Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20141211


Dossier : IMM-5831-13

Référence : 2014 CF 1203

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

VANHEANG PHAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Dans ce qui ressemble à un vaudeville ayant causé beaucoup de confusion, la demanderesse a obtenu l’autorisation de contester la décision du 3 octobre 2012 par laquelle l’agente d’immigration a choisi de statuer qu’elle ne pouvait réexaminer le refus de poursuivre le traitement d’une demande de parrainage dans la catégorie du regroupement familial.

[2]               La demande de contrôle judiciaire est fondée sur l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La prorogation de délai pour demander le contrôle judiciaire a été accordée par mon confrère le juge Shore le 4 septembre dernier et la demande est présentée comme le contrôle judiciaire de la [traduction] « décision du 3 octobre 2012 par laquelle Citoyenneté et Immigration Canada a refusé de rouvrir et de réexaminer la demande de la demanderesse en vue de parrainer ses parents et deux membres de sa fratrie ». Par conséquent, la Cour a examiné l’affaire sur ce fondement.

I.                   Faits et procédures

[3]               Madame Phan a initialement présenté une demande pour parrainer deux membres de sa fratrie et ses parents avec l’aide d’un représentant. La date du 17 septembre 2008 a été estampillée sur la demande à Citoyenneté et Immigration Canada [CIC]. Par conséquent, il semblerait que la demande a été reçue par CIC à cette date. Elle ne semble pas avoir été déposée avant cette date. Toutefois, la demanderesse affirme que la demande de parrainage a été présentée en mai 2008; rien dans la preuve au dossier n’indique qu’elle aurait été déposée à une date antérieure au 17 septembre 2008, même si la demande était achevée en mai 2008, ou à une autre date. Comme nous le verrons, la date de dépôt aura une certaine importance.

[4]               Il faut comprendre la question dont la Cour est saisie et la réparation qu’elle peut accorder, si l’on présume que la demanderesse a gain de cause dans la présente demande de contrôle judiciaire. La demande de contrôle judiciaire en soi porte à confusion parce qu’elle regroupe beaucoup de questions, dont la plupart ne sont pas pertinentes quant à la décision que la Cour doit rendre. La présente demande porte sur la décision du 3 octobre 2012. Cette décision, dans son intégralité, indique ce qui suit :

[traduction] La présente renvoie à votre demande de poursuivre le traitement de la demande de parrainage d’un membre de la catégorie du regroupement familial que vous nous avez présentée au nom de Van Kinh Phan et de membres de votre famille (le cas échéant).

L’agent rend sa décision en fonction des renseignements qui lui ont été fournis. Votre demande a été retirée en raison de vos instructions précises figurant sur la demande de parrainage, qui indiquaient que vous désiriez retirer votre demande si vous étiez déclarée inhabile à parrainer. Malheureusement, la décision ne peut être réexaminée lorsque le requérant a commis une erreur en remplissant sa demande. Une fois qu’une demande de parrainage a été retirée, il n’est plus possible ensuite de prendre en considération des instructions en vue de poursuivre le traitement de la demande. Par conséquent, nous avons le regret de vous annoncer que nous ne serons pas en mesure de réexaminer la décision relative à votre demande de parrainage.

[5]               Les autres questions soulevées par la demanderesse sont pratiquement des diversions, dans la mesure où elles ne se rapportent pas, directement ou indirectement, à la question précise dont la Cour est saisie. Au mieux, certains des renseignements transmis à la Cour servent à établir le contexte entourant la décision du 3 octobre 2012.

[6]               Ainsi, la lettre du 8 mai 2012 provenant de la même agente d’immigration ayant rendu la décision du 3 octobre indique que Mme Phan n’est pas habilitée à parrainer d’autres membres de sa famille parce que son revenu pour l’année précédant l’année où elle demande de parrainer les membres de sa famille ne satisfait pas au critère du revenu vital minimum. Comme Mme Phan a indiqué dans sa demande de parrainage que, si elle n’était pas habilitée à parrainer, elle désirait retirer sa demande, la lettre du 8 mai 2012 indique ce qui suit : [traduction] « Votre demande de parrainage a été officiellement retirée et aucune autre mesure ne sera prise. Cette décision est sans appel ».

