que le tribunal renverra l’affaire à la SPR pour nouvel examen uniquement si elle estime que la décision est erronée en fait ou en droit et en fait. Ainsi, un droit d’appel, et non un droit de contrôle judiciaire, a été créé. Par conséquent, la Cour doit intervenir, parce que la SAR a appliqué la mauvaise norme de contrôle.

[17]           Toutefois, selon le défendeur, la SAR a appliqué la bonne norme de contrôle, c’est‑à‑dire la norme du caractère raisonnable, parce que, conformément aux articles 110 et 111 de la LIPR, la SAR peut accueillir un appel si elle conclut que la décision de la SPR contient une erreur de droit, une erreur de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit. Le cas échéant, elle peut alors y substituer la décision qui aurait dû être rendue ou renvoyer l’affaire pour nouvel examen. Le défendeur ajoute qu’un appel interjeté devant la SAR est [traduction] « un “véritable appel”, en ce sens que l’organe d’appel est lié par les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit tirées par un tribunal inférieur en l’absence d’erreur démontrable » (mémoire du défendeur, au paragraphe 31). Par conséquent, un appel devant la SAR ne constitue pas une audience de novo.

[18]           La demanderesse soutient en outre que la SAR a commis une erreur en ne se limitant pas au contenu de la décision de la SPR et en examinant la documentation sur la situation politique au Cambodge, que la SPR n’avait pas mentionnée dans sa décision. La demanderesse ajoute que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas d’audience lui permettant de dissiper les doutes de la SAR sur le contexte politique au Cambodge.

[19]           Le défendeur réplique en affirmant que la SAR n’a pas commis d’erreur en se reportant à la documentation sur le pays contenue dans les éléments de preuve présentés à la SPR. À son avis, la demanderesse n’a pas établi l’existence d’une erreur susceptible de contrôle. De plus, la SAR n’a pas outrepassé sa compétence en se reportant à la preuve documentaire, car cette preuve faisait partie du dossier de la SPR.

VI.             Mémoire supplémentaire du défendeur

[20]           Le défendeur commence par réitérer les arguments présentés dans ses observations initiales. Il ajoute aussi quelques nouveaux arguments.

[21]           Pour ce qui est des nouveaux arguments, le défendeur déclare d’abord qu’une possible application par la SAR de la mauvaise norme de contrôle à la question de la crédibilité de la demanderesse visée par l’appel n’aurait aucune incidence sur l’issue de l’affaire, ce qui signifie en retour qu’il serait inutile de renvoyer l’affaire pour nouvel examen.

[22]           Le défendeur ajoute que les décisions Eng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 711 [Eng] et Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 702 [Alvarez] rendues par le juge Shore, selon lesquelles la SAR doit procéder à sa propre analyse indépendante de la totalité des éléments de preuve présentés à la SPR et parvenir à ses propres conclusions, contredisent le libellé de l’article 110 de la LIPR, puisque cet article crée un droit d’appel pour certains demandeurs d’asile, l’appelant devant la SAR ayant le fardeau de soulever des questions de fait, de droit, ou mixtes de fait et de droit bien précises.

[23]           Le défendeur soutient également ce qui suit :

[traduction] [i]l convient de souligner que, selon le paragraphe 110(1), l’appel doit être interjeté conformément aux règles de procédure de la SAR. Aux termes du sous‑alinéa 3(3)g)(i) des Règles de la SAR, l’appelant doit mentionner les erreurs commises par la SPR qui constituent les motifs d’appel. En outre, le sous‑alinéa 3(3)g)(ii) des Règles de la SAR impose à l’appelant le fardeau d’indiquer l’endroit précis où se trouvent ces erreurs dans le dossier de la SPR. L’alinéa 9(2)f) impose une obligation similaire au ministre quand il porte en appel une décision de la SPR devant la SAR. (Mémoire supplémentaire du défendeur, au paragraphe 42.)

[24]           Parce que la SPR est le juge des faits de première instance, ajoute également le défendeur, elle a l’avantage de voir le demandeur d’asile et les témoins, tandis qu’un appel devant la SAR est, par contraste, un processus fondé sur le papier. La SPR est donc mieux placée que la SAR pour évaluer les témoignages, les faits et les éléments de preuve, sauf peut-être quand la SAR tient une audience.

