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Date : 20141218


Dossier : IMM‑5200‑13

Référence : 2014 CF 1239

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 18 décembre 2014

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ÉTIENNE AVOUAMPO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (LIPR), à l’encontre de la décision datée du 22 mai 213, par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration (CIC) a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur.

II.                Les faits

[2]               Étienne Avouampo (le demandeur) est citoyen de la République du Congo qui craint de retourner dans son pays d’origine en raison de ses opinions politiques et de sa demande d’asile infructueuse. Il est venu pour la première fois au Canada en 2001. Sa demande d’asile a été rejetée en 2003. Il a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et, en 2005, une demande d’ERAR. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été approuvée en principe, en 2009; le traitement de sa demande d’ERAR a été alors suspendu. Toutefois, le demandeur s’est vu refuser le statut de résident permanent en 2012, en raison d’une déclaration de culpabilité prononcée en 2010 et du défaut de respecter les exigences de la LIPR.

[3]               Le 30 avril 2013, CIC a avisé le demandeur qu’il procéderait à la réouverture de sa demande d’ERAR et que celui‑ci devait envoyer, au plus tard le 24 mai 2013, des observations à l’appui (la lettre d’équité). Le 8 mai 2013, l’avocat du demandeur a répondu à CIC, lui demandant de [traduction] « suspendre le processus d’ERAR à l’égard de M. Avouampo », compte tenu de la deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui avait été déposée récemment (lettre visant une prolongation de délai). CIC n’a pas répondu.

[4]               Le 22 mai 2013, l’agent a refusé la demande d’ERAR (la décision contestée) du demandeur. La décision a été communiquée au demandeur le 27 juin 2013.

[5]               Le 24 mai 2013, suivant le délai fixé dans la lettre de CIC, l’avocat du demandeur a envoyé des observations relativement à la demande d’ERAR, par télécopieur et par messager (la lettre d’observations).

III.             Question en litige

[6]               La seule question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si l’agent a manqué à son obligation procédurale en rendant sa décision avant l’expiration du délai accordé au demandeur pour présenter des observations relatives à la demande d’ERAR.

IV.             La norme de contrôle

[7]               La norme de contrôle applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale est celle de la décision correcte : voir Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; MCI c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43. Toutefois, l’obligation d’équité est souple et peut varier selon le contexte : voir Baker c MCI, [1999] 2 RCS 817, aux par. 21 à 28; Khela, au par. 89.

V.                Les observations des parties

[8]               Le demandeur fait valoir que l’agent a manqué a son obligation d’équité en rendant sa décision le 22 mai 2013, soit deux jours avant l’échéance du délai qui lui avait accordé pour présenter des observations relatives à la demande d’ERAR. Se fondant sur le 24 mai comme date d’échéance du délai accordé, le demandeur a présenté des observations relatives aux risques à cette même date. Or, il est évident que l’agent n’a tenu compte de ces observations et qu’il s’est plutôt fié à la lettre en date du 8 mai visant une prolongation de délai pour rejeter la demande d’ERAR.

[9]               Le demandeur soutient en outre qu’une fois la lettre d’observations reçue, l’agent aurait dû réexaminer sa décision du 22 mai, en tenant compte des observations qui y étaient formulées (Chudal c MCI, 2005 CF 1073, aux par. 19 à 21;guide PP3 de CIC). Le demandeur affirme que l’agent chargé du traitement d’une demande d’ERAR ne peut rendre une décision avant l’échéance du délai accordé au demandeur et qu’il doit effectivement prendre en compte des documents « remis ultérieurement », notamment de nouveaux éléments de preuve, jusqu’au moment où la décision est communiquée aux intéressés : voir Chudal, Zokai c Canada (MCI), 2005 CF 1103, et Gil Arango c Canada (MCI), 2014 CF 370.   

[10]           En l’espèce, le demandeur s’attendait légitimement à ce qu’il ait au moins jusqu’au 24 mai, soit la date d’échéance du délai accordé par CIC, et il était en droit de présenter, dans l’intervalle, une demande de prolongation dudit délai : voir aussi Figurado c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, au par. 40. Cette attente était particulièrement fondée, eu égard au fait que CIC avait pris plusieurs années pour traiter le dossier du demandeur et que deux jours de plus n’auraient rien changé, tout comme les quelques jours de plus n’avaient rien changé à la situation, étant donné que la décision avait été communiquée le 27 juin.

[11]           L’agent aurait dû exprimer ses préoccupations quant à la lettre du 8 mai ou refuser la prolongation demandée, au lieu de considérer que cette lettre contenait des observations de fond relatives aux risques dans le cadre de la demande d’ERAR : Zokai, précitée.

[12]           Le défendeur soutient que l’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale. Premièrement, le demandeur ne pouvait pas légitimement s’attendre à ce que l’agent attende jusqu’au 24 mai 2013 pour rendre sa décision, plutôt que d’examiner rapidement les observations reçues le 8 mai « en réponse » à la lettre d’équité : Vasanthakumar c MCI, 2012 CF 74, au par. 12. Deuxièmement, puisque la lettre en date du 8 mai et les documents joints ne renfermaient pas de renseignements se rapportant à la demande d’ERAR, il était raisonnablement loisible à l’agent de ne pas en tenir compte. Troisièmement, le demandeur a omis d’aviser CIC dans la lettre du 8 mai qu’il présenterait ultérieurement des observations additionnelles.