[7]               Il faudrait noter que des avantages peuvent inciter un demandeur à retirer sa demande s’il n’est pas habilité à parrainer. Si la demande est retirée, les droits exigés par le gouvernement sont remboursés, moins la somme de 75 $. Dans le cas qui nous occupe, la somme remboursée représentait des centaines de dollars (à l’audience, on a confirmé que la somme est d’environ 1 300 $). Compte tenu d’un tel avantage, on peut comprendre que le répondant qui ne serait pas habilité à parrainer notamment parce qu’il ne satisfait pas au critère du revenu, comme en l’espèce, préfèrerait retirer sa demande et se faire rembourser les centaines de dollars exigés pour présenter une demande qui pourrait éventuellement être rejetée. Le répondant a évidemment intérêt à retirer sa demande s’il n’est pas habilité à parrainer.

[8]               À la suite de la lettre du 8 mai 2012, la demanderesse a demandé que le traitement de sa demande de parrainage se poursuive. La lettre qu’elle aurait envoyée dans laquelle elle sollicite l’examen de sa demande ne figurait pas dans le dossier certifié du tribunal et n’a pas été déposée par la demanderesse non plus.

[9]               Le seul renseignement supplémentaire provient du Système mondial de gestion des cas [le SMGC]. Une entrée effectuée le 3 octobre 2012, la même date que celle indiquée sur la lettre avisant la demanderesse que sa demande ne serait pas réexaminée, indique ce qui suit :

[traduction] Nous avons reçu une lettre de la part du répondant dans laquelle il nous demande de réexaminer sa demande. Il affirme que le consultant en immigration a présenté sa demande tardivement. Il affirme avoir signé la demande le 3 mai 2008, mais que celle‑ci n’a pas été postée avant septembre 2008. Il affirme que si le consultant en immigration avait posté les documents après qu’il les ait signés, il aurait satisfait au SFR. Il affirme également que le consultant en immigration a coché la case visant à retirer sa demande, ce qu’il n’aurait jamais demandé. ***Le répondant fournit une copie de la carte professionnelle d’Amenda Ng, une conseillère en règlement de l’entreprise Immigrant Services, située au 926 Paisley Rd. Unités 4-5, à Guelph, en Ontario, N1K 1X5, tél. : 519-836-2222 poste 235. Il est indiqué que le répondant n’a pas fourni le formulaire IMM1283 nommant cette personne comme son représentant et l’adresse indiquée sur le formulaire 1344 était l’adresse du domicile du répondant. Une lettre a été envoyée au répondant aujourd’hui lui indiquant que nous ne pouvons réexaminer sa demande.

Par conséquent, il existe une preuve que la demanderesse a demandé, au moyen d’une lettre, à ce que le retrait de sa demande de parrainage soit réexaminé.

[10]           La décision du 3 octobre 2012 a fait l’objet d’une première demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Elle a été déposée le 15 octobre 2012 dans le dossier IMM-10562-12. Cette demande a été abandonnée le 24 décembre 2012, apparemment parce que l’arrêt Somodi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 268 [Somodi], a été porté à l’attention de l’avocat de la demanderesse par l’avocat du gouvernement; l’avocat de la demanderesse aurait compris qu’il n’était pas possible de recourir au contrôle judiciaire parce que le rejet d’une demande de parrainage devrait faire l’objet d’un appel devant la Section d’appel de l’immigration [SAI]. Ainsi, il faudrait attendre qu’un appel soit interjeté devant la SAI avant de pouvoir présenter une demande de contrôle judiciaire.

[11]           Par conséquent, un appel a été interjeté devant la SAI. Par une décision rendue le 22 août 2013, l’appel a été rejeté. La SAI a conclu qu’il n’y avait pas eu refus d’accorder aux parents et aux membres de la fratrie de Mme Phan des visas de résidents permanents parce qu’elle avait retiré sa demande de parrainage les concernant. L’arrêt Somodi porte sur le rejet d’une demande de résidence permanente, et non sur le cas d’un répondant qui a choisi de retirer sa demande de parrainage.