[25]           En ce qui concerne le rôle de la SAR lorsqu’elle siège en appel d’une décision rendue par la SPR, le défendeur déclare que la décision prise par la SAR d’appliquer la norme du caractère raisonnable dans l’examen de la décision de la SPR est une question étroitement liée à sa fonction et à son processus. Il ne s’agit pas d’une question de droit revêtant une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble; ce n’est pas une question « touchant véritablement à la compétence », mais plutôt une question liée à la loi constitutive de la SAR, de sorte que la norme de la décision correcte ne doit pas s’appliquer. La SAR a le degré d’expertise nécessaire pour déterminer la norme de contrôle à appliquer lorsqu’elle siège en appel d’une décision rendue par la SPR.

[26]           Le défendeur déclare aussi que la LIPR contient une disposition d’inattaquabilité à l’article 162, qui confère à chaque section de la Commission, y compris à la SAR, compétence exclusive pour connaître des questions de droit, de fait et de compétence. Cette disposition milite donc en faveur de la retenue envers la SAR à l’égard de questions comme celle de la norme de contrôle appropriée.

[27]           En l’espèce, soutient le défendeur, parce que la décision de la SPR porte sur une question de crédibilité, ce qui constitue une question de fait, la norme du caractère raisonnable s’applique.

[28]           Le défendeur soutient aussi que, selon la jurisprudence récente de la Cour, même si la SAR avait appliqué la mauvaise norme de contrôle, elle devait quand même faire preuve de retenue envers la SPR pour les questions de crédibilité. La décision de la SAR doit donc être maintenue, même si la mauvaise norme a été appliquée.

[29]           Enfin, le défendeur affirme que la SAR n’avait pas à aviser la demanderesse du fait qu’elle pouvait examiner d’autres documents que ceux que la SPR avait mentionnés dans sa décision, à savoir les Country Reports on Human Rights Practices for 2012 sur le Cambodge publiés par les États‑Unis, lesquels faisaient partie du dossier.

VII.          Questions en litige

[30]           Les parties soulèvent deux principales questions dans leurs observations, c’est‑à‑dire la norme de contrôle que la SAR doit appliquer lorsqu’elle siège en appel d’une décision rendue par la SPR, et la question de savoir si la SAR a fait une évaluation appropriée des conclusions sur la crédibilité de la demanderesse.

[31]           Après avoir examiné les observations et les décisions rendues par la SPR et la SAR, je conclus qu’il sera nécessaire d’examiner seulement l’évaluation faite par la SAR des conclusions sur la crédibilité à la lumière de l’analyse effectuée par la SPR à cet égard. Nous verrons que cette question suffit à trancher la demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, la question à laquelle la Cour doit répondre est la suivante :

  1. La SAR a‑t‑elle procédé à une analyse approfondie de l’appel de la demanderesse eu égard aux conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR?

VIII.       Norme de contrôle

[32]           Plusieurs juges de la Cour se sont prononcés sur la norme de contrôle que la Cour doit appliquer à la question de la portée de l’examen fait par la SAR lorsqu’elle siège en appel. Dans la décision Djossou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1080, au paragraphe 18 [Djossou], le juge Martineau explique que, selon de nombreux juges, la norme de la décision correcte s’applique (Iyamuremye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 494, au paragraphe 20 [Iyamuremye]; Garcia Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 702, au paragraphe 17 [Garcia Alvarez]; Eng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 711, au paragraphe 18 [Eng]; Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799, aux paragraphes 24 à 34 [Huruglica]; Yetna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 858 [Yetna], au paragraphe 14; Spasoja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 913, aux paragraphes 7 à 9 [Spasoja]). D’autres décisions, toutefois, sont à l’effet du contraire, à savoir que la Cour doit peut-être appliquer la norme du caractère raisonnable quand elle revoit la norme d’intervention choisie par la SAR lors de l’examen d’une décision de la SPR (Akuffo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1063 [Akuffo], aux paragraphes 16 à 26; Djossou, précitée, au paragraphe 18).