[13]           Dans l’ensemble, le défendeur fait valoir que la lettre d’équité constituait une occasion offerte qui est passée une fois la réponse reçue, l’agent n’étant aucunement tenu de fournir une autre occasion à cet égard après avoir pris sa décision du 22 mai. En d’autres termes, toute observation présentée a été considérée comme une réponse, fût‑elle complète, insatisfaisante ou se situant entre les deux extrêmes – à la suite de laquelle l’agent était en droit de prendre une décision définitive relative à la demande d’ERAR à tout moment, ce qui est par ailleurs arrivé le 22 mai.

[14]           Le défendeur ajoute que, même si l’agent en avait tenu compte, la lettre d’observations n’aurait rien changé à l’issue de la demande d’ERAR.

[15]           Enfin, le défendeur affirme, à titre subsidiaire, que, si la Cour conclut que l’agent a commis une erreur en omettant de tenir compte de la lettre d’observations, la décision ne saurait être annulée, parce que l’agent chargé de la demande d’ERAR a également examiné d’autres éléments de preuve au dossier et que les observations présentées le 24 mai n’apportaient aucun élément essentiel : voir Patel c MCI, 2002 CAF 55, et Toussaint c Canada (PG), 2010 CF 810, au par. 59.

VI.             Analyse

[16]           À mon avis, l’agent avait l’obligation d’examiner la lettre d’observations dans les circonstances et, ne l’ayant pas fait, il a manqué à son obligation d’équité procédurale.

[17]           Le défendeur affirme que, selon la décision Vasanthakumar, précitée, au par. 12, le demandeur ne pouvait pas légitimement s’attendre à ce que l’agent lui donne une autre occasion de présenter des observations additionnelles avant de rendre sa décision. En l’espèce, contrairement à la décision Vasanthakumar, CIC a accordé au demandeur un délai précis pour présenter des observations.

[18]           Le demandeur avait ainsi le droit de se fier à cette date limite et de présenter des observations tant avant qu’à cette même date, d’autant plus que la lettre du 8 mai visant une prolongation de délai ne renfermait aucun renseignement au sujet des risques ou de l’analyse de la demande d’ERAR, et ne se voulait point qu’une demande de prolongation de délai. L’agent avait donc toutes les raisons de croire que des observations relativement à la demande d’ERAR suivraient, étant donné que le demandeur avait envoyé une réponse qui visait une prolongation de délai relativement à une demande d’ERAR plutôt qu’une demande d’ERAR. Enfin, la lettre d’équité de CIC ne donnait aucunement à entendre que le demandeur n’était autorisé à présenter qu’une seule lettre.

[19]           Le défendeur a raison d’affirmer que les demandes d’ERAR doivent être tranchées en temps opportun, mais cet objectif ne devrait pas empêcher le demandeur de présenter des éléments de preuve et de faire valoir pleinement ses arguments, surtout lorsque la vie et la sécurité de la personne sont en jeu. Il devrait également en être ainsi dans les cas où les demandes font l’objet de longs délais de traitement par CIC. Le demandeur était au Canada depuis plus de dix ans lorsque CIC a envoyé la lettre d’équité accordant le délai de 30 jours. Dans les circonstances, CIC aurait très bien pu attendre l’expiration de ce délai de 30 jours avant de rendre une décision définitive.

[20]           Compte tenu de l’ensemble des circonstances, pour respecter l’obligation d’équité en l’espèce, l’agent devait attendre jusqu’au 24 mai 2013, avant de rendre une décision sur la demande d’ERAR présentée par le demandeur. Ne l’ayant pas fait, l’agent a manqué à son obligation d’équité.

[21]           J’estime par ailleurs que, peu importe s’il avait dû ou non attendre jusqu’au 24 mai 2013 pour rendre sa décision, l’agent devait tenir compte de la lettre d’observations, vu que le demandeur avait envoyé la lettre avant d’être avisé qu’une décision avait été rendue à son égard. Notre Cour a établi que l’agent d’évaluation a l’obligation de tenir compte de tous les éléments de preuve qui peuvent influer sur sa décision, même après la date à laquelle sa décision a été rédigée, pourvu que les éléments de preuve soient reçus avant que le demandeur ne soit avisé de l’existence de la décision ou avant la date communiquée au demandeur quant à la prise d’une décision : voir Chudal, précitée, au par. 19; Ayikeze c MCI, 2012 CF 1395, au par. 16.

[22]           Même si l’agent a rendu une décision avant la réception de la lettre d’observations du demandeur, cette lettre avait été reçue bien avant que le demandeur ne soit avisé de ladite décision et donc avant que la décision ne devienne définitive : voir Chudal, précitée, aux par 16 à 21; voir aussi Gil Arango et Zokai, précitées. L’agent était donc tenu d’examiner ces observations.

VII.          Conclusions

[23]           La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’agent était tenu de rendre sa décision après l’échéance du délai accordé au demandeur pour présenter des observations. Il a manqué à son obligation d’équité procédurale du fait qu’il a rendu sa décision avant cette date et qu’il a omis de réexaminer sa décision en tenant compte des observations présentées par le demandeur à la date d’échéance du délai accordé, soit deux jours après le prononcé de la décision, et ce, au cours des semaines qui ont suivi la réception des observations et avant que la décision ne soit communiquée au demandeur.

[24]           J’accueillerai donc la présente demande et renverrai l’affaire à un autre agent pour qu’il procède à un nouvel examen en tenant compte de tous les documents, y compris les observations en date du 24 mai 2013 et tout nouveau document sur la question du risque.

[25]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il procède à un nouvel examen en tenant compte de tous les documents, y compris les observations en date du 24 mai 2013 et tout nouveau document sur la question du risque. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne sera certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5200‑13

 

INTITULÉ :

ÉTIENNE AVOUAMPO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 DÉCEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 DÉCEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Azadeh Tamjeedi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Azadeh Tamjeedi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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