[12]           On ne saurait affirmer que l’avocat du gouvernement est responsable des erreurs de droit commises par autrui. À mon sens, il appartient d’abord et avant tout à l’avocat représentant les plaideurs de vérifier l’état du droit et d’en aviser ses clients. En effet, l’avocat de la demanderesse l’a reconnu à juste titre à l’audience. Il n’en demeure pas moins que la SAI a conclu que « [c]ette observation tout à fait inadéquate a incité la conseil de l’appelante à recourir à la SAI sur le fondement d’un fait erroné ». Je partage cette opinion.

[13]           Par suite du rejet de sa demande par la SAI et du fait qu’elle avait abandonné sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, la demanderesse s’est enfin tournée vers notre Cour, sollicitant une prorogation de délai en vue de présenter, une fois de plus, sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Comme je l’ai indiqué, la prorogation de délai et l’autorisation ont été accordées. La décision de la SAI n’est pas pertinente.

[14]           Je prends toutefois note de deux observations formulées par la SAI dans sa décision qui portent sur la question dont notre Cour est saisie en l’espèce. La SAI indique que les parties conviennent que l’agente d’immigration avait compétence pour réexaminer sa décision sur le fondement de nouveaux éléments de preuve (par. 14). La SAI fait ensuite remarquer ce qui suit :

[15]      Dans le mémoire des arguments que l’intimé a déposé dans la procédure devant la Cour fédérale, il a été avancé que l’agente d’immigration ne s’était pas considérée comme dessaisie de l’affaire lorsqu’il lui a été demandé de rétablir la demande retirée de l’appelante et de réexaminer sa décision selon laquelle l’appelante ne remplissait pas les conditions requises pour parrainer ses parents et les membres de sa fratrie. En effet, il a été avancé en outre qu’elle avait examiné la requête en rétablissement de la demande retirée de l’appelante.

Il s’agit également de la thèse avancée par l’avocat du défendeur en l’espèce. Toutefois, la SAI, assez presciente, conclut son observation en affirmant ce qui suit :

[16]      Il n’a pas été précisé, cependant, dans le mémoire des arguments de l’intimé, comment il était possible de dire que l’agente avait examiné la requête de l’appelante et n’avait pas affirmé qu’elle était dessaisie de l’affaire alors que, en fait, elle avait informé l’appelante par écrit le 3 octobre 2012 que [traduction] « une fois qu’une demande de parrainage a été retirée, il n’est plus possible ensuite de prendre en considération des instructions en vue de poursuivre le traitement de la demande ». Je réalise qu’il est fait référence à un affidavit de l’agente qui a été déposé, mais que je n’ai pas vu, où il est écrit qu’elle a examiné la requête en rétablissement de la demande de parrainage. Il se peut qu’elle ait changé d’avis et qu’elle ait ensuite examiné la requête en réouverture de la demande de parrainage sur le fond.

II.                La question en litige

[15]           Cela nous ramène à la question en litige devant notre Cour. La demanderesse sollicite le réexamen de sa demande de parrainage. Elle soutient qu’elle s’est trompée lorsqu’elle a retiré sa demande de parrainage; elle affirme également que la date dont il faut tenir compte dans l’évaluation de son revenu est une certaine date en mai 2008, lorsqu’elle aurait demandé à un représentant de présenter la demande, contrairement à la date à laquelle ladite demande a été reçue par le défendeur.

[16]           Cette dernière affirmation semblerait avoir une importance pour la demanderesse. Dans sa lettre du 8 mai 2012, qui a incité la demanderesse à retirer sa demande de parrainage, l’agente d’immigration a conclu que cette dernière ne satisfaisait pas au critère du revenu minimum, de sorte que la demande pouvait en fait être rejetée. L’avis de cotisation de 2007 de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC], qui doit être utilisé pour vérifier le revenu gagné dans le cadre d’une demande de parrainage, démontrait que le revenu était inférieur au seuil fixé pour le parrainage de membres de la famille (de 200 $). Néanmoins, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], dispose que le recours au dernier avis de cotisation n’est pas la seule façon de calculer le revenu pour l’application de ce que l’on appelle le seuil de faible revenu [le SFR]. Suivant l’article 134 du Règlement, il est possible de calculer le revenu canadien du répondant en se fondant sur les « douze mois précédant la date du dépôt de la demande de parrainage ».