[33]           Ainsi, la norme de contrôle que la Cour doit appliquer quand elle revoit la norme d’intervention choisie par la SAR lors de l’examen d’une décision de la SPR n’est pas arrêtée. Comme il a été mentionné, cette question n’est pas déterminante en l’espèce. Je souscrirai donc à la démarche mise de l’avant par le juge Martineau dans la décision Djossou, précitée, au paragraphe 37 : tant que la question n’est pas résolue par la Cour d’appel fédérale, une approche pragmatique doit être adoptée pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire.

[34]           En l’espèce, la SAR doit seulement examiner les conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR, comme le montre l’appel. Et comme il est bien établi, la norme de contrôle applicable dans de tels cas est celle du caractère raisonnable.

IX.             Analyse

A.                La SAR a‑t‑elle procédé à une analyse approfondie de l’appel de la demanderesse eu égard aux conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR?

[35]           Dans le cas qui nous occupe, la question centrale soulevée par l’appel est celle de la crédibilité de la demanderesse. À l’heure actuelle, une tendance est observée dans la jurisprudence de la Cour relativement au degré de retenue dont la SAR doit faire preuve à l’égard des décisions de la SPR quand la crédibilité est au cœur de l’affaire.

[36]           Il y a, en ce moment et à ma connaissance, quatre décisions où la Cour a confirmé les décisions par lesquelles la SAR maintenait les conclusions de la SPR quand la question centrale était celle de la crédibilité du demandeur. Dans l’affaire Njeukam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 859, la SPR avait conclu que la demanderesse manquait de crédibilité sur le fondement de son témoignage. Le juge Locke estime que, dans cette affaire-là, la SAR avait eu raison de faire preuve de déférence à l’endroit de la conclusion de la SPR concernant la crédibilité de la demanderesse (au paragraphe 19). Le juge Locke ajoute que la SAR semblait avoir fait sa propre analyse de la crédibilité de la demanderesse dans sa décision (au paragraphe 20). Il rejette donc la demande de contrôle judiciaire. Dans la décision Akuffo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1063, la juge Gagné exprime l’avis que « la SAR doit faire preuve de retenue uniquement à l’égard des conclusions de la SPR concernant la crédibilité, et lorsque celle-ci jouit d’un avantage particulier pour tirer une conclusion » (au paragraphe 39). La juge Gagné déclare ensuite que la SAR avait examiné et évalué la preuve présentée à la SPR et accordé un degré de retenue approprié aux conclusions de la SPR concernant la crédibilité (aux paragraphes 46 à 48). Elle ajoute que la SAR avait effectué sa propre évaluation de la preuve et fourni une analyse plus détaillée que ne l’avait fait la SPR relativement à la crainte subjective du demandeur de retourner dans son pays (au paragraphe 49). Elle rejette donc la demande de contrôle judiciaire (au paragraphe 50). Dans la décision Allalou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1084, le juge Shore conclut de façon similaire que, « étant donné que la décision de la SPR est uniquement fondée sur des conclusions de crédibilité, la SAR a fait preuve du degré de retenue adéquat relativement aux conclusions de la SPR portant sur la crédibilité du demandeur » (au paragraphe 20). Dans la décision Sajad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1107, le juge Shore conclut, une fois encore, que la SAR avait validement fait preuve de déférence envers les conclusions de crédibilité de la SPR (au paragraphe 26). Toutefois, dans la décision Djossou, précitée, le juge Martineau déclare qu’il n’imposera pas judiciairement à la SAR quelque norme de déférence que ce soit à l’égard des décisions de la SPR (au paragraphe 91). Guidé par la prudence, le juge Martineau ne veut pas spéculer ni exprimer une opinion définitive sur la portée de l’examen d’une décision de la SPR fait en appel par la SAR (Alyafi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 952, aux paragraphes 51 et 52).