[17]           L’agente d’immigration s’est fondée sur cette période pour effectuer son calcul. En utilisant comme date de dépôt la date à laquelle la demande de parrainage a été déposée, soit le 17 septembre 2012, l’agente d’immigration a conclu que le revenu de la demanderesse était inférieur au SFR. Pour la période comprise entre le 17 septembre 2007 et le 17 septembre 2008, le revenu estimé par l’agente d’immigration était bien inférieur à la cotisation de l’ARC pour l’année financière 2007. Par conséquent, suivant les deux méthodes, telles qu’appliquées par l’agente d’immigration, le revenu ne répond pas au seuil minimum. De toute évidence, la demanderesse croit que si une autre période dans les années d’imposition 2007 et 2008 est examinée, ou une autre méthode de calcul est utilisée, elle pourrait satisfaire au SFR.

[18]           Le mémoire des faits et du droit à l’appui de la demande de la demanderesse semble confondre l’appel devant la SAI et la question qu’elle désire soumettre à notre Cour (par. 27 à 31 et par. 36). De même, la demanderesse semble faire valoir que, dans le cadre d’un appel devant la SAI, elle aurait gain de cause. Ce faisant, la demanderesse prophétise et continue de confondre les questions. La SAI a rejeté son appel parce qu’elle n’avait pas compétence compte tenu du retrait de la demande de parrainage; cette décision de la SAI n’a pas été contestée. Comme je l’ai déjà indiqué, au sens strict, elle n’est pas pertinente en l’espèce. La question dont la Cour est saisie est bien plus restreinte. Il s’agit seulement de savoir si la décision du 3 octobre 2012 par laquelle l’agente d’immigration a refusé de rouvrir le dossier, fermé en raison du retrait de la demande de parrainage, est justifiée parce que l’agente était dessaisie de l’affaire. Si le dossier est rouvert et la décision du défendeur n’est pas favorable, il appartiendra donc à la demanderesse de déterminer les prochaines étapes. Jusque-là, tout renvoi à la SAI constitue une distraction. D’abord, la Cour doit décider s’il y a effectivement eu refus de réexaminer la demande. Ensuite, la Cour devra conclure si l’agente d’immigration a refusé de réexaminer sa décision à bon droit.

III.             Analyse

[19]           La lettre du 3 octobre 2012 est sans équivoque. Je l’ai déjà reproduite dans son intégralité. Je répète le passage suivant, pour le mettre en lumière : « Une fois qu’une demande de parrainage est retirée, il n’est plus possible ensuite de prendre en considération des instructions en vue de poursuivre le traitement de la demande. » Autrement dit, le décideur a restreint son pouvoir discrétionnaire, pouvoir qu’elle avait, elle ne le nie pas, tant dans le cadre des observations devant la SAI que devant notre Cour. En termes techniques, l’agente d’immigration s’est déclarée functus officio, un principe qui prévoit qu’[traduction] « une fois qu’un décideur a tout fait ce qui était nécessaire pour compléter sa décision, il lui est alors interdit de réexaminer cette décision, sauf pour corriger une erreur matérielle ou toute autre erreur technique mineure » (Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto (Ontario) : Carswell, 2013), §12:6211).

[20]           Afin de régler la difficulté apparente, ayant déjà reconnu que le pouvoir discrétionnaire existe, mais indiquant au vu du dossier qu’il est impossible de réexaminer la demande, l’agente d’immigration a déposé un affidavit bien après la décision du 3 octobre 2012. Un an plus tard, l’agente a affirmé qu’elle s’est en fait penchée sur l’explication de la demanderesse justifiant pourquoi elle désirait continuer de parrainer sa famille, mais a conclu que l’explication était insuffisante. À l’appui de son affirmation, elle renvoie aux notes du SMGC.

[21]           Les notes du SMGC ne sont d’aucune utilité. Elles ne fournissent rien d’autre qu’un exposé des demandes de la demanderesse, et la conclusion qui y figure est la même que celle dans la lettre officielle, soit que l’agente ne peut réexaminer sa demande. Je ne vois pas en quoi le fait d’exposer les arguments présentés, ce qui a d’ailleurs été fait en racontant ce qui se trouvait dans la lettre par laquelle la demanderesse sollicitait un réexamen, constitue d’une quelconque façon un examen de son bien‑fondé ou de l’absence de bien‑fondé. L’agente d’immigration affirme plutôt, plus d’une fois, que la demande ne peut être réexaminée. Elle n’affirme pas qu’elle peut être réexaminée et rejetée peu importe la raison. Tant la lettre elle‑même que les notes du SMGC indiquent qu’un réexamen n’est pas possible. Ceci, reconnait le défendeur, n’est pas l’état du droit (exposé des arguments du défendeur, par. 16) et le défendeur n’a pas renoncé à ce point de vue.

[22]           À mon humble avis, la position adoptée par l’agente d’immigration selon laquelle elle ne n’est pas considérée functus officio et qu’elle a en fait conclu l’affaire au fond contribue au vaudeville en l’espèce. Cette conclusion est fondée sur deux motifs.

[23]           Premièrement, le dossier parle de lui‑même. Même lorsque l’on tient compte de l’affidavit déposé un an après le prononcé de la décision, il contredit tout au plus le dossier. En fait, l’affidavit est une tentative d’expliquer d’une manière plus exhaustive la lettre du 8 mai 2012.

[24]           Deuxièmement, et plus fondamentalement, l’affidavit de l’agente vise à étoffer sa décision. Cet affidavit a été déposé dans l’instance devant notre Cour bien après le prononcé de la décision. Ce n’est pas autorisé : le contrôle judiciaire existe pour pouvoir contrôler la légalité d’une décision rendue par un tribunal administratif. Ce sont les règles du jeu; elles ne peuvent être modifiées. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, le décideur ne peut compléter les motifs de sa décision dans une demande de contrôle judiciaire de cette décision :

[41]      La Cour fédérale semble n’avoir accordé aucun poids à cet élément de preuve. Je n’y accorde pas de poids non plus. Ce genre de preuve n’est pas admissible dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Keeprite Workers’ Independent Workers Union et al. and Keeprite Products Ltd. (1980), 114 D.L.R. (3d) 162 (C.A. Ont.)). Le décideur avait pris sa décision et il était functus officio (Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848). Une fois la décision prise, il n’avait pas le droit de déposer un affidavit qui complète les motifs de sa décision, énoncés dans la lettre de décision, qui plus est après le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire contestant la décision en question. Par son affidavit, il tente d’étoffer après le fait sa décision, ce qui n’est pas permis (United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America c. Bransen Construction Ltd., 2002 NBCA 27, au paragraphe 33). Logiquement, tout nouveau motif offert par un décideur après la contestation de sa décision doit être considéré avec beaucoup de méfiance (R. c. Teskey, 2007 CSC 25, [2007] 2 R.C.S. 267.

[25]           Dans le cas qui nous occupe, l’agente cherche non seulement à compléter la décision faisant l’objet du contrôle en fournissant davantage de renseignements sur les calculs de revenus, mais également à la modifier, d’une décision où l’agente n’avait pas compétence et n’était pas habilitée à examiner la demande de la demanderesse à une décision où elle a examiné la demande de la demanderesse, mais l’a simplement rejetée. Je suis d’avis que l’agente a conclu qu’elle était functus officio. L’affidavit présenté ex post facto n’est pas admissible.