[37]           En l’espèce, dans sa décision, la SAR réitère les conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR et conclut qu’elles sont raisonnables. La lecture de la décision de la SAR montre que la SAR a lu la transcription de l’audience devant la SPR et les documents produits, et qu’elle a réévalué les conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR. Elle a même poussé plus loin l’analyse du contexte politique au Cambodge que ne l’avait fait la SPR en comparant les allégations de la demanderesse aux Country Reports on Human Rights Practices for 2012 sur le Cambodge publiés par les États‑Unis. La SAR souligne que les allégations de la demanderesse ne cadrent pas avec cette preuve documentaire. C’est également en se fondant sur cette dernière évaluation que la SAR a confirmé les conclusions de la SPR. L’évaluation effectuée par la SAR ne se limite pas à une simple confirmation de la décision de la SPR. La SAR a procédé à son propre examen du dossier présenté à la SPR afin de rendre sa décision. Cette situation est donc très similaire aux quatre affaires mentionnées ci‑dessus, dans lesquelles la Cour a confirmé la décision de la SAR et rejeté la demande de contrôle judiciaire. Quel que soit le degré de retenue dont la SAR devait faire preuve à l’égard des conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR, la SAR a, en l’espèce, examiné la preuve et les questions de crédibilité en appel, et a conclu que les conclusions sur la crédibilité de la SPR étaient sensées, comme sa propre évaluation le révélait. Par conséquent, je conclus que la SAR, en procédant à l’examen et à sa propre évaluation de la preuve, a joué pleinement son rôle de tribunal d’appel et a fait preuve de la retenue requise à l’égard des conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR.

[38]           La demanderesse avance que la SAR est allée au‑delà de la décision de la SPR et a trouvé d’autres motifs liés à l’absence de crédibilité pour confirmer la décision de la SPR quand elle a examiné la preuve documentaire sur le Cambodge concernant le contexte politique. Selon la demanderesse, il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle, parce que la SAR a outrepassé sa compétence. La demanderesse affirme également que, lorsqu’elle a interjeté appel, elle ne savait pas qu’elle devait traiter de questions non abordées dans la décision de la SPR. La demanderesse ajoute que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas d’audience lui permettant de dissiper les doutes de la SAR sur le contexte politique au Cambodge. Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour les motifs suivants.

[39]           D’abord, le paragraphe 110(3) dispose que « [s]ous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés [...] ». La documentation sur le contexte politique au Cambodge faisait partie du dossier qui avait été présenté à la SPR. La SAR pouvait donc s’y reporter afin de rendre sa décision. Le tribunal d’appel n’a‑t‑il pas pour rôle d’examiner le dossier et d’évaluer les éléments de preuve à la lumière des arguments présentés? De toute évidence, c’est bien son rôle. La demanderesse a également tort d’affirmer que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas d’audience pour lui permettre de dissiper les doutes de la SAR concernant le contexte politique au Cambodge. Comme l’a expliqué le juge Shore dans la décision Sajad, précitée, la SAR peut tenir une audience seulement lorsque le demandeur présente de nouveaux éléments de preuve documentaire, comme le précise le paragraphe 110(4) de la LIPR. En l’espèce, tout comme dans l’affaire Sajad, aucun nouvel élément de preuve n’avait été présenté à la SAR pour justifier la tenue d’une audience au titre du paragraphe 110(6). J’ajouterais également que le fait de consulter la documentation était directement lié aux arguments présentés en appel, qui étaient fondés sur le climat politique au Cambodge, que certains des documents ne corroboraient pas. La SAR a conclu que « l’idée générale qui [...] est véhiculée [dans la documentation sur la situation dans le pays] est que la corruption et le copinage sont à grande échelle au Cambodge, mais que le ciblage d’opposants politiques n’est pas répandu », idée qui ne cadrait pas avec les allégations de la demanderesse. Donc, la SAR n’a pas commis d’erreur en consultant elle‑même la preuve documentaire contenue dans le dossier de la SPR et en ne tenant pas d’audience.

X.                Conclusion

[40]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. J’estime que la SAR a fait une évaluation raisonnable des conclusions sur la crédibilité de la SPR en appel, et je conclus donc que la SAR a fait preuve de la retenue qui convenait à l’égard des conclusions sur la crédibilité de la SPR.

[41]           Les parties ont été invitées à proposer des questions aux fins de certification, et l’avocat du défendeur a proposé celle‑ci :

  1. Quelle est la portée de l’examen de la Section d’appel des réfugiés lors d’un appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés?

[42]           Pour les motifs énoncés ci‑dessus, il ne sera pas nécessaire d’aborder cette question.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par Stephen J. Gallagher, datée du 19 mars 2014, est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale ne sera certifiée.

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2845-14

 

INTITULÉ :

SAROM YIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 DÉCEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE S. NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 DÉCEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Styliani Markaki

 

POUR La demanderesse

 

Michèle Joubert

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Styliani Markaki

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR La demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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