[26]           Comme j’ai tenté de le démontrer, la présente affaire est digne d’un vaudeville. La plupart des erreurs ne se rapportent pas à la question, plus précise, qui est valablement soumise à notre Cour. Comme je suis d’avis que l’agente d’immigration a conclu qu’elle ne pouvait réexaminer sa décision, la prochaine question est la suivante : l’agente s’est‑elle considérée functus officio à bon droit? Dans la décision Kurukkal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 695, notre Cour a conclu que la question de savoir si le principe du functus officio s’applique commande la norme de la décision correcte. En revanche, la décision de réexaminer, ou non, une décision serait susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Chopra c Canada (Procureur général), 2014 FCA 179, par. 44). La première question est la question dont notre Cour est saisie, et la norme de la décision correcte s’applique. L’agente a‑t‑elle eu raison d’affirmer qu’elle ne pouvait envisager de rouvrir le dossier?

[27]           En l’espèce, il est problématique que l’agente d’immigration ait conclu qu’elle n’était pas habilitée à examiner la demande en réouverture, mais a plus tard affirmé que sa décision portait sur le bien‑fondé de la demande parce qu’elle est arrivée à la conclusion qu’elle avait le pouvoir discrétionnaire après tout.

[28]           En fait, il existe une règle en Cour d’appel fédérale qui indique que le décideur administratif a le pouvoir discrétionnaire résiduel de réexaminer une décision dans le contexte de procédures administratives de nature non juridictionnelle (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kurukkal, 2010 CAF 230 [Kurukkal]). La décision de la Cour d’appel fédérale est intéressante parce qu’elle formule clairement la question en l’espèce et apporte une réponse claire, qui s’applique en l’espèce :

[4]        Dans le cas présent, le décideur a omis de reconnaître l’existence d’un quelconque pouvoir discrétionnaire. L’erreur réside dans cette omission. Le principe du functus officio n’empêchait pas l’agent d’immigration de réexaminer sa décision; l’agent avait la liberté d’exercer le pouvoir discrétionnaire de réexaminer, ou de refuser de réexaminer, la demande de l’intimé.

Il s’agit là de l’irrégularité à laquelle il faut remédier. Il appartient au décideur de déterminer si le dossier peut être rouvert, et cette décision serait assujettie au contrôle judiciaire, mais selon une norme de contrôle différente.

IV.             Réparation

[29]           La demanderesse prie la Cour de ne pas simplement renvoyer l’affaire à un autre décideur pour qu’il détermine uniquement si le dossier devrait être rouvert. La Cour doit refuser l’invitation. Dans l’arrêt Kurukkal, la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit :

[5]        La juge a ordonné à l’agent d’immigration de tenir compte d’un nouvel élément de preuve et de déterminer le poids à y accorder, le cas échéant. À notre avis, cette directive était inappropriée. La juge a conclu à juste titre que le principe du functus officio n’empêchait pas le réexamen de la décision négative concernant la demande fondée sur l’article 25, mais à cette étape‑là, l’obligation de l’agent d’immigration était de décider, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes, s’il y avait lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire de réexaminer sa décision.

[30]           C’est l’invitation de la demanderesse qui a été réprouvée par la Cour d’appel fédérale. Il faut d’abord décider si la demande de parrainage devrait être réexaminée, au lieu de conclure trop rapidement, comme ce fut le cas en l’espèce, que le principe du functus officio empêche le réexamen de la décision. La lettre du 3 octobre 2012 et les notes du SMGC mènent inexorablement à la conclusion que l’agente a statué qu’elle ne pouvait réexaminer sa décision.

[31]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question de savoir si la demande de parrainage devrait être réexaminée, à la suite de la décision du 3 octobre 2012 de ne pas réexaminer la demande, est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La question de savoir si la demande de parrainage devrait être réexaminée, à la suite de la décision du 3 octobre 2012 de ne pas réexaminer la demande, est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen. Aucune question de portée générale ne devrait être certifiée. Aucune ordonnance ne sera rendue quant aux dépens.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5831-13

 

INTITULÉ :

VANHEANG PHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 DÉCEMBRE 2014

 

JUGeMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 DÉCEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Mary Lam

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John Loncar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUr

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.